La tour Eiffel, fille des chemins de fer.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser (merci à « l’homme de la rue » qui me fournit gratuitement beaucoup de mes introductions), la tour Eiffel, que j’ai la chance de voir depuis la fenêtre de mon bureau), a beaucoup de gênes ferroviaires, d’une part, mais, d’autre part, elle a contribué à l’épanouissement du chemin de fer parisien en réveillant vigoureusement une gare construite pour l’exposition de 1878 à côté de laquelle elle a eu la chance de naître. Ce n’est pas tout : en 1889, mais aussi en 1900, elle a donné toute une animation et une raison d’être à une ligne de chemin de fer traversant une partie de Paris et construite dans les normes des grandes lignes des réseaux nationaux de l’époque. Aujourd’hui, elle est, pour Paris et pour la France, un inestimable symbole mondial à qui il ne manque qu’une chose : être classée comme Monument Historique. Car, contrairement à ce que l’on pourrait penser (bis !), la tour Eiffel ne l’est pas. Un détail ? Peut-être… mais aussi, et surtout, une garantie de protection solide et totale que la simple Inscription ne produit pas d’une manière aussi complète.

La tour Eiffel et l’exposition de 1889, dite du « triomphe du fer ». Question chemin de fer, la gare de la tour Eiffel est discrète, cachée par le monument, mais on devine le faisceau de voies derrière le monument en direction de l’ouest. Le pont courbe du chemin de fer de Courcelles-Ceinture est bien présent sur la Seine.

Du Douro à Garabit : oser le tout métal avec Eiffel.

L’ingénieur Gustave Eiffel n’a pas construit que la tour qui, certes, lui a apporté, pour l’éternité, une reconnaissance mondiale… Avant Eiffel, la technique des viaducs de chemin de fer entièrement métalliques est impossible, malgré les recherches des ingénieurs et des architectes  : les ingénieurs de la fin du XIXe siècle, limités par les possibilités des ouvrages d’art entièrement en maçonnerie, conçoivent un nouveau type de viaduc comportant un tablier, en forme de poutre, et qui est « poussé » par-dessus une suite de piliers. Les piliers en question sont le dernier stade d’alors des ouvrages construits en maçonnerie. Le stade suivant sera, vu les avantages de la construction métallique par rapport à la construction en maçonnerie, de supprimer les piliers. Il existe des viaducs formés d’une succession de piliers métalliques et d’un tablier poussé, mais cette technique montre ses limites. L’accomplissement de l’ouvrage d’art ferroviaire métallique sera l’arc, et Eiffel saura le faire. L’étape suivante sera l’ouvrage d’art intégralement en béton.

Le viaduc Eiffel sur le Douro, au Portugal, construit en 1876.

Eiffel : l’innovateur sachant combiner les techniques.

La technique de la poutre métallique poussée sur une rangée de piles en maçonnerie rend certainement des services considérables pendant tout le XIXe siècle, notamment pour la construction des viaducs de la ligne de Saïgon à Mytho en Cochinchine, mais elle ne permet pas de traverser un estuaire très large ou une vallée très profonde. Une fois construites, les piles peuvent représenter une gêne et même un danger pour la navigation dans le cas d’un estuaire. Il faut donc songer à faire un progrès supplémentaire, et l’ingénieur Gustave Eiffel réfléchit.

La solution trouvée par Eiffel consiste à combiner la solution des poutres droites, déjà pratiquée jusque-là pour les viaducs métalliques sur piles en pierre, et celle des arcs métalliques. En quelque sorte, Eiffel remplace les piles en maçonnerie par un immense arc qui supporte le tablier métallique. En 1875, à la suite d’un concours international de grande envergure, Eiffel propose cette technique innovante et hardie pour le pont ferroviaire du Douro, au Portugal, et remporte le concours. La voie de Lisbonne à Porto franchit le fleuve Douro à une hauteur de 61 mètres, et Eiffel conçoit un arc de 160 mètres à la corde et de 42,5 mètres à la flèche. En dehors de l’arc, placé en position centrale, le tablier est soutenu par des piles métalliques verticales. Ce n’est, en quelque sorte, que la répétition avant la « première » qui se jouera sur le site de Garabit, sur la ligne des Causses dans le Massif-central, en France, mais avec des dimensions encore plus imposantes.

Une des premières photographies du viaduc de Garabit. L’arc impressionne les photographes.
Pourtant, en 1885, Gustave Eiffel construisait encore des viaducs sans arc, avec la technique des piles en maçonnerie supportant un tablier métallique rectiligne. Ici le viaduc des Tardes.

Pourquoi, d’abord, passer à une telle hauteur au-dessus d’un cours d’eau ?

On pourrait s’étonner, surtout pour une ligne d’une importance toute relative, que les ingénieurs établissent un tracé demandant de passer à 122 mètres au-dessus des eaux d’une rivière : ne serait-il pas plus simple de passer moins haut, et de faire, ainsi, un petit ouvrage ordinaire enjambant cette modeste rivière ? La réponse est dans deux considérations techniques : l’impossibilité, pour le chemin de fer, d’accepter sur les lignes courantes des déclivités de plus de 30 pour mille (donc un petit 3 % dont une automobile ne fait aucun cas sur une route), d’une part, et, d’autre part, la nécessité de limiter ce que l’on appelle le « mouvement des terres » lors de la construction de la ligne pour ces questions de coût lors des travaux.

Dans le cas du Massif-central, il se trouve que les lignes passant sur les hauts plateaux doivent enjamber de véritables échancrures formées par les vallées des rivières qui les ont creusées, sur une grande profondeur, dans ces roches souvent tendres. Faut-il alors, pour ne pas enjamber ces vallées à grande hauteur, abaisser le niveau général moyen de la ligne ? Dans ce cas, on aurait des dizaines de kilomètres de tunnels à faire sous les hauts plateaux pour déboucher dans les vallées à un niveau bas, proche de celui des cours d’eau : mais que de tunnels sur des longueurs considérables pour de petits parcours à l’air libre dans les vallées servant à enjamber les rivières sur un petit pont !

Il vaut donc mieux rester sur le haut plateau, à l’air libre, et enjamber les vallées à grande hauteur. On ne regrettera que d’autant moins ce choix que ces vallées du Massif-central sont peu peuplées, et l’on n’ira pas survoler à grande hauteur des villes importantes pouvant fournir un trafic intense. Il est vrai que dans les Alpes ou le Jura, quelques villes importantes nichées dans les vallées ont obligé les ingénieurs à penser autrement. Mais, pour le Massif-Central, et pour ces lignes économiques parce qu’à faible trafic, il faudra bien rester sur les plateaux et accomplir des prodiges pour enjamber les vallées… Et c’est pourquoi des viaducs comme celui de Garabit sont très économiques et rentables.

La technique de l’arc d’Eiffel.

Toute l’originalité et le succès de ce type de viaduc repose sur l’arc métallique central. Cet arc a une forme tout à fait spéciale : il est appuyé sur une simple rotule aux naissances et sa hauteur augmente progressivement jusqu’au sommet, de manière à affecter la forme d’un croissant. Cette forme est particulièrement favorable pour la résistance, parce qu’elle permet de donner de plus grandes hauteurs dans les parties de l’arc les plus fatiguées.

Quant au montage de ce gigantesque ouvrage, il est effectué tout entier en porte-à-faux et sans échafaudage intermédiaire. À cet effet, les arcs sont construits à partir de chacune des naissances, et soutenus, au fur et à mesure de leur construction, par des câbles en acier amarrés au tablier supérieur. Chacune des parties construites servent alors de point d’appui pour l’établissement des parties suivantes. Les deux portions d’arc, par des cheminements successifs, s’avançaient l’une vers l’autre et venaient se rejoindre dans l’espace, où s’opère ainsi la pose de la clef qui doit les réunir.

Cette opération de montage, aussi difficile que nouvelle, est couronnée d’un plein succès lors de la construction du viaduc sur le Douro au Portugal. La hardiesse du procédé, la grandeur de l’ouverture qui dépasse celles réalisées jusqu’à ce jour dans les ouvrages analogues, attirent l’attention des ingénieurs de tous les pays. Aussi fait-on appel à Gustave Eiffel, sur la proposition des ingénieurs de l’État, MM. Bauby et Boyer, lorsqu’il s’agit d’édifier en France le grand viaduc de Garabit, qui franchit à une hauteur de 122 mètres la vallée de la Truyère, sur la ligne de Marvejols à Neussargues.

L’arc, c’est la beauté, l’élégance, la séduction… Il est donc normal que, pour la tour Eiffel, son créateur ait choisi de la construire non seulement avec du métal et non de la maçonnerie, mais aussi en la plaçant sur quatre grands arcs majestueux qui composent sa partie inférieure et lui confèrent toute sa grâce élancée et incomparable. En somme, la tour Eiffel, c’est le viaduc de Garabit et « quelque chose dessus ». Cette description n’engage que l’auteur de ce site-web, il va de soi.

Gravure ancienne représentant le viaduc de Garabit et très populaire à la fin du XIXe siècle.

La tout Eiffel créatrice de la ligne de chemin de fer de Courcelles-Ceinture au Champ de Mars.

Cette ligne n’est connue que de très peu de parisiens et aujourd’hui, si elle existe et si elle est très active, c’est parce qu’elle a été intégrée dans le système formé par la ligne C du RER et ses innombrables branches. Elle a, en renouant avec le succès et une grande activité, perdu jusqu’à son nom d’origine et peu de voyageurs jettent un coup d’œil aux splendides pierres taillées des mus de soutènement de la gare de Boulainvilliers, dans le XVIe arrondissement, et aussi à son bâtiment-voyageurs au style remarquable.

À l’époque de sa construction, elle représente un exploit qui mérite d’être signalé : la concession d’une ligne entièrement située dans Paris, et conçue, administrativement, comme une « vraie » ligne de chemin de fer et nullement une ligne du métro. Elle est déclarée d’utilité publique par la loi du 14 juin 1887, et elle est concédée à la compagnie des chemins de fer de l’Ouest qui dessert la Normandie et la Bretagne, sans compter une bonne partie de l’Île-de-France et sa banlieue ouest. Mais la concession comporte une clause : la compagnie de l’Ouest doit accepter, sur cette ligne, des trains de voyageurs d’autres compagnies moyennant un péage se montant à 60 % de la recette brute rapportée par ces trains.

Faite pour desservir l’Exposition Universelle de 1900 et, donc, la tour Eiffel, cette ligne est construite à grands frais, et comporte même de superbes bâtiments comme la gare de Boulainvilliers ou des ouvrages d’art hardis comme le viaduc en courbe sur la Seine. Une fois l’Exposition terminée, elle tombe quelque peu dans une léthargie pour plus d’un demi siècle, formant un raccordement en semi-désuétude et exploité (très occasionnellement) après démontage de l’une des voies. Aujourd’hui tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, car le RER est passé par là et ce raccordement a été intégré à la ligne C du RER dont il forme une partie de la branche Pontoise.

Paris en 1870: la ligne Courcelles-Ceinture n’existe pas encore.
La situation en 1889: la ligne de Courcelles-Ceinture au Champ de Mars (en vert) est ouverte et elle est bien représentée comme desservant la tour Eiffel.

De l’origine de la ligne à la station du Trocadéro.

En se détachant de la ligne de la Petite Ceinture, à la gare de Courcelles-Ceinture (altitude : 31,60 m) la ligne va jusqu’à la gare du Trocadéro (ultérieurement Ave Henri Martin). Elle se raccorde à la ligne dite d’Auteuil (Pont Cardinet-Porte d’Auteuil) au niveau du pont de la rue Alphonse de Neuville, dans le XVIe arrondissement, et, tout en gardant ses deux voies propres, elle emprunte la tranchée de la ligne d’Auteuil, formant alors une ligne à quatre voies. La voie montante Courcelles-Champ de Mars est placée le long du mur de soutènement sud puis sud-ouest, tandis que la voie descendante Champ de Mars-Courcelles est placée contre le mur de soutènement nord-ouest puis nord. Entre les deux voies se trouvent les voies de la ligne d’Auteuil proprement dite. Les 4 voies passent sous la place Pereire par une tranchée couverte longue de 141 m comprenant un tunnel central à deux voies et deux tunnels latéraux en voie unique. L’avenue des Ternes est traversée par un souterrain de 42 m et celle de la Grande Armée est traversée par un souterrain de 123 m. Les avenues du Bois de Boulogne et Henri Martin sont traversées par des souterrains de 168 et 64 m respectivement.

Les bâtiments-voyageurs des gares sont à cheval sur les voies, et ont donc deux quais en îlot, chacune se trouvant entre deux voies de même sens, ce qui donne un quai montant pour les trains Courcelles-Champ de Mars + Pont Cardinet-Auteuil, et un quai descendant pour les trains en sens inverse.

La très active gare de Courcelles-Ceinture en 1900.

Le parcours de la ligne du Trocadéro au Champ de Mars.

La deuxième partie de la ligne est tout aussi intéressante. En 1900, après la gare du Trocadéro (devenue Ave Henri Martin) et la voie descendante se sépare de la ligne d’Auteuil et s’engage dans un tunnel de 223, 79 m, tandis que la voie montante suit la ligne d’Auteuil sur une longueur suffisante pour pouvoir passer sous elle et rejoindre sa voie descendante par un tunnel de 230, 26 m. Il n’y a donc pas de traversée à niveau des voies d’Auteuil, ce qui évitera des complications et des accidents.

Les deux voies se retrouvent à l’origine d’une tranchée à ciel ouvert longue de 47, 80 m, puis s’engouffrent dans un long tunnel de 662,30 m creusé sous les hauteurs de Passy et permettant de descendre jusqu’aux bords de la Seine. Ce tunnel est interrompu par une tranchée à ciel ouvert longue de 106, 95 m dévolue à la jolie gare de Boulainvilliers.

La voie débouche du tunnel dans la rue Raynouard pour continuer son parcours d’abord sur un remblai puis sur un pont, dit le pont Rouelle, menant au quai de Passy. C’est là que les difficultés se sont accumulées : il faut, en effet, raccorder les voies avec celles de la ligne Invalides-Versailles R.G. qui longe la Seine en face, presque au niveau de l’eau, sous le niveau des chaussées du quai de Grenelle. Sur le viaduc, la ligne est très au-dessus du niveau des chaussées, et perpendiculairement au fleuve, tandis qu’en face, il faudra être très bas et longer le fleuve. Le pont Rouelle est construit en forte déclivité (10 pour mille) et en courbe à rayon serré (100, 150 et 175 m) : ces deux caractéristiques sont exactement ce que le chemin de fer déteste…

Le pont Rouelle se compose de 7 ouvrages d’art juxtaposés, de différentes portées (20 m, 85 m, 7 m, etc), certains étant en biais sous des angles de 72,30° ou 67, 37°. Les services de la navigation fluviale interdisent tout pilier dans la Seine. Il faut donc à la fois enjamber large, descendre beaucoup, et « virer sec » ! Le résultat est un superbe ouvrage d’art que, aujourd’hui toujours, on peut admirer l’avenue du Pdt Kennedy, près de la Maison de la Radio.

La gare de Boulainvilliers, au début du XXe siècle, avant son oubli qui durera jusqu’à la création du RER ligne C. Les murs de soutènement, les accès aux quais, le site est tout simplement magnifique. Tout existe toujours, mais dans la pénombre d’une gare devenue souterraine.
Le bâtiment-voyageurs de Boulainvilliers vu en 1980, enfin sauvé.

La gare mauvais genre du Champ de Mars.

Elle est construite à l’occasion de l’exposition universelle de 1878, et elle est originellement une petite gare destinée au passage d’une ligne rejoignant le pont de l’Alma à Courbevoie et aux Moulineaux. Une décision ministérielle en fait une gare terminus. Elle est très rationnellement conçue par l’architecte Juste Lisch, élève de Labrouste, et qui est un habitué de ce type de travail : il signera 5 gares pour la compagnie de l’Ouest dont la nouvelle gare Saint-Lazare en 1883, la gare du Havre, etc.

Cette belle gare n’existe plus aujourd’hui dans son état d’origine, mais elle existe bel et bien, elle est très active avec plusieurs centaines de milliers de voyageurs par jour : c’est la station « Champ de Mars-Tour Eiffel » de la ligne C du RER. Il faut beaucoup d’imagination, en se rendant sur place, pour essayer de savoir où était la première gare et pour comprendre l’importance qu’elle avait, en 1900, avec ses 10 quais et ses 20 voies de départ ou d’arrivée, dont 6 pour Saint-Lazare, 4 pour la Gare du Nord, 2 pour la Ceinture rive droite, 4 pour les Moulineaux, 2 pour Versailles, et 2 pour la Ceinture rive gauche.

La nouvelle ligne de Courcelles-Champ de Mars accueille à l’époque, et par millions, pour le compte des visiteurs de l’Exposition, tous les trains pour Saint-Lazare, la gare du Nord et la Ceinture rive droite. Les autres trains empruntent l’ancienne ligne déjà existante Invalides-Versailles R.G. Quel programme et quel service de qualité ! Et quel gâchis quand on sait que cette immense gare a disparu depuis…

La gare du Champ de Mars vue vers 1888 : elle attend sa chère tour Eiffel à laquelle, d’ailleurs, elle ne survivra pas longtemps, passant peu d’années à côté d’elle.
La première petite station du Champ de Mars, sur la ligne des Invalides à Versailles.
La très active gare du Champ de Mars vue pendant l’exposition de 1889.
Le bâtiment-voyageurs (BV) du Champ de Mars, construit en 1878, et à coté duquel la tour Eiffel a la bonne idée de pousser en 1889… Démonté après l’exposition de 1900, ce bâtiment existe toujours, remonté à Asnières-Bois Colombes et quelque peu oublié. On l’appelait alors « la gare électrique » car la ligne de Paris-Invalides à Versailles était électrifiée.

Les circonstances de sa naissance.

La ligne Invalides-Versailles-RG présente une caractéristique importante : elle est une ligne à traction électrique, assurant, d’une manière complètement autonome, un pur trafic de banlieue entre deux gares terminus, sur une plate-forme qui lui est propre. Reconnue d’utilité publique en 1897, l’exécution du tronçon de ligne compris entre Issy-les-Moulineaux et la bifurcation de Viroflay permet de relier entre elles les gares de Paris-Invalides et Versailles-RG. Cette nouvelle liaison supplée à l’insuffisance du débit de la ligne Paris-Montparnasse – Versailles, ouverte en 1840, et saturée. La gare des Invalides dessert mieux le centre de Paris que celle du Montparnasse.

Inaugurée le 1er mai 1889, la ligne des Moulineaux à Puteaux se prolonge jusqu’au Champ de Mars et le 5 juillet 1893 le décret de prolongement jusqu’aux Invalides est promulgué. La ligne Invalides – Champ de Mars – Les Moulineaux est inaugurée le 12 avril 1900.

La gare du Champ de Mars trouve, ce jour-là, une deuxième raison d’exister, puisque la ligne la reliant à celle de l’Avenue Henri Martin est aussi inaugurée : si elle laisse à celle des Invalides d’être la véritable tête de ligne, elle se positionne en étant l’importante gare d’embranchement de la ligne Courcelles-Champ de Mars faisant d’elle une gare de correspondance pour les voyageurs provenant des Invalides ou s’y rendant, et, surtout, une gare de départ et d’arrivée pour les millions de visiteurs de l’Exposition.

Les belles rames Etat type A1A-A1A.Z23029-54 en service sur la ligne dite des Invalides, vues en 1915. Elles sont exceptionnelles par leur confort et leur qualité technique avec leurs six essieux. Une de ces motrices est préservée à la Cité du Train à Mulhouse.

La gare du Champ de Mars: « une tare dans le décor des édifices et des monuments avoisinants »…

Après l’Exposition, la gare du Champ de Mars est réservée aux marchandises, laissant alors les voyageurs utiliser la station du même nom existant sur la ligne de Versailles R.G. Un véritable dépôt, avec chariot transbordeur et pont-tournant, un faisceau de 25 voies avec grues, bascules, voilà ce qui occupe la totalité des emprises de la gare, le tout à l’air libre, bordé par les avenues de Suffren, le quai d’Orsay, la rue de la Fédération. L’animation ne manque certes pas grâce aux trains de charbon allant et venant, au triage des wagons, aux chocs des tampons et aux ferraillements des attelages, au grincement des roues sur les appareils de voie en courbe à la sortie de la gare. Ajoutons les cris et les jurons de rigueur que se disputent avec compétence les cheminots et les « bougnats » de l’époque, et on comprend que le spectacle est complet.

La gare assure jusqu’en 1935 le trafic des charbons de la capitale, mais, d’après le N° de janvier 1937 de la Revue générale des chemins de fer, cette gare est « située dans un quartier de belle résidence et particulièrement fréquenté par les touristes et les étrangers, constituant une tare dans le décor des édifices et des monuments avoisinants »…. (sic !).

Notre belle bourgeoisie veut bien avoir chaud en hiver, certes, merci pour le charbon, mais une gare, des locomotives à vapeur, des wagons de charbon, c’est sale, et les cheminots et les bougnats ont des mœurs un peu rudes, plus prompts à avaler des « ballons-comptoir » au Café de la Petite Vitesse que du thé au lait dans le service en argent des salons distingués. L’exposition de 1937 vient à point nommé pour sauver les apparences : la gare aux charbons « doit » déménager dans un quartier autre et, on l’espère, éloigné : ce sera Vaugirard, en l’occurrence, où la gare de marchandises sera créée. Les terrains disponibles au Champ de Mars abriteront une partie de la future exposition de 1937 : il s’agit de la très intéressante partie consacrée aux chemins de fer et sur laquelle nous reviendrons dans un autre article.

La gare du Champ de Mars est à droite, juste à coté et au-delà de la Seine, sur ce cliché pris vers 1878.
Le BV de la gare du Champ de Mars, tel qu’il est, au pied de la tour Eiffel entre 1889 et 1900, donc, hélas, pour peu d’années.

Aujourd’hui, un stade, un hôtel Hilton, et les bâtiments de l’Union Internationale des Chemins de fer occupent très calmement ce beau site parisien qui a oublié, depuis longtemps, sa gare. Incrédule, l’amateur de chemins de fer ne peut que faire le tour des anciennes emprises de la gare formé par l’avenue de Suffren, le quai Branly, et la rue Jean Rey : ces trois rues forment un triangle correspondant parfaitement au faisceau des voies de la gare qui se réunissaient pour passer sous l’extrémité de la rue de la Fédération et longer la Seine en direction de l’ouest.

L’lmportant dépôt (traction électrique) du Champ de Mars vu vers 1915.
Le plan de la gare et du dépôt, à leur extension maximale avant la transformation pour la dernière exposition universelle qui se tiendra en 1937.

Le métro, enfin, mais pas tout à fait jusqu’à la tour Eiffel.

Enfin, en 1900 et juste avant la fermeture de l’Exposition Universelle, Paris a son métro après trente années de discussions. Longue à l’époque de 11 km contre 16,6 km actuellement, la première ligne du métro parisien, alors ligne A dans les projets, est inaugurée le 19 juillet 1900. L’Exposition universelle de 1900 ne l’a pas attendue, on s’en doute, et la ligne fait figure quelque peu de retardataire, arrivée, malgré tout, avant la fin de la fête… Notons que la construction intégrale de la ligne n’a demandé que 17 mois, ce qui est un record sans le genre. Il faut dire que les travaux ont été grandement facilités et accélérés par la faible profondeur de la ligne qui, dans les faits, est située immédiatement sous les chaussées des rues qu’elle suit. Il a donc « suffi », c’est facile à dire, de creuser une tranchée et de la recouvrir ensuite, au lieu de se lancer dans le percement d’un tunnel.

Devant initialement relier les portes de Vincennes et Dauphine, elle est finalement détournée de la porte Dauphine, quand on est à la station Étoile, car on estime que, tout compte fait, elle sera beaucoup plus utile et rentable en desservant la porte Maillot, le 16e arrondissement étant encore, à l’époque, un quartier peu dense et peu habité, en construction, et considéré comme très excentré. Donc, à Étoile, la ligne garde son cap rectiligne en direction de l’ouest.

Le tronçon achevé reliant Étoile à la porte Dauphine forme, provisoirement, un embranchement desservi par des navettes, tout comme l’amorce de la ligne 6 actuelle, de la station Étoile à celle du Trocadéro qui reçoit le même type de service pour la desserte de l’Exposition universelle.

La ligne A, de la porte de Vincennes à la porte Maillot, a donc deux embranchements B et C dans la station Étoile, l’un vers la porte Dauphine d’où on gagne le bois de Boulogne qui est un lieu de promenade très fréquenté à l’époque, et l’autre vers la place du Trocadéro où l’on peut très facilement gagner l’Exposition universelle et la tour Eiffel.

Le métro de Paris en 1900. La tour Eiffel est bien desservie par un embranchement de la ligne A (future 1) depuis l’Etoile.
La station de l’embranchement desservant la tour Eiffel, et qui sera ensuite partie prenante de la ligne 5 (qui deviendra 6) sous le nom de Passy. D’après le plan ci-dessus, l’embranchement s’arrête au Trocadéro, or, ici, la ligne atteint l’actuelle station Passy. Un mystère de plus à éclaircir.

Dès les premiers jours de service, il faut bien se rendre à l’évidence : c’est un succès, et non pas de simple curiosité. Les Parisiens ont réellement besoin de leur métro, et abandonnent sans regret les omnibus à chevaux archibondés jusqu’à leur impériale, et faisant du surplace dans les embouteillages, les chevaux prenant ainsi un repos prolongé en attendant que la chaussée se dégage… On passe vite à 6 minutes aux heures de pointe, et puis à 3 minutes en quelques mois, pour le début de 1901. Pour le mois de décembre 1900, le nombre de voyageurs est de l’ordre de quatre millions ! Une moyenne de 130.000 voyageurs par jour est désormais le régime de croisière.

Les sceptiques, les anti-métro, les augures de catastrophes, tous doivent se taire et prendre, à leur tour, le métro pour parcourir en une demi-heure une traversée d’est en ouest de Paris qui, par omnibus ou fiacre, se chiffrait en heures lors des pointes de circulation.

Aujourd’hui, prendre une photographie d’une rame de métro sur le viaduc de Bir-Hakeim avec la présence de la tour Eiffel toute entière dans le champ reste un « must » photographique que des touristes, venus du monde entier, se doivent de prendre depuis les quais de la Seine. Puisque le métro, c’est du chemin de fer, la tour Eiffel ne peut, là aussi, renier ses origines ferroviaires.

Petite histoire des étapes des ouvrages d’art ferroviaires : de la maçonnerie au métal:

Un ancien viaduc entièrement en maçonnerie, celui de Chaumont. Les limites de cette technique sont vite atteintes, et, notamment, les risques de « flambage » des piliers obligent à construire plusieurs viaducs superposés, chacun étant de faible hauteur.
Toutefois, certains ouvrages, comme celui de Meudon construit en 1855, parviennent, quand le sol est très stable, à de grandes hauteurs et repoussent, autant que faire se peut, les limites de cette technique.
D’innombrables viaducs, pour ne pas dire la majorité des ouvrages d’art construits au XIXe siècle, utilisent la technique éprouvée des piles en maçonnerie et du tablier « poussé » par dessus les piles. Ici le viaduc de la Sumène, dans le Massif-central.
Le viaduc de la Bouble, en 1881, est un exemple de la technique intermédiaire utilisant des piles, mais métalliques, et un tablier métallique « poussé » sur les piles. Nous sommes bien parvenus au stade du tout acier, mais avec les techniques des viaducs à piles en maçonnerie.
Le viaduc du Viaur, construit entre 1895 et 1902 par Paul Bodin (Gustave Eiffel est dans son équipe) marque, après celui de Gabarit, le succès du « tout fer » et sur arc dans le domaine des ouvrages d’art ferroviaires avec une grace, une finesse, et une légèreté particulières
Bien sûr, le viaduc de Garabit, chef-d’œuvre de Gustave Eiffel, marque en 1889 le triomphe de cette technique.
Le pont de Lavaur, construit entre 1882 et 1884 par Paul Séjourné, montre que l’ouvrage d’art en maçonnerie n’est pas endormi sur ses lauriers. Paul Séjourné utilisera le béton armé pour un grand nombre de ses viaducs.
Un peu de publicité (d’époque) pour Suchard. L’auteur accepte la livraison gratuite du chocolat promu à son domicile.

1 réflexion sur « La tour Eiffel, fille des chemins de fer. »

  1. André & Joelle Nouguier 16 avril 2021 — 22 h 54 min

    Bonsoir, Merci pour cet article mettant en valeur l’activité des viaducs par Gustave Eiffel. Savez-vous que parmi les hommes qui cottoyaient Gustave lors de la construction Tour Eiffel pour l’exposition universelle 1900, il y avait un homme grand de taille ? Son nom Emile Nouguier qui semble être un nos aïeuls et qui était responsable méthodes à l’époque ! Mais cela est rien à coté des ouvrages remarquables qui sont toujours debout et pour lesquelles la pratique du rivet chaud est toujours d’actualité pour faire le remplacement d’un élément devenu trop fragile par la rouille. Amicalement, André

Commentaires fermés

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