La caténaire: puisque ces choses nous dépassent…

Nous voilà, en gare de Chamonix, de retour dans un ancien monde dont les règles et les peurs sont rappelées sur le tableau destiné au naïfs, aux ignorants, bref, au public. Et pourtant nous pensons que l’avenir de la traction électrique se jouera par un relour à l’alimentation par le sol, avec un conducteur central isolé posé sur les traverses et agissant par induction, et, bien sûr, hors des gares et des sites ferroviaires denses . Tout reste à imaginer.

Avec les incidents de caténaire qui nous rappellent que « ces choses nous dépassent » (et pas seulement en hauteur au-dessus des rails), revoilà l’ancien et endémique problème du contact entre le fil électrique et la motrice électrique, véritable talon d’Achille qui vient, de temps à autre, créer un hiatus agaçant et aléatoire au cœur du magnifique système électrique qui fait avancer les trains par un miracle toujours renouvelé : cette mystérieuse aptitude qu’a le courant électrique d’accepter le contact glissant et de pouvoir « sauter » au vol entre la terre ferme et le train lancé à toute vitesse. Un principe simple, certes, mais une mise en œuvre qui réserve bien des difficultés pour les ingénieurs.

Puisque ces choses nous dépassent, feignons de les organiser…

« Une possibilité unique dans la nature, celle de transmettre l’énergie par simple tact, quelle que soit la vitesse relative des corps le frotteur, a déjà une forme utilisable depuis un siècle aujourd’hui. Mais, plus encore que le frotteur sur rail, la prise aérienne permet de faire passer des courants de plusieurs milliers d’ampères, à travers un contact glissant de quelques millimètres carrés. et à faible pression de quelques kilogrammes, valeurs étonnantes révélées depuis… également un siècle » «Puisque ces choses nous dépassent, feignons de les organiser» (Jean Cocteau).

Ces très belles lignes, écrites par le regretté Yves Machefert-Tassin en 1980, dans le tome I son incontournable bible qu’est son « Histoire de la traction électrique » écrit avec Fernard Nouvion et Jean Woimant (Editions la Vie du Rail, tome 1 : 1980, tome 2 : 1986) restent vraies quarante années plus tard, avec un record à 574,8 km/h à la clé. Le contact glissant n’a pas fini de faire parler de lui.

La traction électrique sans perche, frotteur, ou toutes ces choses qui gênent.

Il est peu connu, aujourd’hui, que la locomotive électrique a commencé sous une forme comparable à celle de l’automobile électrique de l’époque ou actuelle : le véhicule autonome, ou essayant de l’être.  Rien n’a changé, depuis un siècle, sous le soleil de l’automobile électrique : condamnée à l’autonomie limitée, faute de caténaire et de rails, « l’automobile de l’avenir » en est toujours à courir de prise en prise, ou de borne en borne pour se recharger. On en est, actuellement, à une demi-heure de perdue tous les 250 km, pour des recharges rapides, ou 8 à 10 heures à la suite pour une recharge lente chez soi avec une prise 200 volts ! Les ingénieurs de l’automobile, en 2020, en sont toujours à essayer de contourner ce problème pour la « future » voiture électrique, à défaut de le résoudre… Une petite promenade dans les années 1890 nous fera revivre, en « direct-live » comme il faut dire maintenant, une problématique qui existait déjà et que les lois de la physique se refusent à changer en notre faveur aujourd’hui.

Taxi électrique Jeantaud, vu vers 1900. A l’époque, le fragile et capricieux moteur à explosion est fort loin d’avoir triomphé et beaucoup d’ingénieurs pensent que, très évidemment, l’automobile sera électrique. Reste le problème (déjà?) de l’autonomie…
Automobile électrique Krieger à la Belle époque. En 1902, Louis Antoine Kriéger (1868-1951) a produit une soixantaine de ces voitures qui circulent et ne posent pas de problème autre que la recharge et, donc, l’autonomie – tant que l’on reste sagement à portée d’une prise électrique. C’est le talon d’Achille, et, peu de temps après, la cause est entendue en faveur du moteur à « essence de pétrole » que la Première Guerre mondiale consacrera avec le camion militaire.
Publicité Krieger à la Belle époque: tout compte fait, l’automobile électrique urbaine s’aujourd’hui se positionne dans le même « créneau » et avec les mêmes arguments ! Mais oublions l’autonomie et l’introuvable et incertaine borne de chargement.
Même les pompiers de la Belle époque, si ce n’est pas encore le cas de la nôtre, adoptent la voiture électrique. Mais il faut croire qu’ils n’ont pas pu arriver jusqu’à certains incendies, faute d’autonomie ou de puissance des batteries, car cette solution n’a existe que ce que durent les roses.
« Un qui y croit ferme » est bien le créateur de la « Jamais contente »: l’ingénieur Camille Jenatzy, le « jamais déçu » qui a le courage et l’audace de rouler à une vitesse incroyable de 100 km/h, vidant ses batteries intégralement d’ailleurs. Le démonstration est éclatante, mais inutile: l’autonomie, vous dis-je…

D’abord apparue sous la forme d’un véhicule autonome, utilisant l’énergie de batteries d’accumulateurs, la locomotive électrique du XIXe siècle se comporte comme l’automobile « Jamais contente » de Jenatzy qui, en 1899, atteint 105 km/h grâce aux 50 kW et aux 250 ampères sous 200 volts de ses batteries. Mais l’aventure de la traction électrique est déjà beaucoup plus ancienne pour le chemin de fer, car, dès 1834, soit un bon demi-siècle plus tôt, la locomotive électrique a été essayée par le forgeron américain Davenport sous la forme d’une maquette, tandis qu’au Royaume-Uni, l’écossais Robert Davidson fait rouler à 6 km/h,  en 1842, une vraie locomotive électrique lourde à voie normale, pesant 5 tonnes, mue par des piles qui sont très vite à bout de souffle. Beaucoup d’autres essais seront entrepris aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, et, pour la France, en 1898, une locomotive d’essais du PLM atteint la vitesse de 100 km/h en remorquant 54 tonnes, sans compter le fourgon à bogies transportant les deux batteries de 96 éléments pesant en tout 45,8 tonnes !

La version ferroviaire de la « Jamais contente », sinon des « Tesla » actuelles, toutefois avec quelques années d’avance, est celle locomotive électrique du PLM qui roule à la même vitesse de 100 km/h, mais en déplaçant 54 tonnes, dont 45 de batteries dans le fourgon qui suit. La traction vapeur a encore de longues décennies de tranquillité devant elle.

Les ingénieurs de cette fin de XIXe siècle découvrent rapidement que la traction électrique à batteries n’a aucun avenir du fait du poids et de l’encombrement des batteries et de leur faible rendement, du manque total d’autonomie satisfaisante, et seuls quelques lignes secondaires allemandes seront parcourues par des automotrices électriques à accumulateurs et le sont encore aujourd’hui. Mais la batterie d’accumulateurs tient bon sur le terrain de la communication et il semble que, aujourd’hui, il soit nécessaire de refaire cette « découverte » que la seule solution est bien de produire le courant dans des installations fixes au sol et de le transporter jusqu’à la locomotive. C’est pourquoi, dès le début du XXe siècle, le contact glissant fait son entrée durable (à tous les sens du mot) dans le monde ferroviaire.

Ne nous y trompons pas: la SNCF a (quand même) fait un effort en ce qui concerne les véhicules électriques, et ceci dès 1942 pour cause de guerre et de pénurie de pétrole, pour ses véhicules dits de ‘factage ». On notera que le fameux numéro de téléphone LAB-92-00 a déjà conquis le « tout Paris » et restera une valeur sure, si on est très patient, pour tout type de renseignement.
N’oublions pas que le seul véhicule routier électrique, puissant, durable, intelligent, et qui a fait ses preuves c’est lui: le trolleybus. Très répandu en France avant 1939, l’espèce, faute d’être protégée, a disparu. Paris, et toutes les villes françaises qui avaient un réseau ont sacrifié leurs trolleybus sur l’autel de l’automobile, créatrice de bonheur et de liberté, promis, juré. Toutes ? Non, quelques villes ont résisté et avec une rare intelligence, et avec des véhicules récents, puissants, efficaces : Lyon, surtout, mais aussi Limoges, et St-Etienne.

Le contact glissant : d’abord sur les maquettes de laboratoire du XIXe siècle.

Yves Machefert-Tassin nous le rappelle : ce qu’il appelle l’ « alimentation externe » se fait, initialement, par les rails de roulement, notamment avec la maquette de Davenport présentée en 1838 au Palais de Justice de Troy (Etats-Unis) : l’engin circule bien sur des rails, captant son courant par des frotteurs agissant sur ces rails qui sont eux-mêmes alimentés par.. une pile ! Si on a découvert le contact glissant, on ne sort pas du problème de l’autonomie limitée, mais il faut préciser qu’en 1838, les prises de courant à domicile devaient être rares…

L’idée d’une captation du courant par conducteur séparé ou par rail spécialisé est donc ancienne, et elle est attestée par de nombreux brevets déposés à cette époque, notamment ceux de Pinkus (1840), de Lilley, et de Colton, collaborateur de Farmer, en 1847. Ces techniques, toutefois, note Yves Machefert-Tassin, sont encore inapplicables autrement que sur modèle réduit de démonstration. Avant d’arriver aux réalisations à plus grande échelle et d’ordre un peu plus pratique, il faut encore mentionner bien d’autres tentatives infructueuses de divers inventeurs: Moncel et Géraldy en 1851, le modèle de locomotive de Roux, qui fonctionna à l’exposition de Paris en 1855, et les brevets du major Piémontais Bessolo et de Swear, qui prévoient de 1845 à 1850, les possibilités d’amener le courant par des conducteurs isolés du sol, soutenus d’une manière « analogue aux fils télégraphiques », et qui pourraient être suspendus aux mêmes poteaux : déjà apparait l’idée de la ligne aérienne latérale à la voie que nous retrouverons sur les records allemands à 210,4 km/h en 1903 (voir un article précédent sur ce site-web).

Yves Machefert-Tassin signale aussi un brevet français pris en 1844 par Dezelu, consistant en un chemin de fer électromagnétique mu par attraction ou répulsion exercées par des aimants installés dans la voie. Perdu parmi une profusion de brevets pour chemins de fer atmosphériques ou pneumatiques, ce brevet précurseur, digne des tous futurs « trains d’avant-garde » de notre XXIe siècle, passe inaperçu, alors que, pour l’avenir, il est de plus en plus question de la voie, enfin promue élément fondamental de la traction, et comportant une succession d’aimants entrainant, l’un après l’autre, le train !


« Notons encore, écrit Yves Machefert-Tassin, parmi les essais de ces précurseurs, et issues des principes abandonnant l’autonomie du point de vue de la source électrique, les expériences de Bellet et de Rouvre vers 1860-1865, à Versailles, suivant une idée également émise par Marcel Desprez. Concevant une locomotive d’encombrement réduit pour un service souterrain strictement postal, voire de colis, ces réalisateurs démontrent, sur modèle, la facilité de captage de courants « intenses », par simple frottement sur deux fils nus posés entre les rails. On ne croyait jusque-là, et même après, qu’ à la possibilité d’établir un contact « instantanément »fixe, c’est-à-dire en rotation, donc faisant appel à des organes de roulement, de préférence ceux du véhicule, ou au besoin à des rouleaux ou des galets.


Ce même concept erroné se retrouvera fort longtemps sur des organes de captage de toutes catégories dont le « trolley », alors que la navette glissante, le frotteur ou le pantographe à semelle, n’auront droit de cité qu’après bien des contestations et des années…

À la fin de ce XIXe siècle fertile en innovations, on est donc bien parvenu au stade de l’alimentation extérieure, et l’alimentation autonome par batteries semble avoir perdu définitivement la partie dans le monde ferroviaire, si ce n’est le cas pour quelques lignes de tramway parisiennes ayant fonctionné avec des batteries.

Perdue parmi les motrices à gaz, à vapeur, à air comprimé, la motrice à accumulateurs apparaît dans les années 1880, mais sera éliminée pour les mêmes raisons que ses concurrentes: l’autonomie. Le tramway classique sera à alimentation permanente par fil aérien, ou ne sera pas.
Le tramway à alimentation permanente par fil aérien de Siemens a montré la voie (c’est le cas de le dire, malgré des problèmes d’oxydation des rails perturbant le retour du courant) dès 1879 à Paris, sur une courte ligne de démonstration étable place de la Concorde. Un deuxième fil aérien sera nécessaire : le roulement se montre, déjà, l’ennemi de la captation.
En 1900, le système à plots Diatto essaye de faire disparaître le fil aérien, et préfigure l’alimentation par le sol (APS) actuel qui triomphe à Bordeaux; par exemple. Activés et mis sous tension au passage du tramway, les plots devaient automatiquement se désactiver après le passage, ce qui n’était pas toujours le cas et quelques chevaux ou piétons y ont laissé leur bonne santé. Essayé sur la Côte d’Azur, les plots offraient, de nuit, un spectacle pyrotechnique qui permettait d’annnoncer, à distance, l’arrivée du tramway.

Mais les problèmes de captation se profilent à l’horizon et, par exemple, en 1881, le magnifique tramway installé par Siemens sur la place de la Concorde à Paris, lors de l’Exposition d’électricité, fait ses démonstrations sur 500 m de voie, en prenant son courant de traction par un fil aérien latéral, avec retour du courant par les rails. Ces derniers, rapidement, en viennent à assurer très mal le retour du courant, sans doute par oxydation ou détérioration de leur surface, et Siemens est obligé, pour continuer la démonstration, à installer un deuxième fil aérien pour le retour du courant – donc à procéder à une séparation complète des deux fonctions : le roulement et le circuit électrique. Les vicissitudes commencent… et, puisque la fée électricité s’impose aux chemins de fer, la solution par troisième rail conducteur est prête à démontrer ses avantages et à triompher sur les réseaux de métro du monde entier.

Les essais de 1910 d’un PLM qui n’y croit guère.

Le PLM, suivi du Midi qui a une foi beaucoup plus ardente, est l’un des premiers réseaux français, historiquement, à s’intéresser à la traction électrique, mais pour des raisons d’environnement et pour éviter d’enfumer les résidences bourgeoises et princières de la Côte d’Azur, que par réelle conviction en faveur de la locomotive électrique… Le PLM reste un réseau très « vaporiste » au point de ne jamais électrifier sa grande ligne Paris-Lyon-Marseille et laissera ce travail d’envergure à la SNCF des années 1950.

Deux ingénieurs du PLM, Auvert et Ferrand, sont autorisés à faire des essais et ils songent à l’utilisation du courant monophasé. Ils étudient la solution d’un groupe convertisseur tournant fournissant du courant redressé pseudo-continu à tension variable aux moteurs de traction d’une locomotive type 2B+B2 alimentée en 12 kV 25 Hz, et essayée entre Cannes et Mouans-Sartoux, sur la ligne de Grasse en 1910. La locomotive peut fournir 1200 kW pour un poids de 116 tonnes, ce qui reste modeste, et ne place pas la traction électrique en position favorable, à l’époque, par rapport aux locomotives à vapeur. Le PLM, précurseur pourtant, jette le gant et en reste là, pour le moment en matière de traction électrique, avant de rouvrir le dossier dans les années 1920 pour la ligne de la Maurienne.

La très importante ligne de la Maurienne, reliant la France à l’Italie, est d’une exploitation difficile en traction vapeur, et, au début des années 1920, le PLM envisage son électrification par 3ème rail latéral et courant continu 1500 v. Le réseau fait construire des locomotives prototypes pour procéder à des essais comparatifs, vu le manque de passé de ce mode de traction en France. Quatre locomotives sont commandées, dont deux sont du type 2BB2 à caisse unique, une du type 2BB2 à deux caisses et transmission par bielles, et une dernière du type 1AB+BA1 pour trains de marchandises. Ces locomotives doivent surpasser les locomotives à vapeur pour rentabiliser rapidement les frais de l’électrification de la ligne et leur propre prix d’achat.

Le PLM ne retint toutefois pas ces locomotives pour la construction en série, car les performances étaient modestes, et la compagnie songeait à une locomotive capable, aussi, de remorquer des trains lourds rapides de 700 t à 90 km/h sur la Côte d’Azur: les performances des 2BB2 auraient été insuffisantes. Seules, de remarquables locomotives type 2CC2, numérotées 262 AE 1 à 4 feront mieux que la vapeur, dès leur mise en service en 1929.

Une curiosité de l’époque, la 242-CE-1 PLM type 2B1+1B2 du PLM qui, pour faire encore plus compliqué, avait une transmission à bielles avec un « point fixe mobile » qui a fait que cette locomotive n’a pas, vraiment, pu rouler honorablement et fut abandonnée.
Belle ambiance 3e rail au sol encombré et sans caténaire, avec cette 161-DE-2 type 1CC1 double, d’une série de 10 machines engagée en 1927. Une moitié de l »une d’elles survécut à un bombardement et fut récupérée pour faire une carrière discrète au service des manœuvres, sous la forme d’une unique 1C à la SNCF.
La ligne de la Maurienne, du temps du 3e rail. On y verra même circuler, dans les années 1960 à 1970, d’honorables locomotives SNCF comme des CC-7100 ou des CC-6500, munies d’un frotteur et offrant le curieux spectacle d’une circulation en ligne en tête de trains très lourds…. avec des pantographes baissés !
Le 3e rail a, quand même, un ennemi climato-non sceptique : le verglas..;
La pose du 3e rail, sur le très étendu réseau banlieue ouest de l’Etat, en 1910. Les planches en bois épais assurent la sécurité, et même la sureté.

La situation en 1925 : troisième rail ou caténaire ?

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale la question n’est pas encore tranchée : troisième rail ou caténaire ? Le troisième rail qui excelle sur les réseaux urbains et de banlieue n’a pas encore dit son dernier mot, et e fil de contact aérien, sur ses supports en style Art Nouveau, apparaît toujours comme une chose futile, urbaine, gracieuse, fragile, et assez imprévisible aux yeux des ingénieurs des chemins de fer qui préfèrent des qualités … plus sûres sur le plan des techniques.

Les Britanniques, qui ne reculent devant rien et ne font jamais rien, non plus, comme les autres, misent massivement sur le 3e rail dès le début du XXe siècle, mais, plutôt sous la forme leur curieuse voie à quatre rails, puisque la tension de 600 v en continu est répartie en deux fois 300 v (pour être dans les normes d’alors) avec un rail + et un autre rail – et retour commun par les rails de roulement qui sont neutres. Mais les premières électrifications du réseau londonien ont aussi utilisé plusieurs systèmes avec diverses  tensions en continu totalisant 300, 600, voire 1200v. Nous sommes sur le Metropolitan Rly, un des réseaux de la grande banlieue de Londres (à ne pas confondre avec le « Tube » équivalent de notre métro).
Là, au moins, il n’y pas de caténaire ni de complications, mais, au niveau du sol, la complexité est certaine avec le système à quatre files de rails. Toutefois, et à grandes gerbes d’étincelles parfois, le système fonctionne, et persiste toujours aujourd’hui dans le « Tube » londonien.

La Revue Générale des Chemins de Fer de novembre 1923 écrit : « Une des raisons qui font encore hésiter les ingénieurs, pour la prise de courant électrique entre le troisième rail et la ligne caténaire, est l’incertitude qui règne sur l’intensité dit courant qu’on peut capter avec le pantographe sur une ligne caténaire. Le troisième rail, à cause de sa forte section, n’a rien à craindre d’une grande intensité et le frotteur a une surface suffisamment grande et porte suffisamment bien sur le rail pour qu’on n’ait pas à redouter d’arcs exceptionnellement forts amenant la fusion des pièces. Il en va tout autrement avec la ligne caténaire, il faut éviter que l’intensité du courant ne devienne trop élevée pour le fil de ligne et, d’autre part, faire en sorte que l’archet ou les archets du pantographe n’entrent pas en fusion sous l’action des arcs qui se produisent à chaque défaut de contact entre l’archet et le fil de ligne. »

Dans les années 1920, le réseau du Midi, en France, évite, lui aussi, la caténaire bien qu’il soit un grand pionnier de la traction électrique, et s’essaie au 3e rail aérien. Lourd et surtout coûteux, le système a été abandonné. Notons qu’une autre tentative avait été utilisée, avec beaucoup plus de succès, pour la liaison Austerlitz-Orsay du réseau PO en 1900, et qui fonctionne toujours aujourd’hui.
Le réseau du Baltimore & Ohio américain a pratiqué le 3e ail aérien dès 1895 avec ses fameuses « boîte à sel » doubles. Il s’agissait de franchir le tunnel du East Pratt street pour pénétrer dans New-York. Cette solution a inspiré le PO pour sa jonction Austerlitz-Orsay.

Effectivement, pour la traction des trains lourds en ligne, il faut, selon la RGCF de l’époque, sous une tension de 1500 volts, il faut une intensité théorique de 1333 ampères pour développer les 2000 kW que la plupart des locomotives de l’époque peuvent couramment fournir, et une intensité de 2.000 ampères est nécessaire pour 3000 kW. La RGCF estime, et elle a raison, que les efforts pourront atteindre 4000 ou même 5000 kw dans les années à venir, mais ce ne serait pas rentable d’être obligé de changer les lignes de contact au fur et à mesure que les efforts de traction croissent.

À l’époque, aux Etats-Unis, pays pionnier en matière de traction électrique, on sait qu’une roue de trolley ordinaire utilisée sur les nombreux tramways lourds du type « interurban » assurant un service dense entre les grandes villes rapprochées peut prendre un courant de 800 ampères. Sur le Chicago Milwaukee & St-Paul, l’intensité du courant pris sur la ligne varie de 800 à 1200 ampères, et le réseau procède, dans les premières années 1920, à des essais menés par la General Electric avec des intensités de 3000 à 4000 ampères.

Le tramway « interurban » est bien la première application, aussi populaire que répandue, de la traction électrique avec alimentation par fil aérien. Rapides, confortables, formant en unité multiple à des vitesses comparables à celles des grands trains, ces motrices efficace qui fait découvrir la traction électrique à la première nation du monde.

Le problème majeur se dévoile rapidement : comment trouver un mode de suspension assez souple du fil de contact évitant tout décollement de l’archet ? Les décollements des arcs entre l’archet et le fil de contact, et c’est leur fréquence qui amène l’usure rapide de ces organes. Les essais ont lieu sur une voie longue de 6850 m, équipée de rails pesant 50 g/m. Le fil de contact est placé à 6,71 m au-dessus du plan de roulement. La caténaire comprend un fil porteur en acier et un fil de contact en cuivre double. Les supports sont espacés de 91,5 m. Divers systèmes de suspension de la caténaire ainsi que des diamètres différents pour le fil sont placés bout à bout, formant autant de zones d’essai. Les pantographes sont du type classique du réseau du Chicago Milwaukee, avec un archet appliqué par air comprimé. Les articulations des pantographes sont doublés avec des rubans en cuivre pour assurer un meilleur passage du courant. L’archet est, lui, fait de deux rubans de cuivre bordant une « rigole » (d’après le terme de la RGCF) remplie de graisse. La pression de l’archet sur la caténaire est « réglée entre 13,5 et 16 kg ».

Un train lourd du Chicago & Milwaukee en 1910. Ce réseau est un des pionniers de la traction électrique aux Etats-Unis.

Le train d’essai se compose d’une locomotive pesant 110 tonnes dotée de quatre moteurs « gearless » bipolaires. C’est très rustique, et, somme toute, très américain… Cinq séries d’essais sont effectués à 850 volts :  à 90 km/h avec 4000 ampères par un seul pantographe, à 48 km/h puis à 96 km/h avec 5000 ampères et 2 pantographes, et enfin à 5400 ampères à 93 km/h et un pantographe. La RGCF conclut : « Les résultats de ces essais ont été pleinement satisfaisants, et, en particulier, les observateurs chargés de surveiller le fil de ligne n’ont pas constaté la formation de petits arcs dont nous avons montré plus haut l’influence néfaste. Le fil de contact se soulève mollement d’environ 75 mm et donne l’impression d’être animé d’un mouvement ondulatoire. On n’a pas perçu de différence entre les voltages (terme d’époque) de 850 et 1500 ».

Les problèmes du couple (pantographe-caténaire) perdurent.

La RGCF de janvier 1949 revient sur le problème de la captation du courant, sous la signature de messieurs Raoult et Cheminade, de la très connue Division des Études de la Traction Électrique (DETE) qui écrivent, d’emblée : « Contrairement à ce qu’on pourrait être tenté de croire, la captation du courant des caténaires pour alimenter les locomotives électriques, très simple dans son principe, pose, surtout avec le courant continu 1 500 volts et aux grandes vitesses, des problèmes délicats dont une solution satisfaisante n’a pu être mise au point qu’après des études et des expériences minutieuses qu’expose sommairement la note ci-après ».

La remorque d’un train lourd par une locomotive électrique de 4000 ch (mesures d’époque) à courant continu 1500 volts impose le passage, par un contact glissant, d’un courant à haute intensité, de l’ordre de 3000 ampères lors des pointes. Les ingénieurs de l’époque du « 1500 » doivent utiliser des fils conducteurs de section importante et des appareils de captation à surface de contact et de poids appréciable, donc d’inertie non négligeable. La captation est réputée bonne, pour la RGCF, si aucune étincelle ne se produit par suite du décollement et le soulèvement de la caténaire, sous l’effet de la pression d’application du pantographe, reste dans des limites telles qu’aucun accrochage avec les points fixes de la suspension ne risque de se produire. Ces deux conditions sont difficilement compatibles et l’expérience a conduit à un moyen terme en estimant à 15 kg environ la valeur optimum de la pression d’un pantographe sur les fils de contact.

La caténaire 1500 v dite « polyédrale » (type unifié SNCF) est bien connue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec ses fils d’une section de 107 mm2, et ses portées de 63 m entre deux supports successifs. Elle comprend un fil porteur principal dit « en forme de chaînette », un porteur auxiliaire horizontal, et deux fils de contact posés par tronçons de 1200 m entre deux équipements tendeurs à vis ou à contrepoids qui maintiennent, automatiquement, une tension constante pour des variations de température se situant entre les limites de 2,5 et 22,5 degrés centigrades. Des pendules coulissants relient, à la verticale, le fil porteur en chaînette et le fil porteur auxiliaire, permettant un déplacement relatif des deux fils porteurs (8 à 10 cm) et établissant des connexions électriques. Les étriers supportant les fils de contact reposent librement sur le porteur auxiliaire et permettent un soulèvement des fils de contact qui est de l’ordre de 10 à 15 cm. En alignement, la caténaire présente, par rapport à la voie, un désaxement (dit, depuis « zig-zag ») pouvant aller jusqu’à 15 cm de part et d’autre de l’axe, ce désaxement atteignant son maximum sur 5 à 6 portées de 63 m : ce « zigzag », on le sait, évite le frottement en un point de la semelle du pantographe et le répartit sur l’ensemble de cette semelle en assurant un mouvement de balayage quand la locomotive roule. Des antibalançants assurent le maintien dans le plan horizontal, et des bras de rappel dans les courbes ou dans les zones à vents forts viennent compléter ce maintien.

La lourde, bien lourde, et complexe caténaire 1500 v sur la région sud-est SNCF des années 1950. Avec la 2D2 9100 et les voitures OCEM, le matériel roulant ne fait pas, non plus, dans la légereté.

Les pantographes, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sont tous à cadre articulé, équilibré par des ressorts dits « de montée » donnant, à l’état statique, une pression verticale sensiblement constante à toutes les hauteurs normales de caténaires comprises entre 4, 435 m et 6, 50 m. Le matériel moteur est munie de deux pantographes et, selon l’importance du courant à capter, on en en utilise un ou deux. La limite de marche avec un seul pantographe et de 1500 ampères. La captation par deux pantographes double les contacts, et réduit ainsi les intensités en ces points de contact, notent les auteurs de la RGCF, et, en outre, « au cas où l’un des pantographes décolle, l’autre maintient les moteurs en charge, et évite les graves inconvénients d’une rupture complète suivie d’une brusque remise en charge quand le pantographe recolle ». Les mécanismes de commande de descente des pantographes, ainsi que les verrouillages, sont très variables suivant les constructeurs, mais n’interviennent plus dès que le pantographe est levé.

La partie essentielle pour la captation est la « tête» du pantographe supportant les deux semelles de contact qui sont solidaires d’un balancier dont l’axe est perpendiculaire à celui de la voie. Ce balancier répartit la pression entre les deux semelles prenant appui contre le fil de contact. Ces deux semelles semblables sont solidaires d’un balancier dont l’axe horizontal est perpendiculaire à celui de la voie; elles sont ainsi également pressées contre les fils de contact. Cette pression s’exerce par l’intermédiaire de jeux de ressorts à boudin d’une flexibilité totale de 20 mm environ.

Mais les essais entrepris en 1946 vont conduire à modifier ces dispositifs en portant la flexibilité à 75 mm pour permettre aux semelles du pantographe de mieux suivre les inégalités de la caténaire. En outre, on va abandonner les semelles planes, en tôle d’acier plié.

Les essais de 1946 permettent de cerner les problèmes.

Le problème capital de la captation, dès que l’on atteint la vitesse de 100 à 120 km/h, réside à l’époque dans l’augmentation souvent considérable de l’effort vertical ascendant appliqué au pantographe, du fait de l’action du vent et des « remous de carénage » (terme d’époque) de la machine. Les auteurs de l’article ont constaté que cet effort peut devenir si élevé qu’avec certaines locomotives carénées le mécanisme de descente est insuffisant pour maintenir le pantographe avant abaissé.

Pour créer un effort antagoniste descendant, des « écrans » ont été disposés sur les membrures supérieures du pantographe. Mais, en raison de la réversibilité des machines électriques, ces écrans jouent à l’encontre du but recherché pour le pantographe arrière : « Fort heureusement, l’effet du « remous de carénage » est beaucoup plus faible sur ce pantographe arrière que sur l’autre, de telle sorte que les écrans ont pour effet de ramener les pressions sur les deux pantographes à une valeur comprise entre celles qu’on obtiendrait sur chacun d’eux s’il n’y avait pas d’écran; cette valeur est de 18 kg à 120 km/h. Elle est déjà un peu trop élevée et le serait davantage, au point de devenir inadmissible, avec des vitesses plus grandes ».

Les ingénieurs observent aussi en marche des phénomènes secondaires de déversement des semelles, dus au frottement mécanique et aux perturbations des veines d’air sur la face supérieure des semelles. Mais lorsque la vitesse atteint 140 à 160 km/h, de nouvelles sujétions apparaissent : la pression verticale s’accroît et le seul effet des écrans est insuffisant,  mais aussi le pantographe a tendance à décoller au passage des bras de rappel des caténaires créant des points durs. L’inertie du pantographe l’empêche de suivre les inévitables variations de hauteur des fils de contact : « Ces variations sont dues aux fils eux-mêmes (notamment sous l’effet de la température qui tend à modifier la flèche du porteur principal) et, quoique dans une mesure moindre, aux légères inégalités de la voie ». Le passage sous les ponts surbaissés exige l’établissement de la caténaire avec des changements de pente très progressifs.

La SNCF entreprend, dès 1946, des essais en vue de la résolution de ces problèmes. Ces essais sont effectués à 160 km/h sur les trajets Orléans-Etampes ou Orléans-Tours, et permettent d’effectuer des mesures comme le soulèvement des fils de contact et du porteur auxiliaire, au milieu de portée et au droit d’un poteau, soit au moyen d’appareils à transmission mécanique, soit par prise de vue cinématographique au passage du train, en filmant une mire graduée disposée derrière la caténaire.

On mesure aussi, à l’aide d’un dynamomètre, la pression verticale du pantographe, et, par dispositif potentiométrique, on mesure le mouvement vertical du bâti articulé du pantographe d’une part, et des semelles par rapport au bâti d’autre part. On enregistre la tension et du courant capté au moyen d’un oscillographe cathodique.

Les premiers essais effectués à 160 km/h avec des semelles planes en tôle pliée montrent alors que la pression sur la caténaire atteint 25 à 30 kg, et donc que le soulèvement devenait très dangereux. La captation était caractérisée par des décollements peu nombreux, mais produisant des arcs violents. La marche avec les deux pantographes levés ne l’améliorait pas, au contraire, et ne faisait qu’amplifier les perturbations, car le deuxième frottait sur un fil déjà agité par le premier pantographe.

Les locomotives des années 1940, comme les 2D2 5300 du sud-ouest, restent, pour un temps encore, fidèles au châssis rigide avec quatre essieux parallèles et bogies directeurs extrêmes, disposition héritée du temps de la vapeur, donnant des machines lourdes, difficiles pour les voies, mais puissantes et fiables.
La région sud-est, ancienne PLM qui enfin accepte l’électrification, est placée, elle aussi sous le signe de la 2D2 puissante et lourde, atteignant le poids de 144 tonnes et développant 3687 kW. Construites à 35 exemplaires seulement, ces 2D2 9100 incarnent le renouveau et le redémarrage avec une SNCF qui, depuis sa création, n’avait pas eu la possibilité de créer le nouveau chemin de fer dont la France avait besoin.
Les CC 7001 et 7002, puis 7100 à 7158, sont, enfin, le signe du changement dans la conception des locomotives, et elles développent 3246 ou 3490 kW, roulant à 140 km/h en tête de trains de voyageurs rapides et lourds, très significatifs du trafic des premières années 1950. Les essais de 1955, à 331 km/h, consacreront la CC-7107, et ka caténaire a tenu le coup !

Les améliorations dictées par les essais de 1946 : le carbone arrive.

À la suite de ces essais, les améliorations portent sur les caténaires et les pantographes.

Pour ce qui est des caténaires, une moitié de la section d’essai d’Orléans à Etampes voit son fil de contact de 107 mm2 (surface de sa section) remplacé par du fil de 150 mm2. « A l’avantage d’une plus grande conductibilité (équivalente à 490 mm2 de cuivre au lieu de 400), l’augmentation du poids de ce fil réduit le soulèvement dans de fortes proportions. La diminution de résistance ohmique conduit à un échauffement réduit, avantage précieux, en particulier lorsque, par suite de l’ouverture de sectionneurs, le courant n’arrive plus que par un seul point au lieu de deux sur la section occupée de la caténaire, car un échauffement anormal de celle-ci risque, par l’allongement qui en résulte, de créer une flèche supplémentaire inadmissible. »

Les pantographes, eux aussi, reçoivent des améliorations. Pour soustraire la semelle de pantographe à la composante ascendante due aux remous de carénage, on remplace la plaque plane portant les bandes d’usure par un châssis avec des semelles tubulaires constituées par deux tubes d’acier de 32 mm de diamètre extérieur et de 0,8 mm d’épaisseur, disposés à 108 mm d’axe en axe, se terminant en cornes comme les anciennes semelles et donnant la même longueur.

La nouvelle semelle tubulaire se compose de trois éléments : la partie centrale, qui est rectiligne, et les deux cornes d’extrémité qui s’y raccordent. Les tubes de la partie centrale sont aplatis à la forme pour permettre la fixation de la bande d’usure, en acier à ressort, qui est brasée par induction haute fréquence. Deux courtes bandes de frottement supplémentaires sont fixées dans l’intervalle de 108-32 mm, sur 28 cm de longueur, pour permettre le balayage du désaxement de la caténaire en alignement droit. Leur support forme l’entretoise des tubes de la partie centrale rectiligne, et permet de mettre, comme sur les semelles planes, une réserve de graisse graphitée pour le graissage de la caténaire pendant la marche.

Les auteurs de l’article tiennent à apporter cette précision : « Le système de brasure par induction des bandes d’usure a l’avantage de donner un contact parfait avec les tubes et d’éviter la constitution de points à température excessive qui pourraient exister dans le cas inverse. Ce procédé ne peut s’appliquer avec des bandes en cuivre, mais peut vraisemblablement l’être avec certains bronzes et même avec des bandes de carbone dont l’embase est métallisée. Il est à noter que, pour réaliser l’égalité des pressions du pantographe arrière et du pantographe avant, compte tenu des particularités déjà signalées, on a mis sur celui à semelles tubulaires de légers écrans de 5 dm2 seulement, sans lesquels le pantographe arrière n’aurait guère conservé, même à 160 km/h, que les 12 kg de pression statique réglés à l’arrêt et qui, à cette vitesse, auraient été insuffisants pour une bonne captation ».

Toutefois, les auteurs de l’article notent que « La question des bandes d’usure, qui a fait l’objet d’études répétées pendant des années, n’a encore pas reçu une solution définitive ». En ce qui concerne la caténaire, les cuivres durs ou bronze cadmium employés dès l’origine ont donné satisfaction, au point que des fils de contact en service depuis 20 ans sur des lignes à fort trafic n’ont encore pas eu besoin d’être remplacés. Pour les bandes de frottement, on a éliminé les métaux de faible dureté, comme le cuivre seul ou les alliages d’aluminium qui, sans graissage, produisent des grippages et des arrachements de métal, aussi bien sur le fil de travail que sur eux-mêmes. Le cuivre avec insertion d bandes graphite et les bronzes poreux fortement imprégnés d’huile n’ont pas été retenus. Le graissage efficace en ligne étant difficile à réaliser, il fallait ne retenir que des matériaux très durs et polis, comme l’acier à ressort ou des corps autolubrifiants comme le carbone. La conclusion, sur ce point, est que « aucun matériau ne donne pour l’instant satisfaction ».

« Aucun matériau ne donne pour l’instant satisfaction »

Cette conclusion, en bas de la page 41 du numéro de janvier 1949 de la RGCF, montre l’importance du problème de la captation au niveau des semelles des pantographes.

« L’acier dur, qui a une résistance au contact acceptable, fournit, lors des décollements occasionnant des arcs, des lèvres tranchantes dangereuses pour la caténaire. Le carbone, sur lequel les arcs en question sont sans action nocive, présente par contre une résistance au contact telle que l’énergie joule localisée en un point à l’arrêt pour le chauffage d’un train, l’hiver, arrive à fondre et à sectionner le fil de contact. L’intensité correspondante est susceptible d’atteindre 600 ampères et, pour cette valeur, la résistance au contact pour un pantographe peut être de l’ordre de 2/100.000 ohms avec le cuivre, 20/100.000 ohms avec l’acier, et 400/100.000 ohms avec le carbone. (Ces valeurs sont en ordre de grandeur et sont fonction de la largeur du plat du fil de travail).

On constate que l’énergie à dissiper en chaleur au contact est environ, dans le cas considéré, de 7,5 watts, avec des bandes d’usure en cuivre, de 75 watts avec des bandes en acier, et de 1500 W avec des bandes en carbone. Ceci a conduit la Région Ouest à équiper ses pantographes de bandes carbone l’été, où le chauffage des trains, n’a pas lieu, et de bandes acier l’hiver. La région Sud-ouest, au contraire, équipe les siens de deux bandes en acier au centre de la semelle et deux bandes en cuivre sur les bords. De la sorte, on a l’avantage de l’usure faible due au poli et à la dureté de l’acier et on évite les lèvres tranchantes produites par les arcs de décollement quand ceux-ci agissent sur les bandes de cuivre. L’idéal serait de trouver des bandes de carbone donnant une résistance au contact plus faible. Des essais faits dans ce but ont montré que certains « graphites imprégnés de cuivre » donnent des résistances au contact deux fois plus faibles que le carbone. »

La Direction des Etudes de Traction Electrique (DETE) a une tête flexible.

Une solution, la « Tête flexible de la DETE » est présentée dans le numéro de janvier 1949 de la RGCF. La comparaison entre la semelle tubulaire et la semelle plane a bien mis en évidence que la question de la pression sur la caténaire est résolue mais elle ne l’est pas en ce qui concerne la captation et les décollements. Une tête flexible a alors été conçue et essayée dans le but de supprimer ce défaut. La tête flexible porte deux semelles tubulaires. A chaque extrémité de l’axe de la tête du pantographe est fixé un balancier. De chaque côté de ce balancier sont articulées deux biellettes formant un parallélogramme déformable à plan parallèle à l’axe de la machine, et rappelé vers le haut par ressort hélicoïdal travaillant à la torsion. Les articulations sont elles-mêmes à système de torsion par montage sur « Oscillit », ce qui permet en particulier de ne nécessiter aucun graissage. Le prolongement du côté vertical du parallélogramme parallèle à celui des articulations sur le balancier supporte une extrémité de partie droite de semelle.

En position stabilisée, le système présente un écrasement de 40 mm, donnant donc 40 mm. de possibilité de détente sur élévation du fil de contact et laissant une marge de 35 à 40 mm d’écrasement supplémentaire dans le cas inverse. La marge totale d’élasticité propre est donc de 75 à 80 mm. Toutes les pièces peuvent être exécutées en alliage léger moulé sous pression ou en tôle découpée et ne demandent qu’un usinage très réduit.

Deux pantographes modifiés selon ces principes sont en service depuis le mois de juin 1948 sur la 2D2 540 et ont effectué environ 60 000 km sans incident. Plusieurs essais à 160 km/h ont eu lieu entre Orléans et Tours (ligne équipée avec fils de 107 mm2). Des enregistrements ont été exécutés avec des potentiomètres montés sur le bâti et les semelles des pantographes conjointement avec les relevés oscillographiques de tension et d’intensité. A quelques kilomètres de distance et sur les essais d’un même train on a d’une part, une absence totale de décollements et un enregistrement presque rectiligne des potentiomètres de semelles entre deux supports successifs, et, d’autre part, des décollements assez nombreux avec certaines coupures complètes de courant sur un pantographe pendant plusieurs dixièmes de seconde, accompagnés, entre deux supports successifs, de dénivellations verticales de plus de 20 cm sur le bâti et de 6 à 7 cm sur les semelles.

Ces constatations défavorables, qui ne concernent que certains points de la ligne, ne peuvent correspondre, comme il a été dit, qu’à un réglage défectueux en ces points de la caténaire.

La « Tête flexible » jouant de 6 à 7 cm entre supports, le comportement du pantographe sur les portions de la caténaire incriminée est nettement plus mauvais avec la tête normale à 2 cm d’élasticité seulement.

La « Tête souple » de la DETE (Document SNCF).

La situation à la veille des grandes électrifications en monophasé à fréquence industrielle.

Toujours est-il qu’en 1949, la RGCF peut écrire que le pantographe à tête flexible de la DETE et à semelles tubulaires donne, avec la caténaire renforcée à deux fils de 150 mm2, d’excellents résultats. Ce type de caténaire est celui qui est, alors, adopté sur Paris-Lyon et « semble devoir l’être, d’une façon générale, sur les artères importantes parcourues par des circulations à très grande vitesse ».

Le prix ne diffère de celui de la caténaire à fils de 107 mm2 que par le prix des 80 mm2 supplémentaires de la section de cuivre, l’alourdissement de l’ensemble étant pratiquement sans effet sur le prix des supports. Les 80 mm2 dont il s’agit viennent d’ailleurs en déduction des feeders dès que le projet d’électrification comporte une section équivalente de cuivre supérieure à 400 mm2 par voie, ce qui est souvent le cas pour les lignes importantes visées ici

Le même pantographe peut fournir des performances analogues sous la caténaire normale à deux fils de contact de 107 mm2, mais à la condition que celle-ci soit « dans un état d’entretien très soigné », surtout en ce qui concerne la tension mécanique des fils de contact.


Si les caténaires se portent bien, dans les années 1940-1950, les pantographes, eux, souffrent et demandent des renforcements mécaniques tels qu’ils finissent par ressembler à des échafaudages : ici le fameux type F1 de l’ancien réseau du PO, très présent à la SNCF car équipant les 2D2 du Sud-Ouest.

Les auteurs de ce passionnant article concluent que « le problème de la captation à grande vitesse sera grandement simplifié avec la traction en courant monophasé 50 périodes (mesures d’époque) sous 20.000 volts, en raison de la valeur réduite des courants captés (maximum 200 A). Le matériel utilisé pourra être beaucoup plus léger, et la légèreté de la caténaire elle-même, jointe à la faible valeur du courant, conduira à des pressions utiles sensiblement plus faibles dans de bonnes conditions de captation. L’expérience de la traction à 16, 2/3 périodes par seconde permet de dire que la pression statique satisfaisante sera de l’ordre de 4 kg. On limitera encore ainsi les usures, d’autant plus qu’on pourra équiper les pantographes de bandes carbone hiver comme été, la diminution d’intensité de chauffage de 600 à 50 ampères environ supprimant le danger de fusion du fil de contact pendant les périodes d’arrêt ».

C’est ainsi que la présence du courant monophasé à fréquence industrielle a résolu, entre beaucoup d’autres problèmes, le très ancien problème posé par le contact glissant et les fortes intensités, permettant alors un bond en avant dans le domaine des puissances et la pratique des très grandes vitesses actuelles. Mais les incidents, notamment dus aux des caténaires par intempéries, avec des TGV bloqués des heures durant en rase campagne, ne manquent pas de rappeler, discrètement mais avec insistance, que la caténaire n’est qu’un pis aller et que certains réseaux, notamment urbains ou de grande banlieue et même sur de longues distances (pensons au réseau du sud de Londres), pratiquant l’alimentation par troisième rail ou par le sol, connaissent, même par mauvais temps, des jours tranquilles et heureux, paraît-il..


En savoir plus sur Train Consultant Clive Lamming

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading