Lorsque, sous la Monarchie de Juillet, dans les années 1830, la France songe à se couvrir de chemins de fer, Paris fait figure de femme corsetée dans ses fortifications, pudibonde et fermée, et les autorités militaires, gardiens des vertus de la dame, interdisent l’outrage de la moindre brèche dans les murailles. Donc, ceci se passe bien avant la chanson, “Paris sera toujours Paris…” et Paris le restera encore pour très longtemps.
C’est au prix de mille difficultés et réticences que les ingénieurs des compagnies de chemins de fer et les édiles parisiens parviennent à faire que des gares soient construites dans Paris, et que des voies ferrées franchissent les « fortifs » pour que le chemin de fer puisse jouer le rôle que l’on attend de lui : relier la capitale, véritable « tête » de la France, à ses provinces et ses frontières.
Il n’est pas encore question d’un quelconque « Grand Paris », et il faudra attendre cent cinquante ans, car Paris est dans ses murailles et entend bien y rester, ignorant ces quelques bourgs ruraux disséminés autour de la ville et préfigurant une banlieue dont, jusqu’à présent, on a ignoré jusqu’au nom. Mais, sous le Second empire, la ville va s’étendre, et le chemin de fer accompagnera, pour ne pas dire créera, une extension jusque-là insoupçonnée. Le pas encore dénommé « Grand Paris » commence à apparaître et certains grands esprits en rêvent déjà…
C’est d’ailleurs bien en ce sens que l’ingénieur Moisson-Desroches présente à Napoléon 1er un projet de réseau ferré national, en 1804, projet faisant de Paris le centre d’une étoile de lignes militaires, mais écarté, on le sait, par un empereur qui n’en voit ni l’intérêt ni l’utilité, tout entier à ses guerres et à son économie de type agricole d’un XVIIIe siècle déjà fini, mais dont il est lui-même issu. L’industrie et le chemin de fer ne sont pas encore perçus par ce premier Napoléon, mais un autre s’en chargera en créant un Second empire.
Des cartes qui prédisent l’avenir d’une France qui veut changer d’époque.
Les premières lignes de chemin de fer quittant Paris ont de hautes visées : il s’agit d’aller loin et vite. Ce que les premiers ingénieurs dessinent sur les cartes, et construisent sur le terrain, sont bien des Paris-Le Havre, des Paris-Strasbourg, des Paris-Brest ou des Paris-Lille, et si la ligne de Saint-Germain fait figure, dès 1837, de première ligne de banlieue comme de première ligne de voyageurs, elle est bien, et par la force du destin, une exception au sein de ce mouvement qui ambitionne d’abord de relier Paris aux frontières du pays. Cette ligne devra bien, dès 1843, accepter de n’être que la première partie de la ligne Paris-Le Havre qui s’embranche sur elle dès la sortie de Paris.
Les lignes de chemin de fer rayonnent autour de Paris qui se trouve placé, dès les années 1860, au cœur d’un réseau centralisé et efficace, tel que la loi du 11 juin 1842 l’a prévu. Les grandes lignes de l’Est, du Nord, du PLM, du PO, de l’Ouest franchissent les fortifications, désormais ouvertes par des brèches encadrées de fortins de surveillance, et les « fortifs » vivent leurs dernières décennies, se préparant à disparaître après la guerre de 1870. Des villes proches de Paris, comme Saint-Denis, Versailles, Meaux, Melun, se contentent d’être d’importantes gares de passage entourant Paris, au même titre que celles de villes de province situées plus loin encore, et leurs gares les desservent comme elles desserviraient Dijon, Rennes ou Rouen. Il n’y a pas de « schéma d’ensemble » pour ce qui pourrait être un « Grand Paris », ni même d’une région parisienne méritant une desserte spéciale. La campagne commence à Belleville, Charenton, Levallois ou Sèvres, et continue… jusqu’à Toulon ou Guéret.








Cela ne veut pas dire, pour autant, que le trafic traditionnel que le chemin de fer convoite soit faible. Depuis des siècles, les routes sont très encombrées dans la périphérie immédiate de Paris : des maraîchers, des paysans, des artisans vont et viennent, faisant vivre Paris, mais aussi vivant de Paris qui leur fournit une très importante clientèle. De nombreux fonctionnaires et militaires se déplacent, car, déjà, ces régions actives et prospères entourant Paris prennent de l’importance aux yeux des pouvoirs publics. Le chemin de fer, à son tour, trouvera dans cette activité et cette interdépendance réciproque de Paris (et de ce que l’on n’appelle pas encore l’Île-de-France) et cela constitue une source importante de trafic. Cette activité et ce besoin de transport entourant Paris ne manque pas d’intéresser de nombreux promoteurs de lignes de tramway qui veulent se glisser entre les lignes de chemin de fer d’intérêt général. Ce n’est d’ailleurs pas seulement le cas de l’Île-de-France. On trouve de nombreux exemples de réseaux régionaux « montés » (au moins financièrement) par des hommes d’affaires comme Philippart dans le Nord qui veut, lui aussi, se glisser en voie normale ou métrique entre les lignes du grand réseau, ou on trouve d’autres petits réseaux encore dans l’arrière-pays de la Côte d’Azur, ou dans les Landes, etc.
La fin du XIXe siècle aurait certainement été le moment le plus opportun pour créer concrètement un grand réseau régional reliant, d’une manière cohérente et maillée, les différentes villes de la région parisienne et Paris. L’État, à l’époque, ne s’en soucie pas, et seule compte une vision radiale de la France dans sa totalité, Paris étant au centre, et sa région n’existant pas en tant que telle, sinon comme autant de portions indépendantes soumises au découpage opéré par un réseau ferré centralisé.
C’est cette vision qui, sur le plan ferroviaire, sera certes très avantageuse pour les Parisiens, mais très nuisible pour Paris qui se retrouvera partagée entre plusieurs réseaux privés différents rayonnants chacun pour son propre compte autour de Paris. Sans existence ferroviaire propre, Paris sera à la fois un lieu de rupture pour les voyageurs et les marchandises de province à province, passant par Paris, mais aussi une sorte de “nulle part”, une sorte d’obstacle que l’on ne peut éviter, mais qui impose sa dure loi du transbordement, souvent à pied les valises et les enfants à la main, d’une gare terminus parisienne à une autre ! Le trajet entre la gare du Nord et celle de Lyon a dû sembler interminable, pour ne pas dire infernal, pour un voyageur lillois se rendant à Lyon ou Marseille ! En quelque sorte, pour ce qui est du trafic ferroviaire national de province à province, Paris n’existe pas autrement que sous la forme d’un obstacle, mais, il est vrai, les Parisiens partant de chez eux en province ou revenant chez eux sont des privilégiés, choisissant la gare du réseau qui convient à leur voyage et y trouvant des horaires serrés et des trains fréquents.



Le « Chemin de fer américain » arrive dans un Paris pas encore grand.
Essayant de prospérer dans les espaces vacants laissés entre les « rayons » du réseau ferré, un certain nombre d’investisseurs privés essayeront de construire des lignes secondaires ou des tramways pour répondre à une demande de transport déjà évidente.
En 1832, le premier tramway au monde fonctionne entre Manhattan et Harlem, à New York. Mais la gêne occasionnée par les rails faisant saillie sur la chaussée a vite raison de ce tramway pionnier, jusqu’à ce qu’un Français, Loubat, installe dans la même ville un système de tramways à rails plats, donc ne faisant pas saillie sur la chaussée, ceci en 1852. Ensuite, ce mode de transport gagne l’ensemble des grandes villes américaines, et, même, finit par former, à la fin du XIXe siècle, un immense réseau national reliant les villes entre elles au moyen de voitures très rapides : l’ « Interurban ».
L’idée de l’ « Interurban » traverse l’Atlantique et, pour de nombreux aménageurs de territoire en herbe, le tramway pourrait se glisser entre les mailles du réseau ferré national comme il le fait aux États-Unis et assurer des bénéfices confortables, s’emparant de la « niche » (terme actuel) du trafic régional que les grandes compagnies de chemin de fer enjambent et négligent au nom de l’intérêt général. Loubat revient faire le prophète en son pays, et obtient, en 1853, la permission de faire un essai officiel à Paris : le ministre des Travaux publics se déplace en personne. Ensuite, une ligne est mise en service en 1855, le long de la Seine, en partant discrètement des bords de Seine, de la place de la Concorde (interdite au tramway) en direction de l’ouest, jusqu’à Sèvres. Cédée à la très puissante Compagnie Générale des Omnibus (CGO), la ligne ne pourra pas être prolongée dans le centre de Paris, où la CGO exploite déjà son réseau, et perd une grande partie de son intérêt. En 1866, pour assurer une desserte jusqu’au Louvre, les voitures doivent changer de roues et rouler, comme des omnibus ordinaires, sur la chaussée, avec un cheval supplémentaire pour vaincre la difficulté accrue du roulement. Surnommé « Chemin de fer américain », le tramway de Loubat est désigné tout simplement « l’Américain ». Notons, d’ailleurs, que le système Loubat est américain au point d’utiliser à Paris l’écartement de 1520 mm, très pratiqué à l’époque aux États-Unis, alors que l’écartement standard européen est de 1435 mm.


Un vicomte, inventeur peut-être et sans le savoir, du Grand Paris en 1854 ?
Loubat a des émules, car le tramway représente, à l’époque, un espoir d’enrichissement : la noblesse menant à tout, surtout quand on est “fauché”, un vicomte de Mazenod obtient, en 1854, une concession pour une ligne devant relier Bougival et Port-Marly à la gare de Rueil. Ouverte en 1855, carrément construite dans l’axe médian de la chaussée d’une route de campagne heureusement peu fréquentée, la ligne connaît un succès mitigé, vu la faible densité d’habitants dans une banlieue encore retirée et heureuse de l’être. Foin de la noblesse et de ses tramways !
Enfin, un dénommé Tardieu se lance dans la construction d’une ligne de Sèvres à Versailles, dont la rentabilité se situerait dans le prolongement de « l’Américain » de Loubat qui devait débarquer à Sèvres le nombre de voyageurs nécessaires. Là aussi, le succès et la fortune ne sont pas au rendez-vous pour cette entreprise reposant sur le succès d’une autre…
Ces trois lignes, mal tracées, ne correspondant pas réellement à des besoins bien cernés, sont un piètre encouragement pour les édiles de l’époque : elles donnent du tramway alors à ses débuts une image de « gadget » peu utile et, il faut bien le dire, lui enlèvent pour de nombreuses années tout espoir de s’imposer en face de l’omnibus à chevaux.
La cause du tramway n’est guère plus aidée par la ligne de Montfermeil au Raincy, ouverte dans la décennie suivante, en 1868 : présenté comme un « monorail » dû à l’ingénieur Larmenjat, il s’agit en fait d’un ensemble technique assez incohérent formé de matériel roulant à trois roues dont la roue avant unique roule, guidée par un conducteur, sur un unique rail à gorge placé sur la chaussée, et les deux roues arrière directement sur la chaussée. Les véhicules sont instables et, surtout, il faut placer un surveillant à l’avant de la locomotive dont la tâche est de maintenir la première roue du train dans le rail en actionnant un volant.

N’est donc pas « Grand Parisien » qui veut… En attendant d’appeler “Petits Parisiens” les habitants de Paris, mais, rassurez-vous, c’est ridicule, mais c’est fait par la bureaucratie des “Grands Parisiens”. Et pourtant ces lignes de tramway offrent, pour l’historien qui les considère aujourd’hui avec le recul du temps, l’intérêt d’être toutes à vocation régionale et non parisienne, et donc de démontrer l’existence d’une demande de transport spécifique émanant d’une banlieue, proche ou éloignée, qui commence, malgré elle, à être un « grand Paris » en devenir.
Il semble que cette demande sera longuement ignorée par des « décideurs » pour qui l’organisation des transports régionaux se fera avec, de gré ou de force, en passant par le réseau des grandes lignes de chemin de fer, réseau centré sur Paris, en étoile, et imposant le modèle inadapté que l’on connaît, créant des banlieues le long des lignes avec impossibilité de circuler d’une banlieue à une autre. Si ces tramways, à la fois transversaux et « autres », avaient réussi, s’ils avaient pu constituer un réseau cohérent, sans nul doute quelque chose comme un « grand Paris » serait né bien avant 1900. Mais, à la Belle époque, les dés étaient jetés : la banlieue sera ferroviaire et en étoile, ou ne sera pas.
En 1890, la naissance, déjà, du PSG.
Décidément la noblesse milite en faveur du tramway régional « Francilien » avant la lettre, ceci à la fin du XIXe siècle. Un très bien né et aussi bien nommé Monsieur Tarbé des Sablons, peut-être un autre vicomte médiatique et actif et “fauché”, a obtenu, en 1874, la concession de la ligne de Rueil (gare) à Marly-le-Roi, soit 9,26 km de prospérité pour redorer le blason. En 1889, il obtient la concession d’une ligne reliant l’Étoile à la place du Château à Saint-Germain. Il la confie à une société anonyme (en tire-t-il les ficelles ?) : la « Compagnie du tramway à vapeur de Paris à Saint-Germain » qui construit la ligne sur une partie de l’ancienne pour former un ensemble de 21,850 Km avec ses embranchements. Le matériel roulant de la ligne arbore les initiales PSG qui, aujourd’hui, font toujours la « une » des médias…
La description de la ligne est donnée dans la « Revue générale des chemins de fer » de décembre 1890. La ligne part de la place de l’Étoile, grâce à une station aménagée entre les débouchés des avenues de Wagram et de la Grande armée, en commun avec les Tramways du Nord., descend l’avenue de la Grande armée, soit la nationale 13 de Paris à Cherbourg par les avenues de la Défense et de Saint-Germain, et atteint Rueil où elle se raccorde à l’ancienne ligne de Pont-Marly dont elle n’est, en fait, que le prolongement jusqu’à Paris. Elle comporte des courbes d’un minimum de 30 mètres de rayons, des rampes atteignant 6,2 % (c’est considérable par rapport aux normes des grands réseaux de chemin de fer) et, si la ligne est à l’écartement de la voie normale, elle utilise un grand nombre de types de rails différents : rails Broca à gorge sans saillie sur les chaussées, rail Vignole pour les parcours en site propre (terre-plein central des avenues, bas coté des routes nationales), rail Marsillon (rail avec contre-rail intégré) pour la traversée des routes importantes. Entre Courbevoie et Saint-Germain, la ligne est à voie unique avec 15 stations permettant l’évitement ou le garage des rames : il est précisé que l’établissement d’une 2ᵉ voie sera acquise dès que la recette brute atteindra 40.000 francs au kilomètre.
Les stations sont de trois types : station gardée, station simple abri, et « halte poteau », et « dont la différence se comprend aisément par leur désignation » (sic) : la « halte-poteau » ne fait aucun doute à ce sujet ! Au point de vue confort, c’est-à-peu près l’équivalent de l’arrêt de bus actuel sans abri. Seules, les stations gardées, construites en charpente métallique avec remplissage en maçonnerie et céramique, offrent le confort voulu. Toutes les stations sont reliées par le téléphone pour assurer le mouvement des trains.
La traction se fait avec des locomotives à vapeur, sans foyer, système Lamm et Francq, contenant de l’eau chaude fournissant une vapeur à une pression de 15 kg/cm² au départ. Quand la pression est à 5 kg/cm², on réchauffe l’eau avec de la vapeur fournie par des chaudières fixes installées dans le dépôt de Courbevoie.
Il y a 20 trains quotidiens dans chaque sens, ceci entre 7 h et 23 h. Le trajet dure 1 h 25 min – ce qui, par rapport aux performances actuelles, semble très long, mais est un progrès par rapport aux transports sur route. Le prix est de 1,60 francs en première classe, et 1,15 francs en deuxième classe, ce qui n’est pas donné, vu les salaires ouvriers de l’époque qui sont de quelques francs par jour. Il existe un service de bagages et de messageries.


Les Ceintures: le tour de la question d’un Grand Paris qui ne veut pas encore l’être.
Les connaisseurs de ce coin de verdure qu’est la Petite Ceinture disent que c’est, tout simplement, le plus vaste jardin secret de Paris (voir l’article consacré à la Petite Ceinture déjà paru sur ce site-web). Si la Grande Ceinture, elle, contourne la capitale à une dizaine de kilomètres de distance, et se porte fort bien, débordant d’activité puisque allant de gare de triage en gare de triage, la Petite Ceinture entourant Paris est une ligne perdue à moitié dans les orties et les herbes sauvages, faute d’avoir pu jouer un rôle analogue et ayant essayé de faire fortune avec un trafic de voyageurs très local. Ce faisant, elle a été active, jadis, tout comme la Grande Ceinture qui a su, elle, le rester. Elle est construite, au XIXe siècle, pour former une petite ligne reliant les villages qui entourent Paris et qui sont, alors, en pleine nature et qui offrent assez de place pour l’établissement des gares de marchandises dont la capitale a besoin, comme les Batignolles, La Villette, ou Bercy, ou d’autres villages qui sont des lieux de villégiature comme ceux de Passy ou d’Auteuil. Mais nous sommes loin, fort loin, du trafic de marchandises à l’échelon national que connaît la Grande Ceinture.
La Grande Ceinture joue ce rôle important dans l’exploitation des Chemins de fer français. Après la création des grands réseaux sous forme de fuseaux radiaux ayant chacun son origine à Paris, la nécessité est apparue assez vite de créer aux abords mêmes de la capitale une ligne de rocade destinée à faciliter les relations d’un réseau à l’autre dont le but fondamental, apparemment oublié jusqu’à alors, était l’intérêt national.
C’est dans ce but que les compagnies du Nord, de l’Est, du P.L.M., et du P.O., constituent en 1875 un organisme commun qui prend le nom de « Syndicat pour l’Exploitation de la Grande Ceinture » et se transforme en 1880, avec l’apport de la Compagnie de l’Ouest en « Syndicat d’Exploitation des deux Ceintures ».
Au début du XXe siècle, la Grande Ceinture joue, malgré elle, un rôle régional en reliant entre elles des gares placées sur les grandes lignes rayonnant autour de Paris, formant ainsi une certaine forme de connexion de banlieue à banlieue, mais sans grand succès. Mais elle ne fait que souligner, par le temps perdu lors des correspondances, la nécessité d’un véritable réseau de banlieue à banlieue qui, dans les faits, ne sera jamais construit avant que le projet du Grand Paris actuel ne commence enfin à le faire.


Un pique-nique où chacun apporte son fromage.
Le découpage de la France ferroviaire en réseaux donne quelque chose qui ressemble à une boîte du célèbre “Vache qui rit” (publicité désintéressée, mais les fromageries Bel facilement trouveront l’adresse de l’auteur sur le haut de cette page), continuons notre métaphore fromagère en disant que la Grande Ceinture est un pique-nique sous lequel chacun apporte son fromage, avec le risque que tous apportent le même par manque de concertation. La Grande Ceinture aurait pu, certainement, former l’embryon d’un grand réseau en Ile-de-France, tracé de banlieue à banlieue.
Il n’en a rien été. Elle n’est pas une création intégralement nouvelle, cohérente, et organisée à partir d’une table rase, car se présente plutôt comme une mise, bout à bout, de lignes ou de tronçons de lignes existants pour permettre, à moindre coût et sans acheter des terrains devenus hors de prix, de créer des itinéraires de contournement de Paris, sans réellement se soucier de se mettre au service des régions traversées. La Grande Ceinture est bien une ligne nationale, pas une ligne faite pour l’Ile-de-France. Chaque compagnie apporte donc sa part d’un ensemble disparate. En cela, la Grande Ceinture n’est donc absolument pas le métro d’un « Grand Paris ». Certes, il y a bien quelques services voyageurs épars, mais ces services sont plutôt conçus comme des rabattements de trafic vers des gares situées sur les grandes lignes radiales des compagnies, et ne viennent donc que renforcer l’activité du réseau national en étoile type 11 juin 1842, mais nullement constituer un réseau régional.
Lors de la construction de la Grande Ceinture, il fut admis par raison d’économie que son tracé emprunterait quelques sections des lignes des grands réseaux déjà en exploitation, notamment le réseau de l’Est entre Noisy-le-Sec et Sucy Bonneuil, le réseau du Nord entre Noisy-le-Sec et Argenteuil, de l’Ouest entre Argenteuil et Versailles-Chantiers via Achères, du Paris-Orléans de Versailles-Chantiers à Juvisy via Massy-Palaiseau, et du Paris, Lyon et Méditerranée entre Savigny-sur-Orge et Villeneuve-Triage. Mais avec le développement général du trafic, cette disposition occasionne sur ces troncs communs des difficultés de circulation.
On a été amené successivement à étudier et à réaliser la construction d’une section de Grande Ceinture indépendante des lignes de l’Est entre Noisy-le-Sec et Sucy-Bonneuil dite « Ligne complémentaire complétée » (sic) pour éviter le passage en gare de Noisy-le-Sec des trains en provenance du Nord, par l’établissement d’un tronçon de ligne dit « Évite Noisy » entre Bobigny et Noisy-le-Sec, et par l’établissement d’un raccordement direct entre Valenton et Juvisy appelé « Évite Villeneuve» évitant l’utilisation, par les circulations de la Grande Ceinture, du tronçon commun entre Villeneuve-Triage et Juvisy.
À ce système s’ajoute une section dite “stratégique” entre Massy-Palaiseau et Valenton, par Orly, et qui avait été créée à peu près en même temps que la Grande Ceinture, soumise au même régime d’exploitation, et concédée alors à la compagnie du Paris-Orléans. L’ensemble n’a aucune cohérence utile pour la région parisienne en matière de voyageurs.
L’éclatement en 1934 d’un système qui n’a pas pu satisfaire tout le monde.
A la dissolution du « Syndicat d’Exploitation des deux Ceintures » en 1934, la Grande Ceinture est partagée entre les deux réseaux de l’État et du Nord. Le premier reçoit la partie de la ligne entre Juvisy et la bifurcation de Bourceron près d’Argenteuil, tandis que le second, le Nord, reçoit le reste du parcours par «l’Évite Noisy », la « ligne complémentaire et complétée » et la section Valenton-Juvisy.
Jusqu’en 1934, des trains de voyageurs (non pour la banlieue) circulent sur la Grande Ceinture, assurant des correspondances avec les lignes radiales nationales utilisées, alors, uniquement en direction de Paris le matin, et à partir de Paris, le soir, par une foule de banlieusards faisant leur migration quotidienne et changeant de train à Argenteuil, Ermont, Epinay ou encore Massy-Palaiseau ou Le Bourget-Drancy, qui courent sur les escaliers d’une gare de Ceinture au-dessus ou en contrebas des voies des grandes lignes. À partir de celle année, seuls les tronçons de Versailles-Chantiers à Juvisy et le court embranchement électrifié d’Orly à Choisy-le-Roi restent ouverts au service voyageurs, abandonnant aux trains de marchandises la quasi-totalité de l’ensemble de la Ceinture qui, désormais, n’est plus au service du transport des voyageurs de la région. Les autobus prennent la relève.
Il est à noter que la Seconde Guerre mondiale provoque quelques destructions importantes pour la Grande Ceinture, mais guère de la part des Allemands qui se rendent compte de son importance pour leurs transports militaires. Les bombardements alliés épargnent la Ceinture, mais les Allemands, en se retirant, provoquent alors de graves destructions, notamment aux viaducs de Saint-Léger, de Nogent et aux ponts d’Athis-Mons, Maisons Laffitte, Choisy, Neuilly sur Marne, et du Bourget. Les années d’après-guerre voient le redémarrage de la Grande Ceinture, et si elle retrouve son faible trafic voyageurs, ce n’est toujours qu’en utilisant très partiellement les possibilités de cet ensemble. C’est ainsi qu’un service de voyageurs est assuré entre Versailles-Chantiers et Juvisy par Massy-Palaiseau entre 1883 et les années 1950. Aujourd’hui le RER-C utilise cette section, mais entre Versailles et Massy seulement. Notons que la section Saint-Germain-en-Laye – Noisy-le-Roi a été réouverte aux voyageurs en 2004. La Grande Ceinture reste et restera à l’écart du grand ensemble constitué par les services de banlieue. Ce n’est pas sa vocation.





Le métro commande : Paris domine et s’isole.
À partir de 1900, la construction du Métropolitain, l’extension des lignes de tramway hors Paris, et l’apparition de la circulation automobile vont se conjuguer pour mettre la ligne de la Petite ceinture en difficulté. Si, en 1925, l’électrification de la partie entre Pont-Cardinet et Auteuil confirme ce tronçon dans une durable vocation urbaine, parisienne, et de desserte des beaux quartiers de l’ouest de Paris, le reste de la ligne connaît la fin de son âge d’or durant les années 1930.
La suppression du service voyageurs pour l’ensemble de la ligne (sauf celle d’Auteuil) intervient en 1934 au profit d’une ligne de bus circulaire, le PC, crée pour la circonstance le 22 juillet 1934, et en 1937 le Syndicat des Ceintures est dissous: la SNCF intègre l’ensemble de la ligne dans son réseau et, pour la partie nord et est, en fait une ligne de raccordement entre les gares du Nord, de l’Est, de Lyon et d’Austerlitz principalement. Jusque durant les années 1970, on voit, parmi les trains de marchandises, circuler de grands trains de voyageurs comme le Train Bleu… Le dernier train de voyageurs circule en 1984 sur la ligne d’Auteuil qui a perdu son viaduc dès 1960, et le dernier train de marchandises circule en 1993 entre Bercy et la Porte d’Aubervilliers.
Les trente premières années d’existence du métro parisien se passent exclusivement dans les murs de la ville : municipal, le métro l’est, ô combien. Les faits marquants sont l’établissement de la première ligne Vincennes-Neuilly qui est une dorsale est-ouest, puis d’une circulaire formée par une succession des actuelles lignes 2 (Nation-Dauphine), 5 et 6 (Étoile-Nation par Denfert) et d’un maillage les réunissant pour former, au début des années 1920, un premier réseau départemental parisien cohérent.
À la fin de 1929, une importante décision est prise par le Conseil général du département de la Seine qui englobe Paris et sa proche banlieue: celle du prolongement, sur 15 directions différentes, du réseau du métropolitain en direction de la proche banlieue. Cette décision suit l’évolution de l’habitat parisien, avec le déplacement des employés et des ouvriers en dehors de Paris, à la recherche de meilleures conditions de logement que celles offertes par les quartiers populaires d’alors, mais chassées par l’augmentation des loyers ou des prix d’achat des logements de qualité moyenne auxquels ils pourraient prétendre. C’est l’époque du pavillon de banlieue dont on est enfin propriétaire, de la ville à la campagne, mais aussi de la dégradation définitive de certains des anciens quartiers populaires du nord et de l’est de Paris que les rénovations immobilières des années 1950-1960 ne sauveront que partiellement ou pas du tout. Le métro va donc chercher ses clients là où ils habitent désormais pour les transporter quotidiennement sur leur lieu de travail resté à Paris. Bref, le métro se met à faire ce que le « grand » chemin de fer, par définition, n’avait pas à faire : la desserte d’une banlieue proche de Paris. Ceci se passe dans une Seine-et-Oise, elle aussi tout aussi peu cohérente sur le plan des transports, jusqu’à la création, en 1964, des nouveaux départements 91, 92, 93 qui se partagent alors la partie extra-muros de cet ancien département.
Le réseau départemental ouvrira ainsi des nouveaux horizons aux rames Sprague du métro qui feront entendre leurs grondements mécaniques et le claquement de leurs relais électriques jusqu’à Pantin, Les Lilas, Charenton, Levallois, Neuilly ou le pont de Sèvres. Comme le montre la carte ci-contre, (datant de 1951) des prévisions du « réseau départemental », le Carrefour de la Vache Noire est prévu comme tête de ligne de la ligne 4 Clignancourt-Orléans au-delà de la porte d’Orléans, mais il n’aura jamais cet honneur, tandis que les rois de France, qui reposent tous à Saint-Denis (sauf Charles X), auront à attendre d’être desservis par le métro jusque aux années 1980. Mais le métro reste le métro, et si la ligne 13 finit par être presque un « RER bis » Nord-Sud avec son raccordement à la ligne 14 et d’importants prolongements en banlieue, elle prouve, justement, que le métro n’est pas un train, et n’a pas la capacité de transport des rames du RER ou d’un train de la SNCF.

L’incroyable « Grand Paris » des Chemins de fer de Grande Banlieue.
Oublié aujourd’hui, le très peu ordinaire réseau des CGB fait figure à la fois de tramway, de secondaire, de chemin de fer industriel et qui envoie, sans vergogne, d’authentiques trains de marchandises jusque dans le très chic Paris, en provenance de Saint-Germain-en-Laye, et par les voies du tramway 58, pour aboutir avec une certaine inconscience devant l’église Saint-Germain l’Auxerrois, enfumant, dans un esprit républicain et irrespectueux, l’église des rois de France, en suivant les quais de la rive droite.
Ce réseau fait aussi échouer des wagons de marchandises des grandes lignes en pleine campagne, grâce à ses ramifications, et, d’après les souvenirs des promeneurs des années 1950, on en voyait le long de la « Route de quarante sous », ou entre Corbeil et Milly. Les CGB veulent initialement prolonger en grande banlieue les lignes de tramway parisiens, et même devenir une sorte de RER d’Île-de-France avant la lettre, atteignant aussi bien Etampes, Luzarches, Rambouillet, que Montfort l’Amaury, ou d’autres villes aussi éloignées. Bref, nous voici avec un projet de « Grand Paris » en pleine Belle époque.
Concédés par une loi en date du 25 juin 1907, les CGB se composent de deux réseaux distincts, le réseau Nord et le réseau Sud. Le Nord reçoit les lignes de Versailles aux Mureaux (40 Km), de St Germain-en-Laye aux Mureaux (22 Km), de St Germain-en-Laye à Poissy 6 Km), des Mureaux à Magny-en-Vexin (30 Km), de Poissy à Pontoise (22 Km), et la jonction de Sagy à Gency réunissant les deux dernières lignes citées (10 Km). Le Sud est composé des lignes d’Etampes à Arpajon (30 Km) et de Maisse à Milly (28 Km), de Milly à Corbeil (27 Km) plus un petit embranchement entre Bouville et La Ferté-Alais. Le tout atteint, mine de rien, un total de 224 Km. À ce réseau concédé en 1907 est ajouté un certain nombre de lignes anciennes existant déjà comme celle de Saint-Germain-en-Laye – Poissy datant de 1895 et de Versailles à Maule, en voie métrique, datant de 1896.


Les voies sont en écartement normal, ce qui paraît sage en soi, mais, malheureusement, un choix assez aveugle a restreint le gabarit du matériel à une largeur de seulement 2,05 mètres, ce qui fait quand même un bon mètre de moins perdu par rapport au gabarit des grands réseaux. Une entrevoie réduite donne donc une plateforme moins large, et ce qui pourrait expliquer ce choix analogue à celui du métro parisien est qu’un écartement normal permet de bénéficier d’organes de roulement standard, donc moins chers, mais un gabarit restreint qui réduit l’entrevoie et la plate-forme de voie diminue les coûts d’établissement : l’économie est donc réalisée au deux niveaux, mais au prix d’un refus de ce que l’on appellerait aujourd’hui l’interopérabilité. Le réseau des CGB reste fermé aux autres réseaux qui l’entourent, tandis que des courbes à rayon très serré descendant jusqu’à 80 mètres, et des déclivités très fortes atteignant 35 pour mille, et surtout l’impossibilité de faire rouler des wagons des grands réseaux sur les nombreuses parties des lignes équipées de rails plats Broca type tramway et dont l’ornière est trop peu profonde pour accueillir les boudins de guidage des roues : voilà ce qui ferme pratiquement les CGB à tout espoir d’un trafic important, tant en voyageurs qu’en marchandises. En effet, le matériel roulant des grands réseaux ne peut passer sur l’ensemble des voies du CGB – sauf sur certaines portions soigneusement repérées et préparées par le dégagement des obstacles, et l’interdiction de trains croiseurs ou garés sur la voie adjacente. Inutile de dire qu’un train CGB comportant ne fut-ce qu’un seul wagon des grands réseaux devait éviter d’en croiser un autre comportant, lui aussi, au moins un même type de wagon !!! En revanche, les trains du CGB pouvaient, eux, se glisser facilement partout et espérer rouler sur les voies des grands réseaux.
Toujours est-il que les projets comportent pas moins de trois itinéraires devant donner, par les voies des CGB, un accès direct pour les trains de marchandises des grands réseaux jusqu’aux Halles. Il y a d’abord la possibilité d’une liaison de Saint-Germain-en-Laye aux Halles par les tramways 58, 43, 5 et 12, soit par Port-Marly, Bougival, Rueil, Nanterre, La Défense, le Pont de Neuilly, la Porte Maillot, l’Étoile (!!!), le Trocadéro, les quais de la rive droite, et enfin Saint-Germain l’Auxerrois et la rue du Louvre. Ensuite, on prévoit un Arpajon – Les Halles par le tramway à vapeur de Paris à Arpajon, puis le tramway 8 en allant de la Porte d’Orléans à Luxembourg, en descendant le boulevard Saint-Michel, en passant par le Châtelet et la rue des Halles. Et pour faire bonne mesure, on prévoit enfin un assez audacieux Versailles – les Halles par Sèvres, le Point du Jour, la ligne de tramway 1 et les quais de la rive droite.
Les personnes habitant sur ces très beaux, distingués et onéreux itinéraires réalisent à quoi elles ont échappé… Elles n’ont pas risqué grande chose, car seul le raccordement entre les CGB et les tramways de Versailles a été réalisé, mais le raccordement qui aurait permis d’atteindre les Halles par Sèvres et la ligne de tramway 1 n’a jamais été achevé : donc il n’y a jamais eu de véritable circulation de trains de marchandises dans Paris, sinon que des wagons acheminés par l’Arpajonnais.



Une époque mal choisie.
Il est surprenant de penser que les CGB ont été constitués à une époque – la veille de la Première Guerre mondiale – où, déjà, le camion et l’autobus faisaient parler d’eux sur les routes, et où le transport des marchandises sur de courtes distances était déjà un marché perdu pour le rail. En outre, le choix d’un gabarit différent de celui des grands réseaux obligeait à un transbordement des marchandises dans les wagons des CGB, à la manière d’un petit train en voie métrique : on perdait tous les avantages d’un réseau du réseau en voie normale qu’étaient les CGB. Pratiquement aucune gare des CGB ne se trouvait à plus de 15 Km d’une gare des grands réseaux : il était donc trop facile de confier directement au « grand » chemin de fer ce qui devait partir à grande distance. Mais les CGB essaient le lutter, notamment en mettant en service des autorails pour le transport des personnes et des petits colis sur la ligne de Saint-Germain à Poissy. Dénommés « véhicules pétroléo-électriques », ces engins rudimentaires fonctionnent assez bien, mais la Première Guerre mondiale les prive de carburant.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le sort des tramways parisien est joué : ils seront supprimés. Les CGB vont donc perdre leurs alliés naturels que sont les lignes de tramway et dont ils sont le prolongement. Les lignes de la CGB desservent soit des zones très peu peuplées, soit, au contraire, des zones très denses, mais pour lesquelles elles ne sont pas outillées. Enfin, les Halles sont envahies par les camions qui transportent directement fruits et légumes depuis les lieux de production.
Le 1er juillet 1927, les CGB sont rachetés par le département de Seine-et-Oise et un essai d’exploitation en régie directe est entrepris avant que le département ne « refile le bébé » assez rapidement à la STCRP qui a déjà hérité du célèbre Arpajonnais qui entre donc dans le système de ce réseau d’un « Grand Paris » avant l’heure. Réaliste, la STCRP met en place un service d’autorails Renault – Schneider qui améliorent les vitesses commerciales.
Elle s’attache surtout à aménager les lignes pour leur ouvrir la circulation directe des wagons à marchandises des grands réseaux. Mais elle se heurte à son tour à tous ces problèmes techniques : que nous avons déjà mentionnés, dont notamment celui du gabarit restreint. Quelques aménagements sont faits, mais un certain nombre de tronçons non transformés faisaient obstacle : certaines traversées d’agglomération sur rails type tramway et aux courbes très serrées obligent les wagons des grands réseaux à des itinéraires et des détours disons abracadabrantesques (mot récemment remis à la mode par un éminent Président de la République, donc un mot devenu chic).
La fin des CGB : le « Grand Paris » devient une Belle au bois dormant.
Le 1er janvier 1933, la STCRP, qui a pour vocation les transports parisiens urbains et qui, tout compte fait, ne veut plus ne faire que cela, se défait de son encombrant bébé régional qu’elle confie à la Société des Chemins de fer Économiques. Cette dernière a déjà, sur les bras, de nombreux enfants comme la ligne en voie métrique de Valmondois à Marines, ou l’exploitation, pour la SNCF, des deux lignes en voie normale de Chars à Marines et de Chars à Magny-en-Vexin, ces lignes étant déjà en contact avec le réseau des CGB. Le réseau de ce « Grand Paris » se développe donc !

Mais les finances et les voyageurs manquent, et, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, déjà les lignes de St-Germain à Poissy et à Pontoise, de Saint-Germain aux Mureaux, des Mureaux à Versailles ne sont plus que des souvenirs pour les habitants de la région qui préfèrent leur 202 Peugeot ou leur Juvaquatre Renault pour se rendre au travail à Paris : pour les marchandises, quelques trains complets circulent encore sur les rails qui se perdent peu à peu dans les herbes.
Il est vrai que l’ « Occupe » n’a pas que des mauvais côtés pour les trains : la pénurie de carburant et de pneus permet la réouverture pour un temps du service des voyageurs entre Saint-Germain et les Mureaux. Mais la guerre, aussi, cela a quelques inconvénients, dont des envahisseurs (ou des résistants) qui font sauter les ponts de chemin de fer, et la disparition dans la Seine de celui reliant les Mureaux et Meulan coupe le réseau en deux et en isole une grande partie de ses propres ateliers d’entretien. Dès le retour de la paix, c’est la grande fête libérale et automobile… L’essence et les pneus reviennent, et les petits trains, qui ont tant rendu de services pendant la guerre, sont immolés sur l’autel du progrès et de l’individualisme. La ligne de Saint-Germain aux Mureaux est « mise sur route » dès le printemps 1947, suivie, en 1948, des lignes d’Etampes à Arpajon, d’Etampes – Milly – La Ferté-Alais, de Pontoise – Sagy – Magny-en-Vexin, et de Corbeil à Milly. Seule la petite section Maisse – Milly reste en service jusqu’au 1er juillet 1953 pour quelques rares trains de marchandises.
Le projet d’un réseau du « Grand Paris » devient une Belle au bois dormant, et elle dormira pendant la deuxième moitié d’un XXe siècle dont les princes charmants successifs n’ont d’yeux doux que pour l’automobile, le tout pétrole, le tout béton. Mais il y a des légendes qui savent renaître, et parfois même, devenir des réalités. Ce sera enfin le cas pour le Grand Paris. Bon vent, bonne chance.


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