La concurrence train-avion : bientôt son centenaire.

Même si l’aviation commerciale semble être une réalité récente elle est, dans les faits, assez ancienne et même centenaire. En 1925, sur une relation comme Paris-Londres, déjà 20.721 voyageurs ont traversé la Manche en avion, et ce nombre a doublé dès 1928 avec 43.179 voyageurs, tandis que d’autres sources indiquent une progression de 27.000 voyageurs en 1929 à 39.500 en 1939. La compagnie des chemins de fer du Nord se plaint d’une perte de 3.760.000 F sur le trajet Paris – Londres par fer et mer. La guerre, toutefois, entravera le développement commercial de l’avion, faute de carburants, et donnera un répit au chemin de fer.

On trouve, dès 1937 et en incluant les trajets centre ville – aéroport, des Paris-Marseille en 5h15 contre 9h04 par rail, ou un Paris-Cannes en 5h20 contre 11h34. Cette dernière performance ne manquera pas de vider les trains de luxe de la Côte d’Azur de leur clientèle fortunée traditionnelle.

Il est curieux de constater que, tardivement et pendant les années 1930, un certain nombre de compagnies ici et là dans le monde font toutes la même tentative d’un retour à l’ancien type 221 dit « Atlantic », fort à la mode dans les années 1880-1910 avant l’arrivée des « Pacific », ceci pour la remorque de trains rapides légers en concurrence avec l’avion. Le retour au type 221 s’expliquerait par une moindre tendance aux mouvements parasites de la locomotive du fait deux essieux moteurs au lieu de trois ou quatre donnant des bielles plus courtes, donc plus légères.

Le train caréné PLM arrive en gare de Lyon dans les dernières années 1930 : une foule d’admirateurs l’accueille et pose pour la postérité, du moins lue par le « Bulletin PLM ».

Le PLM, réseau mythique.

Aujourd’hui toujours, ces trois lettres PLM sont restées très fortement ancrées dans la mémoire collective nationale, comme étant la seule compagnie d’avant la SNCF dont on se souvienne. Le grand réseau du Paris, Lyon et Méditerranée comprend plus de 10 000 km de lignes et, de Paris, il dessert tout le Sud-est de la France jusqu’aux frontières avec l’Italie, la Suisse, jusqu’à la côte méditerranéenne, englobant de grandes villes comme Lyon, Marseille, Nice, de grandes régions touristiques comme les Alpes et la Côte d’Azur. Un réseau gâté, et qui sait parfaitement profiter de ses dons.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, une époque de grandes et longues crises économiques se met durablement en place. Frappé, comme tous les réseaux, le PLM connaît un léger déficit en 1921, et à partir de 1932 ce déficit s’accroît très fortement et définitivement. Le réseau trouve, depuis 1929, un trafic inférieur à celui de 1913 avec des charges financières infiniment supérieures. La somme des déficits du PLM s’est accumulée pour atteindre, entre 1926 et 1936, 5 milliards 704 millions de francs : c’est, en 10 années, le montant de deux années de recettes perdues…. Condamné à la course au progrès, le PLM se lance dans l’innovation technique, mais aussi, sinon surtout, dans ce que l’on n’appelle pas encore la « communication » mais tout simplement la « réclame », et cherche, par tous les moyens, à retenir sa fidèle clientèle des trains de luxe et des trains rapides.

Le réseau PLM, le plus grand par son étendue, est le premier à subir directement la concurrence de l’avion sur les trajets à longue distance, comme Paris-Marseille ou Paris-Nice.

L’avion revient déjà cher à l’époque.

Bien sûr, face au monde bien établi du chemin de fer, l’argument économique ne joue guère en faveur de l’avion dès ses débuts. Volant à 250 km/h environ, les avions de l’époque exigent 75 à 125 ch par place offerte ou 700 à 1 000 ch par tonne : un train rapide Paris-Marseille roulant à 100 km/h ne demande que 4 ch (et 2,5 ch à 80 km/h) et un train de marchandises de 1.100 tonnes roulant à 50 km/h ne demande que 2,2 ch par tonne. Le prix est de 0,5 à 0,80 F/km par place et de 5 à 8 F par tonne/km en avion.  En train, il faut compter 0,033 F à 100 km/h (et 0,025 à 80 km/h) par km et par place et 0,030 F par tonne/km.

Les coûts d’amortissement sont considérables pour un avion, car les appareils de l’époque ne dépassent guère 4 000 à 5 000 heures de vol et les moteurs 2 500 heures. Si un Paris-Marseille coûte 700 F en avion contre 389 F en train 1ʳᵉ classe (ou 614 F en voiture-lits 1ʳᵉ classe), il faut dire que, d’après une enquête menée par le « Comité de la Société des Nations » sur les lignes européennes de 19 grandes compagnies de 1937, le pourcentage des recettes est de 25 % des subventions : sur 4 francs encaissés par les compagnies, 1 franc seulement vient des recettes.

Avion de ligne Farman type 224 : avec 880 ch pour seulement 40 passagers, il offre, en 1937, un trajet Paris-Marseille en 5 heures environ contre 9 à 10 heures pour les trains classiques. Mais, compte tenu des pertes de temps en trajets ville-aéroport, déjà lents et complexes à l’époque, et des attentes, le train l’emporte facilement. La guerre se fera à partir des années 1960 sur les prix, l’avion étant, en ce sens, très aidé et le train très abandonné par les pouvoirs publics.

L’avion ? Il n’y a rien à craindre…

« Au total, et à moins d’une révolution technique que rien, pour le moment, ne laisse prévoir, les transports aériens ne paraissent pas susceptibles d’avoir sur les transports par voie ferrée des répercussions comparables à celles qu’a eues l’automobile. Il faut cependant considérer les possibilités de l’aéronautique comme très étendues pour le transport des voyageurs de ère classe et, peut-être même, de dème classe, aux grandes distances, et pour le transport du courrier ». Cette conclusion d’un grand article paru dans la Revue Générale des Chemins de Fer (RGCF) montre que, pour l’instant en 1937, il n’y a pas de danger immédiat.

Le chemin de fer laisse bien échapper sa clientèle de luxe en direction de l’automobile ou de l’avion, même si l’on peut penser qu’il intervient des déclassements de voyageurs à l’intérieur de la clientèle restée fidèle au rail. En 15 ans, de 1932 à 1947, l’aviation mondiale multiplie sa clientèle (passagers-kilomètres) par 46, en passant de 405.000 à 19.000.000: sur la même période les chemins de fer français sont passés de 29 à 26 milliards de voyageurs-kilomètres. Plus que l’automobile, l’avion a vidé les grands trains internationaux.

Créé en 1935 par la compagnie du Paris, Lyon et Méditerranée (PLM), ce train curieux est peu connu du grand public actuel, il a pratiquement disparu de l’histoire des chemins de fer, et, pourtant, à l’époque, il est l’objet d’une intense publicité au point qu’une grande marque de trains-jouets, Hornby, en fera une « star » des dessous de sapin de Noël.

Le train caréné PLM, devenu l’emblème de la vitesse, se retrouvera sur l’ensemble des coffrets Hornby des dernières années 1930 même si le contenu est tout autre…
Une page du catalogue Hornby-France de 1935. La présence de seulement 4 roues au lieu de 10 sous la locomotive est très habilement dissimulée, tout comme l’absence de bogies sous les voitures.

Il a représenté une intéressante tentative de promotion de l’image de marque du chemin de fer alors en déclin au milieu des années 30, et, en même temps, une étude des possibilités de réduction de la résistance à l’avancement par le carénage intégral des trains. Le succès a été réel, mais la formule offrait beaucoup d’inconvénients.

La question se pose aujourd’hui : « Design » ou réalité technique ?

Entre les deux guerres, le chemin de fer perd du terrain face à la concurrence routière et aérienne, ceci surtout au sein de la clientèle aisée qui est justement celle qui lui rapporte le plus. Les gens fortunés commencent à préférer leur « Rolls-Royce » ou leur « Hispano-Suiza » aux compartiments enfumés des trains, et ceux qui sont à la fois riches et pressés commencent d’affluer à l’aéroport du Bourget où de frêles trimoteurs prennent leur envol pour gagner, à 200 km/h environ, Londres ou Berlin.

A l’instar des compagnies américaines, les réseaux européens se lancent dans une politique de trains carénés, ceci à la fois pour que le train devienne « moderne » sur les affiches, mais aussi pour tenter de gagner de précieux kilomètres-heure puisque la vitesse, elle aussi, est à la mode.

Alors : le train caréné du PLM est-il une simple opération de « relookage » (selon l’horrible mot actuel !), de « design », d’ « image de marque », ou, plutôt, une vraie et simple nécessité technique réelle ?

Le train caréné PLM prend de la vitesse dès le départ de la gare de Lyon.
Jupes découpées en longueur et tender très allongé : plusieurs variantes du carénage ont été proposées, mais non retenues.

La réponse est oui à la première partie de la question. Quant à la nécessité technique, c’est moins sûr : sous cette carapace de tôle les mécanismes des locomotives à vapeur avaient trop chaud, et, d’autre part, le carénage créait une gêne réelle pour les opérations d’entretien: il fallait tout démonter pour accéder aux organes mécaniques défectueux.

En septembre 1935, le train caréné PLM est à la « une » du Bulletin PLM, y compris le graphique « Flaman » de sa marche à 140 km/h atteinte, il est vrai, sur quelques tronçons du parcours et non sur la totalité.
Les zones à 140 km/h du train caréné PLM d’après un document d’époque de Michel Durochat.

Le train du PLM vu de près.

En 1935, la compagnie française du PLM décide de créer des rames rapides entre Paris et Lyon – exactement comme le fera presque un demi-siècle plus tard la SNCF avec le TGV. Il fallait, pour le PLM, offrir aux hommes d’affaires la possibilité d’un aller et retour dans la même journée, et d’un laps de temps disponible suffisant à Lyon en cours de journée permettant un retour à Paris le soir.

Les locomotives du type « Pacific » semblant trop puissantes pour la remorque d’un train composé de 4 voitures, le PLM songe à ses antiques 221 datant de 1907, série 221A ex-2900. Ce sont des locomotives complètement dépassées, mais, à l’époque de leur conception, elles sont à la pointe des techniques, car elles des « compound » (c’est-à-dire faisant travailler la vapeur d’abord dans des cylindres haute pression, puis dans des cylindres basse pression) et elles sont dotées de roues assez grandes, donc elles sont capables de rouler vite.

Moyennant l’application de perfectionnements comme la surchauffe, d’un échappement variable à 4 jets, d’un réchauffeur d’eau ACFI, de tiroirs cylindriques allégés, d’un système de graissage mécanique, on pensait avoir une machine capable de rouler à 140 km/h en tête de trains légers. La 221 A 14 est la première transformée et elle sort des ateliers d’Oullins, à Lyon, en 1935.

La locomotive du train caréné PLM avant et après transformation… Le tender semble, lui, avoir le plus profité de l’opération, malgré une « planéité » de sa tôle quelque peu douteuse.
Le travail de carénage mené aux ateliers d’Oullins sur la 221A-14.
La comparaison des formes et des volumes montre que la 221 PLM n’était pas, vraiment, faite pour cette opération.

Les quatre voitures du train sont des voitures classiques tout métal du type OCEM, mais dotées de « jupes » de bas de caisse et de soufflets intégraux prolongeant les flancs de caisse, ceci pour supprimer les turbulences d’air se produisant sous les caisses, autour des bogies, et entre les caisses. Le train est peint en bleu clair et bleu sombre.

Le train caréné arrive à Lyon-Perrache, débouchant du tunnel Sainte-Irénée. Le paysage urbain a curieusement changé depuis, au prix d’un réel enlaidissement…

Les performances sont au rendez-vous.

Dès les premiers essais, d’après le « Bulletin PLM », la vitesse de 150 km/h est soutenue entre Joigny et Sens. En service courant la vitesse de 140 km/h est soutenue sur certaines parties de la ligne, et celle de 130 km/h sur les autres parties moins favorables à la vitesse. Les 512 km séparant Paris de Lyon sont couverts en 5 heures, soit à une moyenne de 102 km/h, ce qui est remarquable par rapport aux trains ordinaires qui, à l’époque, demandent encore 7 à 8 heures.

Le carénage permet de gagner une puissance de l’ordre de 120 ch à 120 km/h et de 190 ch à 140 km/h: il y a donc bien gain de vitesse et économie de combustible.

Mais la guerre, d’une part, et, d’autre part, le développement des autorails rapides met fin à l’expérience qui, pourtant, a été prolongée pour 1937 jusqu’à Marseille, permettant la relation Paris-Marseille en neuf heures. Les Marseillais auront à attendre encore un demi-siècle pour avoir, enfin, une liaison ferroviaire rapide avec la capitale, avec l’arrivée des TGV !

Train caréné contre train classique au départ de la gare de Lyon : quatre voitures au lieu d’une quinzaine réservent le train caréné à un « happy few » pressé et fortuné qui rêve déjà de l’avion.
La dernière voiture du train se veut quelque peu une « observation car » à l’américaine, mais les voitures de la rame ne sont que des bonnes vieilles et lourdes OCEM métalliques ayant reçu des soufflets enveloppants, et peintes en un avantageux bleu et crème.

L’exemple américain, déjà.

Faire courir une locomotive à deux essieux moteurs (au lieu des trois essieux d’une Pacific ou des quatre essieux d’une Mountain) en tête de trains rapides n’est pas, loin de là, une idée des seuls ingénieurs du PLM français.

Aux États-Unis, à la même époque, le « Hiawatha » fut incontestablement le train le plus rapide du monde en traction vapeur et des vitesses de près de 200 km/h ne faisaient pas peur à ces fantastiques locomotives Hudson type « F7 » engagées sur la relation Chicago-St Paul et Minneapolis en 1937. C’était la grande époque des trains carénés américains et le design délirant de l’époque n’avait pas peur de doter l’arrière de ce train avec des ailerons… environ vingt années avant les Cadillac de 1959 !

Les premières machines attelées en tête du train sont, très curieusement d’ailleurs puisque nous sommes en 1935, des « Atlantic », c’est-à-dire des machines à deux essieux moteurs seulement, comme c’est le cas avec le train caréné du PLM en France. Il s’agit d’une réapparition d’un type qui a disparu depuis longtemps des rails américains, et qui remonte à la fin du XIXe siècle. Mais il ne s’agit pas des frêles et légères locomotives à deux essieux moteurs de la conquête de l’ouest, car celles du Hiawatha sont immenses, avec leur masse totale de 244 tonnes et une longueur de 27 mètres. Faites pour la vitesse, d’où le faible nombre de roues accouplées et leur grand diamètre de 2130 mm, ces quatre machines sont le chef-d’œuvre de l’« American Locomotive C°» (ALCO) et roulent à plus de 170 km/h en service courant et développent plus de 3300 ch., ce qui permet de faire tomber le temps de trajet à 5 h 5 min.

Elles sont dotées de deux cylindres à simple expansion, selon la pratique américaine qui n’aime pas les compound, et ont une chaudière à haute pression atteignant 21 kg/cm². Mais, comme il est de règle dans l’histoire des locomotives, l’accroissement du poids des trains, devant le succès commercial créé par la vitesse accrue, vient rapidement à bout des possibilités des locomotives qui ont créé ce succès et demande la mise en tête d’autres locomotives, plus puissantes.

La très impressionnante 221 du train Hiawatha : pour ce qui est du « design », aux USA on sait faire… C’est tout simplement magnifique, mais cela se discute comme on dit.

La locomotive type « Atlantic » ne suffit plus.

Comme ces « Atlantic » ne suffisent plus à la tâche, il faut aller encore plus vite : le passage à la locomotive à trois essieux couplés est nécessaire, et comme les « Pacific » commencent à se montrer insuffisantes pour les trains rapides et lourds de l’époque, c’est avec le type « Hudson » ou 232 que la relève va se faire.

Les six locomotives de la série sont livrées en 1937, et elles font sensation, non seulement par leurs couleurs tout aussi voyantes et assorties à la livrée du train dans le style de celles des Atlantic, mais aussi par leur puissance inégalée : elles peuvent rouler à plus de 190 km/h (120 miles à l’heure) en tête d’un train de douze voitures pesant 550 tonnes. Précisons, en outre, que la pratique américaine de l’époque consiste à maintenir de hautes vitesses sur la presque totalité du trajet, si possible, alors qu’en Europe, on pratique des « pointes » de vitesse sur quelques tronçons favorables, servant aux relevés des ingénieurs et aux arguments publicitaires des commerciaux…

Connues sous le nom de « F7 », ces locomotives auraient fait de très nombreux et longs parcours à grande vitesse en service courant, parfois à plus de 200 km/h, mais, malheureusement sans enregistrement officiel. Les ingénieurs avaient prévu que toutes les pièces en mouvement alternatif soient d’une légèreté exceptionnelle (pistons, bielles) et l’équilibrage des masses en mouvement était très soigné. La fin de ces locomotives hors du commun se produit durant les années 1940 avec le passage à la traction Diesel : les performances de ce nouveau mode de traction furent nettement moindres et ce fait joua un rôle persistant et insidieux dans la défaite du chemin de fer américain pendant les années 1950, laissant alors le champ ouvert à la concurrence routière et aérienne.

Le « type 12 » belge.

Cette locomotive est une curiosité de l’histoire des chemins de fer, non seulement par son esthétique aussi originale que réussie, mais aussi par le choix de solutions techniques que l’on croyait oubliées comme le mouvement intérieur. La série 12 est mise en service en 1939 par la Société Nationale des Chemins de fer Belges (SNCB) pour la traction des trains rapides entre Bruxelles et Ostende. Mais, malheureusement, la guerre vint interrompre leur carrière et, une fois la paix revenue, la page de la traction vapeur pour les trains rapides était définitivement tournée.

La Belgique est un pays est de dimensions relativement modestes, mais, même sur des distances courtes, on a toujours intérêt à pratiquer une politique de trains rapides, car les gens sont plus enclins à compter les minutes quand il y en a peu. Traversée par de nombreux trains internationaux, carrefour de l’Europe dont, en outre, elle possède la capitale, la Belgique a toujours été très sensible à son rôle de distributeur de courants internationaux, et se devait de ne point constituer une zone de ralentissements ou même d’obstacles pour ces trains. Il faut circuler en Belgique aussi vite qu’en France, Allemagne, et Hollande, et offrir un service de qualité égale.

Il n’est donc pas étonnant de trouver, dans l’histoire ferroviaire de ce pays, surtout depuis la nationalisation de 1926, une politique de traction performante et donnant, sur le terrain, l’engagement de Pacific très rapides dès le début des années 1910 en même temps que les autres pays européens, les fameuses « type 10 » de l’ingénieur Jean Flamme. En outre des ingénieurs de grand renom comme Alfred Belpaire, pour le foyer ou Égide Walschaërts pour la distribution, ont contribué aux performances des locomotives du monde entier. La 221 type 12 s’inscrit dans cette politique, même si elle constitue une petite série de 6 locomotives seulement, mais très remarquée.

La « type 12 » belge, sans doute la plus réussie des « Atlantic » européennes carénées des dernières années 1930, mais la Seconde Guerre mondiale ne lui laissera aucune chance d’exceller.

La type 12 : le retour au mouvement intérieur.

Si l’on regarde bien les illustrations représentant la type 12 belge, on voit que cette machine semble ne pas posséder de cylindres extérieurs, contrairement à ce que l’on attend de toute locomotive de l’époque. Ces cylindres existent pourtant bel et bien, mais ils sont logés entre les longerons du châssis, à l’avant, au-dessus du bogie, et sont donc regroupés l’un contre l’autre, de part et d’autre de l’axe longitudinal de la locomotive.

Cette disposition, classique sur les premières locomotives anglaises et européennes entre 1830 et 1880, évite la naissance de mouvements parasites dus au va-et-vient des pistons et des bielles. Ces pièces importantes, lourdes de plusieurs centaines de kilogrammes, parviennent à faire osciller la locomotive à certaines vitesses critiques (mouvements de lacet ou de roulis) et ont même conduit jusqu’au déraillement. Bien au contraire, les cylindres intérieurs ne créent aucun mouvement parasite et donnent des locomotives très stables et « douces » au roulement.

Seules apparaissent de chaque côté, sur ces locomotives série 12, la bielle de liaison entre les roues motrices et la bielle de commande de distribution. Elle est à simple expansion – un choix surprenant pour une locomotive à hautes performances. Elle est néanmoins capable de relier Bruxelles à Ostende en une heure exactement, soit à 121 Km/h de moyenne commerciale. La vitesse de 140 Km/h était couramment atteinte en service pour réaliser cette moyenne. Cette locomotive est, sans nul doute, la dernière série du type « Atlantic » construite en Europe et dans le monde, et l’une d’entre elles, la 12003 est préservée au dépôt de Louvain.

Les techniques du carénage partiel.

Le carénage de ces machines est aussi peu courant dans sa forme générale. Il reprend les principes généraux des études faites en Europe à l’époque par divers réseaux, notamment ceux de l’ingénieur Huet en France : il s’agit de réaliser des carénages partiels, c’est-à-dire réduits à leurs seules parties utiles, sans inutile enveloppement intégral de la machine. Ce type de carénage n’est possible que grâce à une connaissance parfaite des agissements de l’air sur la locomotive, des filets d’écoulement, des zones de turbulences engendrées par les formes.

En effet envelopper complètement la locomotive crée certes des gains de performances, mais se paie au niveau de l’entretien et des travaux an atelier : le carénage intégral crée alors une grande en imposant le démontage des tôles, ou l’ouverture de trappes pour accéder au mécanisme et pour travailler dans des conditions d’accès très restreint. C’est pourquoi le carénage des type 12, même s’il enveloppe la machine d’une manière assez complète et très harmonieuse, laisse toutefois un grand vide au niveau des cylindres et de la distribution qui peuvent être atteints par-dessus les longerons du châssis surbaissés en cet endroit.

Le tender est caréné, lui aussi. Il a été récupéré sur des locomotives de séries plus anciennes, mais a été l’objet d’un habillage soigné. Le tout a été peint en vert sombre rehaussé de bandes jaune vif.

Une « type 12 » belge, d’après une peinture de Fernand Lebbé, grand amateur de trains.

L’Allemagne, aussi, entre dans la course.

Au milieu des années 1930, c’est la course à la puissance industrielle pour l’ensemble des grands pays du monde. Les chemins de fer, par leur grande popularité, prennent part à cet enjeu et pour de nombreux pays les performances de leurs trains font partie de leur image de marque. L’Allemagne est de ceux-là et le Reich réclame des trains impressionnants par leurs formes, leur ornementation, leur conception technique, et leur vitesse. En 1935 le train caréné Wegmann et sa locomotive spéciale font sensation en roulant à 187 Km/h lors d’essais sur la ligne de Berlin à Dresde.

Dans les années 1940, deuxième Reich oblige, l’Allemagne se lance dans la prestigieuse grande vitesse ferroviaire : ici les projets de la firme Henschel, avec, bien entendu, une 221.
Pour d’évidentes questions de manque de charbon, l’Allemagne des années 1930 se lance dans la traction diesel avec des trains carénés lourds et les locomotives diesel plus qu’imposantes… Toutefois, sa politique d’autorails légers type « Fliegender Holländer » sera remarquable et payante.

Pour l’Allemagne du « Deuxième Reich », la volonté de puissance et l’image de marque passent par un chiffre magique : le 200 Km/h. Hitler a enjoint à Dorpmüller, qui dirige les chemins de fer allemands, de faire rouler les trains à cette vitesse qui semble pourtant très difficile à atteindre. Les voies des pays européens ne sont pas faites pour de telles vitesses, y compris celles de l’Allemagne qui ont souffert de la guerre et des dures années qui ont suivi le traité de Versailles. Et non seulement il se pose un problème de voies, mais aussi un problème de matériel roulant avec la puissance nécessaire pour les locomotives, les capacités de roulement stable pour l’ensemble du train à une telle vitesse, et la puissance de freinage. La signalisation, enfin, n’est pas, non plus, faite pour le 200 Km/h. Une vitesse de 120 à 140 Km/h est un maximum raisonnable à l’époque. Les Allemands et les Britanniques atteindront cette vitesse en 1936 et en 1938 respectivement, avec deux locomotives à vapeur, la « BR 05 » et la « A4 » nommée « Mallard ».

Une locomotive très particulière.

Cette locomotive est conçue pour rouler dans les deux sens, en offrant les mêmes performances. Il faut savoir que les locomotives à tender séparé ne peuvent rouler très vite en marche arrière, c’est-à-dire en poussant le tender. C’est pourquoi Henschel choisit la formule de la locomotive-tender, et entièrement symétrique, dotée d’un bogie à chaque extrémité. Le carénage, indispensable pense-t-on à l’époque pour les locomotives à grande vitesse, est donc symétrique et enveloppe entièrement la locomotive.

Une particularité, peu connue, est intéressante aussi : le freinage doté d’un véritable « ABS » avant que l’automobile actuelle ne le redécouvre. Les roues motrices participent à l’essentiel de l’effort de freinage, les bogies ne prenant que 25 % environ. Mais le bogie avant est toujours moins freiné que le bogie arrière : quand la locomotive change de sens de marche, la répartition du freinage est donc modifiée, ceci automatiquement par un système de dosage accouplé à la commande de sens de marche. De même, le bogie placé sous la caisse à eau, qu’il se trouve en avant ou en arrière selon le sens de marche de la locomotive, est de moins en moins freiné pendant la marche, en fonction du poids de l’eau qui diminue.

Le train caréné « Wegmann » vu pendant les années 1940. La locomotive est une 232 et non une 221.

La rame « Wegmann ».

En 1935 la firme Henschel livre deux locomotives-tender carénées, l’une du type 232 numérotée 61001, l’autre du type 233 numérotée 61002, montées sur des roues motrices de 2300 mm, ce qui leur permet d’atteindre 175 Km/h dans les deux sens de marche. Avec ces locomotives, la firme présente une rame aérodynamique, superbement peinte en violet et argent, dotées de portes coulissantes et de marchepieds escamotables. La rame comporte 144 places en 3 classe et 48 en 2 classe, une cuisine et un restaurant de 24 places, et une salle panoramique en queue avec quatre places. La rame est dotée de l’air conditionné. Les attelages sont automatiques, du type Scharfenberg.

À partir de 1936, et jusqu’à la guerre, la rame assure deux allers et retours quotidiens entre Berlin et Dresde : les 176 Km sont couverts en 1 h 35, soit à la vitesse commerciale de 111 Km/h avec des pointes à 150 Km/h.

L’aventure « Blauer Enzian» termine l’histoire.

En 1953, à l’exposition des transports de Munich, un train dénommé « Blauer Enzian » (ou « gentiane bleue ») est présenté et fait sensation, du moins auprès de ceux qui ont la mémoire courte, car, en fait, ce train est le fameux Henschel « Wegmann » de 1935 retravaillé pour la circonstance.  Désormais la rame offre 149 places en 1ʳᵉ classe, mais conserve son restaurant. Le salon d’observation en queue de rame offre neuf fauteuils pivotants et un grand divan. La rame conserve ses attelages automatiques, mais est dotée de soufflets extérieurs à bourrelets. Elle est peinte, cette fois, en bleu gentiane avec des filets et des inscriptions en argent. Il n’est plus question de traction vapeur : la rame remorquée par une locomotive électrique.

La rame est affectée au trajet Hambourg-Munich et la longueur du parcours ne lui permet pas de faire une rotation complète chaque jour. Il faut donc la doubler avec une rame classique, mais aménagée de manière proche de celle de la rame « Wegmann ». La mise en service de nouvelles rames TEE en 1964 met fin à l’existence de la rame « Wegmann ». Ce sont bien les rames automotrices TEE qui vont essayer de gagner la compétition train-avion dans les années 1960-1980, en attendant que le TGV vienne parachever la victoire du rail sur les distances inférieures à environ 1000 km.

Les essais allemands avec des locomotives de vitesse à deux essieux moteur sont très anciens et commençent dès 1906 avec cette S2/4 bavaroise construite chez Maffei.
La curieuse locomotive conçue par l’ingénieur Avenmarg à Munich en 1904. Déjà les locomotives à grande vitesse et à deux essieux moteurs fascinent. On ne sait rien du destin de cette locomotive.

1 réflexion sur « La concurrence train-avion : bientôt son centenaire. »

  1. Une trés belle retrospective des locomotives de vitesse et de l’aérodynamisme ,la recherche de la vitesse à tout prix déja à cette époque !!! La performance reste un combat encore trés actuel !!Ces belles machines sont exposées au musée Trainland au 1/32° .

Commentaires fermés

En savoir plus sur Train Consultant Clive Lamming

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading