Du temps (heureux ?) de la biréduction.

Ce n’est nullement l’éloge d’une époque où l’on aurait accordé deux réductions aux clients, notamment à la SNCF… La biréduction, ce là se passe pendant ces années 1950 et 1960, bouillantes et productives, innovantes et créatrices, dans une “DETE” (Direction des Études de Traction Électrique) dont la SNCF est particulièrement fière : des ingénieurs comme Marcel Garreau et Fernand Nouvion en sont les “stars” très médiatiques, portées par le succès des essais à 331 km/h dans les Landes.

Les progrès en traction électrique concernent rarement la partie mécanique des locomotives.

Les grands progrès toujours décrits en matière d’électrification concernent, tout compte fait, des problèmes de choix de courant, de transport du courant sur le lieu d’utilisation, de transformation du courant, le tout impliquant des caténaires et des sous-stations très différentes. On aurait pu tout à fait penser que ce grand changement représenté par les électrifications en monophasé de fréquence industrielle 50 Hz n’auraient en rien changé les organes de la partie mécanique des locomotives. Or, il n’en est rien.

La BB-16501, une des pionnières de la “biréduc” imaginée par Fernand Nouvion, ici en version 90/140 km/h. Nous sommes en 1958. Très beau dessin de Michel Lamarche. Doc.SNCF.

Le passage de la locomotive à châssis à longerons et bogies directeurs à la locomotive à adhérence totale, c’est-à-dire de la 2D2 à la CC ou la BB, s’est fait indépendamment des problèmes de nature de courant. Les premières CC et BB de vitesse des années 1950 ont bien roulé sous une caténaire et un courant datant des années 1920 et contemporains des 2D2 de l’époque Parodi.

Or cette très riche période des années 1949-1962 voit aussi l’architecture mécanique des locomotives évoluer profondément, non seulement par le passage de la 2D2 à la locomotive à adhérence totale pour les machines de vitesse, mais aussi par une modification morphologique importante des bogies.

Simple élément directeur et porteur pour les 2D2 et inspiré, à ce titre, des bogies avant de locomotives à vapeur, le bogie n’est spécifiquement un organe de locomotive électrique qu’avec les BB de conception Midi et PO, c’est-à-dire des machines lentes et vouées à un service mixte ou marchandises ne posant guère des conditions draconiennes de stabilité ou de qualité de suspension. Les puissances et des poids sont modestes : les BB Midi de l’époque disposent de 1 300 kW à 52 km/h et pèsent un peu plus de 80 tonnes seulement, et sont limitées à 90 ou 100 km/h en service. Les locomotives de l’époque se contentent de bogies dont la conception n’est pas loin de s’apparenter au bogie de tramway, avec le moteur non suspendu, ou, plutôt, « suspendu par le nez» et faisant, à ce titre, partie intégrante de l’essieu et comptant partiellement dans les masses non suspendues puisque se débattant avec lui.

Cette solution très rustique demande des moteurs très robustes capables d’encaisser les chocs sur les joints de rails et les vibrations du roulement des roues. Développée à partir de 1885, cette solution est étendue à l’ensemble des automotrices à bogies et aussi des locomotives de type BB construites entre le début du siècle et les années 1950, aussi bien en France que dans le reste du monde. L’évolution de ce bogie est un beau chapitre d’histoire des techniques.

Le bogie historique à moteurs non suspendus.

« Non suspendus » pour certains auteurs ou « suspendus par le nez » ce qui n’est, en effet, qu’une suspension aussi partielle que rudimentaire, le bogie ainsi équipé est le seul possible lors des débuts de la traction électrique dans la mesure où, techniquement, on ne pouvait réaliser des transmissions articulées satisfaisantes. Le moteur de traction actionne mécaniquement l’essieu moteur par deux roues dentées, une calée sur son axe, l’autre sur l’essieu moteur. Cette disposition ne permet aucun jeu, aucun débattement relatif entre le moteur et l’essieu, et force est de faire du moteur et de l’essieu un seul tout mécanique. Tout au plus peut-on faire reposer le moteur partiellement sur le châssis (suspendu) et partiellement sur l’essieu moteur (non suspendu), réalisant ainsi cette suspension « par le nez » ou dite encore « type tramway » au début du siècle.

Cette solution très simple est applicable dans la mesure où les vitesses et les puissances restent modérées : 15 à 90 kW pour le moteur et 25 à 60 km/h pour le tramway ou la motrice de métro des débuts, respectivement. Les automotrices de banlieue, plus puissantes et plus rapides certes, restent encore dans les limites de ce type d’équipement, même jusqu’à la veille de la deuxième guerre mondiale où la quasi-totalité des automotrices SNCF est ainsi dotée.

Par contre, les premières locomotives des chemins de fer normaux ont des moteurs plus lourds, surtout en ce qui concerne les locomotives allemandes ou suisses fonctionnant sur le 16 2/3 Hz qui réclame des moteurs à gros collecteurs plus fragiles : on a recours alors à une transmission par bielles, de type purement « vapeur », permettant cependant la suspension intégrale du moteur puisque ce dernier est sur le châssis. Mais cette solution est complexe, lourde, peu adaptée à la vitesse croissante des locomotives et durant les années 1920 et 30, la suspension «par le nez», faute de mieux, fait son retour en force pour les locomotives de type BB et des automotrices. Par contre, les locomotives de vitesse, comme les 2D2 en France, conservent les moteurs sur le châssis et adoptent des systèmes de transmission à biellettes (système Büchli) ou autres permettant un léger débattement. Les dernières locomotives à transmission à bielles type « vapeur » sont les CC de butte (série CC-1100 SNCF) construites en 1938, et limitées en service à 50 km/h. Par contre, les quelque 600 locomotives type BB pour services mixtes ou marchandises que compte la SNCF à la même époque sont bien toutes à moteur « suspendu par le nez», avec deux moteurs par bogie et une vitesse limitée à 100 km/h environ selon les séries.

D’autres solutions techniquement différentes ont pourtant bien été tentées. Ne parlons pas du prototype 2B1+1B2 du PLM avec transmission par bielles et articulations mobiles sur cylindres à air comprimé, une locomotive mise hors service dès ses premiers tours de roue, d’après Yves Machefert-Tassin, ou d’innombrables systèmes de roues élastiques comprenant des blocs de caoutchouc ou des ressorts intégrés, mais citons l’intéressante transmission à arbre creux «quill drive » ou «cup drive » essayée par Westinghouse aux USA dès les années 1910 et 1920, et essayée en France sur le Midi en monophasé 16 2/3 en 1913, ou sur le PO pour ses 2D2 en 1934. De même, la technique «gearless» américaine, avec un moteur totalement intégré à l’essieu moteur ne nécessitant aucune transmission articulée, a été essayée sur le PO, mais sans succès vu le poids très important des masses non suspendues, le moteur se « désintégrant » peu à peu en usage courant.

Le 2CC2 “gearless” américaine essayée par le réseau du PO en 1924, et rapidement abandonnée en 1929 après une réunion des deux demi-caisses en une caisse unique.

Mais c’est le désir de s’affranchir des contraintes du poids avec le passage à la locomotive de vitesse à adhérence totale et l’abandon de la formule type 2D2 à châssis rigide et longerons qui oblige les ingénieurs de la SNCF à repenser complètement le bogie moteur à la fin des années 1940.

Le bogie moteur des locomotives de vitesse à adhérence totale.

La locomotive à adhérence totale type CC ou BB, voulue pour des raisons de légèreté sans diminution de la puissance, pose le problème du respect de la charge autorisée par essieu, donnée toujours fondamentale en matière de contraintes techniques ferroviaires. Pour réduire le poids et l’encombrement des parties mécaniques de la locomotive, les ingénieurs de la SNCF des années 1940 songent à la tôle pliée et soudée, à des alliages légers, et à la réduction des dimensions des moteurs pour les placer dans les bogies, entre les essieux, à un point bas de la locomotive.

Lorsque l’effort de traction à fournir est important, les ingénieurs choisissent la disposition à deux bogies de trois essieux moteurs (type CC), ce qui donne un total de 6 moteurs par locomotive dans le cas d’essieux à moteurs individuels, comme l’illustrent les CC-7100 de la SNCF avec une charge de 18 à 19 tonnes par essieu.

La pratique des grandes vitesses montre aussi l’intérêt représenté par des bogies à masse faible réduisant les effets de leur inertie par rapport à la caisse de la locomotive et donnant, donc, plus de stabilité ou facilitant sa maîtrise. Et enfin, elle montre, avec les grandes puissances et les grands efforts de traction au démarrage, l’intérêt qu’il y a à atteler le bogie par des barres horizontales ou peu inclinées, placées sous le bogie ou sur ses côtés et réunissant le châssis de bogie à celui de la caisse de la locomotive. Cette disposition voit la fin du pivot classique située sur le dessus du bogie et facilitant trop le cabrage de ce dernier lors des démarrages.

Mais ces bogies, bimoteurs ou trimoteurs, sont longs et s’inscrivent moins facilement en courbe, comme c’est le cas des bogies des CC-7100. Les ingénieurs tendent alors à raccourcir les bogies, comme sur la CC-6051 des essais de Savoie, ce qui oblige ainsi à placer les moteurs plus haut. On en arrive aux bogie de la BB-9200, machine de vitesse livrée à partir de 1957, et qui est le type même de la BB de vitesse des années 1950 à 1960 en courant continu. Ce bogie court voit ses deux moteurs de traction complètement accolés l’un à l’autre au centre du bogie, disposant d’une partie commune de masse magnétique inductrice et formant aussi un élément mécanique de rigidification du bogie.

Les ateliers de Vitry au début des années 1950 : au premier plan des châssis de bogies longs destinés aux CC-7100.
Bogie moteur type CC-7100 aux ateliers de Vitry en 1990.
Terme d’une longue évolution depuis les bogies à deux ou trois moteurs, le bogie monomoteur, très court, permettant la bi-réduction, équipe les BB-8500+17000+25500 à partir de 1964
“Descente” en fosse d’un bogie monomoteur de BB-16500 à Lens, années 1990-2000.
Le principe, très simple, de la bi-réduction. Evidemment, le changement de rapport ne se fait qu’à l’arrêt : ce n’est en rien une “boîte de vitesses” de type automobile…

Il ne reste qu’un seul pas à franchir pour remplacer ces deux moteurs accolés par un seul, chose réalisée à partir de 1957 sur les BB-20103 et 20104 bifréquence de construction suisse dont nous avons parlé dans le chapitre précédent (ex BB-30003 et 30004). Il s’agit non d’une évolution prévue comme telle, mais d’une opportunité technique saisie au passage par Fernand Nouvion. Toutefois, le bogie monomoteur est bien né, et il permet une évolution technique, tout aussi opportuniste et pragmatique, vers la biréduction.

C’est une « redécouverte » puisque, comme le fait remarquer Yves Machefert-Tassin dans son “Histoire de la Traction Électrique” (deux tomes, Éditions La Vie du Rail), les premières locomotives BB à bielles de la fin du XIXe siècle avaient, en fait et grâce à la transmission par bielles et faux-essieu sur le moteur, un seul moteur central.  Mais ici les conditions techniques (puissance du moteur, effort de traction, vitesse) sont tout autres. En particulier, un seul gros moteur pèse 30 % de moins que deux moteurs plus petits de puissance totale comparable.

Essayé en France, le bogie monomoteur est adopté ensuite par l’Inde (1961), le Japon (1962), la Hongrie et l’Espagne (1963), la Yougoslavie (1978), l’Italie (1979) et l’URSS (1980).

Du bogie monomoteur à la biréduction (1957-1968)

D’abord envisagé pour les locomotives à puissance modeste et effectivement monté sur les BB 9400, le bogie monomoteur procède bien d’une conception simplificatrice due à Fernand Nouvion (sous la direction de Marcel Garreau qui “assume”…) dans laquelle, souvent, les ingénieurs du chemin de fer s’enferment : le « moins d’organes = moins de pannes » ou le « moins de performances = moins de problèmes » fait souvent de curieux retours sur le devant de la scène. Fréquemment cet état d’esprit règne durant les périodes de crise, de remise en question, ou de changements de hiérarchie, ou de tout ce qui peut amener les ingénieurs à « se couvrir ».

Fernand Nouvion (au centre) – (1905-1999)
Marcel Garreau (1903-1982)

La BB-9400, est une machine aux performances volontairement modestes, et elle est très simplifiée. Le monomoteur lui sied bien et limite à seulement 2 210 kW et à 130 km/h, elle est ce que Fernand Nouvion  appelle avec sa franchise coutumière que l’auteur de ces lignes a bien connue « une locomotive miteuse » d’une période où l’on pense officiellement à la SNCF qu’un train de voyageurs n’a pas besoin de plus de puissance ni de plus de vitesse. La locomotive est peut-être « miteuse », mais pas le bogie.

Le bogie monomoteur, en effet, permet le passage à une étape ultérieure : la biréduction, selon une idée de Fernand Nouvion. Mais il pose un sérieux problème d’ordre mécanique : le maintien des roues à un diamètre rigoureusement identique. Effectivement, les roues du matériel ferroviaire s’usent, surtout les roues des essieux moteurs qui travaillent avec un patinage normal continuel, même minime (nous ne parlons pas des patinages intempestifs et violents qui peuvent se produire au démarrage, et qui, bien sûr, ajoutent de graves usures supplémentaires). Or ces usures peuvent varier d’un essieu à un autre, pour le même engin moteur, et pour le même bogie moteur. Avec le monomoteur, les deux essieux d’un même bogie sont totalement solidaires mécaniquement, puisque liés par engrenages à un unique moteur commun. Des différences d’usure créant des différences de diamètre, les roues s’useront d’autant plus vite qu’elles ont commencé à s’user d’une manière différente. Il faut donc imposer des tolérances très sévères pour le diamètre des roues des bogies monomoteurs. Par contre, le bogie monomoteur porte en lui le germe de la biréduction.

Or, de tout temps, il aurait été infiniment plus simple, pour l’Exploitation, de disposer d’une locomotive d’un type unique et apte à tout faire : la locomotive universelle. L’idée de Fernand Nouvion est suscitée par ce vieux problème ferroviaire et, en somme, il installe très opportunément un changement de vitesses sur la locomotive en tirant profit de la disposition mécanique du bogie monomoteur. Appliquée par l’ingénieur Louis Lothion sur les locomotives BB 16500 construites par Alsthom à partir de 1958, la biréduction utilise la présence d’engrenages imposée par la transmission de l’effort d’un unique moteur central jusqu’aux essieux. Un basculeur comportant des engrenages intermédiaires, actionné à l’arrêt par un levier manuel, permet de choisir entre deux rapports donnant une vitesse maximale de 90 km/h en régime lent pour trains lourds, ou 140 km/h en régime rapide pour trains plus légers, le tout avec les 2580 kW disponibles sur cette locomotive légère de 74,6 tonnes, circulant sous caténaire monophasé. Le rapport de réduction entre le moteur et les roues motrices est donc soit de 3,17 ou de 1,88. On a bien deux locomotives en une.

Même si, une fois encore, Yves Machefert-Tassin nous rappelle que la solution a déjà existé eu XIXe siècle, cette fois sur la locomotive suisse du Burgdorf-Thun, la solution inventée par Fernand Nouvion est nouvelle en ce sens qu’elle se fait sur des locomotives connaissant des performances tout autres que la machine suisse, et à une échelle sans commune mesure puisque intéressant des familles entières de locomotives SNCF par centaines.

Locomotive électrique type BB du Burgdorf-Thun Bahn suisse en 1899.

Mais l’historien des techniques verra, avec intérêt, que, dans le chemin de fer, un problème posé trouve sa solution possible théoriquement ou appliquée sur un prototype, mais attend sa généralisation d’emploi parfois pendant plus d’un demi-siècle. Il est vrai que la locomotive du Burgdorf-Thun est une modeste motrice de tramway fonctionnant avec du courant triphasé et disposant de 200 kW seulement : elle trouve, dans ce système de changement de vitesses, de quoi contourner les contraintes du moteur triphasé et de donner deux vitesses à la locomotive : 18 ou 36 km/h, avec changement de rapport en pleine marche. Nous sommes en 1899 et les problèmes, en 1959 avec Fernand Nouvion, sont tout autres avec des efforts de traction 10 fois supérieurs et des vitesses au moins 5 fois plus grandes, surtout si l’on songe aux CC 40100 prévues pour rouler à 240 km/h sur le rapport de réduction rapide.

Tableau des locomotives à biréduction de la SNCF.

Première approche de la locomotive universelle tant recherchée, la biréduction est appliquée par la SNCF à une très grande échelle :

Type et sérieNombreVitesses max.Rapports de réd.Dates de constr.Firmes
CC 6501/7474100/2002.86/1.311969/1975Alsthom
BB 8501/14614690/1403.17/1.891964/1974Alsthom
BB 9531/464120/1601.93/1.451964F-L/SJ/CEM/SW
BB 16501/79429390/1403.21/1.881958/1964Alsthom
BB 17001/10510590/1403.17/1.831965/1968Alsthom
BB 20201/131390/1403.17/1.831970Alsthom
CC 21001/44100/2002.86/1.311969/1974Alsthom / MTE
BB 25501/69419490/1403.17/1.891964/1975Alsthom
CC 40101/44160/2401.70/1.221964/1970Alsthom
CC 40105/106160/2201.59/1.281969/1970Alsthom

Notons qu’à ces locomotives électriques s’ajoutent aussi des locomotives diesel-électriques :

Type et sérieNombreVitesses max.Rapports de réd.Dates de constr.Firmes
BB 67001/39039090/1303.45/2.301963/1975BL/MTE/SEMT
CC 72001/202085/1401967/1969Alsthom/SACM
CC 72021/927285/1601967-1969Alsthom/SACM
      

La lecture des tableaux montre que la biréduction s’applique à des engins de tous types, en ce qui concerne les performances. En fait, les engins à hautes performances, peu nombreux d’ailleurs, n’ont pas été significatifs dans l’histoire de la biréduction et n’ont pas été utilisés avec cette optique : ces locomotives CC-40100, des quadricourant sur lesquelles nous reviendrons, et construites dans une perspective de grande vitesse européenne, se sont heurtées à des problèmes techniques et n’ont jamais trouvé leur utilisation à 240 km/h faute du réseau à grande vitesse qu’elles auraient dû parcourir. Les meilleurs résultats et l’utilisation la plus intensive ont été obtenus avec les engins à performances moyennes, notamment les BB-8500,17000 et 25500, et les locomotives diesel-électriques, elles aussi,, de performances moyennes par définition.

La biréduction s’intègre bien dans la philosophie des années 50/60 pratiquée par la SNCF avec des trains à vitesse modérée, remorqués par des locomotives plutôt mixtes et légères, à performances moyennes, le tout donnant un coût minimal faisant espérer une rentabilité maximale.

Or c’est justement sur le plan du coût que la biréduction ne donne guère satisfaction : les bogies comportent jusqu’à 14 engrenages (cas de la CC-6500) et demandent un entretien suivi et hors des normes habituelles, avec un coût en exploitation qui grimpe très vite. Et lors d’une réunion qui reste encore présente dans les souvenirs des ingénieurs de la SNCF, Jean Dupuy, alors directeur du Matériel, somme Fernand Nouvion d’abandonner sa « bi-réduc » et de, dorénavant, ne plus concevoir que des bogies monomoteurs « simples et increvables ” (d’après ce que Jean-Marc Dupuy nous a dit personnellement, lors de nos recherches pour notre soutenance de thèse d’État NR sur la traction électrique). Nous sommes vers la fin des années 60, et, désormais, les nouvelles locomotives de la SNCF auront certes des bogies monomoteurs Mais avec une transmission simple. En attendant, un certain nombre de locomotives biréduction se voient ramenées au type monoréduction par blocage, en atelier, du système de bascule.

La recherche de la locomotive universelle, apte à « faire » les trains de voyageurs rapides comme les trains de marchandises lourds, est la grande affaire des réseaux européens qui, contrairement au cas des réseaux américains ou du tiers monde, connaissent à la fois les deux types de trafic, et ne peuvent se satisfaire de la conception « rustique » à la manière des locomotives diesel-électriques qui n’affrontent qu’un trafic marchandises lent, ceci, bien entendu, après la guerre avec le déclin complet du service voyageurs ferroviaire aux USA. L’abandon de la biréduction ne signifie nullement, pour la SNCF, l’abandon de la recherche de la locomotive universelle, sophistiquée et apte à tout faire. Si Jean Dupuy réclame à Fernand Nouvion un bogie « simple et increvable », il ne s’agit pas d’un retour technologique ou d’une référence à un chemin de fer rustique. Au contraire, il s’agit de faire simple et fiable au terme d’une recherche technique encore plus poussée : ce sera le bogie monomoteur des futures BB-7200,15000 et 22200 qui en résultera, bogie certes très simple et endurant, mais très évolué techniquement. Mais aussi des progrès considérables en matière de moteurs permettront d’arriver à cette locomotive universelle, avec le fameux moteur synchrone des années 1980 dont nous aurons à décrire la conception. Le terme de locomotive universelle, très présent dans l’univers ferroviaire, est sans nul doute dû à Marcel Garreau, qui fait inscrire ce terme officiellement dans le compte rendu des débats suscités par une intervention de Fernand Nouvion sur les « locomotives aptes à tous les services » en 1954.


Petite galerie photographique en souvenir de quelques “stars” de la “biréduc”.

BB-8500 avec bi-réduction 90/140 km/h -1964 Alstom.
BB-25550 avec bi-réduction 90/140 km/h -1964 Alstom
BB-20200 avec bi-réduction 90/140 km/h – 1970 Alstom
BB-16500 avec bi-réduction 90/140 km/h -1958 Alstom
BB-67000 avec bi-réduction 90/130 km/h – 1963 BL/MTE/SEMT
CC-72000 avec bi-réduction 85/140 ou 85/160 km/h -1967 Alstom/SACM
CC-6500 avec bi-réduction 100/200 km/h – 1969 Alstom
CC-40100 avec bi-réduction 160/240 ou 160/220 km/h – 1964 Alstom
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