La voie : elle seule crée le « chemin de fer ».

Ceux de la voie : ils regardent, parait-il, passer les trains, quand on les voit depuis un train attendant de pouvoir reprendre leur incessant travail. Nous oublions que les trains passent grâce à eux. L’entretien des voies est un problème crucial pour le chemin de fer dès que les trains se mettent à rouler très vite. La voie doit être parfaitement nivelée et stable. Pendant un siècle, ce travail se fait à la main, avec de modestes outils. Le « cantonnier » , muni de sa fourche et de sa batte à bourrer, recruté dans les villages des environs, est une image ancienne du chemin de fer. Aujourd’hui tout a changé avec la mécanisation intense de l’entretien. Mais la vision de ces équipes postées le long de la voie, interrompant leur travail pendant le passage du train, a été longtemps familière pour les voyageurs.

La construction de la ligne Paris-Brest vue vers 1850: la gare de La Loupe ouvre en 1852. Sur le chantier: absolument aucune machine, et tout se fait à la main avec des outils que l’Antiquité connaissait déjà. Les explosifs commencent à peine à apparaître à l’époque.

Lors de leur construction, les voies suivent exactement les pentes, paliers et rampes, ainsi que les courbes et alignements arrêtés pour les travaux de terrassement, tels qu’ils seront tracés sur la plateforme du chemin de fer, au moyeu de forts piquets d’axes et de hauteur, plantés de cent en cent mètres dans les parties droites, et de vingt en vingt mètres dans les parties courbes. Cela fait, le chef poseur marque sur le ballast, avec la règle divisée, l’emplacement que les traverses doivent occuper dans la pose, et les ouvriers de la brigade les déposeront à peu près dans leur position, en commençant par les traverses de joints. Lorsque les rails sont posés dans les coussinets, il sera procédé au coinçage avec des coins de bois, et enfin au dressement, au bourrage définitif et au serrage à fond des éclisses. Pour la pose de la voie Vignole, au fur et à mesure qu’une certaine longueur de rails est placée dans les entailles des traverses, et la voie dressée, on procède à l’éclissage des rails et à la pose des crampons.

Construction du Transpyrénéen Oriental en 1926: un des derniers grands chantiers « à l’ancienne ».

Un travail d’esclave, mais tout en finesse.

Tout le travail de l’ouvrier de la voie est de maintenir cet état de la voie tel qu’il l’est à la construction, donc de lutter contre tout ce qui vient altérer ou détruire la voie, comme le passage des trains et surtout les intempéries. L’entretien courant des voies doit avoir pour objet de maintenir le dressement en plan et en profil, et aussi le surhaussement du rail extérieur dans les courbes et l’écartement normal des rails.

Cantonnier garde-voie en 1946 « couvrant » une équipe au travail « dans les voies » et annonçant, à la trompe, l’arrivée d’un train avec « prière de dégager »…

L’ouvrier de la voie devra aussi régler l’ouverture des joints (c’est-à-dire l’espace séparant deux rails consécutifs) et le serrage des éclisses, assurer la stabilité des traverses, en prévenant avec le plus grand soin leur déversement. Il doit veiller sur la bonne tenue des coins et des chevillettes. Cet entretien devra avoir aussi pour objet de conserver à In surface du ballast les ondulations nécessaires pour assurer aussi bien que possible les écoulements de superficie. En ce qui concerne le remaniement périodique du ballast, des ordres de service spéciaux règlent pour chaque compagnie les époques de remaniement du ballast des voies principales et des voies – accessoires, et les dispositions à prendre pour le remplacement des matériaux arrivés à la limite d’un bon service.

Et enfin, l’entretien devra pourvoir au nettoiement des fossés et au règlement des banquettes, de telle façon que les eaux ne soient retenues nulle part et ne puissent, ni détremper le ballast, ni raviner les terrassements.

Travaux d’entretien de la voie dans les années 1950, réglage du dévers en courbe.

Un siècle de travail à la main.

Pendant plus d’un siècle, dès 1830 et jusqu’aux années 1950, le travail sur la voie se fait à la main, avec de modestes outils. Le cantonnier est muni d’une fourche et d’une batte à bourrer. Homme simple, recruté dans les villages des environs, il travaille dur, même si les autres cheminots le taquinent volontiers sur ses cueillettes de champignons ou de fraises des bois…. Mais si un déraillement inexplicable se produit, il sera le responsable d’autant plus idéal qu’il est en bas de l’échelle hiérarchique : on « soupçonne la voie » ! La traverse « danseuse » non vue, le tire-fonds mal serré, l’éclisse lâche sont ses obsessions. Sans arrêt, il parcourt son canton, scrutant chaque mètre de voie.

L’entretien courant consiste à vérifier toutes les attaches de la voie, à serrer les boulons et tire-fond, à faire les « ressabotages » (= réfection des encoches des traverses), « bourrages » (=réinjection de ballast) et dressages nécessaires, à remplacer les matériaux défectueux (rails, traverses, appareils de voie, etc.), à vérifier l’écartement, le dévers, les rayons des courbes et à les rectifier si besoin est. Cet entretien courant est fait en permanence, chaque équipe de cantonniers parcourant inlassablement son canton. Sous le soleil en été et la neige en hiver, le travail est pénible, mal rémunéré du fait de la faible qualification professionnelle requise.

Cantonnier vérifiant, à la « boule », le son produit par les traverses: une traverse « danseuse » (ne reposant pas sur le ballast) est immédiatement détectée.
Travaux sur les voies du réseau Nord vers 1890. L’ensemble des outils, notamment pour le « tirefonnage » reste manuel. Une très nombreuse main d’œuvre, disponible pour un salaire de misère, résout tous les problèmes…
Cantonniers « regardant passer un train », comme on dit, vers 1910. La voie est du type à coussinets, ou « voie anglaise », pratiquée dans le sud-ouest de la France.

Désignés sous la dénomination de cantonniers, dans les articles 68 et 73 de l’ordonnance du 15 novembre 1846, mais plus couramment appelés à l’époque des « garde-ligne », ces hommes sont une création qui est imposée par les pouvoirs publics aux compagnies de chemin de fer.

Les textes disent que « la compagnie est tenue d’établir, à ses frais, partout où besoin sera, des gardes en nombre su pour assurer la sécurité du passage des trains sur la voie et celle de la circulation ordinaire sur les points où le chemin de fer sera traversé à niveau par des routes ou chemins ».  Il y a donc, à l’origine, une certaine confusion avec deux emplois qui, par la suite, se distingueront nettement : le garde-barrière de passage à niveau et le cantonnier.

Les textes officiels prévoient que le nombre des « garde-ligne » varie naturellement suivant les besoins de l’entretien et de la surveillance et est subordonné au plus ou moins d’importance de la circulation sur les chemins de fer. Toutefois, pour les lignes à voie unique (désignés à l’époque sous le terme de « chemins à simple voie »), il n’est pas question de réduire le nombre des gardes relativement au nombre de trains circulant sur la ligne, car la surveillance et la sécurité à assurer sont plus difficiles, notamment au point de vue des signaux à faire en cas d’accident, de détresse des convois, des réparations de la voie, etc.

La naissance légale des hommes de la voie.

Dans la pratique, la longueur des cantonnements, sur les lignes les moins fréquentées, ne dépasse guère 3000 mètres. Pour les lignes où les trains se succèdent à de faibles intervalles, comme les lignes de banlieue,  la longueur des cantonnements doit être réduite à 1600 mètres ou 1700 mètres, et ne devrait jamais dépasser 2500 mètres. Il est bien entendu que pour 1es agents chargés en même temps d’une portion de ligne et de la surveillance d’un passage à niveau, la longueur du cantonnement doit être moins étendue que pour les gardes-lignes qui ne sont en charge que d’un cantonnement classique.

Sur quelques réseaux français, les « garde-ligne » ou cantonniers n’ont pas la charge à titre individuel d’un seul canton : ils sont organisés par brigades de cinq, plus un chef, et chargés ainsi en commun de l’entretien, des réparations et de la surveillance d’une section de ligne déterminée. Mais sur d’autres réseaux, chaque « garde-ligne » a un canton fixe, les réparations plus lourdes étant faites par des équipes volantes de poseurs. Ce dernier système produit de bous effets sur les lignes très fréquentées, où la surveillance se trouve ainsi mieux échelonnée et plus régulière.

Le problème récurrent sera toujours l’insuffisance du nombre d’agents. En cas d’insuffisance du nombre d’agents placés le long du chemin, pendant le jour et pendant la nuit, soit pour l’entretien, soit pour la surveillance de la voie, le nombre autorisé relève du Ministre des travaux publics.

Les « garde-ligne » sont choisis de préférence parmi les meilleurs poseurs et les ouvriers employés à des travaux de construction ou d’entretien du chemin de fer. La limite d’âge fixée pour leur admission (3 ans) est ordinairement portée à 40 ans et même 45 ans pour ceux qui travaillent depuis un certain temps sur le chemin de fer.

Image forte et emblématique des hommes de la voie publiée par Science et Vie dans son numéro spécial chemins de fer de 1960. Tout est dans le « peut » de « peut y parvenir »…

Les hommes de la voie : corvéables à merci.

La liste officielle des tâches qui leur incombent est effarante, puisqu’elle va de l’entretien des voies, et de l’environnement des voies, jusqu’à la signalisation et l’aiguillage des trains.

A l’origine, les « garde-ligne » ont des attributions inspirées de celles des cantonniers des routes nationales ou impériales de l’époque, mais, contrairement au cas des routes, où les usagers se débrouillent par eux-mêmes, les trains, eux, dépendent étroitement des voies. 

Les « garde-ligne », donc, sont spécialement chargés, sous les ordres immédiats des chefs de section, de la sécurité, de la surveillance et de la garde de la voie et de toutes ses dépendances dans l’étendue du canton qui leur est confié, et ils sont par définition responsables de tous les accidents qui seraient le résultat de leur négligence. Les choses sont clairement posées…

Ils doivent manœuvrer, lorsqu’il y a lieu, les aiguilles de la voie. Ils doivent prévenir les « délits de grande voirie » (que l’on appellerait aujourd’hui les dégradations volontaires, ou des incivilités) et de les constater, lorsqu’il y a lieu, et de signaler les dérangements des appareils télégraphiques. Ils doivent aussi faire les tournées nécessaires pour s’assurer que rien ne s’oppose à la libre circulation des trains. Ces tournées sont réglées par des ordres de service spéciaux.

Ils doivent faire les signaux prescrits pour que les convois se suivent à l’intervalle réglementaire dans l’ordre indiqué par les tableaux approuvés de la marche des trains. La position à occuper par les gardes le long des voies, sur les bifurcations, dans les gares, pour faire les signaux nécessaires, au passage et au croisement des trains est indiquée cas par cas.

Lorsqu’un garde remarque un dérangement, un obstacle ou tout autre particularité de nature à compromettre ta sécurité d’un train, il doit se porter immédiatement à une distance minimale de 800 mètres en avant du point dangereux pour faire le signal d’arrêt.

Si les deux voies sont obstruées on si le dérangement sa produit sur la voie unique, le « garde-ligne » doit couvrir d’abord le point vers lequel un train est attendu, et prendre, le plus tôt possible, les dispositions nécessaires pour faire le signal d’arrêt de l’autre côté de la voie.

Les « garde-ligne » devront exécuter tous tes travaux de petit entretien dont ils reconnaîtront la nécessité dans leurs tournées et tous ceux qui leur sont indiqués par les chefs de section comme l’entretien de toutes les pièces entrant dans la composition des voies, le règlement de la surface du ballast, le pilonnage des sables remaniés, la visite des ouvrages d’art, l’entretien et le curage des fossés, les réparations des talus, la conservation des bornes, celle des clôtures, et des plantations, etc….

Ils veilleront à ce que le feu projeté par les machines ne se communique pas aux ouvrages en charpente, aux herbes, aux bois. En cas de sinistre, ils prendront toutes les précautions pour éteindre le feu, et, s’il en est besoin, ils appelleront du secours.

Les « garde-ligne » porteront une attention spéciale sur les dépôts de matériaux et autres qui pourraient être atteints par les wagons et les machines. Ils ne doivent pas perdre de vue que les marchepieds dépassent extérieurement les ruile de 0 m, 90 et que, pour certaines machines, les cendriers et les bielles descendent à 0,10 m au-dessus du rail.

Un adoucissement, cependant : la surveillance de nuit est généralement confiée à des gardes spéciaux, ne faisant pas de service le jour. Les « garde-lignes » de nuit ont de très grandes difficultés, car les conditions de vue sont très précaires, et, à l’époque, les moyens d’éclairage sont très restreints : on ne connaît guère que la lampe à pétrole ou à acétylène.

Pendant la durée fixée pour leur service, les gardes ne doivent, sous aucun prétexte, abandonner leur canton, à moins qu’ils n’en soient requis par le chef d’un train en détresse, ou, en cas d’urgence, par le chef de section.

Les textes ont tout prévu et ne font pas de cadeau : les pluies, les neiges et les autres intempéries ne peuvent être un prétexte d’absence pour les gardes ; dans ces circonstances, ils doivent, su contraire, redoubler de zèle et d’activité pour assurer la libre circulation des trains et prévenir les dégradations du chemin de fer. Ils doivent, en particulier, déneiger les voies.

Le chapitre intitulé « Négligences, Encouragements, etc » est long et détaillé. « Les infractions commises par les gardes-lignes et gardes-barrières aux règlements et ordres de service qui les concernent, et dont ils doivent toujours être porteurs, sont punies, sur toutes les ligues, avec une grande sévérité ». Mais, d’un autre côté, des primes leur sont accordées à titre d’encouragement, lorsque, « par leurs soins, leur travail et leur vigilance, ils ont prévenu des accidents ou signalé quelques faits importants, ou lorsqu’ils se sont fait particulièrement remarquer par leur dévouement au service et par le soin apporté dans leurs travaux, et l’exactitude de leur surveillance ».

Cantonniers au travail, par « brigades » très nombreuses, sur le réseau de l’Est en 1938. Une « période » est le temps disponible, dégagé par les régulateurs, pour permettre de travailler sur les voies, avec absence de tout train.

La situation à la fin du XIXe siècle.

Vers la fin du XIXe siècle, le garde-ligne, homme à tout faire y compris la signalisation et la commande des appareils de voie, a disparu. Les aiguilleurs et les garde-barrières sont apparus et se sont spécialisés. Mais aussi, à l’époque, la situation des chemins de fer commence à fléchir. C’est la fin de l’âge d’or et de la prospérité, car les crises économiques commencent à se produire, et, dès 1878, il est question de nationalisation : le débat durera des décennies…

Les compagnies se lancent dans une politique d’économies, et cet important poste budgétaire des voies est sur la sellette. Elles regroupant, par exemple, les sémaphores près des passages à niveau, ce qui permet de confier le tout à un couple de cheminots pour 110 francs par mois: le mari, cantonnier sur la voie, assure le service des barrières la nuit pour 80 francs en tout, tandis que sa femme fait le service des barrières le jour pour 30 francs, ce qui donne une économie de 600 francs par an pour la compagnie du Nord en 1886.

A cette époque une brigade de six hommes, chef-cantonnier compris, est affectée à la surveillance d’un canton de voie unique, soit une distance d’environ huit kilomètres en général, correspondant à un coefficient de 0,75 homme/kilomètre. En voie double, ce nombre est doublé et porté à douze hommes. Le nombre de journées effectives de travail est de 225 par kilomètre et par année. La brigade parcourt en permanence le canton dans un sens, puis dans l’autre. Certains travaux urgents, ou d’autres saisonniers, sont, bien entendu programmés en priorité. Le coût de l’entretien comprend beaucoup frais constants et indépendants du nombre des trains, ce qui fait qu’une ligne secondaire ou une voie peu utilisée est encore moins rentable : transportant peu, elle coûte presque autant qu’une voie très active. Ce sera une des raisons de la condamnation des petites lignes rurales et de la fermeture d’une grande partie du réseau secondaire français.

Vers une indispensable mécanisation des travaux de la voie.

Une circulation des trains en augmentation, des matériaux de plus en plus chers et des hausses salariales des ouvriers de la voie conduisent les compagnies à reposer le problème durant les années 1920: par rapport à 1913, la dépense par kilomètre de ligne a été multipliée par 4,5. Un recours à la mécanisation est désormais envisagé mais essentiellement pour le transport des équipes par draisine à moteur, ce qui permet d’allonger les cantons jusqu’à 25 ou même 35 km.

C’est bien l’armée américaine qui, pendant la Première Guerre mondiale, a donné l’exemple de l’entretien mécanisé des voies, en particulier avec l’emploi de draisines à essence « Sheffield » N°32 pouvant transporter 5 à 6 hommes à 60 km/h en tractant, en plus, une légère remorque. Mais la mécanisation de l’entretien proprement dit reste peu poussée: le dressage des voies se fait toujours au cric et à la pince, avec « soufflage » du ballast.

Années 1930: apparition des premières machines-outils comme cette perceuse pour les trous d’éclissage à faire dans l’ âme » des rails.
Premières « tirefonneuses » à moteur: ces machines remplacent, en force et en vitesse, les fameuses « clés » à leviers tenues par deux hommes pour serrer un tirefond à la force des bras.
Les trains de ballast à déchargement automatique remplacent avantageusement, entre les deux guerres, les premiers trains de tombereaux ou de plats à décharger à la pelle.
Ensemble de petites machines-outils d’usage courant pour l’entretien des voies dans les années 1960.
Travail par « fichage », pour ne pas dire à la chaîne, avec des gestes rapides: les techniques de la production de masse entrent dans le chemin de fer dans les années 1930.

Une équipe au travail sur la région Ouest, aux Batignolles, vers 1938. Le port des rails, ici pesant entre 46 et 60 kg au mètre, se fait à la main
Remplacement d’un appareil de voie à Juvisy. Le chef de chantier, debout sur la traversée de jonction double hissée par les hommes et leurs crics, domine de plus en plus la situation avec autorité.

L’indispensable évolution des techniques de la voie.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’état d’abandon des voies est inquiétant, et une circulation très intense demande que l’on repose le problème : par rapport à 1913, la dépense par kilomètre de ligne a été multipliée par 4,5. Un premier progrès est transport des équipes par une draisine d’inspection à moteur, ce qui permet d’allonger les cantons jusqu’à la trentaine de kilomètres. Mais la mécanisation de l’entretien est inexistante : le travail sur les voies se fait toujours manuellement.

Première mécanisation du tirefonnage en 1904 avec le groupe électrogène Collet et ses machines-outils électriques puissantes et assez facilement transportables à la main.
Document paru dans la Revue Générale des Chemins de Fer en 1929.
Premières dégarnisseuses-cribleuses en France en 1929.
Organisation des premiers chantiers mécanisés avec dégarnisseuse-cribleuse en 1929.
Les premières «épureuses mécaniques» au travail au début des années 1950.

Le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement les années 1960, voient l’arrivée de véritables machines, des bourreuses auto-nivelleuses, qui effectuent de gros travaux très rapidement. Sur ces années 1970-1990, le nombre d’heures de travail d’entretien des voies a chuté de 4,7 millions d’heures en 1981 à 1,6 millions d’heures en 1990, ceci sans nuire en aucun façon à la qualité de l’entretien et du nivellement des voies. Mais le budget voies a toujours été tellement lourd pour la SNCF que, pour mettre le train en équivalence avec le camion ou l’autobus qui ne paient pas le coût de la construction et de l’entretien des routes, il a été décidé de créer, entre 1997 et 2014, une entité indépendante, RFF (Réseau ferré de France) à qui incombe ces dépenses, soit un budget de plus de 27 millions d’euros. RFF a ensuite été réintégrée à la SNCF, l’opinion publique ayant enfin compris que, comme pour la route, le chemin de fer doit recevoir l’aide des finances publiques.

Le choix offert par Matisa pour l’Entretien Mécanique des Voies en 1981.
Entretien Mécanique des Voies (EMV) en 2007: ici une « bourreuse » en approche du chantier.
Travaux d’entretien, et de pose de câbles en caniveau, en 2009: beaucoup de tâches restent très manuelles.

La construction des premières lignes de chemin de fer vit s’ouvrir des chantiers d’une ampleur sans précédent dans l’histoire de l’humanité, et, surtout en des lieux souvent inaccessibles et dangereux comme les montagnes, les déserts, les étendues glaciales et sans fin du nord de la planète. C’est souvent le bouleversement complet d’une ville, la présence pendant des années et des années d’un chantier interminable et de dizaines de milliers d’hommes aux mœurs souvent rudes qui fait refuser le chemin de fer par un certain nombre de villes comme Tours, Orléans, ou Vesoul qui préfèrent tenir le chemin de fer à bonne distance ou s’en passer…

Franchir les montagnes presque sans rampes ni pentes.

IL faut que les lignes soient exemptes de toute déclivité supérieure à quelques millimètres par mètre. Le fondement technique du chemin de fer est le faible effort à fournir pour déplacer des masses importantes. Le cheval, sur une route, tire péniblement 500 kg, mais, sur une voie ferrée, tire un train entier formé de 10 à 12 bennes de charbon, soit une dizaine de tonnes. Seulement il faut que la voie soit pratiquement en palier, c’est-à-dire sans rampes ni pentes, et ne connaisse pas des rampes et pentes supérieures à 3 ou 4 mm par mètre, ce qui représente des déclivités négligeables pour les routes. Il faut donc bien égaliser le terrain emprunté par la voie ferrée, le comblant là où il descend trop bas, le creusant là où il monte trop haut, ceci afin de faire une plateforme pratiquement plane sur laquelle on installe voies et gares.

Exemple de tracé en succession de courbes et contre-courbes sur la ligne des Alpes au niveau de Vif.
La boucle de Campour sur la ligne de montagne de Nice à Coni.

Les études préliminaires : tout est déjà joué.

Une fois connues – terme de longs débats pouvant durer des décennies –  les noms des villes à relier entre elles, il faut faire une étude avec des cartes d’état-major (à l’époque au 1/40 000e) comportant des courbes de niveau. Cette première étude permet d’éliminer les tracés trop difficiles à réaliser. Puis, on passe à une étude sur le terrain : on trace sur la carte une « ligne de base » reliant des points repérés sur la carte, et, sur le terrain, on pose des jalons aux endroits réels correspondants. Puis on lève, perpendiculairement à cette « ligne de base », et tous les 100 m, un « profil en travers » étendu sur 200 à 300 m de part et d’autre. On dresse ensuite un « plan coté » à l’échelle du 1 /2000e ou au 1/10 000e, et qui comporte aussi les courbes de niveau du terrain.

L’ingénieur calcule ensuite le volume des terrassements de manière à ce que les terrains creusés puissent, par un transport le plus court possible, donner les déblais nécessaires pour faire un remblai voisin: c’est ce que l’on appelle l’ « étude du mouvement des terres » :pour une grande ligne traversant les Alpes par exemple, ce mouvement est beaucoup plus important que les travaux des pharaons pourtant si admirés dans le monde entier.

Terrassements et ouvrages d’art : mieux que les Pyramides !

Alors interviennent des milliers d’ouvriers qui, au pic, et à la pelle, creusent le sol là où il est prévu, et transportent les déblais, avec des chariots et des chevaux, là où il y aura des remblais. Les excavateurs à vapeur sont un grand progrès, mais n’apparaissent que vers la fin du XIXe siècle. Pendant la quasi-totalité du XIXe siècle, tout se fait à la force du bras en recrutant des milliers d’hommes désœuvrés qui vont parfois très loin de chez eux pour consacrer toute une vie à ce nouvel idéal.

Les tunnels sont percés à la main et au pic. La dynamite, dangereuse, est utilisée vers la fin du XIXe siècle, mais le grand progrès est la perforatrice à air comprimé apparaissant, elle aussi, vers la fin du siècle précédent. Pour percer droit on se sert d’un miroir renvoyant le soleil, comme ce fut le cas pour les grands tunnels suisses. La maçonnerie des tunnels est faite par des maçons commençant par la voûte et finissant, au fur et à mesure du creusement, par les piédroits. Les murs de soutènement, les ponts et viaducs sont aussi exécutés par des maçons, une fois les calculs faits par les ingénieurs.

La science des métaux pose un sérieux problème.

Mais tous ces travaux de génie civil ne relèvent pas d’un domaine spécifiquement nouveau : quand on construit les premières lignes de chemin de fer au début du XIXe siècle, cela fait déjà des millénaires que l’homme creuse le sol, le déplace, le consolide avec des ouvrages d’art. La seule dimension nouvelle est le volume considérable des travaux, notamment en matière de longueur des tunnels ou de hauteur des viaducs. Par contre l’utilisation en très grande quantité du fer est nouvelle, et ne manque pas de poser des problèmes qui apparaissent comme insurmontables : comment, en particulier, construire des voies ferrées dont les rails ne se brisent pas sous les trains ? Ce fut bien le premier grand problème technique auquel la construction des lignes de chemin de fer se heurta directement : le rails, brisés, se redressaient et traversaient le plancher des trains, tuant les voyageurs.

Mais le rail en fer montre vite ses limites, et donne, aux ingénieurs, de grands soucis faute d’une  « science métallurgique » qu’ils commencent à découvrir par la force des choses. Le rail en acier apportera-t-il la paix à leurs âmes ? Le problème est celui du vieillissement des rails en fer et même de leur destruction, quand il ne s’agit pas de leur casse, à peine posés : les lois régissant ce phénomène sont très difficiles à approcher. À l’époque des rails en fer, la science métallurgique est à peine en train de se constituer, et bien des problèmes restent non résolus.

Premiers essais, en 1887, de la constitution d’une science des rails et de la mesure des flexions et des autres phénomènes dits métallurgiques des rails.

Défauts et qualités des voies.

Il suffit de regarder une voie ferrée, avec la beauté et l’élégance de ses courbes, ses raccordements paraboliques lors des entrées et des sorties des courbes, ses alignements impeccables pour comprendre à quel point, pour le chemin de fer, tout est affaire de précision, de finesse, pour garantir la qualité et la douceur du roulement, ces deux qualités étant fondamentales non seulement pour les performances, le confort, la stabilité, mais aussi pour une dépense minimale d’énergie.

La courbe est, par définition, une portion d’une voie ferrée affectant la forme d’un arc de cercle ou de parabole. L’inscription en courbe de faible rayon (comme 300 m sur les lignes de montagne, ou même 150 m sur les voies de service), demande au boudin de guidage des roues d’assurer son rôle en prenant appui sur la face interne des rails : c’est là le principe même du guidage des trains et qui n’existe pas dans aucun autre moyen de transport. Pour les rayons supérieurs, qui peuvent atteindre plusieurs milliers de mètres sur les lignes principales, la conicité des tables de roulement des roues suffit pour assurer le guidage. En effet, surfaces de roulement des roues de chemin de fer ne forment pas un cylindre (comme dans le cas de l’automobile) mais un cône. Les deux roues d’un même essieu de chemin de fer forment deux cônes opposés . En courbe, les roues situées à l’extérieur de la courbe tendent à rouler sur leur plus grand diamètre, puisque les tables de roulement sont en forme de cône, tandis que les roues situées à l’intérieur de la courbe roulent sur leur plus petit diamètre. La différence entre les longueurs de parcours pour les deux roues d’un même essieu est ainsi compensée. L’inclinaison des tables de roulement des roues neuves est d’une valeur de 1/40.

Une voie idéale, pour les ingénieurs, est le plus possible en alignement. C’est, en quelque sorte, ce qui correspond à la « ligne droite » des routes, par opposition aux « virages ». Dans le monde ferroviaire, on parle d’alignements et de courbes (au lieu de « lignes droites » et de « virages », comme on parle de rampes et de pentes (au lieu de « montées » et de « descentes »).

Les courbes posent toujours de nombreux problèmes, et l’idéal est de les éviter. Les courbes créent des frottements et demandent, d’abord, demandent à poids et à vitesse égales, une forte augmentation de l’énergie de traction, donc un surcroît de consommation d’énergie, donc un surcoût dans l’exploitation. Mais aussi elles entraînent, du fait des frottements, une forte usure des organes de roulement, notamment des tables de roulement et des mentonnets de guidage des roues, mais aussi des rails. Elles créent, du fait de ces frottements, des bruits de crissement, notamment sur les courbes à très faible rayon.  Elles créent des fortes contraintes sur les attelages, sur les organes de guidage et de suspension des essieux. Elles créent des problèmes de stabilité et de résistance à la force centrifuge, ce qui demande d’incliner les voies vers l’intérieur des courbes .

La science de l’ingénieur de la voie comprend, au XIXe siècle, l’infinie variété des formes des rails selon les compagnies et même les lignes, et le problème de mesure de l’écartement généré par les différentes formes du champignon quand cette mesure se fait entre les faces internes des rails et non d’axe en axe.
Diverses techniques de pose des rails.

Les voitures Mauzin : à la recherche d’une science de la voie.

En 1931, sur le réseau du PO, l’ingénieur Mauzin met au point un très modeste appareil d’auscultation des voies. C’est la naissance d’un tout nouveau champ pour les voitures de mesure : la voie. La Revue Générale des Chemins de Fer de Janvier 1933 publie un long article signé de cet ingénieur dont le but est d’étudier le mouvement de lacet des voitures lors des parcours à grande vitesse (100 à 120 km/h).: Les phénomènes sont complexes, et particulièrement peu explorés par la science ferroviaire jusqu’alors. L’appareil enregistreur est d’abord installé dans un véhicule à titre expérimental et transitoire, puis Mauzin parvient, peu avant  la création de la SNCF, a concevoir pour le réseau PO-Midi la première des fameuses voitures qui portent son nom et dont la caractéristique la plus marquante est la présence d’un bogie à quatre essieux et roues folles, placé entre les deux bogies classiques de la voiture, et dont les déplacements relatifs permettront de mesurer avec précision les gauches et autres déformations des voies. Toutefois la voiture Mauzin restera fidèle, même dans ses versions les plus évoluées des années d’après la Seconde Guerre mondiale, au système mécanique de la transmission des données, avec des câbles actionnant des stylets traceurs sur papier.

Une deuxième génération de voitures de mesures est conçue par l’ingénieur Mauzin, à la fin des années 1930, pour la SNCF . Ces voitures seront immortalisées parmi les cheminots qui ne disent pas « une voiture d’inspection des voies » mais simplement et couramment « une Mauzin ».

Avec 17 mètres, la caisse est beaucoup plus courte que celle d’une voiture à voyageurs de type classique, mais, à part ce détail, le reste de la voiture est bien construit comme une voiture à voyageurs grandes lignes de son époque et apte à circuler aux vitesses des trains les plus rapides.  Souvent engagée avec une ou deux autres voitures de service derrière une locomotive, elle forme un train court qui se déplace à bonne vitesse sur l’ensemble des lignes de la SNCF, les parcourant inlassablement les unes après les autres, ceci selon un programme précis prévu, on s’en doute, longtemps à l’avance.

Comme les voitures du PO de la première génération, la voiture repose sur deux bogies classiques. Mais entre ces deux bogies se trouve le grand bogie à quatre essieux d’un empattement de 4,15 m et dont les déplacements relatifs par rapport à la voiture indiquent, selon les mêmes méthodes que précédemment, les déformations de la voie. Des palpeurs à galets permettent de mesurer les variations d’écartement des rails, ce qui est impossible avec les roues du bogie central, puisque les roues sont, par définition, toujours solidaires des essieux sur un véhicule ferroviaire.

Les seize roues de la voiture sont reliées par un système complexe de câbles et de poulies aux stylets de la table enregistreuse placée dans la salle centrale de la voiture. En combinant les mesures faites par les huit roues d’un côté et celles des huit roues de l’autre, on mesure les excès et défauts de dévers de la voie, les « gauches » (entrées et sorties de courbes), les défauts de dévers et de planéité ou de dressage, les « flèches » dans les courbes, etc…

Premiers essais d’un palpeur Mauzin monté sur un fourgon à la fin des années 1920.
Avant Mauzin: premier essai d’une voiture de mesures sur le réseau de l’Est en 1925.
La première voiture de mesures Mauzin de 1930, utilisée sur le PO. Noter la présence des bogies testeurs entre les bogies de roulement.
Voiture Mauzin SNCF de 1945.
Bogies testeurs ou « palpeurs » de la voiture Mauzin SNCF de 1945.

Déterminer les alignements et les courbes.

La construction d’une ligne de chemin de fer est d’abord une opération de géométrie sur le terrain même: le tracé de la ligne étant arrêté grâce à des études économiques et géologiques, il faut placer sur le terrain des balises qui sont un premier repérage. Ces balises sont en alignement pour les futures sections droites, ou forment des sommets d’angles englobant les futures courbes. Puis l’on procède au « piquetage » de la ligne, c’est-à-dire que l’on pose des piquets hectométriques portant chacun un numéro, les numéros étant continus depuis le commencement de la ligne. Par exemple, pour une ligne longue de 42,5 km, le dernier piquet aura le numéro 425. Ensuite on procède au chaînage de la ligne avec des chaînes d’arpenteur étalonnées, on relève les profils en long  (cotes par rapport au niveau de la mer) et en travers au niveau de chaque piquet, ceci pour obtenir un plan coté très précis permettant l’exécution des travaux.

Les points kilométriques, ainsi que les bornes hectométriques qui les complètent, sont posés lors de la construction de la ligne et se présentent sous la forme de poteaux ou de mâts surmontés d’une plaque comportant un numéro, celui du kilomètre mesuré depuis l’origine de la ligne.

Il est certain que seules quelques grandes lignes ont leur PK 0 situé à Paris, et que beaucoup de lignes prennent leur départ en s’embranchant sur une autre ligne. Toutefois, si l’on consulte les « Carnets de Profils et Schémas de la SNCF », on découvre que, par exemple, Trouville-Deauville est desservie, en 1957, par deux lignes s’embranchant sur la grande ligne Paris-Caen-Cherbourg, l’une à Lisieux (aujourd’hui toujours en service) et l’autre à Mézidon. Le comptage des PK par Lisieux se fait depuis Paris: Trouville-Deauville est, pour cette ligne, au PK 219,2. Par contre la ligne de Mézidon est considérée comme une ligne d’embranchement prenant sa naissance dans cette dernière ville: Trouville-Deauville est alors au PK 50,5.

Un exemple, pourtant courant, de la complexité des points-kilométriques (« PK ») sur les bifurcations, avec raccordement de lignes ayant des PK qui ne peuvent, théoriquement, se succéder numériquement le PK 337 de la LGV avec le PK 445 de l’ancienne ligne PLM.

Sur toutes les lignes partant de Paris, c’est la gare tête de ligne dans la capitale qui est l’origine du kilométrage, et, par exemple, pour les lignes du Sud-Ouest, c’est la gare d’Austerlitz. Pour les lignes transversales ou d’embranchement, il n’y a pas de règle absolument générale. Dans bien des cas, on poursuit le kilométrage de la ligne principale sur l’embranchement ou la transversale. Dans d’autres, on numérote les kilomètres à partir de la gare tête de ligne ou à partir d’une grande gare assez voisine.

Imaginer et définir le tracé.

Les ingénieurs traçant une ligne de chemin de fer ont intérêt, pour éviter des déclivités trop fortes et pour se rapprocher de l’horizontale, à suivre les courbes de niveau des terrains, ces courbes étant d’ailleurs utilisées pour représenter le relief sur les cartes. Mais suivre les courbes de niveau risque, surtout en terrain accidenté, d’entraîner des courbes à très faible rayon. Le chemin de fer ne peut accepter des courbes d’un rayon inférieur à 300 m ou 250 m, et on descend exceptionnellement à 150 m sur les voies de service des dépôts qui sont parcourues à vitesse très faible.

En outre, des contraintes propres au chemin de fer ont imposé un article 8 du cahier des charges, arrêté en 1869 pour les six grandes compagnies françaises, qui demande qu’ « une partie droite de cent mètres au moins de longueur soit ménagée entre deux courbes consécutives, lorsqu’elles seront dirigées en sens contraire. Une partie horizontale de cent mètres au moins devra être ménagée entre deux fortes déclivités consécutives, lorsque ces déclivités se succéderont en sens contraire et de manière à verser leurs eaux au même point. »

En ce qui concerne les courbes de sens contraire, il pourrait arriver, si elles se succédaient directement, qu’un train se trouve engagé à la fois sur chacune d’elles, et, dans ces conditions, la traction se ferait obliquement et pourrait amener un déraillement. Le passage brusque d’une courbe à l’autre produirait un changement de sens dans l’action de la force centrifuge et des secousses extrêmement désagréables pour les voyageurs. Ces inconvénients n’existent pas quand deux courbes de même sens se succèdent. Si les courbes d’un rayon de 200 à 250 m se succèdent en sens contraire, et si les trains ne dépassent pas une vitesse de 45 à 60 km/h, la longueur de l’alignement entre deux courbes peut être réduite à 50 mètres, et si les trains roulent à 25 ou 30 km/h, on peut encore réduire cet alignement à 30 mètres : c’est dire la force de ces contraintes et, surtout, les vitesses d’une lenteur inacceptable qui en résultent….

Rien de plus beau qu’une belle courbe, surtout dans un site difficile comme le long de la Côte d’Azur. Le dévers, nécessaire techniquement, ajoute sa grâce au chef d’œuvre.

Tout ceci fait que, lors de l’établissement du projet d’une ligne, les ingénieurs ne se bornent pas à effectuer une simple promenade le long des courbes de niveau avec des appareils de mesure en mains. Il doivent ruser avec ces courbes pour y loger des tracés dont les courbes sont, dans la plupart des cas, d’un rayon bien plus important, ce qui oblige à « tailler » dans le rocher, à faire des tranchées, ou aussi faire des remblais avec les déblais retirés des rochers.

Voici les instructions officielles de la fin du XIXe siècle : la direction à suivre étant arrêtée sur la carte, on trace sur le terrain, au moyeu de jalons, la ligne d’opération, en cherchant à se rapprocher autant que possible de la ligne définitive. La ligne d’opération doit être formée d’alignements droits aussi étendus que le permet la configuration du sol.

A chaque sommet d’angle on établit une balise de 4 mètres au moins de hauteur, divisée en parties peintes alternativement en blanc et noir. Ces balises portent au sommet deux drapeaux rouges et blancs. Si l’angle formé par deux alignements successifs est très fermé, inférieur par exemple à 120°, on trace immédiatement entre ces deux alignements une courbe de raccordement de 500 mètres, suivant laquelle on mesurera les longueurs. On place dans ce cas aux points de tangente de la courbe une balise semblable à celle des sommets, mais ne portant qu’un seul drapeau.

On établit en outre sur les alignements droits des balises intermédiaires éloignées d’environ 800 à 1 000 mètres et disposées de telle façon que, du pied de chacune d’elles, on puisse voir la précédente et la suivante. Ces balises sont divisées en parties de 1 mètre de hauteur peintes alternativement en blanc et rouge, et elles ne portent pas de drapeau. Enfin, pour faciliter le chaînage de la ligne d’opération, on place des jalons entre les balises.

Lorsque la ligne est établie sur le terrain, on procède au piquetage hectométrique. Le premier piquet placé à l’origine de la ligne porte le n° 0. Des piquets semblables sont placés à tous les hectomètres. Les numéros sont continus depuis le commencement jusqu’à la fin de la ligne, de telle sorte que, pour une ligne ayant 23 500 mètres de longueur, le numéro du dernier piquet sera 235.

Les piquets doivent être ronds et avoir 5 à 10 cm de diamètre. Les numéros sont marqués au fer rouge sur une entaille à mi-bois de 40 à 42 cm de hauteur qui fait seule saillie au-dessus du sol et doit être disposée de façon à faire face à l’opérateur qui suit la ligne en partant de l’origine. Ces piquets sont enfoncés dans le sol de 30 à 50 cm environ. Dans les marais et les terrains peu stables cette fiche doit être augmentée. Les courbes seront ainsi définies en reliant les piquets entre eux. Ainsi, le tracé des courbes de chemin de fer n’a aucun rapport avec le tracé au compas sur une feuille de papier.

La perfection mathématique de la géométrie ferroviaire.

Il suffit de regarder une voie ferrée, avec la beauté et l’élégance de ses courbes, ses raccordements paraboliques lors des entrées et des sorties des courbes, ses alignements impeccables pour comprendre à quel point, pour le chemin de fer, tout est affaire de précision, de finesse, pour garantir la qualité et la douceur du roulement, ces deux qualités étant fondamentales non seulement pour les performances, le confort, la stabilité, mais aussi pour une dépense minimale d’énergie.

Or une voie ferrée doit avoir ce que l’on appelle une  géométrie parfaite. Qu’est-ce que la géométrie en ce sens-ci du mot ? C’est l’écart entre la position réelle de la voie et une position théorique moyenne, dite encore position de référence. Cette géométrie est mesurée par rapport à quatre axes de nivellement :

1)- Le nivellement longitudinal vise à réduire la variation, dans le sens vertical, de la position de la surface de roulement du rail par rapport à une référence donnée. Cela veut dire qu’une voie ayant un bon nivellement longitudinal sera bien plane, sans « bosses » ou « creux ».

2)-Le nivellement transversal vise à réduire la variation de la position relative de chaque file de rails dans le sens vertical. On distingue le dévers, qui est la différence de hauteur entre chaque file de rails, et le gauche, qui est la différence de dévers entre deux points séparés par une distance donnée qui constitue la base du gauche. En quelque sorte le dévers, sur une route, correspond à une route ayant un côté plus haut que l’autre (faisant que l’on roule penché), tandis que le gauche correspondrait au fait que la route varie dans son inclinaison vers un coté (faisant qu’en roulant on tend à pencher encore plus en avançant). Le gauche est une déformation en pale d’hélice. On notera qu’une entrée en courbe, avec un dévers pour la voie afin de contrebalancer la force centrifuge, fait que, nécessairement, il y a un gauche, puisque la voie doit « pencher » de plus en plus au fur et à mesure que l’on entre dans la courbe pour atteindre son dévers maximal dans la courbe.

3)- Le défaut de dressage : c’est la variation dans le sens latéral de la position de la face interne du rail par rapport à une référence donnée. Pour une route, ce serait une route qui ne serait pas parfaitement droite, et sur laquelle on serait obligé de faire des zigs-zags inutiles.

4)- Le défaut d’écartement : c’est la variation de la distance séparant les faces internes des deux rails de la voie. Ce serait, en quelque sorte, une route dont les bords, quand on la parcourt, ne seraient pas parallèles. On notera qu’il est possible que l’écartement d’une voie varie, et s’éloigne du 1435 mm normal, notamment dans les courbes de faible rayon, pour faciliter le passage en courbe des véhicules à deux essieux de grand empattement.

Les défauts de la voie, d’après un document SNCF.
Une voie qui n’est plus tout à fait parfaite après les essais à 331 km/h menés par la SNCF en 1955 dans les Landes !…
578,4 km/h, dites-vous ? Oui, d’abord parce que la voie le permet….

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