Le modélisme ferroviaire : éternelle quête de la perfection ?

La passion pour les trains miniatures est à la fois importante par le nombre d’adeptes qui se comptent en centaines de milliers pour les pays européens les plus importants, et ancienne si l’on tient compte du fait que ce loisir est apparu au Royaume-Uni dès le début du XXe siècle, le premier club étant crée en 1912 à Londres. Pourtant, jusqu’à il y a une vingtaine d’années encore, il ne fallait pas avouer que l’on était modéliste ferroviaire si on voulait entrer à la SNCF, tellement les modélistes adultes, grâce à de nombreux reportages niais à la télévision aux heures de grande écoute, subissent les effets d’une image désastreuse, celle d’adultes restés dans l’enfance, attardés et malades, qui doivent se cacher dans une cave ou un grenier, là où ils ont pu loger un réseau clandestin pour « jouer au petit train », victimes d’une manie à ranger parmi les folies douces comme la construction de cathédrales en allumettes ou la collection de boîtes de camembert.

Le sommet actuel du modélisme ferroviaire, avec un réseau en « protofour » respectant parfaitement l’échelle du 1/87e, réalisé par Yann Baude, rédacteur en chef de « Loco-Revue », la réféence absolue en modélisme ferroviaire depuis sa création, en 1937, par Jean-Edmond Fournereau. Trois générations plus tard, actuellement donc, ce nom reste associé, avec les éditions LR-Presse, à ce que tout modéliste ferroviaire se doit de lire et de connaître.

Une vision déformée du chemin de fer créée par le train-jouet.

Il faut aussi dire que le modélisme ferroviaire crée, dans l’esprit des modélistes et notamment des enfants, une vision du chemin de fer qui est totalement fausse et une connaissance du chemin de fer très restreinte qui se résume généralement à un culte du seul aspect, une vénération des plans qui se doivent de représenter des modèles « à l’échelle exacte » donnée qui ne tient que par le nombre de fenêtres d’une voiture, le nombre de rivets sur une locomotive, l’exactitude seule des couleurs du matériel roulant et des marquages, des numéros, des inscriptions que l’on veut retrouver sur les modèles. Le reste, le vaste reste, ne compte pas.

Il est vrai que, techniquement, les modèles réduits n’ont qu’un rapport très éloigné avec le matériel roulant réel pour la simple raison que, en H0 par exemple, les courbes, pour d’évidentes raisons de place dans un domicile, ont un rayon qui, chez Jouef ou Hornby dans les années 1950, pouvait n’être que de 325 mm, soit réellement un rayon de 28 mètres ! Ces 325 mm donnent un diamètre de 650 mm, c’est-à-dire permettent un réseau ayant une dimension d’environ 80 cm sur le côté, car, forcément à tracé de voie circulaire, puisque l’on ne connaît rien d’autre que les « petits trains qui tournent en rond… Avec quelques rails droits, le réseau tiendra sur un plateau de 80×180 cm, donc ne sera pas plus encombrant qu’une grande table. En écartement « 0 », ce sera le double, alors ce ne sera pas logeable dans un appartement actuel.

Réseau naïf des années 1950, en « H0 », réalisé avec du matériel Jouef. Le « petit train tourne en rond » sur son petit ovale à rayon de 325 mm qui tient sur un plateau d’environ 80×150 cm. Le matériel roulant est brut de moulage en plastique teint dans la masse. Les prix sont modiques, et tout est simple, et fonctionne bien.

Or ce rayon de 325 mm, soit 28 mètres dans la réalité, est totalement irréaliste. Les courbes réelles les plus faibles sont à un rayon de 150 mètres et elles sont très exceptionnelles et ne se trouvaient que dans des dépôts, tandis que les courbes sur les lignes les plus sinueuses en montagne, au XIXe siècle, ne descendaient guère en dessous de 250 à 400 mètres, les courbes des grandes lignes ne descendaient pas en dessous de 800 mètres, et les rayons de courbure des LGV actuelles se comptent en milliers de mètres de rayon !

Une courbe de 28 mètres de rayon réelle pourrait se rencontrer sur une ligne de tramway ancienne qui doit, sur un carrefour, tourner pour s’engager dans une rue transversale, ou pourrait être celui, célèbre à Paris, de la boucle de la ligne 2 du métro parisien à la station Porte Dauphine… Pour qu’un train en « H0 » s’inscrive dans une telle courbe, les bogies doivent pivoter sur un angle très fort, comparable à celui des roues avant d’une automobile en train de « braquer à fond », mais alors les attelages doivent laisser un espace entre les wagons et les voitures absolument délirant et les tampons qui, dans la réalité, prennent appui les uns sur les autres, en modélisme sont très éloignés les uns des autres et semblent respecter la « distanciation sociale » de la Covid.

C’est ainsi qu’une 241-P Jouef des années 1970 a un bogie avant et un bissel arrière qui peuvent pivoter jusqu’à sortir du dessous du châssis, ne roule que guidée et supportée par son premier et son dernier essieu moteur, tandis que les essieux moteurs 2 et 3 sont complètement « flottants » avec un débattement en largeur et en hauteur délirant. Bref, physiquement, une 241-P en modélisme est une locomotive à quatre roues, celles des essieux moteurs 1 et 4. Le bogie et le bissel ignorent tout du guidage réel, du rappel réel, du poids par essieu réel.

Cerise sur le gâteau : les vitesses atteintes par le modèle de la 241-P n’ont rien à voir avec les 120 km/h réels et sont, à l’échelle du 1/87e, dignes des records les plus récents des TGV, et ne parlons pas de son poids qui est 87 fois supérieur à la réalité puisque le modèle évolue sur la même planète que la locomotive réelle. En modélisme, les modèles s’arrêtent « pile » même avec leur train derrière eux, quand on coupe le courant traction : depuis quelques décennies, l’électronique permet de simuler l’inertie des trains réels qui peuvent rouler pendant des dizaines de kilomètres sur l’erre : l’astuce continue à maintenir, en le diminuant, le courant traction après que le modéliste-conducteur l’ait coupé… ce qui fonctionne si les rails sont bien propres et si la captation est parfaite. Sinon, ce sont des à-coups ou l’arrêt subit. Bref, la réalité est loin du modéliste et il la recherche en une interminable quête du Graal s’il prend conscience de ce manque.

Locomotives type vapeur 231, 141, 241, 150 Jouef des dernières années 1970: toutes ne roulent et sont guidées que par quatre roues, celles du premier et du dernier essieu moteur. Les autres roues, comme celles des bogies et des bissels, ne font que de la figuration avec des débattements très relâchés. et, ajoutons que les roues « motrices » des locomotives ne le sont pas : ce sont les tenders qui contiennent le moteur électrique et qui poussent les locomotives… C’est ainsi qu’au démarrage, le tender démarre avant la locomotive !!! Les bielles, toutes articulées, sont montées avec un jeu considérable, se contentent d’accompagner librement les roues et, surtout, de ne créer aucune contrainte mécanique.
La politique commerciale des grandes marques du modélisme des années 1930 à 1990 est issue directement du jouet familial pour enfants. Le passage vers le modélisme adulte sera laborieux, voire impossible pour JEP ou Hornby, et, pour Jouef, ne sera que très tardivement et partiellement réalisé dans les dernières années de la firme, peu avant 2000. Le décor, et surtout les maisons sous-dimensionnées à l’échelle du 1/100e sont naïfs, proprets, et devront changer : le passage au modélisme adulte se fera par la qualité du décor et des bâtiments.
Le réseau « à l’ancienne » tient encore bon, comme ici vu dans le film « Mitsou » en 1957 avec Fernand Gravey et Danielle Delorme. Cliché Jouef.
Dans les années 1950-1980, les grands réseaux ne sont que des petits réseaux en ovale mais agrandis, donnant les réseaux encombrés que l’on appellera des « réseaux plats de nouilles ». Une jungle de voies, de routes, de maisons en tous sens au moins amusera le chat… La presque totalité du réseau est inaccessible, sinon en se couchant dessus ? Cliché Loco Revue d’époque pour montrer ce qu’il ne faut plus faire !
Réseau en boucle « à l’ancienne », en couverture de Loco-Revue en 1953 qui excelle depuis 1937. Il semble que le coeur n’y est plus et que l’on s’ennuie ferme à regarder passivement les « petits trains qui tournent en rond » sur un réseau venu tout droit du monde du train-jouet.!

Du réseau sur table monobloc au réseau étagère tour de pièce.

Cette évolution sera inévitable et nécessaire, mais mettra du temps pour s’imposer durant les années 1960 à 2000. Le réseau sur table, donc « monobloc », ne manquera pas d’être envahissant pour peu que le modéliste, qui rêve de nombreux trains longs, type grandes lignes, finisse par faire un réseau qui envahit toute la pièce. Un train en panne, cela arrive, ne peut plus être atteint sinon qu’en se couchant sur le réseau au grand dam des signaux et des arbres, voire des maisons. Alors c’est la mode des trappes : on voit une maison, au centre de son jardin bien carré, se soulever, jardin compris, sous la poussée d’un géant souterrain parvenu depuis les profondeurs de l’enfer, et le géant, armé d’une canne, essaie de pousser un train hors de portée et finira par le faire dérailler.

Alors les réseaux changent, deviennent intelligents, et occupent le pourtour de la pièce, soit sur une menuiserie dégageant un espace central, soit accroché aux murs sous la forme d’étagères. Il est enfin possible de les construire, de les décorer avec plaisir, et d’intervenir lors des pannes électriques ou des déraillements.

Réseau « plat de nouilles », mais aussi réseau envahissant la surface au sol, presque totalement hors de portée et sur lequel il faut marcher sauf pour les zones que l’on peut atteindre depuis le couloir central.
Réseau bloc « ancienne manière » occupant presque toute une pièce. On admirera la trappe « pour trois personnes »… pas obèses et surtout aptes à la reptation spéléologique sous le réseau.
Voilà comment on devait faire, sur un grand réseau monobloc, d’après le numéro spécial de Science et Vie « Chemins de fer 1952 ». Il faut, pour le moins, que le réseau soit solide !
Grand réseau classique monobloc, mais intelligent, du type « tour de pièce » avec une accessibilité parfaite en tous points. C’est le grand réseau en « 0 » du Musée Rambolitrain de Rambouillet, accessible au public.
Magnifique dépôt et belles pièces de collection avec ces locomotives en « 0 » sur le réseau classique, mais en tour de pièce, du Musée Rambolitrain.
Magnifique sortie de gare, inspirée de celle de la gare de l’Est parisienne, sur le réseau en « 0 » du Rambolitrain. La finesse de la voie est à des années-lumière de celle du train-jouet.
Deux réseaux superposés, type tour de pièce, en « 0 » en haut et en « H0 » en bas, représentant le chemin de fer américain des années 1930, construit par le regretté Claude Bolling qui fut non seulement un grand compositeur et pianiste, mais aussi, toute sa vie durant, un véritable passionné de modélisme ferroviaire et un pratiquant exigeant.
Réseau tour de pièce en « H0 » de Claude Bolling. Partie étroite ou « étagère » du réseau.
Plan du réseau « H0 » de Claude Bolling. Années 1980.
Le regretté Claude Bolling et son réseau. Un modéliste accompli et heureux.

Évolution ultime : le mini-réseau étagère avec une « coulisse ».

C’est la dernière phase, avec l’apparition de ce que l’auteur de ce site-web appellera une « coulisse » dans le numéro 391 de février 1978, page 85, et qui est la traduction du mot anglais « fiddle yard » désignant une zone cachée servant à la fois pour garer des trains censés être au loin, dans un lointain « ailleurs » par rapport au site représenté sur le réseau. Cette idée est popularisée par l’auteur dans le manuel de plans de réseaux «10 Superplans de réseaux» édité par Jouef de nombreuses fois à partir de 1984 et tiré à 40.000 exemplaires. La « coulisse » est utilisée par un grand nombre d’amateurs actuels qui manquent de place en appartement, mais aussi sur de grands réseaux d’exposition, de clubs et de construction dite « modulaire » formés de tables amovibles que l’on peut transporter facilement dans une voiture. Les réseaux « modulaires » ont été imaginés par la FFMF (Fédération Française du Modélisme Ferroviaire » dans les riches années 1980).

Avec beaucoup de pédagogie, dans les colonnes de Loco-Revue des années 1970 ou jusque dans les manuels de plans de réseau Jouef des années 1980, beaucoup d’ « influenceurs » (terme pas d’époque) dont l’auteur de ce site-web, militent pour le petit réseau étagère, dit « point to point » au Royaume-Uni, permettant de faire, sur très peu de place dans une chambre, un réseau réel jusque dans les mouvements des trains, donc passionnant, et avec une seule courbe, mais à grand rayon en voie courbable.
La technique du « module » et du « réseau modulaire » crée par la FFMF dans les années 1980 est l’autre grand apport de cette période. Elle est excellente pour les réseaux d’associations, chaque membre faisant son « module » ou ses « modules », et aussi pour les réseaux d’exposition : c’est le « module » qui a permis les grandes expositions publiques qui ont démarré dans les années 1980.
Exemple de réseau modulaire en exposition : les raccordements entre les modules et avec le fond de décor sont parfaits.
Essai de recherche d’une ambiance « ancien Nord » sur un petit réseau « H0 », qui est un réseau d’angle triangulaire par l’auteur de ce site-web. Cela se passe dans les dernières années 1970 : la signalisation Nord, notamment le Lartigue, n’a toujours pas intéressé aucun artisan ou fabricant…
Sur le petit réseau étagère en « H0 » de l’auteur de ce site-web. Nous sommes en 1985.
Plan du mini-réseau étagère de Clive Lamming, en 1985. Noter le dépôt dont la remise circulaire donne une sortie directe (peu réaliste mais nécessaire) par l’arrière du bâtiment et accès direct à la gare par la « coulisse » (terme trouvé par l’auteur de ce réseau dans Loco-Revue) dissimulée derrière les maisons de fond de décor.
Dans les années 1980, le mouvement des réseaux étagère « point to point » gagne enfin la querelle des anciens et des modernes, notamment avec des réseaux, comme celui-ci représentant des voies métriques avec des gares modestes et un autorail pour tout matériel roulant. Réseau Denonfoux, décrit dans Loco-Revue par l’auteur de ce site-web.
Toujours sur le même réseau Denonfoux en H0m : l’étagère, donc la profondeur du champ de cette photo, n’a que 20 cm en largeur.
Toute révolution ayant ses extrémistes, on en arrive, avec la perfection du décor jusqu’au rail rouillé et au moindre brin d’herbe, à faires des réseaux ou rien ne roule; on les appelle alors des « dioramas ». Ici, la scène se passe avec de la voie étroite dans une carrière. C’est, reconnaissons-le, magnifique mais pas ludique. On contemple, un point c’est tout. Rien ne roule.

D’autres évolutions récentes : des modèles moins inexacts et une perception publique mois méprisante.

Mais, dans les années 1980-1990, les modèles tendent vers un peu plus de conformité avec le réel, avec le refus des rayons de courbure aussi ridicules que 325 mm pour des rayons au moins doublés, sinon encore plus augmentés par la voie flexible que l’on peut courber à volonté, et surtout le moins possible, en la posant sur le plateau du réseau. Les astucieux attelages dits « à élongation» font que, enfin, les tampons se touchent, au moins en alignement, et ne s’éloignent encore les uns des autres que dans les courbes. On soigne des détails techniques comme les pantographes, du matériel moteur de type électrique, enfin précis, à l’échelle, et fonctionnant réellement pour la captation d’un courant traction dans une caténaire enfin satisfaisante par son aspect.

D’autre part, l’opinion publique a changé avec l’apparition des salons du modélisme, notamment le salon de la Porte de Versailles dû au courage d’Alain Barrault, ou à un rapport fait au ministre de la Jeunesse et des Sports décrivant ce qu’il fallait désormais appeler les « loisirs techniques » (appelé à l’époque « le rapport Lamming»… oui, l’auteur était le même que celui de ce site-web) tandis que des réalisateurs de télévision comme Georges Grod signaient des émissions très grand public, mais respectueuses de la dimension technique du modélisme, de l’intérêt d’un modélisme de qualité, ceci sur TF1 (diffusés dans le cadre de l’émission « Les visiteurs du mercredi » entre « Nounours » et la découverte de la nature faite par un jeune journaliste qui s’appelait Nicolas Hulot, ou l’émission très populaire « La petite science» de Josiane Chevalet, émission dans laquelle son mari Michel Chevalet intervenait souvent, maniant avec dextérité et pédagogie des modèles réduits de fusées ou de stations spatiales.

Le grand public découvre enfin le modélisme ferroviaire, notamment avec l’exposition SNCF organisée dans l’ancienne gare de la Bastille en 1976. C’est l’événement qui, à l’époque, crée le mouvement du grand public vers le modélisme ferroviaire et la SNCF elle même se met au modélisme pour promouvoir le chemin de fer réel. Ici, un grand réseau classique que seule une grande firme peut monter et démonter pour les expositions, les foires, les événements commerciaux importants. Le réseau modulaire rendra plus facile le transporte et le montage de ces réseaux, mais aucune grande firme, à notre connaissance, ne s’y est mise.
Les riches années 1980. Petit réseau étagère personnel du réalisateur TF1 Georges Grod qui utilise, à très bon escient, toutes les techniques du diorama statique réaliste de type militaire. La révolution vers le modélisme ferroviaire de qualité se fera bien par le décor.
Un autre maître du décor, Michel Paul, fait triompher le mouvement vers un modélisme de qualité. La 241-P vue ici n’est pas une Jouef, mais une Fulgurex, marque de très haute qualité technique qui trouve, enfin, le décor qu’il lui faut.
Alain Pras est un acteur essentiel de ce mouvement vers le modélisme de qualité : chargé de renouveler la gamme des bâtiments en « H0 » chez Jouef à la fin des années 1970, il réussit le pari de créer et de diffuser dans le grand public et non seulement chez les amateurs, des bâtiments précis, à l’échelle du 1/87e et de type architectural des anciennes compagnies réelles de chemin de fer. Lui aussi fera réussie cette révolution du modélisme ferroviaire par le décor.
Train Jouef avec une 141-R mis en scène dans un décor réalisé par Alain Pras et évoquant les environs de Narbonne.
Décor en « H0 » réalisé par Alain Pras avec ses nouveaux bâtiments dessinés pour la firme MKD qui crée une révolution dans le décor réaliste mais tout en étant vendue à des prix….. réalistes eux aussi, dans l’esprit de Jouef.

Cette double évolution à l’époque a, peu à peu, transformé le modélisme ferroviaire qui est maintenant un des principaux loisirs techniques, tandis que, dans le même esprit, de puissantes associations innovantes comme le CFFC (Club Ferroviaire de Franche-Comté), ou d’autres actions de la FFMF (Fédération Française de Modélisme Ferroviaire) au rayonnement national, ont sorti les modélistes de leur pénombre et ont changé le regard porté sur eux par les médias. C’est un loisir très complet et très varié, mais réservé à une certaine élite sociale, avec les grands écartements souvent pratiqués avec des réseaux de jardin et des locomotives à vapeur vive, comme ce fut le cas pendant les années 1920 à 1950 au Royaume-Uni.

Notons aussi que c’est surtout le « H0 », au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui va accélérer et étendre le mouvement vers le grand public grâce à des prix plus accessibles et une moindre exigence en espace, permettant à des gens petitement logés et peu aisés de construire un réseau et de faire rouler des trains. Le « N » et le « Z » sont les derniers progrès accomplis par leur petitesse extrême.

Le modélisme ferroviaire doit toute son histoire à celle du train-jouet dont il est issu, et qui lui a donné ses systèmes de fonctionnement (trois rails ou deux rails), son type de courant (alternatif, puis continu), et ses échelles de réduction (« I », « 0 » ou zéro, « H0 » ou H-zéro, « N », et « Z »). Mais le modélisme ferroviaire se distingue du train-jouet en ce qu’il est une reconstitution la plus fidèle et la plus complète possible du chemin de fer réel et de son environnement. Les lignes et les paysages sont ceux d’un lieu réel donné pour une époque donnée, et le matériel roulant qui circule est, lui aussi, celui du lieu et de l’époque. Mais pour en arriver à cet aboutissement actuel, le processus intellectuel, social et économique a été très long, notamment pour se dégager de la pratique du train-jouet.

La lente sortie de l’univers naïf du train-jouet.

Les réseaux que l’on peut voir, aujourd’hui, tant dans les expositions publiques que chez des amateurs à domicile, ont tous pour point commun d’être installés à la hauteur nécessaire pour être regardés et exploités aisément. Cet éloignement du sol est issu d’une phase décisive opérée pendant les années 1920-1930, quand, enfin, certaines personnes, à force d’avoir mal au dos ou au crâne, posent sur une table un réseau provisoire type train-jouet : ce simple déplacement en hauteur est un grand déplacement du problème et ouvre, d’un seul coup, de nouvelles perspectives et une nouvelle « philosophie » pour le train-jouet.

Couverture de catalogue montrant un réseau Hornby des années 1920, mais encore posé sur le sol : cette très malcommode pratique d’époque fait que, par la force des choses et du mal de dos, le réseau sera rapidement démonté. Une fois sur table, le réseau a toutes les chances d’être pérennisé puis perfectionné. Le pratique modéliste peut démarrer.
C’est encore très loin du modélisme, mais c’est déjà sur une table (sauf pour le petit garçon et sa grue sous la table…) : ces enfants de la Belle époque du début du XXe siècle sont dessinés sur la couverture d’un catalogue de la marque Schoenner allemande.

Enfin, à hauteur des yeux, le train est observé et devient l’objet d’un intérêt. Les manœuvres, la conduite deviennent un plaisir pour les yeux, tout comme le fonctionnement des accessoires entourant, enfin, et à leur véritable hauteur pour l’œil, le train qui passe près d’eux : les lampadaires, par exemple, éclairent bien le train depuis le haut, tandis que les feux lumineux des signaux se détachent sur le « ciel » et sont clairement visibles sous leur visière.

La place, et surtout l’argent, permettent à des familles aisées d’installer, dans une pièce inoccupée d’une vaste demeure, de véritables réseaux comprenant des dizaines et des dizaines de rails droits et courbes, des aiguillages en grande quantité, des voies de garage nombreuses. Le marchand de trains local, sensible au pouvoir d’achat de cette famille de notables, sait guider le choix et recommander les accessoires de la marque, les wagons assortis à la locomotive. Peu à peu, les wagons de marchandises s’accumulent par rames entières. La démarche vers le modélisme ferroviaire est enfin amorcée, car une telle accumulation de matériel roulant et de voies, d’accessoires, d’appareils de voie en tous sens, rend désormais dissuasive toute velléité de démontage de l’ensemble. Bien au contraire, on en rajoute encore, et on perfectionne chaque détail, chaque disposition.

Avec ces réseaux devenus permanents, les enfants se prennent au jeu et exigent que les trains puissent être arrêtés sur des voies de garage alors que d’autres circulent. Il faut donc isoler ces voies et poser des interrupteurs. La table commence à se couvrir de fils électriques tenus par des « cavaliers », ou bien, on perce la table pour faire passer les fils par-dessous. C’est l’ébauche du réseau du modéliste ferroviaire. Les appareils de voie à commande électromécanique ont les mêmes exigences et créent non seulement des réseaux de fils regroupés, mais aussi des pupitres de commande avec des boutons poussoirs disposés par rangées près du transformateur.

Cette pratique n’est pas encore du modélisme, car on se contente de matériel roulant très fantaisiste de type jouet, de tracés tout aussi fantaisistes avec d’inutiles « arabesques » à petit rayon de courbure, et surtout parce qu’aucune information sur le chemin de fer réel ne vient étayer l’installation et l’exploitation des réseaux.

Des adultes pionniers.

Mais dès le début du siècle, il y a une catégorie d’adultes qui souhaitent vraiment retrouver le train réel dans le train miniature et prolonger le jeu de leur enfance sous une forme plus satisfaisante que celle du réseau de trains-jouets sur table. Peu nombreux, isolés, souvent suspects d’infantilisme attardé de la part de leur entourage, ces amateurs ne représentent pas une force dans l’opinion et sont complètement ignorés des fabricants de trains-jouets. Leur demande en matériel roulant plus précis et conforme à la réalité, en voies et appareils de voie plus précis aussi, reste une demande totalement ignorée et condamne ces amateurs à des bricolages de fortune comme des roues tournées chez un artisan local, des rails au mètre tirés de bandes d’acier vendues en quincaillerie (ou de tringles à rideaux !), de traverses coupées une à une.

Les Anglais, pionniers du modélisme ferroviaire, fondent le premier club voué aux trains miniatures, celui de Londres, en 1912. Des marques comme Bassett-Lowke, en Angleterre, savent produire en petite quantité initialement du matériel roulant plus réaliste d’aspect que les trains-jouets, et le marché anglais s’organise pour obtenir, de la part de fabricants allemands comme Bing ou même Märklin, voire Carette, des locomotives mécaniques, électriques ou a vapeur vive qui s’éloignent de la pratique du train-jouet pour prendre l’aspect presque de véritables modèles de type anglais.

Ce mouvement né en Angleterre gagne le continent, et surtout la France, dès le lendemain de la guerre de 1914-1918. On voit des productions artisanales apparaître sur le marché, vendues confidentiellement dans des magasins de « jouets scientifiques » parmi les appareils photographiques, les phonographes, les jouets électriques ou de chimie. Il s’agit de locomotives à construire ou à terminer, vendues en boîtes avec ou sans les roues (problèmes de normes, déjà !), ou de wagons à monter utilisant des matériaux très divers comme le bois ou le carton fort pour les caisses des wagons de marchandises, sinon de voie à monter avec des traverses en bois et des rails en profilé plein. Un grand pionnier, Robert Marescot, fonde sa marque « RM ». Et ses trains sont les premiers essais de maquettes exactes produites en série et sur catalogue pour un public d’amateurs qui commence à s’étendre. Avec Marescot, ce sont des « Pacific » du réseau réel de l’État qui sont pratiquement des maquettes précises, des voitures à bogies et des fourgons État à la bonne longueur et au bon gabarit. Jean-Edmond Fournereau reprend la production Marescot en 1928 et l’étend considérablement en créant une gamme impressionnante de locomotives à monter de tous types, de voitures, de wagons, ceci avant de créer, en 1937, la première revue de modélisme ferroviaire française, « Loco-Revue ».

Réseau classique en « 0 » des années 1930. Le matériel roulant est une production Fournereau. Noter l’utilisation de la voie « trois rails » qui est celle des trains-jouets, mais posée par l’amateur lui-même. Les maisons sont de construction personnelle, souvent en « Isorel », le décor est de la sciure teintée, les reliefs sont du grillage plâtré.

Les petits trains en « 00 » changent les données.

Le lancement en « 00 », ou « zéro-zéro » ou « double zéro », à la veille de la Seconde Guerre mondiale en Angleterre et en Allemagne, et en 1948 en France avec JEP, met sur les réseaux des trains ayant moins de « présence », moins de détails et demandant à n’être plus qu’une partie de tout un ensemble anime perçu plus globalement.

Néanmoins, les premiers trains en « 00 » reprendront les mêmes principes techniques et de conception de réseaux que de leurs devanciers en « 0 » avec la simple différence d’une dimension deux fois moindre. On monte des réseaux avec le même système de géométrie (rails droits, courbes) et les mêmes appareils de voie, les mêmes bâtiments en tôle lithographiée, la même conception du matériel roulant, notamment avec le raccourcissement des voitures à bogies. Les voies sont entièrement métalliques, avec un ballast et des traverses lithographiés sur un socle en tôle.

Cette époque des premiers trains en « 00 » est d’ailleurs passionnante. Elle démarre, pour la France, dès le lendemain de la guerre avec une floraison de dizaines d’entreprises artisanales lancées par des hommes seuls, avec des moyens parfois modestes, dans un esprit d’innovation, de reprise économique, de retour de l’abondance. Ces pionniers croient dans le modélisme ferroviaire et dans sa démarcation du train-jouet. Leur influence est d’ailleurs telle que les grands fabricants comme JEP et Hornby remarquent leurs produits et les imitent, lançant à leur tour, en 1948 pour JEP et seulement en 1961 pour Hornby.

À l’ombre de ces grandes marques, une dizaine de pionniers créent des firmes artisanales et produisent du « 00 » d’une manière semi-industrielle. Mais peu d’entre eux durent plus de quatre à cinq années, et durant les années 50, bien des noms comme Antal, Fex, Miniatrain, SMCF, VB, Vuillaume, disparaissent discrètement des catalogues du magasin « Le Pélican » ou « Baby-Trains ».

D’une manière générale, y compris pour les grandes marques comme JEP, le « 00 » est très cher. La raison est que ces fabrications sont chères, parce que reprenant intégralement les techniques du train-jouet, en « O » avec le métal moulé et la tôle, le courant 20 volts et la voie 3 rails. Chez JEP, par exemple, le train complet en « OO » comprenant la 232 R et ses deux voitures « saucisson » coûte 13.720 F en 1950 au « Pélican « qui vend en même temps le grand train caréné en « 0 » avec la 222 et deux grandes voitures pour 13.075 F, ou la superbe « Flèche d’or « en « 0 » complète avec sa rame pour 14 750 F !

.Mais les productions artisanales en « 00 » sont proportionnellement encore plus chères, avec 9 600 F pour la 231 Antal seule, 21 500 F pour la 141 P de TAB, et 8 000 à 10 000 F pour les locomotives type électrique PMP, Miniatrain, etc. auxquelles il faut ajouter des voitures coûtant environ 1000 à 2000 F pièce. À l’époque, un professeur à mi carrière ou un ouvrier qualifié gagne environ 30.000 F.

Les premiers réseaux français en  » 00 « sont sous forte influence allemande, comme le montrent les voitures Märklin et les maisons Kibri ou Faller, mais ici la locomotive est un habillage d’un châssis Marklin avec une superstructure évoquant une Mountain PLM faite par un détallant comme la Maison des Trains à Paris.
Les trains JEP en  » 00  » apparaissent en 1948 et sont de magnifiques jouets, lourds, tout métal, mais de facture très jouet avec des courbes à petit rayon, des voitures très raccourcies, et surtout à prix inabordable. Le chemin vers le modélisme ne passera pas par eux. La firme ferme en 1968.
Hornby-France lance son  » AchO  » (et ainsi confisque le terme « H0 » ) en 1961. Le matériel est de qualité, mais traité de façon jouet avec des raccourcissements, et des petits rayons, et les prix sont élévés. La firme jette le gant en 1973. Le modélisme se fera sans elle.

La révélation, faite dans Loco-Revue, avec les « chemins de fer appartementaux ».

En 1967 paraît dans Loco-Revue, et sous la signature de G. Fournet, un article qui est l’acte fondateur d’une nouvelle ère du modélisme ferroviaire en France : les « Chemins de Fer Appartementaux » sont, pour l’ensemble des lecteurs de l’époque, l’occasion d’une révélation et d’une conversion. Et même si, à l’époque, ils ne s’en rendent pas compte, aujourd’hui, la plupart des modélistes ferroviaires de haut niveau sont les disciples de G. Fournet qui, lui aussi, sans nul doute, ne se rend pas compte de la portée de la description de son réseau… Ce réseau des « chemins de fer appartement aux » est le premier d’une nouvelle ère.

Avec du matériel roulant de l’époque, et surtout les moyens techniques de l’époque en matière de construction et de décoration du réseau, G. Fournet construit, dans l’étroit couloir d’un HLM, un réseau qui est conçu comme une véritable ligne de chemin de fer, utilisant l’espace disponible, allant d’un point à un autre avec un embranchement (et ne tournant nullement en rond sur un circuit bouclé), conçu, exploité et utilisé comme une ligne départementale ou locale. C’est un réseau linéaire.

C’est une démarche totalement nouvelle, et qui, aujourd’hui, serait encore perçue encore nouvelle pour un certain nombre de modélistes restés « classiques », et, pourtant, elle est accomplie en 1967, il y a un demi-siècle, en pleine époque du réseau « plat de nouilles » de type circulaire.

« Le désir de construire un chemin de fer modèle devient à peu près insoutenable vers 1954… » C’est ainsi que G. Fournet commence son article. Et il explique que, en face de ce désir, il n’y a pas de possibilité, pas d’espace, pour cause de vie familiale dans un petit appartement de type HLM. Sera-t-il victime du préjugé « un réseau de trains miniatures = une pièce entièrement consacrée » ?  Par miracle, non… L’insoutenabilité de son désir de faire du modélisme ferroviaire lui épargne d’aller grossir les rangs de l’armée des empêchés, des frustrés, qui, fait de pièce entière à consacrer au modélisme ferroviaire, s’abstiennent définitivement et entassent, sur une étagère d’une armoire, des boîtes contenant des modèles réduits jamais ouvertes…

Il lui faut passer aux actes et comme un ingénieur chargé de construire une ligne réelle parcourant les vallées et les passages possibles, il explore le terrain, celui du petit appartement, et découvre qu’il y a des passages, des emplacements mesurés, mais qui existent : près de cette porte, on peut loger une gare, dans ce recoin, on peut loger une courbe, au-dessus de ce meuble, on peut poser un plateau supportant une autre gare, et dans ce placard, on peut loger, sur une étagère, une troisième gare. Le long du couloir, qui fait un mètre de large, on peut, sans gêner le passage des occupants de l’appartement, aménager une ligne et son décor sur une largeur d’une trentaine de centimètres. Peu à peu, le projet prend corps, et, d’année en année, il est réalisé, par petites étapes.

Il s’agit donc de construire une ligne allant d’une gare A à une gare B, un point c’est tout, et non de faire des boucles en tous sens prétendant être la ligne de la grande artère du Paris, Lyon et Méditerranée. La ligne des « appartementaux » est donc en voie unique, avec ses courbes à très faible rayon, et le train, une fois arrivé au terme de son parcours, dans une des gares terminus, doit être recomposé grâce à des manœuvres, donc grâce aux appareils de voie et aux voies de garage et d’évitement établis dans les gares pour cet usage. Tout prend ainsi son sens, et les règles du « jeu » se précisent, et deviennent cohérentes, même si elles sont contraignantes parce que filles de la réalité.

Le but idéal est, pour le créateur du réseau, de faire figurer tous les éléments caractéristiques des chemins de fer réels, tels qu’on peut les observer en parcourant les voies ferrées. Bien entendu, il n’était pas possible d’atteindre un si vaste objectif au long d’un développement de quelques mètres de plateaux. Mais cet idéal est toujours présent à son esprit, et dans les limites du cadre dont il dispose, il estime avoir réussi à faire entrer le maximum de variété dans le paysage et les ouvrages d’art.

Si l’exploitation du réseau est très manuelle, il est à noter qu’une signalisation, de type mécanique et simple, assurée par des disques, prend en charge un certain nombre d’automatismes de protection empêchant les prises en écharpe des trains ou la manœuvre intempestive d’aiguilles sous les roues d’un train. De même, les postes de commande des gares ne peuvent être sous tension que moyennant certaines conditions de sécurité assurant des « enclenchements » électriques.

Une vue d’une des gares, celle de Florval, des « Chemins de fer Appartementaux ».
Une autre gare, celle de Bourgenty, des « Appartementaux »
Une vue plus élargie d’une des extrémités du parfait réseau étagère des « Appartementaux »
Plan général du réseau des « Chemins de fer Appartemaux » constuit comme une ligne réelle en utilsant la place disponile concédée par l’épouse bienveillante, complice et amusée, à son mari : même une penderie « y passe » !

Le modélisme ferroviaire enfin ouvert au grand public.

Seul survivant des pionniers du train-jouet en « H0 », Jouef toutefois trouve rapidement son marché, celui du très grand public des années 1950 n’ayant que peu de moyens, et la firme restera fidèle à cette clientèle qu’elle va suivre quand elle grandit et qu’elle va mener progressivement vers le modélisme ferroviaire par une amélioration continuelle du réalisme d’aspect des trains tout en restant dans une gamme de prix très accessibles.

Le tournant définitif vers le modélisme, pour Jouef, est pris au milieu des années 1960 avec des locomotives et du matériel remorqué un peu plus précis, au nombre de roues exact, aux proportions très proches de la réalité, aux marquages assez précis. JEP ne pourra tenir devant ce concurrent plusieurs fois moins cher que lui et aux produits désormais très comparables, et la plus grande et la plus ancienne firme de trains miniatures français cesse toute production en 1966, et ferme en 1968. Pour les mêmes raisons, la filiale française de Hornby, fondée en 1921, abandonne ses trains en « 0 » en 1964, et, surtout, ses trains en « H0 » en 1973. Jouef a dorénavant le marché national pour lui seul, laissant encore à des firmes allemandes comme Märklin ou Fleischmann le marché importé de trains haut de gamme et chers. Toutefois, la firme italienne Lima deviendra, pour Jouef, un concurrent très sérieux puisque pratiquant exactement la même politique commerciale de trains à bas prix et sortant des modèles de type français, mais de facture très simplifiée. Lima damera le pion à Jouef en sortant son TGV, certes très « basique », quelques mois avant Jouef !

Actuellement, de fusion en regroupement, on ne trouve plus que deux grands groupes mondiaux : un allemand (Märklin, Trix, Arnold, etc) pratiquant un train miniature de haute qualité, et un britannique (Hornby, qui vient d’absorber Jouef, Lima, Rivarossi) pratiquant un train miniature à des prix plus accessibles.

Le salon international du Modélisme et du modèle réduit de Paris accueille chaque année, pendant 10 jours, plus de 100.000 visiteurs payants dont une grande partie s’intéresse aux trains miniatures. En France, on peut estimer à environ 50.000 le nombre de modélistes ferroviaires lisant les revues, fréquentant les associations ou les expositions spécialisées, et à environ 300.000 le nombre de familles ayant un réseau de trains miniatures, mais ne se percevant pas comme modélistes ferroviaires et ne lisant pas les revues spécialisées. Mais la France, comme dans beaucoup de domaines, hélas, s’est complètement désindustrialisée, perdant sa production nationale et ses grandes marques… mondialisme sauvage, cynique et aveugle oblige. Il reste des firmes artisanales de haute qualité cependant, et une firme actuelle comme REE est passée de l’artisanat à une production de série remarquable et pourrait être la prochaine grande firme nationale si elle en a l’envie et les forces.

N’oublions pas, aussi, l’existence d’un modélisme d’extérieur, avec des locomotives à vapeur vive dans des grands écartements évoluant dans un jardin. Ce domaine est resté très fort, bien que limité à une élite qui peut investir un budget important et qui dispose d’un grand et beau jardin.

Magnifique vue prise sur le réseau en « 1 » du peintre Chris Ludlow : les enfants, enthousiastes, « font la course » avec les trains. Au second plan, André Blanc, alors directeur du réseau Ouest SNCF, grand amateur de modèles à vapeur vie en écartement 2 1/2 pouces.
Le regrétté Michel Paul aux commandes d’une imposante et lourde 030 TU à vapeur vive en voie de 8 pouces, soit 127 mm, sur le réseau de jardin du Musée Rambolitrain dans les années 1990. La locomotive est conduite par un « mécanicien » qui prend place sur un wagon d’accompagnement tracté par la locomotive. Plusieurs personnes peuvent être transportées, assises à cheval sur des wagons identiques. Cliché Denis Regnault.
Encore plus gros, encore plus lourd : le modélisme en voie de 7 1/4 pouces, soit 184 mm. Ici François Laluque, sur la couverture de Loco-Revue n 1975. A droite : Xavier Lamming, fils de …
Et pourquoi pas, toute compte fait, faire carrément du train réel en voie de 60 cm type Decauville, dans son jardin ? Ici le réseau Lepers, vu en 1979. Les voitures sont construites sur d’anciens châssis Decauville récupérés à la ferraille avec les voies et les appareils de voie. Il faut juste un très grand jardin et le plus plat possible, et il faut maîtriser les tonnes du train entier et ne pas finir en tamponnant et lézardant le mur de la maison… L’assurance n’a pas fonctionné, la SNCF n’étant pas en cause.

Les pratiques actuelles.

Les modélistes ferroviaires, en grande majorité, achètent leur matériel roulant et le posent sur un réseau qu’ils ont construit, et le font rouler. C’est donc bien la construction du réseau qui reste l’occupation majeure : étude du tracé, pose des voies, câblage électrique, signalisation, création du décor et des bâtiments. L’échelle « H0 » étant la plus pratiquée, donnant des réseaux d’intérieur de dimensions acceptables dans les logements actuels, la grande partie des fabricants (grandes marques commerciales, productions artisanales : voir le dictionnaire des marques) vend dans cette échelle. Dans les échelles supérieures, la grande dimension des modèles donne plus rarement la pratique sur réseau, et, en général, c’est la collection statique en vitrine qui l’emporte.

Pendant ces vingt dernières années, une nette tendance à privilégier des décors soignés, très réalistes jusqu’au moindre brin d’herbe, jusqu’à la patine des murs d’une vieille maison, l’a emporté sur l’exploitation du réseau, jusqu’à faire des dioramas ferroviaires statiques. Toutefois, en exposition publique pour le moins, la nécessité de faire rouler des trains, et correctement, a été maintenue.

Certains modélistes, une minorité, mais très écoutée et admirée, bien équipés en outils professionnels et en machines-outils, construisent intégralement leurs modèles, partant de la feuille de laiton, tournant des pièces en acier, etc.

D’autres, plus nombreux, vont moins loin et achètent des « kits » de fabrication artisanale, composés de pièces en laiton photo découpé, de pièces en bronze fin moulé, d’acier décolleté, et assemblent le tout, grâce à une notice aussi détaillée que complexe, pour obtenir un modèle de très haute qualité. Il faut savoir souder, ébarber à la lime, assembler et peindre. Un outillage courant d’amateur et de la dextérité suffit, en général, pour s’en tirer honorablement. Ces « kits » n’existent que très peu pour le « N » ou le « Z ».

Enfin un très grand nombre d’amateurs transforme le matériel roulant acheté, soit pour l’améliorer mécaniquement (changement du moteur, amélioration de la mécanique de transmission ou du captage du courant) mais pour améliorer l’aspect extérieur : c’est ce que l’on appelle le « surdétaillage » du modèle, avec la pose de tuyauteries rapportées sur la chaudière d’une locomotive à vapeur, de rambardes, de mains-courantes, de plaques, de tampons à ressort, etc. Une remise en peinture du modèle avec des marquages plus fins est possible aussi. Beaucoup d’artisans proposent des pièces détachées, comme des attelages à vis ou des pantographes, des roues fines ou des pièces de surdétaillage de la chaudière, pour faciliter ces travaux.

Un des meilleurs réseaux de ces dernières années : Artignosc, de Yann Baude, décrit dans Loco-Revue.

Normes et écartements : du « 00 » au « H0 ».

Le problème est crucial en ce qui concerne les normes et les écartements. Ignorer les normes pour un modéliste qui achète du matériel roulant américain pour le poser sur une voie européenne ou l’inverse, c’est avoir du matériel roulant qui déraille, qui s’inscrit mal en courbe, qui circule mal sur le réseau en heurtant des éléments du décor (quais, voûtes des tunnels, signaux). Les fabricants doivent les respecter, et ils le font, mais souvent les modélistes mettent ensemble des éléments qui respectent des normes incompatibles, comme les normes européennes, NEM ou américaines, NMRA, ou des profils de roues et de rails de différentes époques (normes train-jouet et normes « fine scale »). Les deux normes les plus importantes sont celles concernant les essieux et les voies, et celles par rapport au gabarit du matériel roulant. Si, bien entendu, on achète le matériel d’une seule marque, on est certain de ne pas se heurter à un problème de normes, mais la plupart des modélistes désirent avoir un choix maximal, et, donc, utilisent, pour retrouver, le chemin de fer réel et l’époque qui les intéresse, le choix offert par l’ensemble des marques.

Toutefois, il n’est pas possible, quelle que soit la marque, de mélanger du matériel de type anglais avec celui du reste du continent européen ou mondial, car les Britanniques ont conservé l’échelle « 00 » des débuts, laissant les autres pays passer progressivement au « H0 » qui a remplacé le « 00 ».

Dans les années 1930, le « 00 » est bien la première forme d’apparition de cet écartement qui est du « 0 » divisé par deux, soit 32 mm donnant 16 mm. L’échelle du « 0 », qui est de 1/43,5, divisée par deux, donnerait une échelle de 1/87, ce qui est bien celle du « H0 » actuel, mais nullement cette du « 00 » d’origine.

À l’époque, si on divise facilement l’écartement par deux, il n’en est pas de même pour les locomotives, dont les caisses, elles aussi divisées par deux, sont trop petites intérieurement pour contenir les moteurs et les mécanismes que l’on sait faire, et les fabricants forcent alors sur les dimensions des caisses, leur appliquant une échelle qui est plus proche du 1/76 ou 1/78 que la stricte échelle du 1/87. Les progrès dans la miniaturisation des moteurs électriques permettent, dans les années 1950, de réduire les dimensions du matériel roulant et de le produire à l’échelle 1/87, ce qui sera le cas pour l’ensemble des pays du monde… sauf le Royaume-Uni, très conservateur.

Ayant conservé l’échelle « 00 » originelle, les Britanniques ont donc bien un écartement de 16,5 mm pour la voie normale, comme le « H0 », mais la caractéristique de cette échelle « 00 » est la réduction de 1/76 environ par rapport à la réalité pour les caisses du matériel roulant et le décor (bâtiments, personnages), ce qui donne en fait des trains plus gros d’aspect que ceux du « H0 » continental européen ou américain, au 1/87. En voie étroite, les Anglais ont donc naturellement choisi d’appeler « 00-9 » et « 00-12 » les écartements correspondants : là aussi l’échelle du 1/76 donne des dimensions plus fortes pour le matériel par rapport au « H0e » ou au « H0m ».

Pour être complet sur les pratiques anglaises, signalons l’existence d’une échelle anglaise dite « Protofour » qui se veut être du vrai « 00 » au 1/76, entièrement cohérent, y compris pour la voie que l’on met à l’échelle exacte du matériel roulant et qui passe d’un écartement de 16,5 mm à 18,33 mm pour la voie normale. Pour les échelles « N » et « Z », ces différences n’existent pas : elles sont entièrement normalisées et cohérentes, dans le monde entier.

Pour une documentation plus complète sur ce sujet, nous recommandons nos ouvrages « Un siècle de trains miniatures 1915-2015 » ou aussi « Trains miniatures » parus aux éditions LR-Presse, ou aussi notre petit guide de poche « Échelles et écartements des trains miniatures » aux éditions « Le village du jouet ».

TRAINS-JOUETS ET MINIATURES: ECARTEMENTS ET ECHELLES 
APPELLATIONECARTEMENTEPOQUEDOMAINERAPPORT
7 pouces ¼184mmActuelleTrains vapeur en extérieur et modèles musée1/8ème
1/10ème144mmActuelle depuis les années 1930Trains vapeur en extérieur et modèles musée1/10ème
5 pouces127mmActuelleTrains vapeur en extérieur et modèles musée1/11ème
3 pouces ½89mmActuelleTrains vapeur en extérieur et modèles musée1/17ème
IV75mm*1890-1914Trains-jouets anciens allemands (Schoenner, Bing, etc)imprécis
III75mm*1890-1914Trains-jouets anciens allemands (Märklin, Bing, etc)imprécis
1/20ème72mmActuelle depuis les années 1930Trains vapeur en extérieur et modèles musée1/20ème
2 pouces ½63,5mmActuelle depuis les années 1930Trains vapeur en extérieur et modèles musée1/22,5ème
II-a67mm*1890-1914Trains-jouets anciens allemands (Bing, Carette, etc)imprécis
II54mm*Actuelle depuis les années 1930Trains-jouets anciens allemands (Märklin, Bing, etc)imprécis
Standard54mm1906-1930Trains-jouets anciens américains (Lionel)imprécis
I    (« un »)45mmActuelle depuis 1890Trains-jouets anciens et miniatures actuels monde entier1/32ème
O   (« zéro »)32mmActuelle depuis 1890Trains-jouets anciens et miniatures actuels monde entier1/43,5ème
33 mm33mm*Avant 1914Trains-jouets anciens français (FV)imprécis
28 mm28mm*Avant 1950Trains-jouets anciens français (JEP)imprécis
S22,5mm1930-1950Trains-jouets anciens français (JEP) et American Flyerimprécis
Mignon18mm*Avant 1939Trains-jouets anciens français (JEP)imprécis
OO       16,5mmActuelle, depuis 1938Trains miniatures anglais (Hornby, Triang, etc)1/72ème
HO16,5mmActuelle depuis les années 1960Trains miniatures monde entier (Jouef, Roco, Märklin, etc)1/87ème
Wesa14mm1950-1965Trains miniatures suisses (Wesa)1/100ème
TT12mmActuelle depuis les années 1930Trains miniatures allemands (RDA, RFA)1/120ème
N9mmActuelle, depuis 1964Trains miniatures monde entier (Arnold, Lima, etc)1/160ème
Z9,5mmActuelle, depuis 1972Trains miniatures allemands (Märklin)1/220ème
NB:*=mesuré d’axe en axe des rails selon la pratique ancienne  

Voie normale et voie étroite.

Dans la réalité, il existe différents écartements : voie normale, voie métrique, voie étroite. Le choix de reproduire une ligne à voie normale ou à voie métrique engage profondément le type de modélisme pratiqué. Les amateurs s’intéressent de plus en plus aux chemins de fer à voie métrique ou à voie étroite, pour de nombreuses raisons. D’abord les trains sont plus courts puisqu’il Vagit de modestes « tortillards » de campagne reliant de petites bourgades à une préfecture : une courte locomotive à trois essieux, une ou deux voitures courtes à deux essieux, et voilà un train de voyageurs. Ensuite, les courbes peuvent être très serrées sans nuire au réalisme, puisqu’en réalité, il en était ainsi, ces trains longeant souvent les routes. L’unique tampon central (au lieu des deux tampons latéraux des grands trains) permet, pour ces trains secondaires, la négociation des courbes serrées sans problèmes. En dernier lieu, un charme réel se dégage de ces petits trains circulant dans un décor champêtre que l’on peut facilement reconstituer sur un petit réseau.

Par commodité, les fabricants de trains à voie métrique ou à voie étroite préfèrent utiliser les écartements (et donc les essieux) des trains à voie normale des échelles inférieures. Ainsi, une Voie de 0,60 m réelle devrait donner, à l’échelle « H0 », un écartement de 600 mm divisé par 87 = 6,89 mm. En fait, on prend la voie normale de l’échelle « N » au 1/160 donnant 9 mm d’écartement (ce qui donne une représentation à l’échelle d’une voie réelle de 0,75 m qui a existé) tandis que d’autres amateurs se lancent sur de la voie étroite en « H0 » en utilisant la voie normale de l’échelle « Z », soit 6,5 mm. Par exemple, une voie métrique en « H0 » donnerait : 1 000 mm : 87 = 11,49 mm. On choisit alors la voie de 12 mm de l’écartement TT. Ci-dessous, le tableau donne l’ensemble des possibilités offertes :

Ecartement (mm)Echelle 1/32Echelle 1/43,5Echelle 1/64Echelle 1/87Echelle 1/120Echelle 1/160Echelle 1/220
45I      
32Im0     
22,5Ie0mS    
16,5 0eSmH0   
12  SeH0mTT  
9   H0eTTmN 
6,5    TTeNmZ

Dans ce tableau, nous avons utilisé des caractères gras pour désigner les écartements, les échelles effectivement pratiquées, les autres n’étant que des possibilités théoriques difficilement réalisables par manque de personnages ou de bâtiments (échelles S ou TT), si l’on parvient à construire du matériel roulant.

Pour être complets sur la question de la voie étroite, signalons qu’aux Etats-Unis, il y a des appellations et des pratiques différentes :

Ecartement des rails (mm)EchelleAppellations américainesRemarques
241/43,50n 3Voie « métrique » en « O »
16,51/43,50n 2 ½Correspond au « Oe » européen
10,51/87H0 n 3Voie de 3 pieds en « HO »
91/87H0 2 ½Correspond au « HOe » européen
91/120TT n 3Voie « métrique » en « TT »

3 réflexions sur « Le modélisme ferroviaire : éternelle quête de la perfection ? »

  1. Merci, Clive, pour un article très intéressant sur le modélisme ferroviaire. Je me suis parfois demandé si vous étiez aussi passionné des trains miniatures que de l’histoire de ceux à l’échelle 1.

    C’est un “hobby” sans âge et sans frontières. Pendant une exposition de modélisme il y a quelques années, j’ai fait rouler un ICE de chez Fleischmann, 14 voitures, à fond. Ici, aux Etats-Unis, ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir un ICE tout long et blanc serpenter à toute vitesse le grand rectangle aux coins arrondis qu’est notre réseau modulaire, passant de longs trains de marchandises américains en marche, mais qui semblent être à l’arrêt. Avec les paysages et les fonds de décor américains la scène n’avait rien de prototypique. Mais qu’importe, les enfants adoraient ça et j’adorais les voir courir en poursuivant mon train.

    Au salon du modélisme à la Porte de Versailles, j’ai vu plus d’une mère ou d’un père s’agenouiller près de leur enfant, lui montrant du doigt un détail d’une maquette de train et j’ai cru voir dans les yeux de l’enfant l’émerveillement devant tout ce monde miniature.

    Pour reprendre le titre d’une maquette à Rocamadour tristement partie en fumée, c’est vraiment la “Féerie du rail” et je vous remercie encore, Clive, de continuer à nous la raconter.

    -Tho

  2. Bonjour Clive,
    alors que je traversais une période très difficile (décès d’un de mes parents), deux livres furent mes refuges afin de combler mes détresses enfantines, « Chemins de fer modèles réduits » éditions Coq d’Or et « Chemin de fer passion » de Clive LAMMING (dédicacé 35 ans plus tard par l’auteur). Du deuxième ouvrage, je ne compris pas tout de suite la première partie mais plutôt absorbé par la deuxième., la description pratique du modélisme ferroviaire. Adolescent , je relisais cette première partie, la passion, et tout s’éclaira ! Tant d’années après, je suis toujours fier de vous lire et je suis toujours autant « passionné » ! Encore une fois, merci de votre pédagogie et de nous rappeler toute cette évolution au cours de ces années, même si parfois ces petites merveilles que sont devenues les locomotives me laissent parfois coi (le digital, c »st pas mon truc ). Olivier

    1. Cher Olivier, vous me touchez beaucoup. Je comprends votre peine. Bien à vous, Clive

Commentaires fermés

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