L’aérodynamisme : seulement pour la beauté ?

Locomotive dite « Coupe-vent » ou « Compound à bec » du PLM, surnommée « Petite C », série C-21 à C-60, mise en tête des trains rapides devant, entre autres exploits, affronter le Mistral dans la vallée du Rhône. Nous sommes en 1894, L’ingénieur Baudry parvient à leur faire déplacer des trains de 200 t à plus de 100 km/h, et même à 137,5 km/h en pointe. La « cabine en proue » ne quittera plus les locomotives du PLM et de la SNCF.

La question de l’aérodynamisme, qui passionne aujourd’hui tant les amateurs de chemins de fer, est apparue d’une manière relativement tardive dans l’histoire de la création du matériel roulant : ce n’est que vers la fin du XIXe siècle, après avoir accumulé presque un siècle de pratique, que les ingénieurs commencent à se préoccuper de la question de la résistance à la marche des trains provoquée par la pénétration dans l’air. Les vitesses n’ont cessé de croître, passant, pour les « express », d’une cinquantaine de km/h en pointe à presque une centaine à la Belle époque, et les vents contraires s’y ajoutant et absorbant une majeure partie de la puissance disponible, notamment dans la vallée du Rhône, la pénétration dans l’air devient un problème majeur.

Mais est-ce cela la seule raison de cette préoccupation qui passe subitement sur le devant de la scène, et des préoccupations qui envahissent les planches à dessin des bureaux d’études ? Ce n’est pas certain, car voici aussi venu le temps du rendement sur investissements, de l’action commerciale et de l’engagement du chemin de fer dans une lutte sans merci contre la concurrence aérienne. Roulant de plus en plus vite, certainement, le train des années 1910 sort aussi de son monopole sur les transports terrestres, trouvant en face de lui l’automobile et l’avion.

Il faut dire qu’en un siècle, les vitesses ont considérablement augmenté pour approcher la centaine de kilomètres à l’heure en service courant, et la question de la réponse à la demande de vitesse comme celle de l’économie d’énergie de traction se posent désormais en termes beaucoup plus pressants dans les bureaux d’études des grandes compagnies. La Revue Générale des Chemins de Fer (RGCF) traite de ce problème à partir de 1924, sans doute parce que l’aérodynamisme, poussée dans le dos par la concurrence aérienne et routière, a enfin trouvé sa problématique, son expression mathématique, et a revêtu toute sa forme scientifique.

La « Coupe-Vent » du PLM, locomotive façonnée par le Mistral.

La question se manifestera, sur le terrain, par une succession continuelle d’apparitions éphémères de carénages ou de déflecteurs, ceci vers la fin du XIXe siècle, avec des locomotives munies d’étraves du plus pur style nautique. Le souvenir le plus marquant de cette époque est légué par le réseau du PLM avec ses fameuses « Coupe-vent » qui doivent affronter, dans la vallée du Rhône, des vents très forts et constants, dont le redoutable Mistral qui est capable de ralentir les trains des années 1900 jusqu’à l’arrêt, malgré un régulateur grand ouvert et une pleine puissance de 1140 ch indiquée et développée, mais en vain…

C’est certainement là que se pose, en France et pour la première fois avec force, le problème de l’aérodynamisme, mais, notons-le, pas par l’effet de l’augmentation de la vitesse : il s’agit bien d’une lutte contre le vent qui, même aux vitesses les plus modérées, vient créer une résistance considérable. Pour les ingénieurs du PLM qui vivent ce problème, il ne s’agit pas de gagner de la vitesse, mais simplement de maintenir une vitesse de 80 km/h en faisant face à un Mistral capable de réduire à néant l’effort de traction.

La « Grosse C », série C-61 à C-180, deviendra, dès 1898, une des machines les plus emblématiques au monde par sa beauté et surtout ses performances, roulant plus de 120 km.h en pointe en tête de trains pesant plus de 230 t comme le légendaire « Côte d’Azur Rapide ». Elles assurent un service brillant jusqu’en 1936. Ici la C-115 présentée à la Cité du Train à Mulhouse.
Le PLM conservera un certain goût pour les figures de proue avec les portes de boîte à fumée en paraboloïde qui vaudront à ces belles locomotives type 241-A et 241-C le surnom de « Cigare » dans les années 1920.

Le PLM n’est pas le seul à pratiquer la conception en Coupe-vent de ses locomotives : le réseau bavarois de l’époque reprend à son compte la mêle forme, avec une porte de boîte à fumée conique et des pans avant de cabine en étrave. Le réseau de l’État en fera autant avec ses 220 de vitesse dessinées par l’ingénieur Ricour et réussit à économiser jusqu’à 13 % en charbon à performances égales.

La 220 partiellement carénée de l’ingénieur Ricour du réseau de l’État, série 2751 à 2754, donc tirée à quatre exemplaires, marche sur les brisées, du moins esthétiques, des fameuses « Coupe-Vent » du PLM, mais furent nettement moins brillantes bien que les vents circulant sur la ligne de Paris à Bordeaux soient plus doux.
Autre forme de « Coupe-Vent » PLM: la locomotive électrique à batteries. Le PLM s’intéresse (mais « pas trop » comme on dirait aujourd’hui) à ce mode de traction et, en 1897, cette locomotive roule à 100 km/h, malgré quelque 48 tonnes de batteries supplémentaires à tirer, occupant le fourgon qui suit. Mais le problème du poids des batteries, toujours pas résolu aujourd’hui pour l’automobile, condamna ce mode de traction certes autonome, mais à la faible autonomie.

Mais, sauf pour le PLM, qui est en conflit durable pour longtemps avec le redoutable Mistral, ce sont là des essais à la fois sporadiques et éphémères.  Une fois un vent indomptable quelque peu tenu en respect grâce à la puissance des Pacific et des Mountain, le PLM ne conservera de cette période que ses fameuses cabines à pans avant en étrave, abandonnant les portes de boîte à fumée carénées et habillages tôlés du corps cylindrique ou des organes de roulement. La tradition de la cabine en étrave sera conservée par la SNCF sur ses locomotives 141P et 241P et restera un trait marquant de l’école française de la locomotive à vapeur. Mais les autres réseaux entourant le PLM, eux, conserveront la cabine classique à face avant plate. Sans doute la conservation, par la SNCF, de la cabine en étrave sur ses nouvelles machines s’explique par la forte influence d’ingénieurs issus du PLM à la Division des Études des Locomotives de la SNCF.

A+BV+CV², pour ceux qui ont une « calculette » et savent s’en servir.

Ce que l’on sait, en lisant la RGCF des débuts des années 1920, est que les mesures de résistance à l’avancement des trains, effectués durant les années qui ont précédé la Première Guerre mondiale, ont permis d’établir la formule : A+BV+CV², dans laquelle V² représente la résistance de l’air proprement dite, tandis que la résistance mécanique est représentée par la somme des deux premiers termes de la formule. C’est bien ce que nous apprenons en lisant l’article de Charles Maurain, professeur à la Faculté des sciences de Paris, qui signe un important article occupant les pages 228 à 246 de la RGCF d’août 1924.

De son côté, Hippolyte Parodi, l’ingénieur bien connu qui a mis en place l’électrification du réseau du PO à la même époque, a publié une série d’articles reprenant la même formule, intitulée « La résistance des trains » dans la revue « La lumière électrique » en août et septembre 1916. Le thème est donc sérieusement à l’ordre du jour depuis les années de la Première Guerre mondiale.

Toujours est-il que cela donne, pour une vitesse de 100 km/h, plus du tiers de la résistance totale du train, et, à 120 km/h, environ la moitié. L’Office National des Recherches scientifiques et techniques, à l’époque, décide de subventionner des recherches sur ce thème, et fait construire des maquettes précises, à l’échelle du 1/20, de matériel roulant du réseau de l’État pour faire des essais en soufflerie : locomotive à tender séparé de type Pacific, voitures grandes lignes, fourgons à deux essieux. Par ailleurs, l’Institut Aérotechnique, qui a une longue expérience en matière de conception d’avions, fait construire un « train fictif » composé de pièces en bois poli permettant, par leur juxtaposition, de créer des trains ayant des formes différentes avec un avant arrondi ou non, un arrière « fuselé » (terme d’époque) ou non, et en ayant la possibilité de les poser en ménageant des césures entre les pièces pour mettre en évidence le rôle joué par les espaces séparant les voitures du train. Les travaux de Maurain démontrent qu’un convoi fictif monobloc idéal, de même longueur et au même gabarit qu’un train classique composé de véhicules séparés par des césures, procurerait une économie de résistance de 72 %.

Mais Maurain arrive à démontrer que l’application de principes d’aérodynamisme à un train réel, composé de dix voitures et roulant à 120 km/h pourrait permettre de réduire de la moitié la puissance de 400 ch nécessaire pour le déplacer, soit une économie correspondant à 200 ch en termes de puissance. Bien entendu, il est précisé que ceci ne se ferait que sous réserve que les formes aérodynamiques optimales soient compatibles avec l’état des techniques ferroviaires. Ce sera loin d’être le cas, les locomotives à vapeur vivant très mal, comme nous le verrons, le fait d’être prisonnières d’une carapace de métal qui les enveloppe, et les hommes des ateliers n’appréciant guère le nécessaire démontage de ces carapaces pour la moindre intervention ou opération d’entretien.

Les autorails reposent le problème, et le résolvent avec élégance et sens du « design ».

Nous sommes en 1932, et la RGCF, dans son numéro de juillet, inscrit de nouveau l’aérodynamisme à l’ordre du jour, mais sous un angle complètement autre, celui des autorails, avec un important article de 14 pages, signé par l’ingénieur Leboucher, ingénieur en chef des Services techniques du Matériel et de la Traction du réseau du Midi. La réalité technique et scientifique a changé et l’on parle, maintenant de « CX », de recherche de formes. L’autorail, pour sa part, a complètement changé la donne ferroviaire en matière de vitesse et d’économies en énergie de traction, et permet d’assurer des transports à longue distance et à des vitesses élevées au moyen de véhicules légers et économiques. Les faibles puissances engagées, d’une part, et les grandes vitesses atteintes, d’autre part, font reposer en priorité la question des performances sur la résolution du problème de la pénétration dans l’air.

Nous apprenons, dans l’introduction de cet article, ceci :

 « Et pourtant la littérature des chemins de fer est presque muette en ce qui concerne la forme à donner à l’avant des locomotives. C’est que le problème est tout autre. Dans un train de 500 tonnes comprenant une dizaine de voitures, la résistance de pénétration dans l’air de la locomotive est, à 120 km à l’heure, d’environ 75 kg par mètre carré de maître couple, soit 600 kg pour 8 mètres carrés, ce qui fait 1,200 kg par tonne. À cette résistance s’ajoutent les frottements sur les parois du train, les résistances causées par les interstices entre voitures et enfin le roulement qui arrivent à quadrupler ou quintupler le chiffre précédent. On obtient donc une résistance de 6 à 8 kg par tonne et le profilage de la locomotive ne permettrait de gagner sur la résistance de rencontre que 0,500 kg environ. Le gain total relatif serait donc faible. » Ajoutons que ces chiffres ont été établis lors des essais entrepris entre Marienfelde et Zossen, en 1903, avec des vitesses qui ont atteint 210 km/h en traction électrique (essais comparatifs d’automotrices AEG et Siemens (voir notre article déjà paru sur ce sujet dans ce site-web).

Voilà donc le problème de l’aérodynamisme des trains lourds réduit à sa véritable importance, c’est-à-dire, marginale, devant les puissances et des poids mis en jeu. Toutefois, les années 1935 à 1940 verront bien, surtout au Royaume-Uni et aux USA, la circulation de trains carénés, mais dont la vocation sera plus, à travers un « design » très poussé esthétiquement, de créer une image de marque faite de dynamisme et de modernité pour les réseaux de chemins de fer concernés.

Les autorails, pour ce qui est de l’aérodynamisme, vont créer leur propre doctrine qui n’est pas celle des trains lourds.

Revenons à l’article de juillet 1932 de la RGCF. Nous ne sommes plus du tout dans le domaine des trains lourds, mais bien de celui des autorails : « Pour un autorail de forme rectangulaire circulant isolément, la résistance de pénétration est encore, à 120 km/h, de 600 kg pour un maître couple de 8 mètres carrés, mais comme le poids du véhicule est d’environ 12 tonnes et que les autres résistances sont faibles, la résistance à l’avancement est au total d’environ 60 kg par tonne, dont 50 kg pour la résistance de rencontre. On peut donc avoir un gain relatif considérable, si on peut diminuer cette résistance de rencontre par l’adoption de formes spécialement étudiées, aussi bien pour l’avant que pour l’arrière. »

Le problème est donc posé dans d’autres termes et la compagnie du Midi, pionnière du petit autorail circulant seul sur des lignes secondaires, procède à des essais dans le « tunnel aérodynamique » de Issy-les-Moulineaux en novembre 1931. Plusieurs maquettes en bois sont essayées (voir l’illustration ci-après) et offrent des formes de moindre résistance, en étrave de navire, ou arrondies, mesurant 90 cm en longueur et correspondant à un autorail réel de 13,85 m. Les CX se situent entre des valeurs de 0,154 à 0,345 et les résistances mesurées sur la balance se situent entre 0,273 kg et 0,612 kg.

Essais Midi de différentes formes d’autorails, d’après un document « Traction Nouvelle » (et non RGCF) de 1931.

Dans le cas le plus favorable (caisse représentée en bas de l’illustration) les résultats montrent, par le calcul, qu’un autorail réel aurait, à 101 km/h, une résistance de 42 kg, soit seulement 5,2 kg par mètre carré, au maître couple – ce qui reste à comparer avec les 75 kg par mètre carré du train de 500 tonnes roulant à 120 km/h donnés plus haut. La conclusion de l’article est qu’il faut parvenir à faire des autorails dont la caisse est en forme de fuselage d’avion, avec un avant arrondi et un arrière « fuselé » (nous dirions aujourd’hui en forme d’œuf), mais cette disposition, essayée cependant sur un prototype Michelin, type 17 de 1934, interdit l’autorail bidirectionnel à deux cabines de conduite.

Micheline type 17: la redécouverte des vertus aérodynamiques de la forme en œuf sont probantes, mais refusées par le cahier des charges des autorails qui demandent, pour d’évidentes raisons économiques, d’être totalement bidirectionnels pour leur rentabilité sur les petites lignes d’embranchement, souvent en cul-de-sac. Le type 17 restera unique.
Les célèbres autorails Bugatti pousseront la recherche aérodynamique (et esthétique ?) aussi loin qu’il sied à un grand constructeur d’automobiles de luxe dont les immenses capots fascinent les foules. La forme très réussie des autorails Bugatti inspirera nettement, et sans que ce soit avoué, les « designers » anglais du réseau LNER et les fameuses locomotives Gresley, voir ci-dessous.
Gresley ou Bugatti ? Cette forme parfaite permettra à la locomotive « Mallard » de cette série des A4 du LNER de battre le record mondial de la traction vapeur à 202 km/h en 1938.
Pour rester chez nos amis britanniques et déjà « brexiteurs » avant l’heure, le particularisme se manifeste toujours dans les choix esthétiques pour bien se démarquer lors des compétitions entre compagnies rivales et concurrentes. Ici, le LMS quitte son rouge sang traditionnel pour un bleu à bandes blanches vite oublié et un carénage qui n’a rien apporté aux performances des locomotives « Duchess ».
L’Allemagne du Deuxième Reich choisir de caréner ses trains pour affermir l’image du régime: ici les locomotives à vapeur ressemblent aux électriques pour « faire moderne » et les électriques ressemblent aux vapeur pour montrer qu’elles aussi sont dans une tradition de la beauté considérée comme fille de la puissance. Wagner mettra le tout en musique… mais les trains de l’Allemagne sont, à l’époque, parmi les meilleurs du monde.
Ce que personne n’a remarqué: les rames automotrices allemandes des TEE des années 1950 ont conservé, nostalgie oblige, le même style, le même « design » que celui des trains carénés allemands des années 1930.

L’aérodynamisme pour lutter contre les rabattements de fumée.

Toutefois, dans les années 1930, les ingénieurs chargés des études de locomotives à vapeur n’ont pas abandonné le domaine de l’aérodynamisme, car ils ont besoin de ce terrain d’expériences pour lutter contre un autre fléau, celui des abondantes fumées noires qui entourent les locomotives, se rabattant sur toute la longueur du corps cylindrique et enveloppant la cabine au point d’empêcher les équipes de conduite de voir quoi que ce soit, signaux compris.

L’institut de Saint-Cyr apporte son concours à la plupart des recherches françaises sur les différents aspects de l’aérodynamique des chemins de fer. Le problème des fumées fait l’objet, à partir de 1928, d’essais sur des modèles réduits à l’échelle 1/10 d’une locomotive type Pacific du Paris-Orléans. Les essais en soufflerie comprennent des mesures de traînées, des mesures de vitesses par tubes de Pitot, des visualisations par émission de fumée et de brins de laine destinées à matérialiser les écoulements, avec des enregistrements cinématographiques. Ces expériences sont menées dans le cas d’un vent debout et dans celui d’un vent oblique. Ce travail met en œuvre tout un ensemble de procédés de recherches auquel les ingénieurs ont continué à avoir recours pour les études du TGV, d’après Marcel Bernard, dans la RGCF de février 1971.

Premières études du problème de la fumée avec les « déviateurs » Huet équipant, entre autres, les locomotives du PO comme cette Pacific 4500 en 1932. Résultat non garanti… et démontage assez rapide.

 
La question des rabattements de fumée est au tout premier plan, en ce qui concerne la recherche ferroviaire, durant la décennie des années 1930 qui voit les locomotives à vapeur du monde entier être dotées d’écrans pare-fumée, quand elles ne sont pas carénées entièrement ou partiellement. Le réseau de l’Est étudie les fameux déviateurs Huet qui se montrent très efficaces pour empêcher les rabattements de fumées.

Le train aérodynamique du PLM, crée en 1935, utilise une série d’anciennes locomotives « Atlantic » datant du début du siècle, mais carénées d’une manière très étudiée, et des voitures OCEM courantes, mais carénées, et ce train peut illustrer, d’une manière caractéristique, la réussite dans cette recherche. La locomotive est entièrement recouverte par des tôles arrondies, et des écrans latéraux plus des plans inclinés à l’arrière de la cheminée créent un courant d’air ascendant qui lève les fumées et les fait passer loin au-dessus de la cabine de conduite. Le carénage du tender prolonge celui de la locomotive, tandis que les voitures ont des jupes de bas de caisse carénées avec des portes de visite au droit de chaque roue, des soufflets en caoutchouc assurant la continuité entre les véhicules. Même l’extrémité arrière de la rame est aérodynamique. Le résultat est, à vitesse égale, un gain de 25 % sur la puissance par rapport à une rame ordinaire. Le conditionnement d’air indispensable au maintien des baies fermées est la condition nécessaire pour éviter les remous nuisibles et s’imposera, à l’avenir, pour tous les trains rapides.

Le (lourd) travail de carénage sur les bien connues 221 du train caréné PLM (voir l’article sur ce site-web) restera contraignant pour l’entretien dans les ateliers, le travail par les trappes de visite étant très ingrat, dangereux et lent.
Carénage des locomotives 230 Etat N°571 à 618 en 1937. Des trains de 200 t ont été remorqués à 140 km/h entre Paris et Le Havre. On notera que le carénage des voitures « Saucisson » Etat est parfaitement en accord avec celui de la locomotive, ce qui n’était pas le cas pour l’ensemble du matériel moteur mus devant ces voitures très réussies.
Carénage sur une Pacific État, 1938. Très proche du carénage de la Pacific 3.1280 Nord du voyage des souverains britanniques en France.
Essai (non reconduit) de carénage sur la Pacific PO 231-726 en 1937. Ligne un peu rondouillarde et lourde…


De même, le réseau de l’État en 1935 entreprend à l’institut de Saint-Cyr des essais sur une maquette de locomotive Pacific en collaboration avec la Société « l’Aérodynamique Industrielle ». Ces essais débouchent sur le lancement de trains réels, sur le réseau de l’État, avec une locomotive type 230 et des rames aérodynamiques formées de voitures dites « saucissons » dont le galbe de forme ovale est exactement celui de la cabine de conduite et du tender de la 230. L’immobilisation des glaces et la suppression des aérateurs grâce à une climatisation par air pulsé, des jupes de bas de caisse se rejoignant pour fermer la caisse par le dessous, la suppression des césures entre caisses par des soufflets, le profilage de l’arrière du fourgon de queue forment un train parfaitement « lisse », et économe en effort de traction. La descendance de ce type de matériel remorqué se fera avec les voitures DEV étudiées par la SNCF au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et qui est caréné, tout en ayant des faces latérales planes. On retrouvera ces voitures lors des essais à 331 km/h en 1955.

Carénage partiel de l’arrière de la dernière voiture DEV du train d’essais de 1955. Les espaces d’intercaisse des voitures du train reçoivent des « jupes » de raccordement en tissu caoutchouté.
Pays des extrêmes, sinon des excès, les USA n’hésitent pas à faire de l’aérodynamisme poussé jusque dans les limites du pur « design » esthétique, comme ici avec les fameuses 52 locomotives type TI du Pennsylvania RR dessinées par Raymond Loewy, produites à partir de 1942, et qui ont aussi battu des records (non homologués pour rattraper des retards) en roulant souvent à plus de 226 km/h pendant toute leur carrière.
Le « Burlington Route » américain donne exactement le même aérodynamisme à ses trains à vapeur ou à ses rames automotrices diesel des années 1930 à 1950. Continuité dans le « glamour streamlining » oblige…

Marcel Bernard et l’« aérodynamique » à 300 km/h.

Une vingtaine d’années plus tard, la RGCF revient, en 1971 et dans son numéro de février, sur le sujet de l’aérodynamisme avec un très important article de Marcel Bernard qui fait non seulement un historique très complet de la question, mais aussi un état approfondi des études en cours. Le terme « aérodynamisme » a évolué en « aérodynamique », selon la pratique de l’époque concernant l’appellation des sciences.

La formule A+BV+CV² est toujours de rigueur, le troisième terme représentant les résistances aérodynamiques, mais, sur le terrain, bien des choses ont changé puisque, maintenant, il n’est plus question de trains roulant à 120 km/h, mais à bien à 200 km/h, en attendant le 300 km/h des premiers TGV alors en essais. Ce dernier aspect, celui du 300 km/h, change complètement la perception que l’on a du chemin de fer dans les milieux scientifiques et techniques, et fait que Marcel Bernard est invité dans un colloque d’aérodynamique appliquée organisé par l’Association Française des Ingénieurs et Techniciens de l’Aéronautique et de l’Espace ! Signe des temps : le TGV se prépare à damer le pion aux Caravelles d’Air-Inter.

Marcel Bernard introduit son exposé en rappelant le fait fondamental que la longueur d’un train peut être de 50 à 100 fois sa largeur, ce qui n’est nullement ne cas d’un avion ou d’une automobile, et que la notion de CX rapportée au maître-couple n’a aucun sens avec un train. Pour le train, la part prépondérante est celle de la traînée et des frottements sur les surfaces latérales. Le train se déplace constamment à la surface du sol, côtoyant des installations fixes, et franchissant des tunnels. Rappelant que, par rapport à la vapeur, la traction électrique ne fut guère confrontée à des questions d’aérodynamisme du fait des grandes puissances développées par ce mode de traction et de l’utilisation d’une énergie beaucoup plus disponible et imposant moins de contraintes que le charbon, Marcel Bernard souligne à quel point l’arrivée de l’ère du TGV est celle du retour très marqué du chemin de fer dans le monde de l’aérodynamisme et des études en soufflerie de type aviation.

Sans aucun doute les essais à 331 km/h en 1955 ont préparé ce grand retour, car si les essais à 243 km/h de 1954 ont eu lieu avec une CC-7100 et une rame de voitures DEV n’ayant subi aucune modification sur le plan aérodynamique, il faut bien, en 1955, procéder à la suppression des aérateurs de voiture, des poignées et des marchepieds des voitures, supprimer les césures entre la locomotive et le train et aussi entre les voitures elles-mêmes par des surfaces de toile caoutchoutée épousant et prolongeant les faces latérales et les toitures, et même doter la cabine arrière de la CC-7107 d’une « cornette » en tôle permettant à la toile caoutchoutée de trouver son appui sur la caisse de la locomotive. En outre, il faut soigner et construire intégralement un carénage arrière pour la rame, constituée par une forme ovoïde venant coiffer le dossier arrière et permettant l’écoulement de l’air sans turbulences. Le résultat, selon Marcel Bernard, est un abaissement de 23,5 % du coefficient du terme V².

En 1966-1967, le train Le Capitole, avec ses circulations atteignant une vitesse de 200 km/h sur une partie du parcours Paris-Toulouse, introduit la nécessité d’études sur les effets de souffle et les contraintes imposées aux surfaces vitrées lors du croisement des trains ou au franchissement des tunnels, mais aussi sur le corps humain avec de véritables tests et mesures biologiques concernant les effets des variations brusques de la pression de l’air sur les tympans, la respiration, la pression artérielle ou le rythme cardiaque. Les effets de croisement dans les tunnels sont tels que l’on envisagea, pendant un certain temps, de limiter cette vitesse des croisements. On découvre aussi que des vitesses de 200 km/h demandent des précautions en ce qui concerne la présence d’agents sur les voies à qui l’on impose désormais des règles de sécurité plus draconiennes concernant la distance minimale à laquelle ils doivent se tenir qui est désormais de 2 m.

La SNCF recherche la vitesse, donc applique les principes de l’aérodynamisme.

Le Service de la Recherche de la SNCF, avec le projet C-03 qui donnera naissance au TGV, est, en ce milieu des années 1960, impliqué dans des études d’aérodynamisme. L’expérience japonaise, acquise avec la ligne de Tokyo à Osaka du Shinkansen, est analysée et des contrats sont passés avec l’Institut Aérotechnique de Saint-Cyr, mais aussi avec la Société d’Études et de Construction de souffleries, simulateurs, et instruments d’aéronautique, et enfin avec l’Office National d’Études et de Recherches Aérospatiales (ONERA). Des essais en cuve hydrodynamique sont effectués à l’ONERA, dans ses installations de Châtillon-sous-Bagneux pour « dégrossir » plusieurs problèmes qui se posent à la SNCF pour étudier les effets de souffle qui se posent lors de croisement de rames : c’est l’époque où l’on envisage des TGV à turbines et l’élément expérimental TGS circule déjà, en 1967, et effectue des croisements de rames à 240 km/h. Des maquettes sont testées et montrent l’importance des tourbillons se produisant, notamment pour les dessous de caisse et autour des bogies.

Mais des études entreprises dans la même problématique viennent à aborder la question de la circulation des prises d’air pour les turbines « dans l’hypothèse d’une fluide parfait en écoulement incompressible, et par analogie avec des lignes équipotentielles électriques dans un milieu conducteur homogène ». On dessine des pavillons d’entrée d’air symétriques a priori, on pratique ensuite des retouches pour améliorer la répartition des gradients de pression sur les parois, on fait des retouches souvent par tâtonnements, et puis c’est l’essai, avec une maquette au 1/5e, dans une cuve électrolytique de profondeur constante, ce qui permet de modifier des parois de turbine et des aubages : ces méthodes reposant sur une analogie hydraulique puis « rhéoélectrique » permettent de préparer des essais en soufflerie à Cannes, dans la soufflerie type Eiffel à veine circulaire guidée.

Les photos de la maquette de la motrice du TGV-001 à turbine sont bien connues, et sont publiées dans la presse de l’époque. Nous reproduisons le cliché paru dans la RGCF et illustrant, parmi de nombreux autres documents, l’article de Marcel Bernard. Les essais se font avec des vitesses de déplacement d’air se situant entre 16 et 42 m/s, et la maquette comprend de nombreux éléments interchangeables permettant de réaliser un grand nombre de configurations et de variantes. Les essais portent sur les points suivants : formes d’extrémité en avant et en arrière de la rame, césures entre caisses, décrochements en creux des baies, bogies, captation de l’air des turbines et des ventilateurs, échappement des turbines et des ventilateurs des moteurs de traction de la transmission électrique, échappement de l’air de refroidissement des rhéostats de freinage, aérofreins.

Mais d’autres problèmes sont étudiés durant les années suivantes, montrant l’importance de l’aérodynamisme dans un nombre croissant de données concernant les TGV, comme les risques de chavirement sous effet d’un vent latéral, ou encore les problèmes posés par l’aérodynamique des pantographes quand il est décidé que la traction électrique seul règnera sur le domaine de la grande vitesse, ou bien, aussi, l’étude de la résistance à l’avancement des trains dans le tunnel sous la Manche. Ces derniers essais et études sont complétés par des essais en grandeur nature dans le tunnel du Simplon, en collaboration avec les Chemins de Fer Fédéraux suisses, tandis que les Britanniques font, à l’époque et dans le même but, des essais au Royal Aircaft Establishment de Farnborough. Nous ne pouvons que recommander de lire le très important article de Marcel Bernard occupant les pages 80 à 96 du numéro de février 1971 de la RGCF : les lecteurs actuels, intéressés par le problème de l’aérodynamisme qui a pris tant d’importance dans le monde ferroviaire, seront passionnés.


Problèmes d’aérodynamsme réglés en soufflerie sur une maquette du futur TGV.
Magnifique projet de Jacques Cooper pour le futur TGV. Jacques Cooper a donné ce dessin à Clive Lamming, lors d’une visite de ce dernier dans son atelier de Suresnes, en précisant que ce projet a été refusé par les dirigeants de la SNCF de l’époque qui le trouvaient un peu trop… »too much »! Dommage…
Autre étude aérodynamique du futur TGV: un curieux photomontage d’origine inconnue.

2 réflexions sur « L’aérodynamisme : seulement pour la beauté ? »

  1. Les locomotives carénées m’ont toujours impressionné. Elles me donnaient une impression d’irréel, de fantastique.

  2. Les locomotives carénées m’ont toujours étonné . j’avais l’impression d’un autre monde.

Commentaires fermés

En savoir plus sur Train Consultant Clive Lamming

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading