Le métro de Londres : ancien, enfumé, efficace disait-on.

Pour être ancien, il l’est, et depuis 1863, Londres mérite le titre très envié de première ville du monde desservie par un métropolitain, bien avant les autres capitales. Desservie ? Pas très facilement, en tout cas, car le métro de Londres est à une grande profondeur, il faut un temps considérable pour descendre, par d’interminables escaliers roulants, dans des stations enfouies dans les profondeurs du sol, étroites, tassées, basses de plafond, bruyantes avec des rames arrivant en faisant un fracas métallique assourdissant, et surtout très éloignées les unes des autres, ces stations… Enfant, je vivais à Londres et ce « tube», comme on l’appelait, m’effrayait. Venu vivre à Paris à la Libération, je découvris un métro accessible, juste une vingtaine de marches à descendre, de hautes stations dégagées avec deux quais se faisant face, avec des trains qui se croisaient, qui étaient très vitrés et accessibles, fréquents et sympathiques et que l’on n’attendait pas indéfiniment. J’ai adoré le métro de Paris et je l’adore toujours, si sûr, si agréable, si rassurant… C’est lui, le métro de mon enfance.

Un métro londonien à l’histoire ancienne et techniquement très curieuse.

Enfumé, pour commencer ? Oui, et, en outre, ce chemin de fer sous Londres et ô combien souterrain, l’était vraiment en ce sens qu’il marchait à la vapeur, soignant ainsi les poumons avec des inhalations efficaces… et faisant la fortune des blanchisseurs et des teinturiers, vu les couleurs données aux habits.

Charles Pearson est l’inventeur du chemin de fer métropolitain, et a l’idée de faire creuser la première ligne urbaine souterraine du monde au début des années 1860. La ligne de Paddington à Farringdon est ouverte en 1863 sur une courte distance de 6 km environ, et sous l’un des axes les plus chargés de la capitale anglaise, alors la plus grande ville du monde. Le succès est tel, malgré la fumée et la vapeur que les locomotives exhalent à cœur joie, que d’autres lignes suivent, et on peut dire qu’en 1880, à une époque où l’ensemble des grandes villes du monde en sont encore à des transports de type médiéval avec des chevaux et des voitures, Londres a déjà un véritable réseau moderne de chemins de fer métropolitains. L’électrification de ce réseau est amorcée à partir de 1906, apportant le mode de traction définitif que réclame ce type de chemin de fer.

Vue en coupe d’une ligne du « tube » de Londres, d’après un document d’époque RGCF paru en 1906 : station « boyau » étroite au quai, pas plus large que la voie, aberrant, mais nécessaire gabarit circulaire du tout, et voie à quatre files de rails qui constitue techniquement la plus grande et passionnante caractéristique du métro de Londres.
Coupe de la première ligne du « tube » de Londres, le « City & South London Railway » en 1890. Le gabarit circulaire est très restreint, fait dû à la mauvaise qualité du sous-sol de Londres, très alluvionnaire et sableux. La voie étant en écartement de 1435 mm, on devine les dimensions du matériel roulant : on ne voyage pas en chapeau !
Les premières lignes du métro de Londres. En trait rouge épais, la ligne datant de 1863, au gabarit normal et en traction vapeur. Elle est prolongée à partir de 1868 (trait rouge fin). Quasiment impossible à exploiter et rendue irrespirable par les fumées, elle ne sera prolongée que par des lignes en traction électrique et petit gabarit (trait vert), et dites « tube railways », car imposées en profondeur par la géologie.
Une station du métro de Londres en 1868. C’est vraiment très enfumé, malgré les puis d’aération sous lesquelles on devait placer les cheminées des locomotives en stationnement.
La construction du métro de Londres, grand gabarit et faible profondeur, d’après une gravure datant de 1863.

La situation lors de la construction du métro de Londres.

Vers 1860, Londres n’a pas, comme Paris, de limites déterminées. À Paris, une enceinte continue enserre étroitement la ville. Londres, au contraire, n’est qu’une vaste réunion de quartiers, séparés quelquefois par de grandes distances, et qui s’étendent, sans lignes précises de terminaison, sur un immense espace divisé en 36 communes ou districts, qui ont, chacune, leur administration municipale. La longueur de l’agglomération londonienne est de 24 km environ, de l’est à l’ouest, et de 20 km du nord au sud. La partie de la ville située au sud de la Tamise est de beaucoup la plus importante. Elle comprend, vers l’est, la Cité, et, à l’ouest de la Cité, Westminster.

La Cité n’a qu’une médiocre étendue, sa surface est 1/30 environ de celle de Paris, mais elle est le centre de l’activité municipale et commerciale de Londres. Au sud de la Tamise et de Westminster, s’étendent les districts industriels et manufacturiers. La presse d’époque décrit la situation en ces termes : « Là se presse une nombreuse population ouvrière, tandis que les districts opulents occupent, comme à Paris, le nord et l’ouest de la ville, et, au-delà, commence, pour s’étendre dans toutes les directions, une longue suite de villas, qui reçoivent les habitants, riches ou pauvres. Les négociants viennent s’y délasser des fatigues de la journée, les ouvriers y trouvent un abri commode et spacieux, et tous reviennent, le matin, chaque jour de travail, à l’atelier ou au bureau. Ces habitudes de villégiature font que le service des chemins de fer de la banlieue est d’une importance vitale pour le système de transport londonien.


Les Anglais appellent le métro souterrain de Londres « inner circle » (cercle intérieur), car son tracé a bien un aspect circulaire, mais qui n’est pas entièrement fermé. Le point de départ est Bishopsgate et le point d’arrivée Mansion House, quartiers situés, l’un et l’autre, au centre de la cité, et comprenant les rues les plus populeuses et les plus affairées.

Deux compagnies différentes sont propriétaires des réseaux intérieurs de Londres : le Metropolitan Railway Company, et le Metropolitan District, qui se partagent l’exploitation de ce chemin de fer, sur des longueurs inégales. À l’époque, le tunnel n’est pas situé, en moyenne, à plus de 10 à 12 mètres au-dessous de la chaussée des rues. Quelquefois même sa profondeur ne dépasse pas 6 mètres.


Les tunnels qui se succèdent occupent une longueur de 3,370 mètres, depuis Edgwar Road jusqu’à King Cross. Les gares de Portland Road, de la rue Baker, et de la rue Gower, sont établies au fond du tunnel.  Le peu de profondeur où se trouve placé le réseau souterrain en certains points de son parcours, a permis d’y superposer deux voies, comme pour le tunnel de Clerkenwel, où l’on voit deux lignes passant l’une au-dessus de l’autre, le tout sous le pavé de la rue.

La carte du métro de Londres en 1882, d’après Bâclé. C’est la plus grande extension du réseau à grand gabarit. Déjà la concurrence entre compagnies fait rage, à l’anglaise : « Central», « Metropolitan », et leurs « extensions » jalousement conquises. La traction électrique s’impose, bien que les lignes aient de (courts) tronçons à ciel ouvert et que beaucoup de stations soient à ciel ouvert, souvent au centre d’un pâté de maisons.

Les caractéristiques techniques du premier réseau.

La section d’un tunnel de ce réseau souterrain présente une voûte en anse de panier, avec pieds droits en arcs de cercle. Sa largeur est de 8,70 mètres et sa hauteur, au-dessus des rails, de 5 mètres. Il est revêtu en briques, comme la plupart des ouvrages d’art en Angleterre, et le revêtement a une épaisseur de 0,69 mètre dans tous ses points. Pour les terrains friables, il a fallu placer un revêtement complet, c’est-à-dire poser un champ de briques au plafond, directement au-dessous du sol de la ville, et l’on a prolongé ce même revêtement par-dessous la voie. De chaque côté de la voie, à l’intérieur du tunnel, il existe des refuges, espacés de 15 mètres l’un de l’autre, et qui servent aux employés et ouvriers, pour déposer leurs outils, ou pour se garer, au moment du passage des trains.

Cependant, toute la ligne n’est pas souterraine, et un quart environ de sa longueur est en tranchée, à ciel ouvert. Les tranchées sont revêtues de murs de soutènement en briques. Quand la poussée des terres fait craindre des glissements, on relie entre elles les deux parois de la tranchée par des poutres en fonte, placées à la hauteur de 4 mètres au-dessus des rails. Dans l’axe et au-dessous de la voie, soit en tunnel, soit en tranchée, un aqueduc central suit tous les détours du tracé, pour recevoir les eaux d’infiltration et donner un écoulement aux eaux pluviales.

Les tunnels sont creusés d’abord en ouvrant des tranchées selon la méthode dite « cut and cover », ce qui permet de travailler à découvert et dans des conditions faciles. La tranchée étant pratiquée, on la garnit d’une maçonnerie intégrale en briques formant un tunnel complet, et on la recouvre de terre.

La construction du premier réseau souterrain de Londres a demandé plus de dix ans. Dans les profondeurs du sol, tout un dédale de conduites d’eau et de gaz, d’aqueducs, de tubes, de fils télégraphiques, se dirige en divers sens, et à des niveaux très différents, le tout fort enchevêtré dans le sol. Il fallut donc apprendre à détourner les égouts, faire passer d’autres conduites sous la voie, ou les suspendre à la voûte du tunnel par des crampons de fer.


L’écartement est standard. Les rails sont posés sur des traverses de sapin. Ils sont, comme la plupart des rails des chemins de fer de l’Europe, de la forme dite à double champignon, quant à la saillie. Ils pèsent 42 kilogrammes le mètre courant. On les remplace lorsqu’ils présentent une usure de 16 millimètres, ce qui correspond à un trafic opéré sur ces rails de 50 millions de tonnes. Ils durent en moyenne environ huit ans.

 
Les stations sont presque toutes à ciel ouvert. Trois stations seulement sont souterraines.
Les stations à ciel ouvert sont établies dans une tranchée élargie, pourvue d’un mur de soutènement et couverte d’une toiture vitrée. Les quais des stations de la voie ferrée, comme tous ceux des chemins de fer anglais, sont très élevés. Un journaliste français note que le voyageur anglais « n’a donc pas besoin d’escalader son wagon (sic) dans des conditions très pénibles pour les femmes, les vieillards et les enfants. En France, au contraire, où les quais du chemin de fer sont très bas, placés au-dessous des portières, la descente des wagons est toujours difficile. » C’est sans doute pourquoi on fera des quais hauts dans le métro de Paris.

Les quais sont de plain-pied avec le plancher des wagons, à 1,10 mètre au-dessus de la voie. Une passerelle, jetée par-dessus la voie, met en communication les différents quais d’une station.


Le bâtiment de la station, réduit au strict nécessaire, s’étend généralement en travers des voies, et est porté au-dessus d’elles, par la voûte ordinaire, renforcée. Deux passerelles, desservies chacune par deux escaliers, donnent aux voyageurs les moyens d’accéder aux quais et de sortir de la gare sans que les deux flux opposés puissent se rencontrer.

Le métro de Londres est le pionnier du bloc-système avec des signaux télégraphiques installés et fonctionnant de telle sorte que deux trains qui marchent dans la même direction ne doivent jamais se trouver entre deux stations consécutives. Grâce aux signaux envoyés par le télégraphe, un train ne peut quitter une station avant que le train qui le précède soit parti de la station vers laquelle il se dirige.

Les locomotives à vapeur du premier réseau.

Les locomotives à vapeur sont, quand on commence la construction du réseau en 1860, la seule solution connue : la traction électrique n’est pas encore au point. Mais les ingénieurs craignent, à juste titre d’ailleurs, que la fumée et les gaz de la combustion du charbon rendent l’air peu respirable et même complètement vicié. On remédie à ces inconvénients, sans se priver des avantages économiques et pratiques de la locomotive, en opérant de la manière suivante.

Dès que l’on pénètre dans un tunnel, le mécanicien, au moyen d’un volet commandé depuis la cabine, intercepte l’arrivée de l’air au-dessous de la grille du foyer. II a forcé, à l’avance, le feu, de telle sorte que la vapeur emmagasinée dans la chaudière suffise à la consommation jusqu’à ce que l’on ait franchi le souterrain. Le mécanicien réalise ainsi, sans appareil particulier et sans prétention scientifique, cotte chaudière sans foyer, venue des États-Unis et qui, perfectionnée par un ingénieur français, est employée pour quelques cas particuliers de traction, par exemple pour les tramways de Nantes.

La vapeur qui sort des cylindres, après avoir produit son effet utile, au lieu d’être rejetée au dehors, comme à l’ordinaire, est dirigée, au moyen d’un tube, que le mécanicien ouvre au sommet de la chaudière, dans l’eau portée par le tender. Cette eau est ainsi échauffée, ce qui n’est que plus avantageux pour l’alimentation ultérieure, et la vapeur ne se répand pas dans le souterrain. Ces deux manœuvres, c’est-à-dire l’occlusion du foyer et renvoi de la vapeur dans l’eau du tender, se répètent à l’entrée de chaque tunnel.

Les locomotives du réseau métropolitain de Londres sont des locomotives-tenders de 42 tonnes du type 220T. Elles sont portées, en arrière, par quatre grandes roues motrices, de 1,64 m de diamètre, et reposent, en avant, sur un bogie. Ces machines-tender sont pourvues d’une caisse à eau, de grande dimension, dans laquelle le mécanicien peut diriger à volonté la vapeur de la chaudière, au lieu de la laisser perdre dans l’air. Ainsi, la caisse à eau joue ici le rôle du condensateur des machines à vapeur fixes. Le foyer a des dimensions exceptionnelles et la grille est d’une grande surface, parce qu’il s’agit de pouvoir forcer la production de vapeur, au moment de pénétrer dans un tunnel.

Locomotive-tender type 220 du « District Railway » et son système de récupération de vapeur utilisé lors des arrêts en station.
Magnifique et fière ambiance vapeur en 1876 à Earl’s Court, sur le métro de Londres : reconnaissons que jamais le métro de Paris n’a connu cela ! On pose dignement pour l’édification des générations futures. Le « signal box » (cabine d’aiguillage) est typique des réseaux britanniques et viendra aussi habiter en France.

Le matériel remorqué.

Le matériel roulant du premier réseau métropolitain de Londres répond aux conditions très spéciales du réseau. Son service nécessite, en effet, des trains très multipliés, mais composés d’un petit nombre de voitures, les trains s’arrêtant fréquemment et ne comportant que des arrêts très courts à chaque station. À ce cahier des charges, s’ajoutent les rampes fortes et les courbes d’un faible rayon, tandis qu’une grande partie de la ligne est souterraine, et comprend, en particulier, un tunnel, celui d’Edgware Road à Kings Cross, qui est d’une grande longueur. Les stations sont de peu d’importance, n’occupent qu’un faible emplacement, et ne peuvent, dès lors, recevoir un matériel compliqué et encombrant.

Les voitures ont une longueur d’environ 12 mètres, et ont trois classes divisées chacune en huit compartiments. Ceux-ci sont éclairés au gaz. La ventilation des tunnels n’exige, en fait, aucune disposition spéciale. Comme on est débarrassé de la fumée du charbon et de la vapeur de la chaudière, on se trouve, en définitive, dans une atmosphère « suffisamment respirable », selon la presse de l’époque.

L’éclairage des voitures se fait au gaz… ce qui n’arrange pas les problèmes de la qualité de l’air, pour le moins que l’on puisse dire, mais il n’y a pas d’autre solution. Chaque wagon porte un réservoir de gaz de 4,000 litres de capacité. De ce réservoir partent des tubes, qui sont disposés dans les divers compartiments, à raison de deux becs par compartiment de première classe. Les 4,000 litres de gaz du réservoir suffisent à l’éclairage pendant deux heures et demie.

De grands gazomètres sont établis aux deux gares extrêmes de Bishopsgate et de Mansion House, et servent à remplir rapidement les réservoirs de chaque wagon. Deux minutes suffisent pour remplir cinq réservoirs. Un cadran à aiguille, adapté à chaque réservoir, fait connaitre la quantité de gaz ainsi introduite.

Voiture du « Metropolitan Railway » en 1899.

De l’air… de l’air… au « fond de ces boyaux » (sic).

On a essayé de mettre à profit, pour produire une certaine ventilation, le déplacement d’air qui résulte de l’expédition des boites contenant les dépêches, dans les tubes pneumatiques, lesquels sont suspendus à la voûte du tunnel. Mais les dispositions secondaires, nécessaires pour produire le résultat cherché, étaient compliquées, délicates, et leur résultat quelque peu problématique. Aussi a-t-on fini par y renoncer. La ventilation s’opère simplement par la différence de température et de pression existant aux deux bouts d’un tunnel, et par le déplacement d’air provoqué par le passage des convois.

Mais au fur et à mesure que l’exploitation du réseau de Londres s’est développée, on a reconnu, de plus en plus, la difficulté d’aérer convenablement des tunnels parcourus par de nombreux convois se succédant à quelques minutes d’intervalle. Dès l’ouverture de la ligne générale, en 1864, on se préoccupe de la ventilation des stations souterraines de la rue Baker, de la rue Gower et de Portland Road. En 1866, on remanie la station de la rue Baker. En 1868, on élargit la station de Portland Road et on la découvre partiellement. En 1870 et 1871, on pratique, à la station de la rue Gower, des ouvertures, pour y faire pénétrer largement l’air et la lumière. En 1871 et 1872, on fait, de distance en distance, des puits très larges entre voûte du tunnel et les chaussées d’Easton Road et de Marylebone Road. Enfin, en 1877, on établit à la station de la rue Gower un système de ventilation consistant eu une sorte de hotte en charpente renversée et suspendue à la voûte du tunnel, qu’elle traverse, pour déboucher à ciel ouvert. Cette disposition provoque un appel de l’air dans le souterrain.

« En dépit de tous les moyens de produire une bonne aération, il est certain que l’air est vicié et quelquefois peu respirable, au fond de ces boyaux » écrit un journaliste à l’époque. Aussi a-t-on renoncé à partir de 1900 à construire des tunnels longs de plus de 500 à 600 mètres, et, en principe, on est si bien pénétré, à Londres, des inconvénients du parcours sous terre, que l’on tend généralement à découvrir les tunnels, pour obtenir, le plus qu’on le peut, des parcours à ciel ouvert.

À partir de 1891 : le « Tube ».

La situation change subitement au début du XXe siècle. Désormais le chemin de fer souterrain de Londres est constitué de deux types différents : le plus ancien, construit près du sol par chantier à ciel ouvert puis recouvert, a des tunnels à voie double et un matériel roulant au gabarit proche de celui des chemins de fer classiques, et le plus récent, construit à grande profondeur, et qui a été creusé avec des tunnels à voie unique et un matériel à gabarit restreint de forme circulaire, donnant des voitures de forme cylindrique et un plafond bas, ce qui lui a valu le surnom de « tube » de la part des Londoniens. Mais les deux systèmes ont en commun de venir à la surface du sol en s’éloignant du centre de la ville et de gagner des villes de banlieue à l’air libre, ou sur des viaducs.

Les lignes de l’ancien réseau sont, nous le savons, d’abord exploitées en traction vapeur, avant l’électrification intégrale entreprise à partir de 1906. En revanche, le premier forage du « tube » commence en 1890, et avant 1914, un grand nombre de lignes, déjà, se ramifie sous Londres. L’ensemble des lignes fut regroupé en 1933, formant un seul réseau public, et l’on pensa, à l’époque, que le besoin de lignes nouvelles ne se faisait plus sentir.

En 1891, la première ligne électrifiée du métro de Londres est ouverte : c’est la ligne du « City & South London Railway » qui relie directement, sur 6 200 mètres, les quartiers d’affaires très actifs de la rive droite avec les abords du pont de Londres où se trouvent plusieurs gares. Reliant King William Street Station à Stockwell, la ligne dessert que quatre stations intermédiaires, et elle est parcourue par un train toutes les six minutes. Les trains eux-mêmes sont très curieux : ils ont deux ou trois voitures de forme cylindrique, sans fenêtres, sinon de très petites fentes vitrées juste au-dessus du dossier des banquettes pour lire les noms des stations. Les voitures sont équipées intérieurement de deux banquettes longitudinales, les voyageurs étant assis face à face de part et d’autre de l’allée centrale.

C’est bien le premier « tube » et le tunnel est au diamètre, très restreint, de 3, 20 m de diamètre intérieur, ce qui, une fois la voie posée, ne laisse qu’une hauteur utile d’environ 2,50 m et une hauteur de 2 m sous plafond dans les voitures qui sont longues de 9 m et ne contiennent que 34 voyageurs. Des petites motrices à deux essieux remorquent des trains de trois voitures et ont deux « dynamos », comme le dit en termes d’époque, pour désigner aussi un moteur à courant continu, à enroulement par série donnant chacune 50 ch à 310 tours.

Le système d’alimentation est un troisième rail conducteur et central. Notons que ce rail central, s’il est relativement rare sur les chemins de fer réels, s’inscrit dans la plus pure tradition des trains-jouets électriques qui apparaîtront vers 1900 et la maintiendront jusqu’aux années 1960.

Le courant de traction est du continu, à la tension de 500 volts, et avec une intensité de 150 ampères. Le rail central est interrompu sur les appareils de voie, ce qui implique que les zones de démarrage en soient totalement exemptes. Les appareils de voie sont, d’ailleurs, peu nombreux, et fort loin des complications de tracé des chemins de fer britanniques, à propos desquelles les ingénieurs français notent, avec une élégance et une clarté vraiment d’époque, que si c’était le cas sur cette première ligne, « la continuité du conducteur ferait exception, et l’interruption deviendrait la règle ».

Notons que le rail central est situé au-dessous du plan de roulement des rails, ce qui ne facilite pas les choses pour le franchissement des appareils de voie : des rampes placées de part et d’autre de l’appareil de voie relèvent le frotteur pour le faire passer par-dessus le rail de roulement qu’il rencontre. C’est la première ligne de chemin de fer exploitée en traction électrique, ceci d’une manière commerciale, et avec des techniques désormais au point.

Carte historique des lignes du centre de Londres parue en 1965.

Le premier mystère du métro de Londres : quel système électrique ?

Si nous ouvrons l’ouvrage magistral « Histoire de la traction électrique » paru aux Éditions La Vie du Rail, Yves Machefert-Tassin, dont la passion pour l’histoire de la traction électrique et la compétence sont bien reconnues, décrit le « City & South London », conçu par les ingénieurs Gresthead et Hopkinson, comme étant équipé d’un captage sur deux rails, un central, et un latéral, à +250 et – 250 volts.

Les locomotives fonctionnent, toujours d’après Yves Machefert-Tassin, sous 500 volts, et elles dérivent d’une locomotive exposée par Siemens à Londres en 1881, la firme allemande fournissant d’ailleurs deux des quinze locomotives engagées sur la ligne, les treize autres étant fournies par Mather & Platt, une entreprise de Manchester. Les moteurs utilisent la technique ultérieurement appelée « gearless », c’est-à-dire avec des induits, des moteurs formant partie intégrante des essieux, donc se passant de toute démultiplication ou transmission par engrenages.  Ceci fait que ces locomotives ont une masse non suspendue tellement conséquente, avec 9,4 tonnes, qu’elles lézardent, paraît-il, les façades des maisons situées au-dessus de la ligne !

Elles ont pour originalité un freinage continu à air comprimé, mais sans compresseur, jugé trop compliqué : on « gonfle » les réservoirs des locomotives à chaque arrêt en extrémité de ligne. L’alimentation est assurée par des câbles, ou « feeders » à la tension de 1000 volts, celle-ci provenant de génératrices en série à +1000 ou -1000 volts. On a donc bien une tension double et deux fois de suite entre les génératrices et les moteurs de traction. Ce système sera plus connu, par la suite, sous le nom de « Système à cinq fils du City & South London », puisque l’on aura un ensemble qui s’équilibre, par le jeu des séries, à des tensions de 500 volts aux bornes de l’ensemble des machines tournantes.

Mais revenons à la description donnée par Yves Machefert Tassin qui indique bien un captage sur deux rails, un central et un latéral, à +250 et à -250 volts respectivement. Cette description supposerait que, le rail latéral étant à +250 volts et le rail central à -250 volts, il y ait un neutre constitué par les rails de roulement et les trains, ce qui porte le nombre de rails existant sur la voie au nombre de quatre.

Or les schémas de la Revue Générale des Chemins de fer représentent une voie à trois rails, et le texte de la RGCF le confirme, mais nous pensons qu’Yves Machefert-Tassin a, lui aussi, tout à fait raison. La solution de l’énigme vient du fait que la ligne aurait bien été équipée d’un système à rail conducteur central jusqu’en 1920, et, ensuite, aurait été équipée du système à quatre files de rails du métro londonien cette année-là. On est donc conduit à penser que ce premier métro de Londres aurait fonctionné en 500 v continu « entier » par rail conducteur central, avant de passer à un 500 volts en double tension de 250 volts. Par la suite, le réseau du « tube » londonien poussera la double tension jusqu’à +350 et -350 volts, donnant une différence de potentiel de 700 volts, ce qui est le cas actuellement.

Il est intéressant de savoir qu’il existe une autre forme de la voie à quatre rails à Londres : les lignes d’extension du « Metropolitan et du District Railway » utilisent bien quatre rails, mais le rail latéral apporte directement le courant 500 volts et le rail central assure son retour. Les rails de roulement sont totalement hors circuit et ne servent qu’au roulement. Ce système est présenté comme limitant les courants vagabonds. Il n’est plus utilisé aujourd’hui.

Locomotive du « City & South London » en 1986. Les très lourdes masses non suspendues (au premier plan) posent des problèmes de fissures pour les riverains !
Voiture, peu engageante, de la même ligne du « City & South London ».
Train du « Central London Railway » . Cette locomotive connaîtra une réelle célébrité en étant reproduite en train-jouet par Märklin et Bing, notamment. Les poutres de bois « compensent » les nombreuses interruptions du rail conducteur.
Locomotive électrique type BB de 1903 : accès très « mesuré » pour le conducteur …
Matériel roulant du « Central London » en 1926. La modernité est à l’œuvre pour donner un aspect plus avenant aux rames.
Dans le « City & South London » en 1890.
Style vieux manoir anglais sur le « Waterloo & Central Railway », en 1898. La position haute des sièges, sur le bogie, impose une certaine hauteur de vues aristocratique, mais diablement secouée sur les inégalités sociales et celles, pires, de la voie.
Premières rames électriques sur le « Metropolitan » en 1903, et avec des bogies d’intercaisse que le TGV redécouvrira à son tour environ 70 ans après.
La « Hamsptead Line » en 1919.
Sur le « Metropolitan Railway » en 1903. La ligne longe une autre ligne classique d’un des réseaux nationaux.
Sur le « Central London Railway » en 1903. Une certaine recherche d’élégance.
Sur la « Bakerloo Line » en 1914. Le style général s’affine, avec l’inclinaison des baies qui grignotent un peu d’espace dans le gabarit très contraignant.
Vue classique du métro de Londres en 1938. Les publicités envahissent, sinon égaient, les stations.
Echappée belle, en pleine campagne, en 1933 sur la « Piccadilly Line », loin de Londres. Noter l’abondance des supports du câblage d’une signalisation très perfectionnée.
Motrice à batteries, non par anticipation futuriste type époque actuelle, mais pour, tout simplement, les manœuvres en atelier.
Le nouveau style de 1936 : les formes des bas de caisse sont censés éloigner les voyageurs du bord du quai.
Sur le « Metroplitan » dans les années 1950 : les 20 anciennes BB construites par Vickers en 1922-1923 sont toujours vaillantes. Pesant 61,5 tonnes, elles développent 1200 HP britanniques. Le décor est bien londonien, avec les puits d’aération des lignes.
Double bretelle de raccordement dans un tunnel du « Central London Railway », en 1920.
Voies à quatre files de rails à Queen’s Park. Les blocs de bois servent à éviter des contacts intempestifs et étincelants entre les frotteurs et les rails neutres.
Voies sur le « Metropolitan Railway » : la légende admet quand même que c’est « complicated » !

Comment l’appeler : Métropolitain ou Metropolitan ?

Une certaine confusion se fait, chez les Français, entre le « tube » et la ligne qui est appelée par les Britanniques le « Metropolitan Railway ». Essayons d’y voir un peu plus clair.

La ligne anglaise du « Metropolitan Railway » est construite, à partir de 1860, entre la gare de Baker Street, située à Londres, et celle d’Aylesbury, une ville située à 80 km de là, en lointaine banlieue. Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une ligne de métropolitain au sens où son appellation pourrait le faire croire, mais, plutôt d’un RER ou d’une ligne de banlieue comme les lignes françaises de St Germain ou de Sceaux contemporaines, elles-mêmes étant un précurseur de notre RER. Dès le XIXe siècle, les Londoniens fuient la ville industrielle et noire, et s’installent dans des « cottages » à la campagne, prenant alors des trains classiques formés de voitures à bogies et portières latérales, et remorqués par une locomotive à vapeur.

Mais le fait marquant est l’électrification de la ligne au début du siècle et la traction des trains par des BB d’une conception très moderne, prenant leur courant 600 v par un troisième rail conducteur latéral, selon un système qui serait classique très en vigueur à l’époque sur beaucoup de réseaux urbains et de banlieue dans le monde, s’il n’avait pas une particularité bien anglaise : le retour du courant par un quatrième rail central, ce qui est très original et donne une voie à quatre files de rails et évite surtout des interférences entre le courant de retour traction et les courants de signalisation. Ces locomotives, reconstruites à partir de 1922 par la firme Vickers, restent en service jusque durant les années 1960 et sont très populaires pour les Londoniens.

Donc, nous avons une double confusion possible pour les Français. En effet, le réseau anglais réel « Metropolitan Railway » n’est pas le « tube », et existe bien avant ce dernier. Il ne faut donc pas, quand on débarque à Londres, demander où est le « métro », mais bien où est le « tube » !  Et on vous indiquera volontiers où se trouve la « tube station » la plus proche.

Même Hornby, sur le catalogue de sa filiale française à la fin des années 1920, entretient savamment la confusion pour vendre aux enfants français un « métro » présenté aussi comme portant une inscription « Métropolitain »… Mais le train est perfidement et purement un « Metropolitan » anglais, mais très joli comme Hornby sait le faire.

Les nouvelles lignes.

Durant les années 1960, l’accroissement du trafic automobile donne des embouteillages tels qu’il faut bien ouvrir de nouveaux chantiers. Deux nouvelles lignes urbaines sont créées au centre de Londres même, la « Victoria Line » et la « Jubilee Line », inaugurant de nouvelles techniques comme ces tunnels entièrement en béton et des trains à pilotage automatique. La « Piccadily Line » , pour sa part, est prolongée en 1977 loin en direction de l’ouest jusqu’à l’aéroport de Heathrow qui se trouve rattaché directement au centre de Londres d’une manière rapide et efficace – contrairement au cas de bien des grands aéroports mondiaux ! Mais l’opération de la rénovation de l’Est de Londres entraîne la création, en 1987, de la ligne du « Docklands Light Railway » qui joue un très grand rôle dans la réussite de l’intégration des habitants dans cette nouvelle ville créée de toutes pièces à la place du port.

Aujourd’hui encore, le réseau de Londres est toujours présenté comme étant le plus important du monde avec cinq de ses lignes atteignant des villes situées à environ 25 km du centre de la capitale. Le réseau comprend ainsi plus de 420 km de lignes alors que New-York atteint 380 km, et Paris 200 km, mais à Paris, les choses bougent en ce moment et le réseau doublera avec l’opération Grand Paris. Le tout, à Londres, est en voie normale de 1435 mm, alimentées en majorité selon le curieux système à 4 files de rail déjà décrit, mais avec un rail positif + 600v, un rail négatif -600v, et deux rails de roulement neutres. Le réseau actuel comprendrait 273 stations, utiliserait plus de 4000 véhicules, et transporterait plus de 760 millions de voyageurs par an.

Le « tube » de Londres actuel. Des couleurs gaies et des stations devenue pimpantes aident à gérer le poids du passé qui impose des formes ingrates.
Magnifique image des voies du « tube » actuel, image de Russ Eliott et son excellent site-web http://www.clag.org.uk/3rd-4th.html que nous recommandons et que avons découvert grâce à Philippe Fénéon.

1 réflexion sur « Le métro de Londres : ancien, enfumé, efficace disait-on. »

  1. « La partie de la ville située au sud de la Tamise est de beaucoup la plus importante. Elle comprend, vers l’est, la Cité »

    Ma vision de Londres est bouleversée. Je voyais la Cité au Nord du fleuve.

    « à l’ouest de la Cité, Westnjinster […] Au sud de la Tamise et de Westrninster »

    Le quartier de Westminster semble ne pas avoir d’orthographe stable 🙂

Commentaires fermés

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