On disait, jadis parce que l’on les respectait, qu’avec eux”on avait les jetons”. On les avait à tous les sens du mot, parce que les premiers billets de chemin de fer étaient des jetons qu’il fallait présenter aux contrôleurs et parce que les contrôleurs étaient respectés et même craints. Il est possible que l’expression vienne de là, mais il est d’usage de dire que l’expression est née dans les tranchées de la Première Guerre mondiale pour désigner la peur.
Aujourd’hui les contrôleurs (comme on les appelle toujours, bien qu’ils soient devenus des ASCT ou “agents du service commercial trains) sont, pour ses 1,16 milliards de voyageurs annuels, le seul visage connu de la SNCF. Ils incarnent le chemin de fer, ils sont le chemin de fer, ils sont responsables de la sécurité et de la satisfaction des voyageurs qu’ils accueillent à bord de leur train. Oui : “leur” train. Le train est leur train.

L’histoire des contrôleurs est longue, et débute avec les toutes premières lignes ouvertes aux voyageurs dès les années 1830 au Royaume-Uni. Les quais sont fermés par des barrières et les premiers billets de chemin de fer sont, tout simplement, des jetons que l’on présente au contrôleur posté à l’entrée du quai de l’unique gare de départ, et sur une ligne unique qui n’offre souvent, en ces humbles débuts, qu’une destination.
Le contrôleur, à cette époque des débuts, n’est donc nullement présent à bord des trains. À cette époque, les lignes sont des tronçons épars, ne communicant pas entre elles et ne formant pas encore des réseaux à destinations multiples. Les voyageurs sont contrôlés à l’entrée, sur les quais et à leur sortie à la gare d’arrivée : au Royaume-Uni, on les désigne sous le nom de “ticket collectors”. Ils collectent donc les billets à des fins de comptabilité.

L’augmentation très rapide du nombre des voyageurs, l’allongement des trains, la multiplication des lignes et des gares, voilà qui, dès les années 1850, demande un autre système que celui inspiré des manèges de fêtes foraines ! La présence des contrôleurs à bord même des trains nait du principe d’accès libre aux quais, et devient compliquée à organiser quand les trains s’allongent et emportent de plus en plus de voyageurs, dont beaucoup montent ou descendent en cours de route.
Des trains non prévus pour le contrôle en cours de route.
Mais le contrôle dans les trains de l’époque demande la circulation d’une voiture à une autre, chose nullement prévue à l’origine puisque les contrôleurs étaient postés dans les gares. Chaque voiture forme une entité fermée, comportant ses voyageurs, et chaque compartiment a ses voyageurs, eux-mêmes restant patiemment assis à leur place pendant la totalité du trajet. À partir des années 1870, la présence de couloirs latéraux à l’intérieur de chaque voiture permet une certaine liberté de circulation d’un compartiment à l’autre, mais seulement pour se rendre aux toilettes disposées dans la voiture même, le passage d’une voiture à l’autre étant toujours impossible pour les voitures à compartiments. Seule l’opération est possible sur les voitures à plates-formes extrêmes sur certaines lignes secondaires.
Pour contrôler l’ensemble du train, les contrôleurs sont donc obligés de se livrer à de très dangereuses acrobaties sur les marchepieds extérieurs longeant les caisses des voitures, se tenant aux rambardes et mains-montoirs extérieurs d’une main. Le contrôleur passe d’un compartiment à un autre, donc par l’extérieur de la caisse, ouvrant les portières en pleine marche. Ensuite, il passe d’une voiture à l’autre, en tendant une jambe pour poser son pied à l’extrémité de la voiture voisine. À l’époque, beaucoup de contrôleurs tombent sur la voie à la suite d’une forte secousse. D’autres, se penchant trop vers l’extérieur, sont happés par une entrée de tunnel ou un train qui croise le leur. La généralisation, à partir des années 1890, de voitures à intercirculation avec soufflet et d’un couloir interne résout le problème, mais ceci n’est pas réalisé pour les contrôleurs : il s’agit de permettre aux voyageurs d’aller à la voiture-restaurant ou de choisir un compartiment…


Là pour contrôler d’abord les collègues cheminots…
Ce qui est peu connu, mais bien signalé page 529 dans le “Dictionnaire législatif et règlementaire des chemins de fer” de G.Palaä paru en 1887, est que la plupart des grands réseaux français du XIXe siècle, les contrôleurs de trains attachés au service des compagnies des chemins de fer sont placés sous les ordres du chef du mouvement. Ils doivent obéissance aux inspecteurs principaux et aux inspecteurs dans la section desquels ils se trouvent en accompagnant un train. Si l’on consulte les textes officiels de l’époque présents dans ce dictionnaire, une certaine surprise attend le lecteur actuel. En effet, les contrôleurs des trains ont pour première mission non de contrôler les voyageurs, mais avant tout « d’exercer une surveillance active sur les trains en marche, en constatant avec précision, toutes les fois qu’ils sont dans un train ou qu’ils en croisent un autre, si tout le personnel de ces trains est à son poste ».
C’est ainsi qu’ils doivent « constater avec soin tout retard ou toute irrégularité dans la marche des trains, et noter toute négligence, soit des mécaniciens dans la conduite des trains, soit des chefs de station pour l’expédition du service pendant les stationnements, soit enfin des chefs de train pour la tenue des feuilles de marche et de mouvement du matériel, des bordereaux, des feuilles et des plis, comme pour le classement des bagages et de la messagerie dans les fourgons et l’exacte livraison des colis en route. »
Il est certain que la conception du travail du contrôleur fait de lui un agent très puissant, véritable chef de train ayant toute autorité sur l’ensemble du personnel du train, mais aussi des gares, notamment en cas de “négligence”.
On peut remarquer, en comparant les fonctions des chefs de gare avec celles du personnel à bord des trains, par exemple, que, dans ces chemins de fer du XIXe siècle, tout le monde surveille un peu tout le monde, fait des rapports les uns sur les autres, en se référant aux textes règlementaires qui sont à la disposition de tous en tous lieux, y compris à bord des trains : bref, l’ambiance, si l’on appliquait le règlement à la lettre, ne devait pas être ni des plus franches ni des plus joyeuses !
…puis pour contrôler, quand même, les voyageurs.
Mais, outre les importantes fonctions de contrôle des autres cheminots, les contrôleurs doivent, à bord de leur train, en lorsque ce dernier roule, vérifier que chaque voyageur est bien assis dans une voiture dont la classe correspond à celle de son billet, et de faire les perceptions supplémentaires, s’il y a lieu.
Les textes précisent que, toutes les fois que les contrôleurs à bord des trains ne sont pas occupés à l’examen des billets des voyageurs, ils doivent se tenir dans les fourgons des agents du train. En cas d’accident ou de détresse d’un train qu’il accompagne, le contrôleur prend la direction de toutes les mesures prescrites et de toutes les manœuvres à exécuter, soit pour couvrir le train, soit pour demander et attendre le secours.
Les contrôleurs de trains adressent chaque jour deux rapports : le premier au chef du service du Mouvement, le second au chef du service du Contrôle et de la Comptabilité des recettes. Le premier de ces rapports décrit par le détail tous les faits relatifs à la marche des trains et à la tenue des agents, le second décrit tous les faits relatifs aux perceptions supplémentaires faites ou à faire dans les trains accompagnés.
Les contrôleurs de trains doivent être constamment porteurs du livret réglementaire de la marche des trains, et aussi de la loi sur la police des chemins de fer et du règlement d’administration publique, des règlements et des ordres généraux sur la circulation des trains, et, enfin, des tarifs et des barèmes nécessaires à la perception des taxes supplémentaires.




« Billets, s’iou plaît! »
Armé de sa pince, le contrôleur des années 1880 à 1980 circule un siècle durant dans les couloirs latéraux des voitures, longeant les compartiments fermés dont il ouvre bruyamment la porte coulissante après avoir frappé énergiquement, de sa pince, la vitre de séparation, ce qui réveille brusquement les voyageurs et les irrite, mais ils n’osent faire la moindre remarque, pas même le moindre froncement de sourcils. Le contrôleur n’en a cure : il représente l’autorité, et il est respecté, car c’est lui qui peut froncer le sourcil, prompt à extraire de sa sacoche le règlement ou le carnet à souches…
Rêvez, chers ASCT actuels…
Les années 1980 sont la fin de cette époque, tant pour les contrôleurs hommes ou femmes, où le respect leur était totalement acquis et dû. C’est terminé, fini, l’époque des fraudeurs qui, quand ils se font « gauler », n’osent pas encore discuter et paient en silence : ils se savent coupables et connaissent la règle du jeu, mais, depuis les années 1970, les temps changent. Parfois, jadis, en première classe, quelque bourgeois, jouant les notables de province, menacent le contrôleur de redoutables sanctions permises par des relations politiques : « Car j’ai le bras long, Monsieur !. Vous saurez rapidement de quel bois je me chauffe ! » (par exemple, voir l’arrivée en gare du Havre, au début du film “La Bête Humaine”). Mais toujours l’incident en reste là.
À partir des années 1970, la délinquance et la violence gagnent du terrain, surtout dans les trains de banlieue et l’Île-de-France représente environ 90 % du milliard de voyageurs SNCF annuels aujourd’hui. Les agressions physiques existent désormais et se multiplient : les voyageurs ne sont plus les mêmes, et ont l’intention de voyager sans payer, et de se venger sur les hommes et les femmes et le matériel de la SNCF s’ils sont pris en faute. L’ASCT ne peut plus faire son travail en sécurité, et, surtout, seul. Des brigades comportant jusqu’à 5 ou 6 agents, formés pour résister à la violence, sont désormais nécessaires sur la banlieue nord la nuit, et, bientôt, de jour aussi.







Monaco ou Montargis, tout compte fait, c’est pareil.
Lors des nombreux stages de formation qu’il a assurés pour la direction du Matériel, il est arrivé à l’auteur de ce site-web, de rencontrer, dans des foyers SNCF, lors de déplacements, des agents d’autres services, et notamment des contrôleurs. Ils avaient toujours de très belles anecdotes à raconter.
Nous nous souvenons de l’histoire de ce voyageur, grand couturier parisien, aussi important à ses propres yeux qu’imbu de son importance, prenant à la Gare de Lyon le Paris-Nice de nuit avec toute une collection “haute couture” répartie dans de nombreuses valises, valant une fortune, et devant être présentée le lendemain à leurs “Excellences” à Monaco, pas moins. Le couturier intime au contrôleur l’ordre de “faire l’heure”, faute de quoi, ce serait l’incident diplomatique franco-monégasque et des sanctions redoutables pour l’ensemble des agents du train, sinon de la SNCF. Le départ se fait à l’heure et tout roule sur des roulettes jusqu’à … Fontainebleau : au-delà de cette gare, la ligne est bloquée par suite du déraillement d’un train de marchandises. Plusieurs trains s’accumulent, paralysés, et il faut passer des heures à attendre, à tout dégager en rebroussant, train par train : chaque locomotive est dételée pour aller prendre le train précédent par l’arrière et le tirer jusqu’à Moret-sur-Loing, d’où on repartira par la paisible et sinueuse ligne du Bourbonnais et Clermont-Ferrand, en perdant des heures et des heures en manœuvres pour remettre les locomotives en tête de leur train normal. À Montargis, au petit matin, notre train est à nouveau arrêté et attend la voie libre : on s’affaire sur le quai, d’autres trains attendent, on discute. Notre contrôleur voit alors le très important monsieur descendre toutes ses valises sur le quai tout en regardant sa montre. Il voit le contrôleur de loin et lui fait un signe amical : “Bravo, mon cher. Vous avez fait l’heure ! Vive la SNCF !” Il se croyait en gare de Monaco, et c’était bien effectivement, à la minute, l’heure prévue, mais, ce qui se voyait moins pour cet esprit peu observateur des chemins de fer, était que la gare était tout autre que la gare prévue. Maigre consolation : les trois premières lettres, Montargis pour Monaco, étaient cependant exactes…
Le contrôleur, voyant au loin le signal passer au vert et entendant le sifflet du chef de gare, “lâchement” remonte dans son train, laissant sur le quai le personnage aux multiples valises. Ne voulant rien voir de plus, le contrôleur prend, pour le moins, le contrôle de la porte en la bloquant de toute la largeur de son dos et de ses épaules. Le train roule lentement, mais il roule. Il est sauvé. Pour une fois, et pour ce contrôleur, Monaco sera Montargis.
Aujourd’hui “agent du service commercial trains”, mais ne faisant pas que du “commerce”.
La féminisation du métier, sa redéfinition comme agent commercial à partir des années 1990 marquent bien un changement profond dans le chemin de fer. Le contrôleur n’est plus un simple percepteur de surtaxes ou d’impayés, il a une fonction importante que la nouvelle image de marque du chemin de fer impose désormais : celle d’un service offert à des clients qui ont choisi le train.
La concurrence des autres moyens de transport a bouleversé les données, et les voyageurs, à bord du train, veulent être aidés, guidés, conseillés. Les contrôleurs des trains allemands ICE vendent même du café, une fois le contrôle proprement dit effectué, et vous le servent après vous avoir collé une amende ! La mentalité allemande est tout autre que la française, sans doute.
Sur l’ensemble des réseaux européens, surcharge de travail est considérable, d’autant plus que les problèmes de violence et d’agressivité n’ont pas disparu, loin de là. Dur métier, maintenant, comme celui des professeurs que j’ai formés pendant 37 ans pour l’Éducation nationale : il faut dorénavant avoir de l’autorité, de l’attrait, de la séduction, du pouvoir, et cumuler les sciences et les compétences du psychiatre, du “marketeur”, du policier, du médecin, de l’interprète six langues, du secouriste, du pompier, du commercial puisque ASCT, du judoka, en attendant celles du tireur d’élite (aux USA, les contrôleurs sont armés, sur certains réseaux) et quand même faire un travail dont le salaire se fait oublier par sa discrète modestie : on n’est pas là pour ça, voyons…


Merci beaucoup pour cet excellent article passionnant , je l’ai d’ailleurs partagé sur le réseau social interne sncf et en ai déjà de très bons retours !
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