Trains de nuit, trains régionaux, trains transversaux, c’est, tout particulièrement en France, le même monde, une même manière de voir le chemin de fer, une même époque, et surtout disparue. Reviendrait-elle avec cette prise de conscience saisissante provoquée par la pandémie mondiale ? Ce n’est pas certain. Et pourtant, le chemin de fer a de solides arguments et un solide avenir.
Car on oublie souvent que circuler de nuit est, par nature, ce que font presque tous les trains puisqu’ils roulent, avec un égal bonheur et avec une tout aussi grande sécurité, de nuit comme de jour. Le chemin de fer a inventé le voyage de nuit: du temps des diligences, tout s’arrêtait dans un relais ou une auberge, au coucher du soleil, et reprenait le lendemain matin aux aurores. Les routes déplorables, l’absence de moyens d’éclairage et de phares, l’absence de moyens de repérage des bords des routes, l’absence de panneaux indicateurs; tout faisait du voyage de nuit par la route un danger à éviter et le voyageur attardé craignait pour sa peau. Les navires, eux, poursuivaient leur route en mer, la nuit, mais en prenant de grands risques de collision ou de naufrage, et un guetteur, en haut du mât, essayer de deviner ce qui, dans lobscurité, pouvait devenir un danger mortel. Les sorties et les entrées dans les ports se faisaient de jour. L’avion (relisons Saint-Exupéry) a voyagé de nuit, mais seulement à partir du moment où le repérage et le positionnement par radio l’ont permis. Mais les atterrissages de nuit étaient délicats et dangereux.
Le train pour Pau…
Mais si beaucoup de trains roulent de nuit, et dès les débuts du chemin de fer comme le prouve l’horaire Paris-Orléans de 1845 ci-contre, ils circulent ainsi sur une partie plus ou moins longue de leur parcours et ils ne sont pas, pour autant, ce que l’on appelle des “trains de nuit” – sans référence volontaire à l’excellent sketch de Laspalès et Chevalier “Le train pour Pau” dans lequel est décrit le surprenant défi des voyages transversaux en train en France à une certaine époque..
Le train de nuit est un train de voyageurs visant une clientèle spécifique voulant ne pas gaspiller du temps actif en reportant le temps du voyage sur celui du sommeil. Cela représente une nuit ou une majeure partie de la nuit pour un voyage intégralement nocturne, ou presque, avec un départ en fin de journée et parfois de nuit, et une arrivée en début de journée. Cette pratique commence à se retrouver sur les horaires des dernières années du XIXe siècle, notamment pour ce qui est de la France sur le réseau du PLM avec la mise en service de véritables voitures lits pour le service de la Côte d’Azur, et aussi pour des trains inter-réseaux à longue distance traversant intégralement l’hexagone sans passer par Paris, obligation qui n’est pas aussi contraignante que l’on le croit.

Contrairement à une opinion assez répandue, la France est loin d’être le seul pays souffrant (ou bénéficiant, selon les points de vue) de cette disposition en « étoile » de son réseau ferré national, et d’autres grands pays dans le monde, tout aussi centralisateurs que l’était la France du XIXe siècle, en ont fait autant : le Royaume-Uni avec Londres, la Russie des Tsars avec Moscou, l’Argentine avec Buenos-Aires, l’Autriche avec Vienne en sont des exemples, alors que d’autres pays ont choisi des réseaux multipolaires comportant plusieurs grandes villes, bientôt appelées « hubs », comme c’est le cas aux États-Unis, en Allemagne, Italie, Espagne, etc. On peut lire beaucoup de choses dans la forme des réseaux ferrés nationaux, et des auteurs experts comme Bernard de Fontgalland, Directeur du Service de la Recherche de la SNCF (1966-1971) puis Secrétaire général de l’UIC (Union Internationale des Chemins de fer) ont fait des études approfondies dans cette direction en s’intéressant, avec clairvoyance, au fonctionnement du chemin de fer dans le monde.
Un réseau dont Paris est le centre et le lieu de passage obligé.
Comme déjà décrit dans de précédents articles de ce site “Trainconsultant”, c’est le haut fonctionnaire Alexis Legrand qui joue, sous la Monarchie de Juillet, un rôle essentiel dans la mise en marche définitive du système ferroviaire français. Il devient, en 1837, sous-secrétaire d’état aux Travaux publics et persuadé de l’importance des chemins de fer dans la création d’un état centralisé et fort, il trace un programme cohérent de construction d’un réseau national de grandes voies ferrées rayonnant à partir de Paris en direction des grands ports et des frontières qui sera dorénavant appelé « étoile de Legrand » et qui sera réalisé, avec le souci de réunir directement chaque préfecture à la capitale, et l’ensemble des sous-préfectures aux préfectures si elles ne sont pas sur les grandes radiales.
Les pouvoirs publics prennent le réseau en mains avec la loi du 11 juin 1842 qui définit le partage des tâches, le rôle de l’Etat qui construira les infrastructures et les ouvrages d’art, laissant aux compagnies les bâtiments, la pose des voies, la fourniture du matériel roulant. Un réseau d’environ 2.500 km est prévu avec des grandes lignes nationales tracées au départ de Paris et il est construit en une vingtaine d’années seulement. Notons que si, pour d’évidentes raisons topographiques, le système des canaux et des voies navigables qui a précédé celui des chemins de fer n’a pas été conçu et construit en « étoile », celui des routes non plus au temps des rois de France, mais il le sera au XIXe siècle quand le système des routes nationales sera mis en place et développé pour favoriser l’automobile. Les autoroutes, dans leur première grande phase de développement, après la Seconde Guerre mondiale, suivront aussi ce principe.




Les « trains à lettres » : créateurs du (long) voyage trop souvent nocturne
Pendant des décennies, dès le Second Empire, les compagnies font rouler des trains qui, souvent en évitant Paris, relient entre elles des régions souvent éloignées les unes des autres. Ces trains ne sont pas numérotés selon le système classique des trains “pairs” (pour Paris) ou “impairs” (quittant Paris) puisqu’ils ignorent Paris. Ils ont souvent été désignés en utilisant les noms des deux grandes villes qu’ils reliaient, mais réduits à leurs initiales. Il est possible que ce système “à lettres” ait été fait dans un but pur de « communication » publicitaire quand, au lendemain de la Première Guerre mondiale et pendant les années 1930, les grandes compagnies nationales conjuguent leurs efforts et se réunissent dans un groupe dit « Grands Réseaux » pour lutter contre la concurrence automobile, relancer le tourisme et les trains de luxe, reconquérir une clientèle qui est en train de se détourner vers l’avion.


Détournés du monde un peu anonyme des trains à chiffres, mis en évidence et avec une certaine élégance par une appellation avec des lettres, ces trains se veulent différents des autres et parés d’une certaine aura, à la manière des « trains à noms » de la CIWL ou de certaines compagnies de l’époque. En effet, la consultation de revues d’époque, surtout touristiques, montre que les premiers « trains à lettres » apparaissent sur les brochures et les horaires grand public au début des années 1930/ Les plus anciens sont le Bordeaux-Genève BG/GB, Bordeaux-Vichy BV /VB, Dieppe-Nantes (Irun) ND/ND, ou le Vichy-Littoral VL/LV (Vichy-Marseille, en fait) qui circulent déjà en 1932 sous cette appellation. La SNCF ne manquera pas, elle aussi, de donner une plus forte lisibilité avec des trains à noms emblématiques comme le « Capitole » ou l’ « Etendard » et autres « Cévenol » ou « Goéland ».


Lourds, lents, comportant, outre plusieurs fourgons et allèges postales, plus de 10 ou même 15 voitures OCEM ou DEV, parfois une voiture-buffet, en traction autonome vapeur ou diesel puisque ne prenant pas les grandes radiales électrifiées, ces trains perdent beaucoup de temps dans les gares assurant des correspondances parfois un peu incertaines et sur des lignes au profil et au tracé peu favorables. Sans aucun doute, ces « trains à lettres » ont des horaires difficiles, des trajets interminables de l’aube jusqu’à minuit, quand ce n’est pas une nuit entière, et ils sont rapidement victimes de la concurrence aérienne (les « Caravelles » d’Air-Inter) dans les années 1960-1970, et des autoroutes massivement ouvertes dès les années 1970-1980, et surtout, ne l’oublions pas, du TGV qui crée, autour de lui et à partir des années 1980, une véritable renaissance du chemin de fer en France.

Les derniers « trains à lettres ».
Le magazine « Rail-Route » donne une dernière liste de ces trains dans son numéro de juin 1950 :
BG/GB : Bordeaux-Genève
BR/RB : Bordeaux-Riviera
BM/MB: Bordeaux-Milan
LS/SL : Lyon-Strasbourg
FY/YM : Flandres-Metz (la lettre Y est affectée aux relations ayant leur origine ou leur terminus à Metz).
OC/CO : Oberland-Calais (dédoublement du BC Bâle-Calais).
EV/VE : Est-Vichy.
YT/TY : Metz-Tours.
YM/MY : Metz-Méditerranée.
AV/VA : Atlantique-Vichy.
NV/VN : Nantes-Vichy.
BS/SB : Bordeaux-Strasbourg (appellation d’un train Circulant en 1939 et non rétabli sur ce parcours).
PS/SP : Pyrénées-Savoie.
AR/RA : Atlantique-Riviera.
VL/LV : Vichy-Littoral (méditerranéen)
Ce magazine, intitulé « La Route du Rail », puis « Rail et Route » est un mensuel très illustré et documenté, consacré aux transports ferroviaires mais aussi autres, et destiné au grand public, œuvre d’un homme seul, Pierre Challamel et de sa petite maison d’édition. Paraissant entre 1946 et 1951 en format A4, la revue passe à un format A5 et cesse de paraître en 1955.


Années 1930 : le PLM crée les sports d’hiver et les “hivernants”.
C’est bien le chemin de fer, et plus spécialement le réseau du P.L.M. en France, qui crée et développe les grands départs pour la neige dès les années 1930. C’est l’expérience des premières grandes transhumances hivernales à la Gare de Lyon et, à l’époque, on appelle ces voyageurs les “hivernants” !….
En pleine crise économique mondiale de 1936, le « Bulletin P.L.M. » peut publier ces lignes : « Quel est, chez nous, le « rayon » qui développe sans cesse ses ventes malgré la crise? C’est assurément celui des sports d’hiver, un des plus récemment ouverts dans notre grande maison de transports. Vive donc le froid, que nous ne songions qu’à maudire naguère et qui se trouve être maintenant l’auxiliaire précieux des plus saines distractions hivernales, favorise les échanges avec des régions qui sommeillaient autrefois tout l’hiver, et nous donne ainsi, à nous cheminots, une nouvelle occasion de vendre des kilomètres-voyageurs! »


Certes, la formule n’est pas née d’hier et quelques touristes fortunés, à la Belle époque, se risquent sur les pentes des stations touristiques suisses. Mais après la Première Guerre mondiale, et surtout lors de la grande mode des vacances familiales en train pour les travailleurs, le Paris, Lyon et Méditerranée joue à fond la carte des « Congés Payés » sur un immense réseau qui couvre une partie du Massif Central, le Jura, les Alpes. Les premières stations à la mode sont surtout Chamonix, Le Revard, et Briançon.
Les agences de voyages, et même les grands magasins impriment, par centaines de milliers d’exemplaires, leur catalogue spécial « Sports d’hiver », ce terme étant nouveau et comme magique dans ces années d’entre les deux guerres. Une Exposition internationale des sports d’hiver se tient à Paris, et des pistes de neige artificielle permettent aux débutants de se familiariser avec la technique du ski et de prendre comme un avant-goût des joies qu’ils connaitront bientôt sur les véritables champs de neige. Le cinéma s’est mis aussi de la partie et ses actualités, ses documentaires, ses films d’enseignement entretiennent l’ardeur des néophytes, suscitent des vocations. Les sports d’hiver forment maintenant comme une toile de fond d’optimisme, de bonne santé, dont toute publicité use savamment le vêtement, le produit de beauté, l’apéritif, les objets les plus prosaïques qui triompheront cet hiver sont ceux qui sont lancés et vantés aux foules par des affiches avec l’argument « Sports d’hiver »…
Le PLM s’empare du « créneau » et la SNCF ne le lâchera jamais. Le PLM s’assure, avec un dynamisme commercial exemplaire qui ne ferait pas honte, aujourd’hui à la très performante SNCF, de cette « niche » ou de ce « créneau » (pour prendre des termes qui n’existent pas encore à l’époque) de la neige. C’est bien ce réseau qui invente, avec une créativité commerciale qui a un demi siècle d’avance sur son temps, un concept social et économique qui va remplir ses trains à la Gare de Lyon et dont, aujourd’hui toujours, la SNCF sait, elle aussi, perpétuer la tradition.
Le PLM met en œuvre tous les moyens techniques pour multiplier les relations commodes permettant l’accès, en fin de semaine, aux régions enneigées. C’est ainsi qu’en pleine crise, dans les deux journées de départ précédant Noël 1934, on peut voir la Gare de Lyon, à Paris, par moins de 48 trains supplémentaires contre 43 l’année précédente, prendre la direction de la neige. Le réseau a porté à 115 le nombre des stations de neige que l’on peut gagner depuis toutes les gares de France (en correspondance avec les autres réseaux le cas échéant) avec un billet d’aller et retour de week-end donnant une réduction de 50 %. Pour atteindre ces stations commodément, des améliorations notables ont été apportées aux horaires des trains. Toutes répondent au désir du voyageur qui, désormais, peut partir, sa journée achevée, entre 19 h et 20 h, pour se trouver à pied d’œuvre le lendemain matin entre 7 et 8 h. Pour le retour, les trains lui permettent de quitter la montagne le plus tard possible, assez tôt cependant pour retrouver ses affaires le lendemain en le déposant à Paris.


Des horaires de nuit pour les « hivernants ».
Par exemple, les horaires de 1935-1936 donnent, au départ de Parts, des relations très directes avec le Jura et les Alpes comme un départ à 22 h 30, et une arrivée à Pontarlier à 8 h 45, à Morez à6h82, ou aux Rousses à 7 h 34. Pour ces Alpes, les trains desservent divers centres de Savoie et de Haute-Savoie comme Thonon avec un train qui part à 20 h 10 pour arriver à 6 h 43 à destination, d’où un autocar rapide mène en moins d’une heure et quart à Abondance et Moraine. En direction de St-Gervais et Chamonix, un train part les vendredis et samedis jusqu’au 7 mars, à 19h 30, pour arriver: à Sallanches, Combloux, Mégève, Mont-d’Arbois à 6h 35, à St-Gervais à 6h 51, à Chamonix à 9h 07 et au retour une arrivée à Paris à 6 h 40. Les skieurs allant sur les plateaux de l’Argentière dans la vallée de Chamonix, à Combloux, Megéve, etc.,. peuvent, jusqu’au 9 mars, repartir, suivant les stations, entre 18 h 24 et 20 h 30 pour arriver à Paris à 7 h 18.
La Tarentaise, que l’on appelle alors l’Engadine française, est devenue plus facilement accessible : le trajet est réduit de 1 h 30 environ et le train de 19 h 30 conduit à Bourg-Saint-Maurice, point extrême du parcours, à 7 h du matin. En repartant à 19 h 38, on est à Paris le lendemain à 6 h 40. Ces trains circulent jusqu’au 9 mars, les vendredis et samedis à l’aller et les dimanches et lundis au retour.
Mais, il n’y a pas que Paris, et, par exemple, au départ de Lyon, trois nouvelles relations, dont une par autorail, s’offrent aux voyageurs à destination d’Aix-les-Bains et du Mont-Revard, tandis que deux relations par autorail, facilitant les voyages de Lyon vers Albertville, Moutiers et Bourg-Saint-Maurice. Enfin, au départ de Marseille et des principales gares de la Côte d’Azur, le réseau a donné aussi de nouvelles facilités aux skieurs : accès de Briançon plus rapide pendant les fêtes, horaires combinés « trains-autocars » à destination de Breil, station des « hivernants » (c’est le terme d’époque) de la Côte d’Azur.
Le PLM accroît ce que l’on appelle, à l’époque, son « effort de propagande » et pose plus de vingt grands panneaux d’affichage dans Paris, des fait des insertions fréquentes dans la grande presse, publie un dépliant spécial « Alpes et Jura » et d’un petit «Horaire bleu des Sports d’hiver » largement diffusés.
Chaque gare du réseau est dotée de brochures et de feuilles de renseignements rédigés avec la plus grande précision grâce à l’heureuse innovation que sont les « Fiches PLM », qui donnent une documentation complète soigneusement tenue à jour sur chacune des 133 gares. Le réseau place aussi un bulletin « Dernière heure de la neige » les avant-veilles et veilles de dimanches et fêtes dans le hall de la gare de Paris et en plusieurs points centraux de la capitale comme les « bureaux de ville » (futures « boutiques SNCF !), les principales agences de voyages, les bureaux de voyages de grands journaux, les associations et les groupements sportifs, les rayons de sports des grands magasins.


Les sportifs et les pèlerins : les mêmes types de trains.
Pour transporter encore plus de voyageurs à la fois, et souvent de nuit, les voitures à voyageurs se transforment, notamment pour les trains de sports d’hiver ou de pèlerinage.
Il est vrai que, par rapport à la diligence qui offre une vingtaine de places, les trains, avec plusieurs centaines de places dès les débuts des années 1830 et 1840, vont offrir une possibilité de transport de masse absolument inédite et d’une redoutable efficacité. Mais, on va longtemps voyager assis, de nuit, sauf pour une clientèle fortunée qui bénéficie, elle, de voitures lits dès les années 1880, ou de voitures lits-salon, notamment sur le réseau très touristique du PLM Mais, comme on s’en doute, la foule immense des voyageurs en troisième classe, elle, restera assise la nuit…
Eternellement ? Non. Dès que, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le peuple se met à voyager en masse et sur de grandes distances, les compagnies vont être bien obligées de proposer une formule moins chère que la voiture-lits, et offrant autant de capacité que les voitures à places assises classiques. Les pèlerinages des années 1920, puis les sports d’hiver des années 1930, vont faire naître sur les réseaux un type de voiture spécialement aménagée pour leur clientèle
Des pèlerins qui ne sont pas drôles du tout.
L’expression populaire “drôle de pèlerin” n’est pas de mise ici. Sans aucun doute ce sont bien les pèlerinages qui vont poser, pour la première fois, le problème du transport, et en grand nombre, par chemin de fer des personnes valides et aussi des personnes que l’on appelle à l’époque des handicapés ou des infirmes. La ligne de Toulouse à Bayonne connaît la mise en service des premiers trains de pèlerins en 1867 dans des voitures classiques.
Mais, ces pèlerins, comme leurs prédécesseurs des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, sont de robustes gaillards capables de marcher des semaines entières et dont le problème n’est nullement celui de la mobilité réduite : leur seule spécificité ferroviaire est de bénéficier de tarifs spéciaux pour les pèlerinages. Mais, l’absence de voitures spécialement équipées pour ces pèlerinage montre que le problème du transport de pèlerins souffrant d’un handicap physique n’est pas encore posé. Il s’agit, pour le moment, de facilités liées à des voyages en groupes donc pouvant bénéficier d’une tarification spéciale. C’est sans nul doute le pèlerinage de Lourdes qui, créant un mouvement d’espoir pour des milliers de personnes souffrant d’une paralysie ou d’un problème moteur physique, mettra sur le devant la nécessité d’une organisation, d’une logistique, allant jusqu’à aménager des véhicules pour qu’ils puissent accueillir et transporter ces pèlerins qui posent aux chemins de fer un nouveau problème, celui du transport des personnes que l’on appellera « à mobilité réduite » en attendant d’en faire des « PMR ». La spécificité de leurs besoins est enfin perçue parce qu’ils se présentent en grand nombre et font de Lourdes, et de son immense garage pour rames entières, une des plus grandes gares de voyageurs d’Europe lors des pèlerinages.
Des voitures spécialisées apparaissent vers le milieu des années 1930. Les anciennes compagnies d’avant la SNCF font appel à des voitures de première classe à places couchées, par exemple les voitures A6c6 du parc P.L.M. Ces voitures toutefois ne permettent pas, ou très difficilement l’embarquement et le débarquement des personnes que leur état ne permet pas de déplacer hors de leurs civières. Ces opérations de chargement et de déchargement se font par les fenêtres, ce qui souligne bien, à l’époque, à quel point les voitures à voyageurs ne peuvent transporter que ces personnes valides, debout, assises ou couchées mais capables de se mouvoir par elles-mêmes afin de gagner et de quitter leur place. Outre ces manœuvres acrobatiques par les fenêtres, ces voitures ne facilitent pas l’accompagnement des personnes transportées par du personnel spécialisé. Il faudra bien que la SNCF, qui reprend l’exploitation de ces voitures, mette au point des voitures ambulances, et c’est sans doute la première démarche en ce sens, celui de transporter des personnes « pas comme les autres ».La SNCF exploitera ensuite ce parc de seize voitures dites « ambulances », mais ce parc est fortement endommagé par les hostilités de la Seconde Guerre mondiale et seulement cinq voitures sont disponibles à la libération.
La voiture Ssmyfi 331 du parc Ouest est la première véritable voiture pour le transport des pèlerins. C’est une voiture OCEM à rivets apparents, type O, avec des aménagements nouveaux conçus par l’Hospitalité de Lourdes. Le principe de voitures spécialisées est donc testé et adopté par la SNCF. Une première tranche de dix voitures est aménagée par transformation d’anciennes voitures ex-luxe PLM retirées du trafic commercial. Un prototype, la Ssmyfi 581, est construit par les ateliers de voitures de Villeneuve-Saint-Georges pour juillet 1951, et, en 1952, les ateliers de Construction du Centre à Clermont-Ferrand, transforment une série, numérotée Ssmyfi 582 à 590, comportant neuf voitures. En 1958 la Direction du Mouvement de la SNCF fait transformer une seconde tranche de sept voitures devant les besoins générés par les pèlerinages. Le mouvement est amorcé et l’on commence à voir de plus en plus de personnes à mobilité réduite demander à prendre le train.
Les trains de permissionnaires : tout, malheureusement, y semblait permis.
S’il y a bien des trains que les réseaux de chemins de fer ont toujours redouté, en France comme partout dans le monde, ce sont bien les trains transportant des soldats du contingent, et en permission. Dommage, car il y avait beaucoup de « clients » pour le rail.
Il ne s’agit nullement de trains militaires, mais bien de trains transportant des gens qui ne sont que, de très loin et le moins possible, des « militaires »… La suppression du service national en France a entraîné, au grand soulagement de la SNCF, la suppression de ces trains pas comme les autres.
Selon la terminologie en vigueur à la SNCF, tous les trains de permissionnaires sont classifiés avec la lettre « P » suivie d’un numéro. Ce sont bien les trains militaires affrétés entre la France et l’Allemagne, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui en constituent la dimension la plus connue.
Un grand nombre de ces trains, qui circulent entre l’Allemagne et la France lors de permissions et dans le sens inverse à latin de celles-ci, ne sont accessibles qu’aux militaires sous les drapeaux (Forces Françaises d’Allemagne) et, sous certaines conditions, aux membres de leurs familles. Organisés de façon systématique depuis 1949, date à laquelle est créée la République fédérale d’Allemagne, les trains « P » ont pour mission de transporter les militaires vers leurs domiciles d’origine.
Des militaires sont stationnés à Trèves, Baden-Baden, Kaiserlautern, Landau ou Spire, mais aussi à Berlin, qui jouit alors d’un statut particulier, abritant l’une des plus importantes casernes françaises d’Allemagne. D’importantes rames de voitures françaises ou allemandes sont employées pour convoyer plusieurs centaines de permissionnaires. Au début, les trains « P » ne concernent que ceux qui bénéficient de plusieurs jours de repos, la lenteur des communications ferroviaires pour des permissions qui ignorent (ou incluent) le temps passé à voyager. En effet une « perm » de trois jours, avec une journée de voyage dans chaque sens, ne donne qu’une journée à domicile pour le soldat. Une permission de trois jours pour un soldat habitant à deux jours de voyage se résout à… la passer dans la caserne. Cette manière d’ignorer les temps de voyage ne permet pas une meilleure rotation des rames de 10 à 14 voitures mises à disposition par la SNCF ou la Deutsche Bundesbahn allemande.
L’accroissement des vitesses et la modernisation des moyens de traction a un effet bénéfique pour les militaires en permission, puisque réduisant des durées de voyage qui leur interdisaient, jusque là, d’en profiter réellement. En effet, il est désormais possible d’organiser des rotations chaque fin de semaine, le vendredi soir dans un sens et le dimanche soir ou le lundi matin dans l’autre sens. En outre, des trains directs entre les villes casernes des FFA et les principales villes françaises sont mis en marche. On trouve donc un train allant de Spire à Metz et à Calais via Sedan et Valenciennes, ou un train de Karlsruhe à Paris Est desservant Baden-Baden, BühI et Achern ou encore un train de Wittlich à Lille via Thionville. Une autre relation relie deux fois par semaine Strasbourg à Berlin.
Tracés directement depuis les villes de casernement jusqu’aux grands centres ferroviaires français pouvant assurer des correspondances immédiates, ces trains roulent sans perdre de temps, et surtout évitent, désormais, aux permissionnaires de passer la plus grande partie de leur voyage à attendre des correspondances.
La SNCF et la DB, pendant long temps, ont engagé des voitures en principe réservées aux trains supplémentaires, c’est-à-dire des voitures anciennes, dotées d’un confort moindre, et ayant un aménagement intérieur plus endurant et plus simple. Il est vrai que la clientèle des trains « P » causait de nombreuses déprédations, occasionnant souvent des réparations sommaires et quelque fois plus importantes, ceci expliquant la réticence des administrations ferroviaires à engager du matériel neuf ou récent sur ces trains. Cette tendance s’est quelque peu assouplie au cours des dernières années d’existence de ces trains.
La décision de supprimer le service national a conduit la SNCF à réduire le nombre de trains « P », faute de militaires à transporter, mais, de toute façon, elle devait déjà faire face à une diminution sensible des recettes engendrées par ce trafic très particulier et imposé. Cette catégorie de trains est désormais à classer au rang des souvenirs.
Le train de nuit devient un train de luxe.
Longtemps, l’image du train de nuit aura été assimilée à celle d’un train de luxe. Il est vrai que les premières relations nocturnes étaient bel et bien de véritables palaces sur rails. Les noms de la Compagnie Internationale des Wagons Lits et de Mitropa sont intimement lies à l’histoire des trains de nuit en Europe. La première, un précurseur dans le domaine depuis 1876, dut, à partir de 1917, affronter la redoutable concurrence t la firme allemande. Elles se sont partagé les marchés, l’une exploitant des voitures bleues, l’autre des voitures rouge bordeaux. Puis d’autres compagnies se sont risquées à exploiter des relations nocturnes, mais, depuis quelques années, de nouveaux noms ont venus troubler cette quasi hégémonie, notamment la compagnie DACH (devenue depuis CNL) fondée par des exploitants suisses, allemands et autrichiens eux-mêmes, ou encore ENS pour les trains via le tunnel sous la tanche.
Supplanté par l’avion au début des années 1960, éliminé par la percée des TGV en France, le train de nuit, depuis les années 2000, fait de nouveau rêver les exploitants de chemin de fer. Malgré un matériel portant souvent le poids des ans, le nombre des Européens choisissant de voyager sur un oreiller augmente faiblement, mais régulièrement. On comprend qu’après de nombreuses années d’hésitation, les administrations ferroviaires se soient groupées dans un «pool» en 1971. Baptisé «pool TEN» (Trans-Euro-Nuit), il a pour but d’harmoniser les services nocturnes et de rationaliser l’exploitation des voitures-lits. Cette innovation permet de réduire le nombre de voitures utilisées quotidiennement de 361 à 250, tout en offrant des prestations similaires. Mais le «pool TEN a vécu, notamment en raison de divergences de stratégie, et sa disparition a ouvert la porte à diverses initiatives.



Le futur et proche grand réveil des trains de nuit
Les exploitants des années 1990 se sont retrouvés face à une triple interrogation. Le marché des trains de nuit peut-il justifier de lourds investissements en renouvelant le parc de voitures lits et couchettes? Si oui, quel genre de matériel choisir et, enfin, peut-on adapter une même solution pour tous les réseaux européens? Selon divers experts, l’avenir est aux liaisons internationales, notamment celles qui dépassent les 1000 km de parcours.
L’introduction de trains Euronight, faisant appel à du matériel ancien rénové, a été une première avancée dans ce domaine, bientôt suivie par les trains-hôtels City-Night-Line, qui matérialisent le concept d’hôtel roulant avec réception, bar et des cabines proposées dans des voitures à 2 niveaux. Sur un autre plan, des administrations font alliance, par exemple la SNCF et les chemins de fer italiens pour redynamiser les relations Paris – Rome ou Paris – Venise, ou encore la SNCF et les chemins de ter espagnols pour valoriser les trains de nuit Paris – Madrid – Barcelone. Autre innovation de taille avec les trains via le Tunnel sous la Manche, dont la commercialisation pose quelques problèmes d’intendance (depuis la privatisation des trains en Grande-Bretagne). Ils permettront des relations Paris – Glasgow ou Londres – Francfort. Ailleurs, divers matériels nouveaux ont été introduits (des trains Talgo en Allemagne) ou sont en cours de fabrication, comme en Italie.
Victimes de la concurrence des TGV, et de l’avion, mais aussi de l’autocar; les trains de nuit ont décidé de contre-attaquer et de donner une nouvelle jeunesse à un secteur de trafic qui pourrait, à terme, amener de nouveaux clients. Ils fondent leurs espoirs dans la reconquête des hommes d’affaires, mais aussi des étudiants et des retraités.
Les trains de nuit au matériel vieillissant n’ont plus d’avenir pense-t-on à l’époque et les dirigeants de la SNCF montrent, avec amertume mais avec raison, que les trains de nuit, comme Paris-Aurillac, Paris-Castres et tant d’autres, ne transportent plus que quelques voyageurs, moins d’une dizaine parfois: en abandonnant toute notion de service public et en respectant avant tout celle de la rentabilité absolue, ces trains sont supprimés les uns après les autres. La dissolution du «pool TEN» laisse les mains libres aux initiatives en tous genres ou, souvent, à l’absence désormais de toute initiative, et le bleu nuit des voitures lits est bientôt de l’histoire ancienne. Toutefois le la cause n’est pas totalement abandonnée, notamment en Allemagne, ou en Autriche plus particulièrement avec Nightjet qui est alors la seule compagnie européenne à proposer une offre variée de trains de nuit. En somme on pourrait dire que la France devient, par excellence, le lieu de répulsion pour les trains de nuit…
Si le public, maintenant atteint de la honte écologique routière ou aérienne fait bon accueil à toutes ces nouveautés ferroviaires, alors les liaisons nationales pourraient en profiter, comme le célèbre Train Bleu, qui retrouverait sa splendeur passée au moins sous la forme d’un Paris-Nice de nuit qui ne porterait peut-être plus ce nom glorieux.
Toujours est-il que, actuellement, les trains de nuit sont beaucoup plus européens que… français, si l’on consulte la liste des itinéraires offerts par le site Euronight Train :
- EN 406 – EN 407: Vienna – Krakow – Warsaw
- EN 414: Zagreb – Villach – Zurich
- EN 462 – EN 463: Budapest – Vienna – Munich
- EN 477 – EN 40406: Prague – Vienna
- EN 480: Rijeka – Salzburg – Zurich
- EN 498: Zagreb – Ljubljana – Salzburg – Munich
- EN 40462: Budapest – Vienna – Zurich
- EN 40465: Zurich – Zagreb
- EN 40467: Zurich – Vienna – Budapest
- EN 50463: Munich – Salzburg – Ljubljana – Zagreb
- EN 50466: Prague – Linz – Zurich
- EN 50467: Zurich – Prague
- EN 60406 – EN 60444: Vienna – Poprad – Kosice
- EN 60463: Munich – Salzburg – Rijeka
Mais n’oublions pas que l’ensemble de ces pays, aujourd’hui toujours, n’a aucun réseau à grande vitesse et que, en France, personne ne peut se plaindre de cette exception française qu’est le réseau TGV qui assure une desserte nationale offrant le plus de 300 km/h à tous.
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