L’Europe se fera avec ses chemins de fer, c’est certain, mais lesquels ? Ceux des confins, contrairement à ce que l’on pourrait supposer, auront un rôle déterminant, car ils seront les portes d’entrée et de sortie d’un immense système qu’ils modèleront en fonction de la nature du trafic induit. La Pologne est un exemple parmi d’autres parce qu’elle jouera un rôle important en ce qui concerne les échanges avec la Russie et l’Asie.
La moindre petite gare polonaise pourrait, comme toute autre gare de la Pologne, raconter l’histoire tourmentée du chemin de fer polonais de ce siècle, une histoire qui est le reflet de celle de ce pays gommé plusieurs fois de la carte.


La Pologne, après avoir été purement et simplement supprimée trois fois, réapparait sur les cartes en 1918, formée de trois parties anciennement appartenant à l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et la Russie. Son réseau ferré, qui comprend alors 16 359 km, est pratiquement inexploitable d’une manière cohérente parce que formé de matériel et d’installations et même d’écartements différents (1435 et 1524 mm) provenant des anciens pays qui se partageaient le territoire polonais.
Au lendemain de cette guerre aussi cruelle qu’est la Seconde Guerre mondiale, la Pologne est déplacée vers l’ouest, perdant des territoires cédés à l’Ukraine, mais regagnant la Silésie cédée par l’Allemagne.




La renaissance ferroviaire polonaise pendant la période communiste.
Reconstruit pendant la période communiste, le réseau atteint 26 644 km, dont 2 357 km en voie étroite et encore quelques tronçons en voie large russe. Plus de 11 000 km sont électrifiés en 3 000 v continu. Le trafic annuel dépasse 60 millions de voyageurs/kilomètres et 120 millions de tonnes/kilomètres.
Aujourd’hui le kilométrage du réseau atteint 18.429 km entièrement en voie normale 1435 mm (statistiques UIC), connaît un trafic de 9196 voyageurs/kilomètres et 25.953 tonnes/kilomètres pour le fret, ce qui montre à quel point la sortie de l’économie planifiée est aussi un recul, pour ne pas dire un effondrement, pour le chemin de fer ! L’économie libérale est bien la porte grande ouverte pour le tout pétrole et le transport routier.


L’histoire de la voie étroite polonaise.
Elle commence en Haute-Silésie, en 1853, avec la construction d’un petit chemin de fer à traction par chevaux remplacés par des locomotives à vapeur en 1872. À l’époque, et depuis 1795, la Pologne n’existe plus sur les cartes, ceci jusqu’en 1918. Cela veut dire que beaucoup de ces petites lignes, construites durant la 2ᵉ moitié du XIXᵉ siècle, l’ont été soit sur un sol prussien, soit sur un sol autrichien, ou encore, mais plus rarement, sur un sol russe.
C’est pourquoi on retrouve, dans le sud de la Pologne, un écartement de 760 mm alors beaucoup pratiqué en Autriche, par exemple, tandis qu’à l’ouest, en Silésie, on trouve de la voie de 785 mm, et à l’est de la voie de 600 mm. Dans le nord de la Pologne, on trouve de la voie métrique, comme il était d’usage d’en construire chez les ingénieurs allemands.
Lors de la réunification de la Pologne, l’ensemble de ces petits réseaux forme un tout dont le kilométrage total est de l’ordre de 2 300 km, et entièrement présent aujourd’hui toujours: aucun pays européen n’offre un aussi fantastique réseau en voie étroite !
Les lignes à voie étroite sont, malgré l’avènement du tout camion dès les années 1990, encore très actives dans le centre de la Pologne, autour de Poznan, d’une part, (ligne de Gnizno-Powidz, ou 8 autres lignes dans la région) et, d’autre part, au bord de la Baltique, au nord-est de Szczecin (ligne Gryfice-Trzebiatov, par exemple, avec 55 km de voie métrique, ou encore cinq autres lignes dans la région). La plupart de ces lignes sont en service quotidien, et sont donc en traction diesel.
L’électrification polonaise profitera-t-elle aux services voyageurs ?
La Pologne, avant la Seconde Guerre mondiale, équipe 107 km de lignes de son réseau de banlieue de Varsovie en courant continu 3 000 v, ceci en 1934, suivant en cela les conseils d’ingénieurs anglais et de l’ingénieur polonais Podovski, lui-même très intéressé par les électrifications européennes en 3 000 ou en 1 500 v. Un parc de 76 rames à deux éléments (automotrice + remorque) est constitué, et comportant des équipements électriques d’origine britannique.
Le pays a en projet une électrification portant sur plus de 1 800 km et à réaliser dans la décennie. Les difficultés économiques feront remettre à plus tard le projet, et il ne sera entrepris réellement qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Au lendemain de ce conflit qui touche durement la Pologne et fait de déplacer ses frontières, le réseau électrifié de Varsovie et de la banlieue est complètement détruit, et tout est à reconstruire. Varsovie reçoit, cédées par l’Allemagne à titre de dommages de guerre, 80 automotrices à courant continu 800 v par 3ᵉ rail latéral provenant du S-Bahn urbain de Berlin.
Équipées de pantographes de toiture, ces rames assurent un trafic de banlieue autour de Varsovie, d’une part, et entre Gdansk (Dantzig) et Gdynia, d’autre part. Pour cela les lignes concernées sont sommairement équipées d’une caténaire simplifiée distribuant un courant continu 3 000 v, les motrices étant rééquipées pour réduire cette tension à une valeur utilisable par les moteurs. Puis les électrifications prévues avant-guerre sont mises en chantier durant les années 1950-1960.

La totalité des lignes électrifiées, aujourd’hui, en Pologne est de plus de 6 800 km, et la traction électrique enlève la majeure partie du trafic polonais, avec un total annuel de 1 120 millions de voyageurs et de 464 millions de tonnes de marchandises.
Voilà un trafic qui est plusieurs fois celui de beaucoup de réseaux des pays occidentaux: il est, par exemple, sept fois celui du Royaume-Uni ou deux fois celui de la France. En trafic voyageurs, il est aussi en tête des pays européens avec 55 800 millions de voyageurs/kilomètres, devancé par la France qui affiche 64 900 millions, mais passant devant l’Italie, ou l’Allemagne.

La traction électrique polonaise et les ET 22
Cette très importante série de locomotives, plus de 500, est construite à partir de 1972 à la Panstowa Fabvyka Wagonow de Wroclaw, pour ce qui est de la partie mécanique (châssis, bogies, transmissions, etc) et à la Kolmex de Varsovie, pour la partie électrique (moteurs, transformateurs, équipements de commande, accessoires, etc).

En dépit de ce qu’une caisse aux lignes élégantes le laisse croire, ce sont bien des locomotives pour trains de marchandises lourds, comme le laisse entendre le marquage en « ET »: « E » désigne les locomotives électriques et « T » le trafic marchandises. Certaines de ces locomotives sont même équipées pour pouvoir fonctionner en unité multiple en tête des trains de charbon circulant entre le grand bassin houiller de Silésie et le port de Gdansk, où on les voit d’une manière privilégiée.
Mais une vitesse de pointe de 125 km/h, très facilement atteinte, ouvre à ces locomotives le service des trains de voyageurs, ceci d’autant plus que la qualité des voies polonaises limite, de toutes manières, la circulation des trains rapides à des vitesses de cet ordre. C’est pourquoi un certain nombre de locomotives de la série des ET-22 ont été équipées d’un système de chauffage électrique du train. Il est à noter, d’ailleurs, que l’amélioration des voies du réseau polonais autorise maintenant une vitesse de 160 km/h sur un certain nombre de relations, et que des ET-22 ont été construites pour rouler à cette vitesse, formant la sous-série des ET-23. Ces locomotives, ET-22 ou ET-23, sont excellentes et se montrent très sûres en service.
Un réseau polonais construit par des ingénieurs autrichiens et surtout allemands.
Contrairement au cas du réseau finlandais ou à ceux des pays baltes, qui, aujourd’hui toujours sont coupés de l’Europe par leur écartement russe (1520 mm), le réseau polonais est en voie normale (1435 mm) parce que la Pologne est un pays profondément européen et dont le système politique, économique, et les infrastructures sont totalement européennes, et principalement allemands.
Pour le chemin de fer, si l’on excepte la Galicie et la ligne de Vienne à Lvov (alors Lemberg) sous influence autrichienne avant 1918, l’ensemble du réseau, notamment les installations fixes, les gares, la signalisation, mais aussi la conception du matériel allemand montre que les ingénieurs allemands ont laissé leur signature ou que les ingénieurs polonais ont été à l’école allemande: la première monnaie polonaise, en 1919, était le “mark polonais”, et les militaires comme les universitaires étaient sous influence allemande. En 1918, la Pologne est composée d’une immense partie est qui est devenue russe, mais en 1945, la Pologne est déplacée en direction de l’ouest avec une Silésie devenue polonaise et en perdant ses anciens territoires de l’est, ce qui fait que l’ensemble des infrastructures ferroviaires polonaises actuelles sont bien d’origine allemande.
C’est pourquoi Brest-Litovsk devient une véritable frontière non seulement géopolitique, mais aussi une frontière d’écartements ferroviaires qui, aujourd’hui toujours, complique – pour ne pas dire empêche – le trafic ferroviaire entre l’Europe et la Russie et la partie asiatique de l’ancienne URSS, et, surtout, entre l’Europe et la Chine, qui, elle, est en voie normale de 1435 mm (d’où le projet d’une ligne en voie normale directe Europe-Chine par l’Afghanistan, voir ailleurs sur ce site web). Le réseau polonais aura à résoudre ce problème important, sinon la Russie multipliera les lignes en voie russe 1520 mm à travers la Pologne pour pénétrer en Europe.
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