Mulhouse : « vous ne pourrez plus l’oublier » disait-on déjà en 1971.

 « Vous ne pourrez plus l’oublier » disent les publicités pour ce musée avant qu’il ne devienne la Cité du Train, et il est vrai qu’il est tout à fait à la hauteur de l’excellence du chemin de fer français devenu, aujourd’hui, un des meilleurs du monde. Depuis 1969, il fait partie de ces quelques rares lieux dont la visite renouvelée est indispensable si l’on veut vraiment être un authentique passionné de chemins de fer – car la passion repose bien sur une connaissance toujours renouvelée et remise en question.

Magnifique photographie prise le 22 / 11 / 2004, lors de l’ouverture des nouveaux aménagements du Musée du chemin de fer de Mulhouse. Les clichés illustrant cet article sont pour la plupart de la Cité du Train, ou bien de Philippe Mirville.

Rappelons que c’est en 1961 que la Direction du Matériel et de la Traction de la SNCF décide de regrouper 36 matériels roulants préservés dans l’ancien dépôt de Chalon-sur-Saône. En 1965, Daniel Caire, qui est le Président de l’AFAC (Association Française des Amis du Chemin de Fer), fait publier un catalogue écrit par Michel Doerr « Chemin de fer d’hier pour un musée ferroviaire français ». Michel Doerr, historien, auteur de nombreux livres sur les chemins de fer, et un homme très en vue au début des années 1960 et parvient à attirer sur le projet de musée non seulement l’attention de la puissante Société Industrielle de Mulhouse (SIM) mais aussi celle d’un jeune industriel, Jean-Mathis Horrenberger. En 1968, la SIM parvient alors à réunir un comité chargé d’étudier la création d’un musée ferroviaire à Mulhouse, la ville offrant le terrain.  En 1969, la grande aventure est lancée avec l’appui du ministre des Transports. La SNCF, qui est, on le comprend, éprise de modernité dans une époque où le chemin de fer est officiellement et fermement condamné à disparaître chez les « décideurs » et les « technocrates » de l’après-guerre, n’a certes pas comme objectif prioritaire la création d’un musée, mais elle a constitué la collection de Chalon, et elle suivra le mouvement en assurant, notamment, la restauration exemplaire de toute la collection du futur musée dans ses atelier​. L’association AMFCF (Association du Musée Français du Chemin de Fer) voit le jour le 14 octobre de cette année cruciale. Elle a pour mission de présenter un musée français du chemin de fer à Mulhouse et de le développer.

La période audacieuse des années 1970

La volonté de Michel Doerr et de Jean-Mathis Horrenberger sont à l’origine de ce grand lieu situé maintenant au 2, Rue Alfred de Glehn, à Mulhouse. À l’époque, en 1964, Jean-Mathis Horrenberger, directeur adjoint d’une grande entreprise textile de Mulhouse, joint ses efforts à ceux de Michel Doerr et offre, concrètement et d’une manière décisive, une possibilité de création d’un musée du chemin de fer à Mulhouse. Le site est intéressant, non seulement parce que l’Alsace a une grande et ancienne tradition de construction de matériel ferroviaire, mais aussi parce que Mulhouse est une ville géographiquement très bien située au cœur de l’Europe et des grands flux touristiques, et compte d’autres grands musées d’histoire des techniques.

Michel Doerr, grand passionné de chemin de fer et auteur illustre, vu ici en 1955.

Michel Doerr est un grand amateur de chemins de fer. C’est aussi l’homme de la lutte entêtée, et il restait immobile, debout, silencieux, indéboulonnable, drapé dignement dans son grand manteau noir, posé comme une statue du Commandeur dans les bureaux de la Direction Générale de la SNCF, menaçant d’une voix douce de ne pas quitter les lieux tant qu’il n’aurait pas « sa locomotive » sauvée du ferrailleur en bonne et due forme. De guerre lasse, les grands directeurs cédaient…

Membre influent de l’Association Française des Amis des Chemins de fer, Michel Doerr publie, en 1965, une étude montrant la faisabilité d’un musée français du chemin de fer, et il a dressé la liste du matériel roulant encore en état d’être récupéré et sauvé, éparpillé à l’époque sur l’ensemble du réseau SNCF et logé dans des conditions souvent précaires. Michel Doerr passe, alors, beaucoup de temps à persuader les dirigeants de la SNCF de considérer ce projet avec faveur, mais aussi de l’aider en sauvant les locomotives et les voitures ou wagons repérés au lieu de les détruire. La tâche est rude, car à cette époque d’affirmation d’une « image de marque » de modernité forte, la SNCF ne s’intéresse guère, il faut le dire, à ce qu’elle considérait alors comme d’inutiles et encombrants vestiges. Aujourd’hui, il est vrai qu’il en est tout autrement, et la SNCF non seulement à de la considération pour son passé et le matériel préservé, mais est bien le seul réseau mondial à pratiquer une politique de préservation de son patrimoine, tout en faisant rouler, tous les jours, des TGV à 320 km/h.

La décision ministérielle du 6 juin 1969 couronne les efforts des deux hommes en autorisant la création du musée à Mulhouse, et, surtout, en faisant en sorte que la SNCF, officiellement cette fois, y regroupe l’ensemble du matériel roulant de valeur historique, ceci provisoirement sous la rotonde du dépôt de Mulhouse. Peu de temps après, en 1971, une partie du bâtiment définitif est ouvert, puis, par tranches successives, ce bâtiment croit jusqu’à sa forme actuelle.

Les années 1970 à 1990 sont certes courageuses, mais elles sont difficiles parce que le Musée Français du Chemin de fer, bien que situé dans une ville dynamique et qui investisse dans l’existence de plusieurs grands musées nationaux, n’est pas situé dans ce que l’on pourrait appeler les « grands courants porteurs touristiques » et il reste surtout un lieu réservé à un public d’amateurs, de connaisseurs, et, certes mené avec courage et désintéressement, il ne parvient pas à satisfaire les contraintes budgétaires qui, inévitablement, s’imposent aux monuments, aux créations, aux œuvres les plus généreuses et intelligents qui soient.

L’évolution du musée de 1971 à 2005.

Il faut dire que cette évolution commence, dans les faits, au début du XXe siècle puisque c’est en 1900, à la clôture de l’exposition universelle de Paris, qu’un certain nombre d’esprits brillants et prévoyants pensent déjà à la nécessité de la création d’un musée du chemin de fer en France, car le chemin de fer a déjà presque un siècle d’existence et bien des choses commencent à disparaitre et à être oubliées. Ces gens n’ont, somme toute, que 71 années d’avance sur la concrétisation de leurs idées….

En 1938, la SNCF est l’héritière des anciennes compagnies et elle reçoit un lourd héritage dont une bonne partie pourrait partir dans un musée qui n’existe pas encore, mais dont elle doit se servir pour continuer à assurer sa mission de grand transporteur nationale. Certains sont certes en eux-mêmes des pièces de collection remontant, pour quelques séries de voitures ou de wagons, au débuts du chemin de fer en France.

Après la Seconde Guerre mondiale, la SNCF met à la ferraille un grand nombre de locomotives et de voitures et wagons, ceci dans un grand élan de modernisation que l’on ne saurait lui reprocher, mais des trésors disparaissent. C’est alors que l’Association Française des Amis du Chemin de fer, (AFAC) créée avant-guerre, s’émeut et entreprend une action de sauvegarde. En 1969, il est enfin question d’ouvrir un musée à Mulhouse. La SNCF, en accord avec le ministère des Transports, accepte la proposition de la Société Industrielle de Mulhouse de construire à ses propres frais, sur un terrain mis à sa disposition par la ville, un Musée Français du Chemin de fer pour abriter la collection.

Le 4 octobre 1969, une assemblée générale constitutive crée l’association du Musée Français du Chemin de fer avec pour mission de fonder un Musée et d’en assurer la gestion. Dès les premiers mois de 1971, une dizaine de locomotives, garées provisoirement au dépôt de Chalon-sur-Saône, rejoignent la rotonde d’un ancien dépôt SNCF à Mulhouse Nord pour y être présentées. C’est donc le premier stade d’un musée qui n’est que provisoire. L’auteur de ce site-web est un des habitués du lieu…

Le 12 juin 1971, cinq ans plus tard, la première tranche de l’actuel musée de Mulhouse est construite sur un terrain de Mulhouse – Dornach. En 1983, la seconde tranche du musée est ouverte au public et six nouvelles voies permettent d’accueillir d’autres locomotives en présentation. Le musée offre alors une exposition de plus de cent véhicules de collection sur des voies totalisant 1350 mètres. Mais il n’y a pas que du matériel roulant : de nombreuses pièces d’équipement de traction électrique, de sécurité et de signalisation sont présentées aussi. Le tout est exposé sur une superficie de 13 000 m², y compris les voies de réserve de la collection.

En 1995, il faut faire face à la désaffection grandissante du public, hélas, pour un musée situé en province et dont l’accès, depuis les grandes agglomérations françaises et depuis la région parisienne, demande un très long trajet autant par la ligne Paris-Bâle que par la route. Un projet de modernisation est élaboré avec pour objectif d’améliorer les présentations, les animations et les services offerts. II prévoit la construction d’une nouvelle halle de présentation de 6000 m² financée par la DRAC d’Alsace, la Région Alsace, le Département du Haut-Rhin et la Ville de Mulhouse. Culturespaces, une société privée spécialisée dans la gestion de sites touristiques et historiques, est mandatée pour la gestion du musée pour douze ans.

En 2005, une métamorphose en profondeur transforme le musée en Cité du Train.

Le Musée de Mulhouse devient donc le 11 mars 2005, la Cité du Train, changeant à la fois de statut, de modèle économique, et de vision muséologique. Il a surtout fallu la présence de Philippe Mirville, alors Responsable du Patrimoine à la Direction de la Communication de la SNCF , qui en devient le très actif Président, nommé à ce poste par le Président de la SNCF, Louis Gallois, en 2006. Alors Philippe Mirville, Directeur du Patrimoine de la SNCF, Président de la Cité du Train, et Sylvain Vernerey le Directeur Général du musée, homme courageux, innovant et toujours là pour résoudre mille problèmes et avec le sourire, ont pour mission de faire vivre  ce haut lieu ferroviaire avec compétence et passion.

Aujourd’hui, sur 50 000 m², on pourra admirer 200 joyaux de la collection du patrimoine ferroviaire français et des milliers d’objets ferroviaires. Par ses dimensions, sa collection et ses expositions, la Cité du Train de Mulhouse est le plus grand musée ferroviaire européen et l’un des 10 plus grands musées mondiaux consacrés au chemin de fer.

La première salle offre  6000 m² sous le thème « Le siècle d’or du chemin de fer » : avec pas moins de 27 pièces de collection (matériel réel) qui retracent l’univers du chemin de fer et son impact socio-économique entre le XIXe et le XXe siècle. Les différents matériels sont mis en scène pour présenter l’histoire des chemins de fer français répartis en six grands thèmes : le chemin de fer et les vacances, le chemin de fer et la montagne, le chemin de fer et la guerre, les trains officiels, les cheminots et l’univers du voyage. Pour apprécier cette scénographie, le visiteur entre dans une salle aménagée comme un décor de cinéma où il progresse au gré des éclairages, des sons et des ambiances.

La deuxième salle offre 13 000 m²  sous le thème « Les quais de l’histoire » : un cheminement le long de douze voies d’exposition permet au visiteur de voyager de 1846 à nos jours tout au long de l’évolution technologique des chemins de fer français racontée par la présentation de 56 remarquables pièces de matériel roulant réels. De la Buddicom de 1846 au record mondial du TGV à 574,8 km/h, le visiteur parcourt 160 ans d’histoire ferroviaire et d’histoire sociétale et admirant des matériels roulants les plus prestigieux de notre pays, accompagné et sollicité par une scénographie originale conçue avec un rare talent par le cabinet François Seigneur, qui met en valeur l’univers ferroviaire.

Notons que, en attendant une rame TGV dont l’arrivée est prévue, des locomotives électriques comme les CC 40100 et les CC 6500 sont arrivées à Mulhouse pour témoigner de l’évolution perpétuelle de la technique ferroviaire. Pour compléter la visite des collections de matériel roulant réel, la Cité du Train propose également de nombreux objets et installations industrielles des chemins de fer indispensables au fonctionnement des réseaux. On peut ainsi s’exercer à la conduite d’une locomotive sur un simulateur et voir évoluer une locomotive sur une plaque tournante !

Le rôle de Philippe Mirville.

La mission qui incombe à cet authentique cheminot entré à la SNCF en 1971 et ayant occupé un rôle important à la Direction de la Communication et au Service de Presse de la SNCF, est de moderniser le Musée Français du Chemin de fer de Mulhouse pour le transformer en une véritable Cité du Train pour qu’il devienne l’exposition ferroviaire du patrimoine de référence.

Ainsi, la présentation de ces magnifiques pièces de collection doit être proposée dans un contexte historique qui permette de comprendre quel a été l’impact du chemin de fer dans l’évolution de notre pays. Pour Philippe Mirville, pendant les années à venir, cette Cité du train se transformera encore pour permettre aux jeunes générations de comprendre le travail des leurs aînés qui ont toujours su durant plus de 160 années moderniser au jour le jour cette technique simple au départ : le roulement d’une roue d’acier sur un rail d’acier. Cette passion que des milliers de cheminots ont sur mettre au service de chemin de fer permet aujourd’hui de pouvoir proposer un moyen de transport collectif capable de répondre aux enjeux environnementaux de demain : un transport collectif propre, rapide et moderne. C’est toute cette Histoire qu’il souhaite présenter aux visiteurs de la Cité du Train de Mulhouse.

Philippe Mirville vu en 2008.
Philippe Mirville (au centre) entre Franck Ferrand (à gauche) et Clive Lamming (à droite) lors d’une émission sur Europe 1 il y a trois ou quatre années. Cliché Jean-Jacques d’Angelo.

La collection la plus importante d’Europe.

Sur 30 000 m², il s’agit de la plus importante d’Europe sans doute, et certainement comparable en beauté et en intérêt à celle des plus grands musées américains, la collection du Musée Français du Chemin de fer comprend non seulement des locomotives remarquables comme la 232 U1 présentée en mouvement, une Crampton, une 230 D Nord, une 241 Est, une Pacific Chapelon Nord, mais aussi des locomotives électriques comme la BB 9004 détentrice du record à 331 km/h en 1955, la 2D2 5516 ou la « Boîte à Sel », des autorails comme la Micheline 56 places ou la célèbre Bugatti, etc.

Les voitures et les wagons ne sont pas oubliés. Tant de musées ne voient que LA locomotive, alors qu’à Mulhouse, on voit le chemin de fer dans sa totalité : voitures Pullman au luxe éblouissant, mais humbles voitures de banlieue à impériale, fourgons et wagons à marchandises.

Cette vision totale du chemin de fer inclut aussi la signalisation, la voie, et même des bâtiments anciens fidèlement reconstruits. L’information technique va jusqu’à inclure la technologie complexe des moteurs électriques ou Diesel, des bogies, des attelages, des systèmes de freinage. Une documentation iconographique de premier ordre vient ajouter sa valeur informative à ce que le réel, parfois, montre mal.

Le premier grand thème de la Cité du train : les vacances.

En 1837, avec l’ouverture de la ligne de Paris à Saint-Germain et peu après, au début des années 1840, avec celles de Paris à  Versailles, le train se positionne comme un mode de transport privilégié et efficace pour les gens qui veulent rapidement changer d’horizon.

Les compagnies de chemin de fer voient tout le profit qu’elles peuvent tirer de ce désir de voyager soit le dimanche, soit pour ce que l’on n’appelle pas encore des vacances, mais des villégiatures quand on est bourgeois. Les premiers trains spéciaux sont mis en marche vers 1850, pour cette clientèle avide de promenades et de plaisir, et prenant le nom de « trains de plaisir » ils circulent soit périodiquement, soit à l’occasion de fêtes. Les jours et les horaires sont fixes et le prix des places est particulièrement modique pour séduire et fidéliser une clientèle de plus en plus large. Les bourgeois, toutefois, sont les principaux bénéficiaires de l’essor du rail, car ils ont le temps et les moyens de voyager.

En 1936, plus de cent ans après la naissance du chemin de fer en France, la loi sur les congés payés met le peuple dans les trains, et crée ce que l’on n’appelle pas encore le « tourisme de masse », car, désormais, les ouvriers sont payés pendant leurs vacances, chose impensable auparavant. Cette loi précise que tout ouvrier, tout employé, apprenti ou compagnon justifiant d’un certain nombre de mois de présence dans une entreprise peut prétendre à un congé annuel payé, d’une durée d’une semaine à quinze jours. Les grandes compagnies créent alors les fameux “billets populaires” de congé annuel de troisième classe, offrant une réduction de 40 % sur le prix de deux billets à certaines conditions. Au total, 549 250 personnes en bénéficient en 1936, et 907 857 en 1937.

La Cité du Train, dans le cadre de ce thème, expose deux voitures du début du XXe siècle qui ont transporté de nombreux vacanciers vers les bords de mer ou les stations de sport d’hiver : un exemplaire de la fameuse Micheline qui desservait les lignes secondaires et une voiture voyageurs à compartiments où les « familles » prenaient place, avec leurs bagages, pour se rendre sur leur lieu de villégiature.

Le deuxième thème : la montagne, et plus particulièrement la Savoie.

Les lignes de montagne font figure d’exception dans le monde des chemins de fer, par la difficulté de leur construction, et par celle de leur exploitation. C’est le cas de la ligne en voie métrique dite de Savoie, établie de Saint-Gervais-le-Fayet à Chamonix et à Vallorcine. Reliant entre elles les deux vallées glaciaires de l’Arve avec un dénivelé d’environ 500 mètres, cette ligne, construite sur un type particulier à voie métrique, a vu le jour à l’époque du développement de l’alpinisme et de la découverte du massif du Mont-Blanc.

La ligne à voie normale construite par le Paris, Lyon et Méditerranée à la fin du XIXe siècle dessert le bas de la vallée de l’Arve et a pour terminus la gare de Saint-Gervais-les-Bains – Le Fayet, butant contre une différence de niveau considérable la séparant du reste de la vallée.  Cette partie basse de la vallée, suivie jusque-là, est située à 500 mètres d’altitude, et la partie haute, celle de Chamonix, dont l’altitude moyenne atteint les 1000 mètres, demande la construction d’un chemin de fer de montagne. Le Paris, Lyon et Méditerranée construit, entre 1901 et 1908, une ligne au profil difficile avec de fortes rampes et de nombreuses courbes et contre-courbes de faible rayon. L’écartement métrique s’impose pour des raisons de plus grande souplesse du tracé. La traction est électrique et la totalité du matériel, y compris les wagons à marchandises, ont des moteurs, ce qui fait que la ligne est construite avec des rampes de 90 pour mille sans crémaillère, ce qui est un record mondial pour une telle rampe en adhérence simple. La ligne est électrifiée en 600 volts continus avec un troisième rail latéral d’alimentation électrique. Un quatrième rail est posé au milieu de la voie métrique pour assurer un freinage sans faille dans les zones à très forte déclivité grâce à des mâchoires placées sous les motrices. Deux de ces véhicules commandés à l’occasion de la mise en service de la ligne sont présentés à la Cité du Train, mais il y a aussi un magnifique et spectaculaire chasse-neige utilisé, en voie normale, par le Paris-Orléans pour dégager les voies du Massif central. 

Le troisième thème : les trains et les voyages officiels.

La plupart des chefs d’État européens, Présidents de la République ou souverains, ont voyagé dans un train conçu spécialement pour eux. La décoration de ces trains reflète les conceptions esthétiques de leur époque et leur aménagement reflète une philosophie « officielle » du voyage. En France, par exemple, Napoléon III, grand usager et promoteur du rail, commande à la Compagnie du Paris-Orléans un train impérial à bord duquel il parcourt le pays en tout sens.

Plus tard, sous la Troisième république, les grands réseaux commandent une voiture, baptisée PR1, les lettres signifiant « Président de la République », mise en service en 1923 et conçue pour les déplacements du Président de la République dans les provinces de la France profonde sans risque de chute nocturne sur la voie, comme ce fut pour le Président Deschanel qui se retrouve en pyjamas chez un garde-barrière.

Ces voyages nécessitent une reconnaissance des itinéraires, des visites des voitures, des mesures de sécurité spéciales, surtout après l’assassinat du président Sadi Carnot en 1894. Dix-neuf personnes composent alors la suite du chef de l’État. Deux autres voitures présidentielles sont construites ensuite : la PR2, dont le Général de Gaulle fut un grand utilisateur, et la PR3 qui n’est rien d’autre qu’une voiture Grand Confort spécialement aménagée et dont Valéry Giscard d’Estaing en fit quelques rares usages. Aujourd’hui, les déplacements officiels du Président se font un peu plus souvent en train que pendant les années 1970 à 1990, et ils se font à bord d’un TGV ou d’un train Corail courant. La voiture des aides de camp de Napoléon III et la PR1 sont exposées à la Cité du Train.

Le quatrième thème : la guerre.

Malheureusement, dès la guerre franco-prussienne de 1870, puis pendant la Première Guerre mondiale, et aussi durant la Seconde Guerre mondiale, le chemin de fer se voit infliger un rôle stratégique majeur, alors qu’il était fait pour la paix, la prospérité économique et les relations entre les hommes, selon la pensée de ses fondateurs saint-simoniens. Très utilisé en 1914 et en 1939  pour acheminer les troupes mobilisées, puis début juin 1940 lors de l’exode, contrôlé par la puissance occupante, le chemin de fer français et ses cheminots sont au cœur de la tourmente. D’abord très localisés et ne visant que les voies à partir de 1941, les sabotages préparant le terrain pour les alliés s’étendent sur tout le territoire, touchant les gares, les dépôts et les ponts dès 1943.

Ces actions atteignent leur paroxysme destructeur à l’approche du débarquement, au printemps de l’année 1944. Beaucoup de cheminots rejoignent la Résistance et le paieront de leur vie, sommairement exécutés par des troupes allemandes en déroute. Des représailles toucheront aussi les cadres dirigeants de la SNCF, massivement arrêtés en août 1944. Une grève totale suivra qui clouera les troupes allemandes sur place et donnera lieu à des affrontements autour des dépôts parisiens, certains cheminots ayant pris les armes. La SNCF assume aussi, aujourd’hui et clairement, sa participation à la déportation de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vers les camps dans des wagons de marchandises. Le 4 mai 1951, la France remet à la SNCF les Croix de guerre et de chevalier de la Légion d’honneur pour les nombreux actes de bravoure de ses cheminots.

La Cité du Train expose cinq pièces correspondant à ce thème : un locotracteur construit spécialement pour les transports militaires, une voiture voyageurs pour le transport des troupes vers le front en 1914, une locomotive à vapeur couchée évoquant les actions de la Résistance (ce qui ne manque pas de surprendre quelques amateurs, mais la locomotive n’est nullement détériorée par sa position couchée, effectuée avec soin), un wagon porte-char et un wagon du souvenir témoignant des transports vers les camps de la mort.

Le cinquième thème : les cheminots.

Ils ont fait le chemin de fer, et ils ont été jusqu’à 500 000 employés travaillant dans les différents services comme l’exploitation, le commercial, l’équipement, le matériel, la traction, les bureaux d’études, les services de maintenance. Au cours de sa promenade, le visiteur voit de nombreuses reconstitutions avec des personnages très réalistement mis en scène, évoquant les différents métiers du monde ferroviaire, comme des équipes de conduite, des contrôleurs, des aiguilleurs, des agents de la voie, répartis sur les 6000 m² de la nouvelle halle.

Tout particulièrement l’animation de la plateforme de conduite type Mestre de la Moutain Est, une locomotive à vapeur très lourde et puissante, montre les gestes du métier du mécanicien et de son chauffeur. On peut aussi découvrir une draisine à pompe qui permettait aux cantonniers de l’équipement de se déplacer rapidement, mais à la seule force de leurs bras, en tous points des lignes pour une intervention de maintenance. Le métier existe toujours, mais les déplacements s’effectuent désormais par des moyens beaucoup plus modernes et plus adaptés

Enfin, un wagon couvert à bogies présente un métier disparu, celui de serre-freins. La guérite présente sur le toit était le lieu de souffrance de ce cheminot qui, exposé aux vents, au froid de l’hiver, ou à la chaleur de l’été qui, dès que le mécanicien « sifflait aux freins », avait pour mission de serrer le frein à main du wagon.

Le sixième thème : l’univers des voyages.

Les trois classes, pour les voitures à voyageurs, sont une réponse des compagnies aux demandes des voyageurs qui ne tiennent pas à se mêler, reprenant en cela ce qui existait avec les diligences depuis des décennies et bien avant la création des chemins de fer. La suppression de la troisième classe en 1956 en France n’en laisse que deux, mais la Cité du Train parvient même à présenter une voiture de quatrième classe, car bien des réseaux d’Europe centrale l’ont pratiquée. La banlieue, elle aussi, génère, à partir des années 1910, un mode de vie spécifique basé sur les déplacements quotidiens, et la Cité du Train n’oublie pas ce thème, tout comme le métro de Paris n’est pas oublié.

La Compagnie Internationale des Wagons-Lits fait construire, pour les déplacements internationaux de la Belle époque, des voitures capables d’offrir le confort des hôtels de luxe lors de longs trajets d’un bout à l’autre de l’Europe, ce qui lui vaut la fidélité des hommes d’affaire et des voyageurs riches pouvant s’offrir ces voyages pour le plaisir. La CIWL met en service, en 1883, l’Orient-Express entre Paris à Istanbul, et, jusque dans les années 1930, la Compagnie des Wagons-Lits fera construire 2 268 voitures pour des voyages exceptionnels. Trois voitures emblématiques, dont une voiture-salon Pullman de la Flèche d’or marron et crème, ou la voiture-lits LX qui est la plus lourde et la plus spacieuse du monde par voyageur, sont exposées à la Cité du Train.

Outre ces thèmes, on trouve aussi à la Cité du train ce que les autres musées oublient…

Beaucoup de musées des chemins de fer, dans le monde, sont des musées de locomotives. La Cité du Train présente vingt voitures à voyageurs dans les deux halles d’exposition. Du châssis en bois sur deux essieux, jusqu’aux caisses entièrement métalliques sur bogies, les voitures à voyageurs n’ont jamais cessé d’augmenter leurs performances, leur sécurité et leur confort. On découvre des voitures de toutes les classes, y compris la quatrième classe, des voitures à impériale du XIXe siècle, des voitures métalliques OCEM des années 1930, des voitures officielles pour le transport des chefs d’État, des voitures de luxe ou encore des voitures-lits.


Obscurs serviteurs de l’économie, les wagons de marchandises ne sont pas oubliés, et quinze wagons de marchandises témoignent de la diversité et de la variété des types.  On découvrira un wagon bifoudre pour le vin, un wagon poche pour la fonte en fusion, un réfrigérant STEF pour le poisson, un wagon plat pour les conteneurs et de nombreux autres types, dont plusieurs wagons couverts ou tombereaux, et quelques-uns entrent dans la composition des trains présentés sur certaines voies.

La Cité du Train expose également un certain nombre de pièces du matériel roulant réservés au service de l’Équipement comme des draisines, des petits engins thermiques pouvant assurer le transport des personnels sur les chantiers, des “bourreuses” pour assurer des petits travaux de remise en place du ballast et des véhicules d’auscultation des voies comme la « Mauzinette ».

La Cité du Train présente aussi des signaux, des grues hydrauliques pour l’alimentation en eau des locomotives, des tables de postes d’aiguillage, des moteurs de traction, des systèmes électriques, des bogies, des plaques-constructeur de locomotives, des pupitres de conduite ou encore des machines à imprimer les billets.

Le matériel roulant préservé par la SNCF et présenté à la « Cité du train » de Mulhouse.

Contrairement au cas de la plupart des réseaux mondiaux qui, tout au plus, tolèrent de participer avec un minimum d’engagement et de moyens à un musée des transports, l’effort de la SNCF en faveur de la préservation du matériel historique est exemplaire. Dans l’ensemble des grands pays mondiaux, celui qui a eu le dernier mot est le ferrailleur, quand l’intervention in extremis de particuliers ou d’associations n’a pas réussi à détecter à temps le matériel roulant en souffrance et à financer son transfert dans un lieu sûr et sa restauration. La SNCF a, depuis deux décennies au moins, une véritable politique de restauration et engage les moyens nécessaires pour préserver, plus de 250 pièces de collection dont 45 locomotives à vapeur, 36 locomotives électriques, 7 locomotives diesel, 13 automotrices électriques, 10 automotrices à moteurs thermiques ou autorails, 56 voitures à voyageurs, 37 wagons à marchandises, et une vingtaine de matériels divers. Le travail de l’équipe de la Communication du Matériel de la SNCF, entrepris il y a déjà longtemps, notamment celui de Pierre Nourrissier, qui a passé la presque totalité de son temps et une bonne partie de ses nuits à convoyer du matériel préservé pour le présenter dans de nombreuses expositions, est à signaler, et cet engagement est bien celui d’une SNCF désireuse de prendre son patrimoine très au sérieux.

Locomotive à vapeur type 231 Pacific N°3.1192 Chapelon Nord – Compagnie du Nord (1936)
Locomotive à vapeur type 232-U-1 SNCF (1949)
Locomotive à vapeur type 241 A I – Compagnie des Chemins de fer de l’Est (1924)
Locomotive à vapeur type 241-P-16- SNCF (1950)

Locomotive électrique type BB-9004- SNCF (1953) alors exposée au Grand Palais à Paris.
Locomotive électrique type CC-6572
Intérieur d’une magnifique voiture-lits type LX de la CIWL datant de 1929.
Autorail Decauville de 1945 présenté dans la cour du Musée avec divers bâtiments et un quai.

3 réflexions sur « Mulhouse : « vous ne pourrez plus l’oublier » disait-on déjà en 1971. »

  1. J’ai visité ce grand musée de Mulhouse avant qu’il ait changé de nom avec mon père, celui qui m’a donné la passion des trains. Je me souviens surtout de la BB-9004 et des 241. Clive a raison, c’est un endroit qu’il va falloir toujours revisiter, tant il y a de choses à voir.

    1. Merci, cher Tho. Bien à vous, bien cordialement, Clive.

  2. Aller à la Cité du Train, ce n’est pas seulement une visite, mais un pèlerinage.
    Je suis également d’accord avec Clive qu’une seule visite ne suffit pas, tant la collection est riche.
    J’ai pu aller le visiter il y a de cela 10 ans avec ma grand mère qui, avec mon grand père, m’ont transmis la passion des trains.
    Je me souviens que ma grand mère était impressionnée par le diamètre des roues motrices de la 241 A.
    Je n’ai juste qu’un seul regret, c’est que la rotonde de Mohon (qui est une réserve ou une annexe de la Cité du Train) ne soit pas accessible au public.

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