Louis Renault : l’homme qui aimait aussi les trains.

Louis Renault, un des hommes qui ont bâti la France ? Assurément, au premier regard, mais, si l’on s’engage plus en avant dans la complexité de l’œuvre de Louis Renault, il s’agit moins de bâtir « la » France et beaucoup plus de construire, en toute indépendance et en toute domination, « sa » France, son modèle de la société, la concrétisation des valeurs économiques, industrielles, et morales qui le poussent dans une création sans fin tout au long d’une vie austère, exigeante, et solitaire. Si Charles de Gaulle est pénétré d’une « certaine idée de la France », Louis Renault en a une, lui aussi, mais celle d’une France sous la forme d’un empire fermé, clos, mais complet, indépendant, et dominateur dans le monde industriel parce que complètement dominé par un « patron absolu » – c’est ainsi qu’il a été surnommé – et fille d’une stratégie évolutive et pragmatique, mais muette et déterminée.

Et pourtant, Louis Renault n’est pas seul dans l’affaire. André Citroën pourrait prétendre au rôle avec des arguments très convaincants, car l’homme au double chevron est le créateur et le héros d’une légende brillante et pleine d’aventures. C’est un destin lumineux et séduisant, au point que la tour Eiffel elle-même en est la prisonnière conquise, portant sur elle, dans la nuit parisienne, le grand nom qui clignote et qui vante les voitures « C4 » et « C6 » (les vraies, pas les actuelles mais celles de l’époque).

André Citroën, c’est l’innovateur technique, c’est le brillant polytechnicien, l’homme des fascinantes expéditions en Afrique et en Chine, c’est aussi le personnage mondain et raffiné, celui des « Planches » de Deauville qui donnait une voiture (réelle) comme pourboire aux maîtres d’hôtel, celui des fastes du Train Bleu et des années folles sur la Côte d’Azur, et aussi, pour le passionné de jouets anciens et d’automobiles, c’est l’homme des magnifiques et fidèles Jouets Citroën, maquettes précises à l’échelle du 1/10e, faites pour que le premier mot des enfants des années 1920 soient « Papa », « Maman » et « Citroën », au nom d’un taylorisme à la Pavlov et à l’américaine.

Le Ford français : on attendait Citroën, ce fut Renault.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, quand il s’agit de s’imposer dans un marché national dont la demande est sans précédent dans l’histoire de l’automobile, Renault et Citroën, les deux hommes, comme leurs armées et leurs empires, sont face à face. Ennemis ? Non. Concurrents, oui. L’admiration, la crainte, le respect ne les unit pas, mais les sépare. Ils s’observent du coin de l’œil. D’ailleurs André Citroën utilisera bien des briques fournies sans rancune par Renault – mais oui ! – pour construire sa nouvelle usine du quai de Javel.

Mais le fait est que tout les sépare psychologiquement, socialement, intellectuellement.

Alors qu’André Citroën est le tard venu dans l’industrie automobile en 1919, Louis Renault, lui, a démarré beaucoup plus tôt en étant, dès les premières années 1900, le plus grand constructeur français d’automobiles et destiné à le rester. Il a, de ses mains, fabriqué des automobiles à l’âge de 14 ans, par pure passion, dans un petit atelier au fond du jardin familial de Billancourt. Que l’on ne fasse pas de lui le « fils d’un ouvrier qui n’a pas eu sa chance »… C’est loin d’être son cas : né au milieu d’une famille de commerçants très aisés, il fait ses études secondaires au lycée Condorcet à Paris, passe son bac et prépare le concours de l’école Centrale. L’échec à ce concours en 1896 lui est très cruel et, silencieux, résigné et sombre, il tourne à contrecœur le dos aux études et au monde universitaire, et revient à sa passion automobile pour créer, avec ses deux frères, l’entreprise « Renault frères ». Il connaît les outils, les outillages, les métaux, les copeaux et l’huile de coupe. Il est mécanicien dans l’âme, et automobiliste dans son cœur, et gagne des courses automobiles, au volant d’engins dangereux et violents de l’époque, dont l’un tue son frère Marcel en 1903. De lui, aujourd’hui, on dirait qu’il est « authentique », que « c’est un vrai », ou « un bon ».

Produisant plus pour moins cher, Citroën fait de l’ombre à Renault, et, certainement, l’agace. Citroën innove et mène le jeu, allant jusqu’à le devancer sur son propre terrain : les taxis que Renault fabriquait déjà en série avant la guerre puisque les taxis de la Marne sont des Renault.

Taxis Renault devant la gare du Nord en 1914.

Louis Renault : « Voir grand et faire vite, vite… »

En 1911, Louis Renault, déjà un industriel établi et dans la force de l’âge (il est né en 1877), effectue un voyage aux États-Unis pour étudier les méthodes de Ford et revient avec l’idée d’appliquer, en 1913, le chronométrage pour augmenter la productivité (le taylorisme) en France ce qui lui vaut, on s’en doute, des grèves immédiates.

On le décrit comme autoritaire et colérique, intransigeant. Dur, oui, il l’est et il pratique le « lock-out » en cas de grève, comme patrons de son temps, et pourtant, ouvert et intelligent, il accepte le principe de la délégation ouvrière dès 1912 et fait de son entreprise le lieu de réformes sociales en écoutant le socialiste Albert Thomas. Sa vie, son jardin secret, son paradis sur terre, c’est son bureau d’études dans « son » usine : solitaire, acharné au travail, il est inventeur, capable de résoudre de nombreux problèmes réels posés par les automobiles alors dans les errements de leurs débuts. Par exemple, la boîte de vitesses avec prise directe, mondialement utilisée, ou les bougies démontables, le démarreur à air comprimé pour moteurs diesel lourds, les servofreins sur les voitures lourdes, c’est lui.

De son entreprise, il fait un trust industriel avec une forte intégration en amont : il fabriquera de tout, des tissus au caoutchoucs, du carton au papier, des équipements électriques aux bougies, et même, il cultive des arbres pour en avoir le bois et songe à faire lui-même son verre et à se libérer de St-Gobain. Il fabrique son électricité dans ses propres centrales électriques.

Mais aussi Louis Renault s’intéresse à toute l’automobile, sous toutes ses formes : voitures particulières, camions (dont il est le promoteur, bien avant les marques spécialisées), autobus (il fournira ceux de Paris, les fameux TN et TH à l’immortelle plateforme), et même, il devient le premier fabricant mondial d’autorails pour les réseaux ferrés français, sans oublier de faire des moteurs d’avion ou de marine, fabriquant sans doute les meilleurs moteurs diesel du monde. Jamais André Citroën n’aura une telle « envergure » dans la diversité !

Publicité Renault de 1932.

Une fin incompréhensible.

Louis Renault, l’homme imposant et mondialement connu, épouse Christiane Boullaire qui, plus tard, deviendra la maîtresse de Drieu La Rochelle et sera l’héroïne du roman « Béloukia » et de l’emprise du fascisme. Louis Renault est étranger à tout cela : l’homme qui a construit les chars de Verdun et de la victoire de 1918 ne voit que son travail au service de la France et son entreprise, et n’est pas du genre à trahir son pays, pas du tout. Mais voilà : il a suffi que les usines Renault travaillent pour l’occupant, comme tant d’autres en France, et il a suffi que le roman de Drieu La Rochelle ait été publié… et voilà des soupçons de circonstances aggravantes pesant sur Louis Renault. Les circonstances sont plus efficaces que les actes et les faits quand les tribunaux sont pressés, ce qui fait que, rapidement, Louis Renault est jeté en prison dès 1944 dans un climat de règlement de comptes, abandonné, désespéré, maltraité, Louis Renault est transporté, mourant, à la clinique Saint-Jean-de-Dieu à Paris, et il s’éteint après avoir murmuré à son épouse : « Et l’usine ? » L’usine, dont il voulait avoir des nouvelles alors qu’il mourait, a été son grand souci, sa grande œuvre. Il n’a pas fait d’erreur professionnelle, au contraire : il a excellé jusqu’au bout, et l’État, en nationalisant les usines Renault, fait une bonne affaire.

Louis Renault (1877-1944)

Le père de l’ « autorail géant ».

Durant la fin des années 1930, Louis Renault gère son empire industriel en grand « patron » innovant et énergique qui veut produire tout ce qui peut être nécessaire au développement industriel de la France, et couvrir tous les besoins nationaux en matière de transports, dont les chemins de fer. Du chemin de fer, il retient ce qui est le plus proche de son « cœur de métier » (dirait-on aujourd’hui) ce qui le pousse à s’emparer du domaine prometteur des autorails. Tout en s’intéressant aux petits autorails à deux essieux dits « type automobile », il se lance dans la construction de nombreux prototypes de dimensions et de puissances imposantes dits « type chemin de fer ». À partir de 1934, le Bureau d’études de Billancourt ne chôme pas avec la conception de cinq prototypes « géants » conçus pour les services rapides et à grande capacité.

Un des rares petits modèles d’autorail Renault à deux essieux : le ZO, sortant de l’usine de Billancourt, photographié sur l’un des ponts sur la Seine, en 1935. L’ « automotrice », terme utilisé à l’époque pour l’autorail, est dite de conception « type automobile ». Louis Renault passera rapidement au type dit « chemin de fer », lourd et puissant.

En 1936, Louis Renault propose aux réseaux des essais comparatifs entre deux prototypes de grande puissance : l’ADP1 à moteur unique type 504 de 500 ch., et l’ADX1 à deux moteurs type 513 de 265 ch. donnant 530 ch en totalité. L’ADX2 l’emportera surtout par la présence de deux moteurs permettant de surmonter une panne et de toujours rentrer au dépôt. Le moteur type 504 de 500 ch se montra, en outre, assez défaillant et sa mise au point s’annonçait longue et difficile.

Les compagnies de l’époque ayant de nombreuses lignes de montagne à profil difficile, comme le PO avec le Massif-Central, ou le PLM avec les Alpes et le Jura, ont un important et urgent besoin d’autorails de forte puissance et capables, les jours de pointe, de prendre plusieurs remorques.

Louis Renault se passionne pour son nouveau moteur type 504 d’une puissance jamais atteinte et qu’il compte bien vendre aux dirigeants des compagnies, mais ses adjoints, les très sages et fidèles ingénieurs Georges Baldenweck et Rolf Metzmaier écoutent plutôt les avis des conducteurs et chefs de dépôt qui préfèrent l’autorail à deux moteurs classiques et bien éprouvés, ces autorails étant plus sûrs en cas de panne. Les autorails à deux moteurs sont, à puissance totale égale à un monomoteur, plus chers au kilomètre certes, mais les déboires occasionnés par un moteur nouveau et long à mettre au point plaideront bien en faveur du bimoteur.

La compagnie du PO-Midi commande ainsi 10 ADP et 13 ADX pour poursuivre encore les comparaisons, l’État commande 5 ADP, mais le PLM, qui a une bonne expérience des autorails bimoteurs Decauville ou De Dietrich, passe directement une commande pour 8 autorails ADX. Louis Renault est bien obligé, pour continuer à fournir des autorails à la toute jeune SNCF, de rester fidèle à l’autorail bimoteur et d’abandonner son cher moteur 504.

L’autorail triple ABL est demandé par le Réseau de l’État qui essaie déjà le fameux Bugatti triple et le type 33 Michelin et qui sollicite Renault pour la réalisation de que l’on appelle, à l’époque, des « trains automoteurs » destinés à la relation rapide Paris-Le Havre. Le deuxième prototype est le Renault ADP, à caisse unique, capable de remorquer des voitures légères, ou de circuler sur des lignes de montagne à profil difficile sans perte de vitesse notoire. Ces deux prototypes sont équipés du nouveau moteur 16 cylindres de 500 ch. du type 504 dont Renault attend beaucoup.

Autorail triple ABL Renault sur une publicité de 1939.

Les puissants autorails à caisse unique pour les lignes de montagne.

Mais il y a aussi trois autres prototypes à caisse unique : d’abord l’autorail ADX, répondant aux mêmes besoins que l’ADP, mais avec deux moteurs de type 513 déjà montés sur I’ABJ, représentant, pour les exploitants, moins de risques techniques. Ensuite, on a le très curieux AEK à poste de conduite central et kiosque, plus léger que I’ABJ, mais de même puissance avec deux moteurs 6 cylindres de 150 ch, destiné à des services omnibus ou de banlieue. Enfin, on trouve l’AET, avec son moteur de 500 ch comme l’ADP, d’une longueur incroyable de 32,73 m qui lui fait battre le record de capacité pour un autorail à caisse unique. Tous ces prototypes sont construits et essayés entre 1935 et 1937 et, même, l’ADP battra des records en effectuant un Paris-Strasbourg en 3 h 34 mn, accumulant, avec le retour, une distance de 1104 km parcourue à plus de 140 km/h en moyenne.

Autorail Renault AEK vu en 1939. Le conducteur est placé dans un kiosque surélevé central, une exception à la Bugatti pour Renault.
Autorail Rebault ABV à ceux caisses et trois bogies vu en 1938.
Autorail Rebault ADP : bogie moteur et « descente de mouvement ». Document Renault 1935.
Vue depuis le siège du conducteur, un impressionnant pupitre de conduite d’un ADP. Le puissant moteur est juste à côté du conducteur : le bruit est insoutenable. Le « Flaman » est perdu dans une jungle mécanique. Il semble que voir la voie ne soit pas le premier des problèmes… Noter la qualité du pupitre de commande entièrement en métal venu de fonderie.

Le prototype ADX fait partie, avec l’ADP et l’AEK, de ceux qui sont suivis d’une descendance, ce qui leur vaudra, a posteriori, de porter le chiffre 1 à la suite des trois lettres (pour les lettres, voir la notice en fin de cet article). Ainsi, les autorails de série seront, pour l’ADX, le type ADX2.

L’ADX1 prototype est essayé par le réseau de l’Est dans le cadre du roulement des ABJ entre Nancy et Langres par Vittel et Merrey, et en remorquant une voiture à bogies de première et troisième classe du célèbre type Ty pesant quand même 34,5 t à vide et offrant 52 places assises. A part quelques problèmes de refroidissement des moteurs et de tenue de voie, tout se passe assez bien pour que l’on envisage une production en série en 1937. En effet, le PO-Midi a commandé treize autorails pour les lignes rayonnant autour de Limoges, et, de son côté, le PLM a pris une option pour quatre autorails. Le premier ADX2 est livré en 1938 à la SNCF, et essayé sur les lignes de Dreux à Vire et à St-Hilaire-du-Harcouet. Il est ensuite essayé sur la dure ligne de Grenoble à Veynes. D’après l’auteur, spécialiste et historien reconnu de l’autorail en France que fut Yves Broncard, il porte le numéro ZZ PEty 23841 qui est, en principe, un numéro du PO-Midi…

Avant la Seconde Guerre mondiale, les 21 autorails ADX2 commandés sont livrés à la SNCF qui les numérote ZZ R 5101 à 5113 pour ce qui est des autorails ex-PO-Midi), et ZZ R 5201 à 5208 pour les ex-PLM. Tous les ADX2, et le prototype ADX1, sont regroupés sur la région Sud-Ouest de la SNCF malgré les origines des commandes des anciennes compagnies qui auraient pu laisser penser que les régions Sud-Est et Est en auraient eu aussi. Le principe de regroupement du matériel et de standardisation qui est un des « fondamentaux » (comme on dirait aujourd’hui) de la SNCF fait que les ADX2 feront donc carrière sur les lignes du Massif-central.

Autorail Renault ADX2 en service, en 1939.
Un ADX2 en attente de départ.
Les lignes desservies par des autorails ADX2 en 1950 sur le réseau SNCF.

Un abonné au gaz français, donc exemplaire.

En pleine guerre, en 1941 et à Saint-Marcet, en Haute-Garonne, la Compagnie Française de Raffinage met en exploitation son premier gisement. La SNCF, qui comme la France entière, va se mettre au gaz, faute de pétrole, et ce gaz, alors comprimé, est fourni à la SNCF en bouteilles de 50 litres.  La toiture des autorails ADX2 est transformée pour recevoir deux batteries de 20 bouteilles. Les moteurs sont modifiés et reçoivent un allumage électrique à bougies blindées. Le taux de compression est abaissé par fraisage à plat de la partie supérieure des pistons et modification des joints de culasse. Le système s’avère fiable et rentable, mais si les moteurs sont utilisés à régime élevé.

À la sortie des bouteilles, le gaz passe dans des détendeurs puis arrive à un carburateur commandé par un servomoteur que le conducteur actionne, ce qui lui permet de régler la quantité de mélange carburé admise aux cylindres. Le conducteur doit, une fois le démarrage et l’accélération obtenus, arrêter complètement l’un des moteurs et continuer la marche avec l’autre moteur qui développe presque toute sa puissance pour maintenir la vitesse du convoi dans des conditions particulièrement économiques, à haut régime.  Sept autorails fonctionnent au gaz de Saint-Marcet (ZZ R 5102, 5104, 5105, 5107 à 5110) de 1942/43 jusqu’au début de l’année 1947 qui voit le retour au combustible classique.

La carrière des ADX2 est remarquable. Les treize X-5100 de la SNCF sont affectés au centre d’autorails de Tours, et, de leur côté, les huit 5200 sont répartis entre Narbonne pour six engins et Bordeaux-Bastide pour les deux autres. En 1940, six des treize autorails de Tours sont repliés à Bordeaux-Bastide et sept le sont à Carmaux. Les autorails ADX2 de Carmaux  assurent des relations au départ de Toulouse vers Auch, Mazamet, Rodez et Albi, ainsi que des relations accélérées entre Toulouse et Bordeaux, Marmande et Agen, ou Agen-Montauban avec des moyennes pouvant atteindre 100 km/h. Se faisant remarquer par leur puissance, ces autorails forment en fait de véritables trains en acceptant jusqu’à trois remorques XR 6000 Decauville.

Notons qu’en avril 1947, l’autorail ZZ R 5204 de Narbonne, encore équipé pour la marche au gaz, ira faire des essais en Suisse sur les lignes secondaires du Jura et sur la petite ligne de Wil à Constance : la Suisse, elle aussi, manque de pétrole à l’époque.

En 1952, le magnifique parcours Toulouse-Lyon sur 609 km à travers le Massif-central, par Rodez, Mende et Le Puy, marque, sans nul doute, l’apogée de ces très beaux autorails qui trouvent enfin un parcours à la hauteur de leurs performances. Mais les nouveaux autorails unifiés SNCF, les X 2400, les chasseront de ce parcours mythique assez rapidement.

La série est réduite à 19 unités par suite de la guerre pour ce qui est du X-5106, ou par suite du déraillement de l’autorail X-5001 à Barbentane, tandis que le 5113 est détruit lors de la collision de Gaillac. À partir de 1958, tous les ADX se retrouvent à Limoges où ils finissent leur carrière, retirés du service entre 1969 et 1976. L’autorail X-5101 est conservé pour le Musée français du Chemin de fer, mais n’est toujours pas restauré. La plupart auront totalisé plus de 3 millions de kilomètres !

Autorail Renault fonctionnant (c’est beaucoup dire…) au gaz pendant la Seconde Guerre mondiale, mais il s’agit vraisemblablement d’un ABJ.

La politique des autorails en France

Sous l’impulsion de Louis Renault, les réseaux ferrés français ont développé une politique d’autorails très active depuis l’entre deux guerres, faisant d’eux un engin à la fois passionnant, techniquement, mais souvent peu apprécié des usagers… Constituant un parc atteignant presque huit cents exemplaires à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’autorail français vit un âge d’or, passant pour « moderne » du moins aux yeux des directeurs des compagnies et des décideurs politiques, passant pour performant aux yeux des constructeurs d’automobiles qui gagnent ainsi un nouveau marché, passant pour efficace et chic aux yeux des hommes d’affaires voyageant dans des rames luxueuses avec un repas servi à la place, et passant… pour ce qu’il est, quand il s’agit du petit appareil à deux essieux, sommairement dérivé d’un autobus et cahotant, dans une campagne dépeuplée sur une incertaine ligne secondaire.

Premier réseau au monde par le nombre d’environ 800 autorails circulant sur ses lignes, la SNCF utilise cet important parc d’appareils (« appareil » est un terme SNCF pour désigner les autorails) pour continuer à maintenir en vie ses petites lignes. La Seconde Guerre mondiale les mettra pour un temps au dépôt, mais, dès la libération, l’autorail reprend ses droits et son utilité.

C’est l’époque des débuts, non pas incertaine comme les débuts le sont toujours, mais bien sûre d’elle, avec la production en masse de centaines d’autorails, appelés « auto-rails », puisque ce sont bien des automobiles, plutôt des petits autocars, mis sur rails. Ce sont les années 1920, et les dégâts de la Première Guerre mondiale sont à peine pansés que les crises économiques se succèdent à répétition, tuant les petites lignes à qui on refuse leur faible trafic. Ces autocars sur rails ne coûtent pas cher, puisque bénéficiant de châssis, de moteurs et de boîtes de vitesse de série, venus de l’automobile. La direction bloquée, car ils n’en ont plus besoin, ils se dandinent sur les voies métriques ou de 60, et leur moteur, qui se trouve surpuissant grâce à la facilité de roulement sur les rails, s’offre le luxe de tracter une remorque. Ils recréent un trafic sur les lignes encore ouvertes, et leur succès est tel qu’ils sont rapidement insuffisants : alors, on ressort la locomotive à vapeur et sa rame de voitures à portières latérales ? Pas encore : ils préparent le terrain pour des autorails plus gros et plus rapides.

Pendant les premières années 1930, le réseau du P.L.M. et celui de l’État, qui ont découvert les vertus de l’autorail, organisent des concours qui créent l’autorail moderne et performant qui prendra le nom d’automotrice à l’époque, en attendant que ce nom soit réservé à leurs homologues électriques. C’est la grande époque des très répandus VH et ABJ Renault, mais aussi des De Dietrich à proue ronde ou en étrave, et surtout des fantastiques Bugatti qui sont certainement le premier véhicule ferroviaire médiatique à la manière dont les TGV actuels le seront.

C’est une époque de grande maturité technique, avec des moteurs diesel rapides à 1500 tours et puissants capables de franchir le seuil des 300 ch., mais aussi des transmissions élaborées de type mécanique ou électrique, et des structures lourdes de type ferroviaire. Battant de vitesse les trains les plus rapides, ils prétendent les égaliser en matière de confort et d’agrément, et ils ajoutent une image de marque de modernité à un chemin de fer qui en avait bien besoin.

Les premiers ABJ Renault sont mis en service en 1935. Le tamponnement central, et donc non compatible avec l’ensemble du matériel roulant, est réservé aux autorails et permet le couplage et/ou le jumelage.
Un grand classique français des années 1930 : l’ABJ Renault, ici sur une ligne de montagne. Les problèmes de pollution ne sont pas encore dans les esprits….
Un autorail Renault ABJ magnifiquement préservé et visible à Pacy-sur-Eure, pièce maitresse d’une collection toujours en activité.
Le pupitre de conduite d’un ABJ.
Un ABJ en service dans les années 1930 : véritable moyen de transport populaire, il accepte généreusement tout dans son compartiment-fourgon : motos, animaux… bref, tout ce que l’autocar refuse.

Ces années 1930 sont aussi celles où les constructeurs d’autorails apportent avec leur ingéniosité technique et le sens commercial issus du monde de l’automobile, et certains d’entre eux, comme Michelin, vont jeter le bouchon très loin en inventant ces incroyables Michelines dont la presse internationale et les « people » de l’époque vont se montrer très friands. Ces autorails trouvent leurs arguments dans le pneumatique, et aussi leur faiblesses, puisque cette technique, purement automobile et routière, ne répond à aucune des caractéristiques du monde ferroviaire, notamment en poids par essieu et en capacité de shuntage électrique des files de rails pour la signalisation. Les pneumatiques sauront le rappeler en crevant sur les échardes que les locomotives à vapeur, en patinant, créent sur la surface des rails, en exigeant des frotteurs métalliques pour effectuer le travail qu’ils ne peuvent faire sur la signalisation, mais, en apportant le silence, le confort, des distances d’accélération et de freinage dignes d’une voiture de course, ils permettent des performances inconnues jusque-là. Il ne manque plus que des hélices pour que ces autorails deviennent des avions… et ce sera tenté avec un autorail Decauville sur le réseau du Nord en 1938.

Voici la plus belle époque des autorails d’avant-guerre, celle de leur apogée avant le crépuscule. C’est aussi, à côté des grands classiques signés Renault ou Bugatti, l’éclosion de marques souvent plus innovantes encore, toujours ingénieuses, comme les autorails à museau triangulaire des Aciéries du Nord, les prestigieuses rames TAR de la Franco-Belge, les énigmatiques autorails Lorraine, et surtout les amusants et innombrables autorails des réseaux métriques. L’aventure coloniale, d’ailleurs, les attend, ces métriques qui iront loin des douces campagnes de la métropole pour aller peiner sous des climats chauds et sur des voies rudes et incertaines.

Mais c’est aussi l’époque de la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle les ingénieurs de la SNCF, « repliés » et éloignés du front par leur âge, pensent à la paix et dessinent les autorails unifiés que la SNCF commencera à construire pendant les années 1950. L’espoir naissait déjà sous les cieux sombres.

Constituant un parc atteignant presque huit cents exemplaires à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’autorail français vit un âge d’or entre 1920 et 1939, passant pour « moderne » pour les directeurs des compagnies et des décideurs politiques, performant pour les constructeurs d’automobiles qui gagnent ainsi un nouveau marché, efficace aux yeux des hommes d’affaires pressés, et passant… pour ce qu’il est quand, au petit matin, une sorte d’autobus sur rails pétarade et cahote sur une voie métrique.

Car l’autorail, ce fut tout cela, depuis les surréalistes autorails Michelin sur pneumatiques, ou Michelines, dont le nom perdure toujours, jusqu’aux royaux Bugatti avec leurs vrombissants moteurs de voiture de luxe, en passant par les innombrables et robustes Renault, De Dietrich, Decauville, Berliet et autres Somua. C’est une époque de grande technicité avec ses diesels rapides réglés à 1500 tours et donnant 300 ch. C’est aussi l’arrivée de marques souvent plus innovantes encore, toujours ingénieuses, comme les autorails à museau triangulaire des Aciéries du Nord, les prestigieuses rames TAR de la Franco-Belge, les énigmatiques autorails Lorraine, et surtout les amusants et innombrables autorails des réseaux métriques. Et pendant la Seconde Guerre mondiale, les ingénieurs de la SNCF pensent à la paix et dessinent les autorails unifiés que la SNCF commencera à construire durant les années 1950. C’est sans doute la légende la plus originale du réseau ferré français dont l’autorail a été une de ses spécialités les plus reconnues dans le monde.

Avec l’autorail ABJ, l’autre grand modèle populaire produit par Renault est le fameux VH à partir de 1933 et pendant de longues années. Ici nous sommes lors des premiers départs en vacances du « Front Popu » des dernières années 1930.
Autorail Renault VH de 1933 à la Cité du Train et du Patrimoine SNCF à Mulhouse.
Cabine de conduite du VH de Mulhouse, magnifiquement restaurée comme il se doit.
La construction des autorails à l’usine de Billancourt, ici des VH.

Tableau technique de l’autorail Renault ABX2.

Type : autorail à bogies BB

Date de construction : 1937

Moteurs principaux : 2 × 300 ch.

Transmission : boîte 4 vitesses et embrayage à disques

Capacité : 64 places en 3ᵉ classe plus 5 ou 3 strapontins

Masse : 43 t

Longueur : 26,43 m

Vitesse : 120 km/h

Tableau technique de l’autorail Renault VH.

Type : autorail B2

Année de construction : 1933

Puissance : 310 ch.

Moteurs : 1.

Type : Diesel, 12 cylindres en « V ».

Vitesse maximale en service : 100 km/h.

Masse :  29 t.

Longueur: 20,40 ou 21,04 m selon les aménagements.

Tableau technique de l’autorail Renault ABJ.

Type : autorail B2

Date de construction : 1935

Puissance : 300 ch

Moteur : Diesel 12 cylindres en V

Transmission : mécanique

Places assises : 68 à 90

Masse : 31 t

Longueur : 25,18 m

Note technique: les lettres désignant les modèles d’autorails Renault.

Les dénominations ABV, ACB, ZO, VH, ABJ, ADP, ADX, AEK, ABH, qui se rapportent toutes à des autorails Renault correspondent uniquement à l’ordre dans lequel ces véhicules ont été étudiés aux Usines Renault et se confondent avec les séries de voitures et de camions, que les amateurs d’automobiles anciennes reconnaîtront. La première voiture automobile s’appelle type A, puis la 26e est une AA. Les Usines Renault en sont ainsi arrivées aux indices AAA, ABV dans lesquels s’insèrent les autorails.

Rappelons brièvement les indices types d’autorails Renault :

ABV : Autorails doubles (deux caisses sur trois bogies) deux moteurs 300 ch. (séries X 100),

ZO et ACB : Autorails à deux essieux, un moteur Diesel, 110 ch.. Les autorails ACB sont les mêmes que les ZO, mais de construction plus récente : 1934 pour les premiers, 1936 pour les secondes (série X 10.000 et X 11000).

VH : Autorails à bogies à un moteur Diesel 300 ch. (série 2000)

ABJ : Autorails à bogies à un moteur Diesel 300 ch. (série 3000)

ADP : Autorails à bogies à un moteur Diesel 500 ch. (série 4000 et 4100).Les moteurs 500 ch. de ces autorails sont progressivement remplacés par des moteurs de 300 ch..

ADX : Autorails à bogies à deux moteurs Diesel 300 ch. (série 5100 et 5200);

AEK : Autorails à bogies à deux moteurs Diesel 150 ch. (série 7000). Ces autorails n’ont qu’un poste de conduite situé dans un kiosque au milieu de la caisse;

ABH : Version VH ou ABJ pour voie métrique.

2 réflexions sur « Louis Renault : l’homme qui aimait aussi les trains. »

  1. Toujours intéressant bien que j’appréciais beaucoup moins les autorails que les trains tirés par une locomotive ; l’odeur des diésels et les arrêts fréquents sur le petites lignes me rendaient malade. Cela n’ enlève rien aux mérites des « Michelines  »
    A propos de constructeurs automobiles français je suis encore parmi les rares conducteurs à avoir conduit une Panhard PL17, achetée neuve en 1963. C’était alors la plus ancienne marque française , je pense..

    1. Cher Michel, en 1960, jeune pion gagnant ma vie pour payer mes études, je me suis pffert
      mon rêve d’alors : une Dyna Panhard d’occasion, voiture décotée en vendue moins cher qu’une Dauphine.La boîte de vitesses a rapidement rendu le dernier soupir – peu audible avec les pétarades du moteur. J’ai persisté et je suis passé à la PL17, d’occasion, vers 1962: ce fut superbe. Dans les années 1980, j’ai acheté pour trois sous une Dyna Junior, décapotable, ô combien, et je l’ai gardée quelques années comme voiture de collection, roulant souvent mais sans jamais avoir la moindre panne. Bien à vous, Clive

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