Le bogie ? Non merci : trop lourd, trop cher.

Aujourd’hui partie intégrante des trains, y compis à grande vitesse, élément incontournable du matériel moteur et remorqué depuis plus d’un siècle, le bogie a pourtant été refusé par les ingénieurs des réseaux français et européens à la fin du XIXème siècle. Les raisons de ce refus et de cette méfiance montrent comment les idées progressent dans le milieu ferroviaire de la Belle époque, et comment, parfois, les évidences démontrées sur le terrain ne remontent pas jusque dans les bureaux d’études…

Voiture type grandes lignes du réseau de l’Etat, roulant encore dans les années 1930 avec tous les attributs du confort le plus récent: compartiments, caisse tôlée, couloir latéral, soufflets d’intercommunication, etc… etc… Que manque-t-il à tous ces progrès accumulés par cette pingre compagnie ? Le bogie. Trop lourd, trop cher. Pourtant le réseau de l’Etat devra, comme les autres, casser sa tire-lire, mai le fera bon dernier.

D’où vient le bogie ?

Il est né d’une manière aussi empirique que fortuite, pour la résolution du problème posé par les charges longues (grumes, poutrelles, rails, etc.) dépassant la longueur offerte par un wagon plat ordinaire. On a eu l’idée de placer deux wagons plats sous la charge longue, éventuellement attelés entre eux par un timon de grande longueur. La charge est,  alors, posée sur les wagons par l’intermédiaire de traverses pivotantes permettant leur rotation des wagons par rapport à la charge pour leur inscription en courbe, et permettant surtout une certaine liberté du wagon par rapport à la charge pour résorber les inégalités de la voie, notamment les entrées en courbe avec dévers, le passage d’un palier à une rampe ou une pente, etc..

Principe primitif des « trucks doubles » pour le transport des charges longues: on utilise deux wagons plats courts munis d’une traverse surélevant la charge et permettant un certain débattement en rotation verticale et transversale. Un long timon, non représenté ici et, d’ailleurs, pas toujours existant, réunit les deux wagons par leurs attelages et augmentait la solidité de l’ensemble..
La solution du « truck double » a été assez répandue pour que, par exemple, la firme de trains miniatures JEP la reproduise sur son catalogue de 1925, parmi ses wagons à marchandises qui se veulent inspirés par ceux des grands réseaux réels. Ici, il s’agit de transport de rails.

Sur les réseaux français on donne à ces wagons, réunis deux par deux, le nom de « trucks doubles », chose intéressante à noter dans la mesure où le terme de « truck » désignera le bogie sur les réseaux américains, par réutilisation détournée du terme anglais désignant un petit wagon plat. En langue anglaise, bogie se dit « boggie », et « truck » veut dire wagon plat. Notons aussi que, en traversant l’Atlantique, « truck » a aussi été adopté pour désigner … le camion qui, au Royaume-Uni, se dit « lorry ». Comprenne qui pourra… et surtout pas les journalistes de la télévision qui disent « bougie », ou quelque chose comme « boguie » avec un “g” dur : sans doute pensent-il au « boogie-woogie » parce qu’ils ont le « blues » ?

Le nom serait issu de « bogey » ou « buggy » désignant, aux États-Unis du XIXe siècle une légère voiture à cheval découverte à grandes roues, bien suspendue, et très rapide, et emportant deux personnes : on en voyait beaucoup dans l’ouest américain ou dans le sud, et elle aurait été créée par le carrossier français Boquet. Donc le bogie n’aurait effectué qu’un retour au pays natal en France, après être devenu ferroviaire aux Etats-Unis.

Dans son grand traité qui domine la réflexion technique des chemins de fer en France à la fin du XIXe siècle, « Voie, matériel roulant et exploitation technique des chemins de fer », éditions Dunod, Paris, paru en neuf tomes de 1867 à 1876, l’auteur Charles Couche, note : « L’ensemble des deux plates-formes, réunies par un timon ou une flèche dont la longueur varie selon celle des bois (chargés), représente donc  une sorte de wagon américain à 8 roues, le chargement et la flèche remplaçant la caisse et le châssis ».  C’est ainsi que l’on apprend que le bogie est d’origine américaine (ou est décrit comme tel) et, à l’époque de Couche, la réunion des deux bogies, ou trucks, permet des charges de 22 mètres en longueur.

La pérennisation du système se fait par une réunion des deux wagons sous une plateforme commune et permanente. Cela constitue l’étape suivante et donne à ces wagons le rôle joué par les bogies, le tout constituant donc le « wagon américain » de Couche. Cette disposition est ancienne, sur le chemin de fer, et elle est connue dès les débuts anglais et européens. Mais, en Europe, et pendant les premières décennies du chemin de fer, elle restera cantonnée au transport des marchandises dont elle est issue.

Ce que Charles Couche ne mentionne pas, ou ne sait pas, est que, pour la ligne de Lyon à Saint-Etienne, mise en service en 1833 et donc une des plus anciennes lignes françaises, son créateur, Marc Seguin, a prévu des voitures dont la longue caisse peut être posée sur des bogies ou sur trois essieux. Les plans existent toujours et nous les donnons ici. Mais il n’est pas certain que l’option bogies ait été réellement choisie à l’époque. Il en est de même pour le chemin de fer de Strasbourg à Bâle, présenté par l’auteur Auguste Perdonnet dans son « Traité élémentaire des chemins de fer » paru en 1855, et comme étant équipé de voitures à bogies d’après des plans de 1843.

Plans de voitures à bogies prévues pour la ligne de Lyon à St-Etienne. Ces plans sont publiés dans un ouvrage de Jules Petiet paru en 1843. Les essieux très rapprochés de la voiture à deux essieux (en haut à droite) s’expliquent par le faible diamètre des plaques tournantes des gares: une des rasions, aussi, du refus du bogie est la présence de nombreuses plaques tournantes dans les gares, et les remises à voitures, ou les gares de marchandises.
Voitures à bogies du chemin de fer de Strasbourg à Bâle, en 1843, d’après l’ouvrage de Perdonnet « Traité élémentaire des chemins de fer. Langlois et Leclercq, Paris 1855, Il n’est pas certain qu’elles aient réellement existé : beaucoup de projets et de plans c circulaient à l’époque et étaient publiés.

Les arguments en faveur de la voiture à trois essieux.

Issu directement du matériel roulant routier, le matériel ferroviaire est naturellement disposé sur deux essieux et quatre roues. Deux différences constitutives les séparent des véhicules routiers toutefois : d’abord les roues, contrairement au matériel routier, sont calées sur l’essieu et, ensuite, les essieux du matériel roulant ferroviaire restent parallèles, solidaires du châssis, et ne peuvent donc pivoter par rapport à lui.

Toutefois, dès 1840, un certain nombre de compagnies anglaises, comme le Great Western, et françaises, comme le Lyon – Méditerranée construisent des voitures à trois essieux. En Allemagne le même mouvement se dessine, en, pendant les années 1860, l’effectif des voitures à trois essieux est de 2.241 contre 1.098 pour les voitures à deux essieux, mais cette tendance ira en s’inversant, privilégiant la voiture à deux essieux.

La voiture prussienne à trois essieux a dominé le réseau allemand à la fin du XIXe siècle, puis s’est répandue dans toute l’Europe après 1919: elle a été, par excellence, la voiture des trains omnibus, ouvriers, régionaux et la SNCF elle-même en avait un parc assez important jusque durant les années 1960.

Les arguments en faveur de la voiture à trois essieux par rapport à celle à deux essieux sont de l’ordre de la stabilité et de la sécurité. Une voiture plus longue est moins soumise à des mouvements de lacet, mais allonger le châssis, donc augmenter la distance séparant les deux essieux, c’est donc augmenter d’autant le porte-à-faux central et la tendance à la flexion vers le bas du centre du châssis. La présence d’un essieu supplémentaire au centre du châssis soulage ce dernier de cette tendance.

Un autre argument existe : la crainte des bris de roues ou d’essieux, qui est encore très forte à une époque où l’on maîtrise mal les problèmes de la métallurgie. Une rupture d’essieu sur une voiture à 6 roues laisse encore à 4 roues le soin d’assurer la stabilité de la voiture, alors que sur une voiture à 4 roues, plus aucun espoir n’est permis.

C’est pourquoi, vers 1890, le matériel roulant voyageurs « haut de gamme » du PLM est à trois essieux, avec de superbes voitures à couloir latéral, toilettes, intercommunication, ceci dans les trois classes. Elles n’ont rien à envier aux voitures à bogies les plus perfectionnées de l’époque, si ce n’est une caisse un peu plus courte limitée à 5, 6 ou 7 compartiments selon les classes.

Or, pendant ce temps, le matériel voyageurs américain fête le quarantième anniversaire de sa pratique du bogie, puisqu’il est pratiquement totalement sur bogies, marchandises compris, ceci depuis les années 1840-1850. Pourquoi ce retard européen ? Et s’agit-il réellement d’un retard ou est-ce un choix délibéré ?

Train américain de type courant vers 1870: le matériel est entièrement sur bogies, tender compris. Les ingénieurs européens expliquent que le mauvais état ou la mauvaise pose des voies américaines impose le bogie ne fut-ce que pour éviter les déraillements.
Voiture américaine primitive: dès 1830, lors des débuts de l’aventure ferroviaire américaine, le bogie s’impose à l’ensemble du matériel roulant remorqué, marchandises et voyageurs, et aussi à l’avant sur les locomotives.
Un « dortoir-palace » (sic) américain des années 1860-1870: si la voiture-lits s’impose, et séduit un jeune voyageur belge Gorges Nagelmackers, elle est, comme toutes les voitures et wagons américains, sur bogies. Le dessinateur, ici, a exagéré la générosité des espaces intérieurs dans un but publicitaire très évident.
Publicité en faveur des ocmpagnies ayant des lignes à quatre voies, ce qui garantit les horaires en séparant les flux voyageurs et marchandises. Le bogie, en tous cas, domine la situation des uns et des autres.

Les préjugés contre le bogie.

Dans l’esprit des ingénieurs des réseaux européens des années 1850 à 1870, le bogie est totalement assimilé à la pratique américaine. On l’appelle d’ailleurs « train américain » ou « chariot américain ».

Il est à ce point assimilé au chemin de fer américain qu’il est synonyme d’une autre pratique américaine de l’époque : la voie de qualité médiocre, posée en hâte et à moindre coût. Dans un élan de libéralisme sauvage et de concurrence bien pensée, les compagnies américaines sont mises en compétition pour la construction des lignes, et plusieurs chantiers démarrent simultanément – quitte à ce que, de nuit, les ouvriers de l’un aillent détruire ou saboter l’autre ! Il s’agit, pour ces compagnies, d’arriver la première à l’autre bout de l’itinéraire mis sur le marché, et de toucher ainsi la prime généreusement versée dès l’arrivée du premier train en gare. Après, pour ce qui est de l’exploitation quotidienne et durable, on verra… Notons que, au XXe siècle, certains grands réseaux américains (Pennsylvania, New-York Central, etc) se distingueront par la qualité exceptionnelle de leurs voies posées avec des rails très lourds de 60 kg/m que l’Europe ignore encore.

Contrairement à l’Europe où l’on investit dans le durable et la qualité, la voie américaine est, pour un temps, celui des débuts, donc assez grossière, inégale, et les traverses, en bois à peine équarri, sont posées sur un maigre ballast quand ce n’est pas à même le sol nivelé au pic et à la pelle. Le bogie, seul, est capable de rouler sur une telle voie, à condition que les vitesses restent modérées. C’est pourquoi il prend, pour les ingénieurs européens, une forte connotation de pis aller, juste bon pour les voies du Nouveau monde, mais aussi générateur d’instabilité pour les véhicules, et relativement fragile.

La voie des pionniers, aux traverses taillées grossièrement à la hache, jetée à même le sol sans ballast élaboré et épais: certes, c’est le début des chemins de fer américains et la construction d’une grande nation, et, en attendant de tout reconstruire une génération ou deux après, le bogie seul accepte une telle voie.

Pas de bogie sur les locomotives !

Charles Couche décrit ce que l’on appelle les « machines américaines » en 1870 : elles sont « très ordinaires », et elles se caractérisent par le fait que l’essieu porteur avant a été remplacé par deux essieux. Il faut dire que, pour Couche et l’ensemble des ingénieurs de l’époque, la machine pour trains de voyageurs par excellence est du type 120 avec un essieu porteur avant, et deux essieux moteurs. La locomotive américaine est donc, par définition, une 120 passée au type 220 par substitution d’un bogie à l’unique essieu porteur avant.

Ainsi Couche, et les ingénieurs de l’époque, appelleront aussi « machine américaine » les locomotives européennes de type 220, et inutile de préciser que ces dernières héritent ipso facto des défauts de leurs cousines d’outre Atlantique :

« La machine américaine, écrit Couche, ne convient pas en général aux grandes vitesses, même sur une bonne voie, par suite de la faible charge de l’avant-train et de ses oscillations autour de la cheville ouvrière, oscillations dont les effets sont encore aggravés si la conicité des roues est très prononcée… » . À l’instabilité à grande vitesse s’ajoute, pour Couche, l’insuffisance de l’adhérence à petite vitesse. Ces défauts sont graves, dit Couche, mais sont rachetés par la simplicité générale de la conception d’ensemble de la vraie locomotive américaine circulant aux États-Unis.

En Angleterre, Couche note qu’il existe des « machines à train américain » pour les grandes vitesses : il s’agit des fameuses « single driver », ou machines à roues libres (un seul essieu moteur) et un bogie avant, plus un bissel arrière du London & North Eastern, donc des types 221 dessinées par Patrick Stirling et qui battent des records de vitesse à l’époque. Couche doute des qualités de stabilité de ces locomotives : « On aurait de la peine à se faire, en France, à l’idée d’une machine à grande vitesse, avec avant-train articulé ». 

Et quelques lignes plus loin, il conclut que le réseau de Londres à Douvres par Chatham a du quelque peu  renoncer à ses locomotives à bogie avant :  « Leur instabilité, trop bien prouvée par de nombreux déraillements, était telle qu’on a du y renoncer pour les trains rapides. »

Par exemple, le réseau du Nord construit, en 1870 ses fameuses locomotives « Outrance » qui remplaceront brillamment les Crampton en tête des trains rapides. Elles sont des 120, inspirées des locomotives du Great Northern anglais construites en 1867. En 1877, la série est modifiée avec remplacement de l’essieu porteur avant par un bogie, la faisant passer au type 220. Toutefois une dernière tranche de 12 locomotives, construite en 1884-85, est du type 120 : le bogie avant aurait-il déçu, ou fallait-il une locomotive moins lourde pour certaines lignes ? Mais en 1890-1892, ces locomotives sont, elles aussi, mises au type 220, et le Nord, désormais, ne construira plus que des locomotives de vitesse à bogie. Ces belles locomotives accomplissent un service brillant jusque durant les années 1930.

La célèbre locomotive de vitesse série 2800 type 120 du réseau du Nord, ici en état d’origine en 1877, avec son unique essieu porteur avant, conformément aux principes des ingénieurs de l’époque: pas de bogie, non merci.
Locomotive Nord type 120 passée au type 220 avec ajout d’un bogie avant.
Comme beaucoup de locomotives type 120 de l’époque, et selon les enseignements du terrain, le bogie avant s’impose et l’on passe ainsi au type 220. La locomotive gagne en stabilité, en douceur de roulement, en douceur d’inscription en courbe, et, avouons-le, en beauté. La machine 2800 Nord type 220 mérite alors son surnom d’ « Outrance », car on pouvait la pousser à outrance et rouler très vite.

Pas de bogie sous les voitures !

Les ingénieurs des réseaux européens sont tout aussi hostiles à la présence de bogies sous les voitures à voyageurs. Leur position repose sur trois arguments qui sont, il faut le dire, fondés.

Le premier est la qualité des voies européennes. Dans la mesure où les réseaux ont lourdement investi pour la construction de voies au tracé le plus favorable (courbes à grand rayon, raccordements paraboliques, etc.) et au profil le plus favorable aussi (déclivités faibles), et dans la mesure où le nivellement des voies, la qualité des rails et des traverses, et des infrastructures dans leur ensemble, et la plus haute, ils ne voient pas pourquoi il faudrait aussi générer des perfectionnements coûteux en matière de roulement, de suspension, d’inscription en courbe au niveau des voitures. Pour eux, les qualités de confort et de sécurité sont déjà réunies par la conjugaison des qualités des voies et des voitures.

Le deuxième est l’instabilité. Les ingénieurs craignent des phénomènes assez difficiles à cerner, à mesurer, et à combattre au niveau des mouvements parasites pouvant affecter les bogies. Ont-ils, avec des décennies d’avance, une prémonition de ce que les ingénieurs actuels appellent une « instabilité bogie », phénomène connu y compris pour le TGV ?

Le troisième est le poids. Deux bogies, sous une voiture, c’est une dizaine de tonnes en plus, et ceci à une époque où les voitures les plus lourdes n’en pèsent pas une quinzaine en totalité. Songer à une voiture sur bogies, c’est, pratiquement, admettre d’en doubler le poids.

Luxueuse voiture du réseau Etat tyoe grandes lignes des années 1890: le bogie est fermement refusé. Dans ce genre de voiture Marcel Proust écrira des pages superbes sur la musique et les rythmes forts des trains de nuit qu’il emprunte pour ses nombreux voyages.
Voiture type grandes lignes de 2e classe du réseau PLM vue à la Belle époque. Bogies, dites-vous ?
La planche des voitures des réseaux français lors de l’exposition de 1878: la voiture de voyageurs française est à deux essieux. Document Revue Générale des Chemins de fer.

La longue et lente conversion des réseaux français en faveur du bogie.

En 1910 encore, le PLM présente son tout nouveau matériel de banlieue, avec des voitures à portières latérales multiples permettant la montée et la descente rapide des voyageurs. Toutes les voitures ont des toilettes. Les voitures ont 6 compartiments et un lavabo en 1ère classe, et jusqu’à 8 compartiments en 3ᵉ classe. Mais elles sont sur 3 essieux : l’argument est le gain de poids. En se passant de bogies, le poids-mort par voyageur descend à seulement 163 kg. A titre de comparaison, une très performante VB-2N actuelle pèse de 41 à 42, 5 t selon les types, et offre jusqu’à 171 places : le poids mort est de 239 kg dans le meilleur cas de figure. Le PLM faisait infiniment mieux, en 1910, mais dans des conditions de confort et de sécurité (caisse en bois) très douteuses.

Trente ans plus tard, à la veille de la Première Guerre mondiale, les trains rapides français sont tous remorqués par des locomotives à bogie avant (types 220, 221, 230 et 231) et composés, en grande partie, par des voitures à bogies.Les autres réseaux français suivent le mouvement, comme l’Ouest avec ses 120 à cylindres intérieurs de 1888 (séries 621 à 635) transformées en 220 en 1900, ou encore le PO qui obtient ses premières 221 à partir de locomotives type 121 série 171-C à 326-C.

Parmi les premières voitures à bogies construites en série en France on remarque celles du réseau de l’Etat en 1899. La caisse est courte : c’est l’héritage de la voiture sur essieux indépendants.

En ce qui concerne les voitures, le mouvement est amorcé à partir des dernières années du 19ème siècle, à la suite des travaux d’une commission du Ministère des Travaux Publics qui s’est tenue en 1886 et qui préconise le bogie – entre autres perfectionnements concernant le freinage ou le confort. Les réseaux du PO, du PLM et de l’État mettent en service leurs voitures à bogies entre 1887 et 1890, mais elles sont peu nombreuses, ne formant qu’un total de 22 pour les trois réseaux. Le bogie reste, pour une vingtaine d’années, l’apanage des voitures des classes supérieures, les 3ème classe conservant leurs essieux (les trains offrant les 3 classes offrant un mélange des deux types de voitures) : il faut croire que le confort de roulement était tout autre malgré tout… Mais, il est vrai, les voitures à bogies sont très lourdes et les ingénieurs des années 1870 avaient vu juste sur ce point : il faudra attendre jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale pour que les réseaux disposent de locomotives assez puissantes permettant la généralisation des voitures à bogies.

L’excellent bogie Nord en acier moulé, de 1931: il est salué par la presse ferroviaire mondiale.
Le bogie Y-16, dit « Pennsylvania » par ses origines, sera, pour les grandes compagnies des années 1930 et la SNCF des années 1940 à à1970, le bogie national par excellence. L’ensemble des fonctions essentielles de la voiture sont reportées sur le bogie (sécurité, freinage, stabilité, production d’électricité, confort, etc.), d’où sa grande complexité.

Toutefois, à la création de la SNCF, les voitures à bogies ne représentent que le 1/3 du parc voyageurs et le matériel voyageurs à deux ou à trois essieux est majoritaire, et représente plus des 2/3 du parc national, avec exactement 20.752 voitures à essieux indépendants, contre 9.924 voitures à bogies, d’après l’ouvrage « Encyclopédie des voitures SNCF » d’Alain Rambaud et Jean-Marc Dupuy (Ed. La Vie du Rail, 1990).

En 1953, à la suite d’autres régions (Ouest, Sud-Ouest) qui ont modernisé d’anciennes voitures à deux essieux, la région Sud-Est de la SNCF modernise les voitures à trois essieux d’origine PLM et ces voitures, qui rouleront jusqu’à la fin des années 1970, sont la dernière expression de la voiture à voyageurs à essieux indépendants sur le réseau français.

Voiture à essieux indépenfants « modernisée » par la SNCF en 1948: à l’époque on n’avait guère d’autre choix.
Les très nombreuses voitures de banlieue PLM, datant de 1910-1911, rouleront longtemps, très longtemps. Ce sont elles que la SNCF transformera en « trois pattes » métallisées Sud-est en conservant leur redoutable, inconfortable mais excellent châssis. Voir les illustrations ci-dessous.
Voiture à trois essieux type PLM « métallisée » par la SNCF en 1953: ce sont les dernières voitures françaises sur essieux. Elles sont surnommées « trois pattes » et leur inconfort reste inimitable.
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Une « trois pattes » SNCF de 1953, en version mixte-fourgon. De longues rames de ces voitures circulaient sur la banlieue Sud-Est jusque dans les années 1970 et leur souvenir est encore cuisant…
Les fameuses voitures Corail de 1975, qui feront revenir toute la France vers le train, doivent leurs qualités de roulement, leur confort, leur sécurité, à un bogie révolutionnaire, le Y32A, chef d’œuvre d’innovation technique et d’audace, puisque sans pivot, la rotation étant guidée par les ressorts de suspension.

4 réflexions sur « Le bogie ? Non merci : trop lourd, trop cher. »

  1. Bonjour à tous,
    Excellent documentaire pour le départ historique des bogies en Europe et en France.
    C’est un sujet qui est souvent délaissé tout comme le pantographe, et c’est un bel handicap qu’il faut compenser pour faire en modélisme un modèle qui présente une cohérence avec la réalité.
    Cdt André

  2. Les bogies étaient sans doute difficilement compatibles avec les plaques tournantes, longtemps présentes dans les gares pour les manoeuvrer les voitures individuellement. A moins que les bogies d’alors aient la capacité de pivoter à 90°…

    1. Cher Monsieur, merci pour votre message. Je peux vous envoyer une photo d’un wagon couvert à bogies « viré » sur une plaque tournante, d’abord avec un bogie (tourné à 90° comme vous le dites), puis l’autre bogie … incroyable, mais vrai, donc anglais…. Bien à vous.

      1. Bonjour Clive et merci encore pour la proposition.
        Oui je suis preneur des clichés sur tous les modèles de bogies et sous tous les angles.
        J’ai beaucoup de mal à me documenter convenablement sur les évolutions des variantes par type de bogies.
        Je suis passionné en modélisme et je désire mettre mes élément à jour correctement
        Nice to meet you

Commentaires fermés

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