L’âge Chapelon : excellence de la vapeur française.

Issu de l’École Centrale, André Chapelon (1892-1978) est un thermodynamicien, et, contrairement à la tradition des ingénieurs du chemin de fer, il s’intéresse, avec une grande rigueur scientifique, aux échanges thermiques complexes qui se produisent dans une locomotive à vapeur. Très peu écouté lors de ses débuts, particulièrement par le réseau du PLM où il fait ses débuts, mais qu’il quitte rapidement, il trouve, avec le réseau du PO, un terrain plus favorable, une meilleure écoute, et il est autorisé à procéder à des essais de transformation de locomotives déjà existantes. L’application concrète de ses recherches est de doubler les sections de l’ensemble du circuit de vapeur depuis le régulateur jusqu’à l’échappement, d’augmenter le degré de surchauffe en portant la température de la vapeur de 300 à 400°, de doubler le vide dans la boîte à fumée.

Grâce à ces modifications, des trains de 600 t sont enlevés sans difficulté à 120 km/h par des locomotives qui, jusque-là, remorquaient des trains de 300 à 400 t à 90 km/h. La puissance des locomotives est doublée, passant de 2.000 à 4.000 chevaux ! Mais aussi, elles sont plus économiques en combustible avec une réduction de la consommation de charbon pouvant atteindre 25 %, et exemptes, désormais, d’incidents. Un vrai tour de magie : imaginez qu’un ingénieur transforme, mais très partiellement, le moteur de votre voiture pour en doubler la puissance, tout en réduisant la consommation du quart, et en supprimant les pannes… Quel ingénieur de l’automobile ne rêverait pas d’un tel exploit, qui, pourtant, ne s’est jamais produit dans l’histoire de l’automobile. Dans l’histoire des locomotives à vapeur, si.

André Chapelon, à droite sur ce cliché pris lors d’essais de la 141-P sur le banc de Vitry pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a conservé l’ancienne tradition, chez les ingénieurs, du port du chapeau et de l’imperméable. Ses adjoints, sur la gauche, se tiennent respectueusement à distance.
Vu ici en compagnie du musicien Alix Combelle au début des années 1970, André Chapelon s’intéressait aussi au modélisme ferroviaire, en tous écartements et échelles, pourvu qu’il s’agisse de vapeur vive. Cliché Lamming (en reportage pour Loco-Revue) qui a eu la chance, donc, de rencontrer Chapelon.

La 4500 du PO : la première Pacific européenne.

Mises en service en juillet et septembre 1907, les deux locomotives 4501 et 4502 sont les premières « Pacific » européennes, devançant, de très peu certes, celles mises en service sur d’autres réseaux. La « Pacific » est, par excellence, la locomotive classique et performante d’une traction vapeur à son apogée, mais devant défendre ses acquis en face d’une traction électrique jouant désormais dans la cour des grands… Toutefois, la SNCF sera très contente de trouver, dans son parc moteur à sa création en 1938, ces belles locomotives dont la série est au grand complet, prête pour de nouveaux exploits.  Ces locomotives sont nées bien avant l’ « Ère Chapelon », mais elles en tireront de substantielles améliorations à la fin des années 1930 et sont les ancêtres des locomotives qu’André Chapelon transformera.

Les nouvelles « Pacific » 4500 du PO sont dérivées de types 230 de la série 4000 et 221 de la série 3000 du même réseau, les ingénieurs préférant innover avec prudence et procéder par évolution lente. En effet, la science ferroviaire, depuis les débuts du XIXe siècle, comporte bien des incertitudes et les modèles mathématiques manquent pour établir, par le calcul, ce que l’expérience met longtemps à enseigner. De nombreuses données restent des mystères, comme les rendements thermodynamiques, ou, surtout, le comportement sur la voie et le manque de stabilité. Devant tant d’inconnues, les ingénieurs des chemins de fer, qui ont sur leurs épaules de lourdes responsabilités et pour qui les trains doivent rouler, préfèrent un pragmatisme réfléchi et modeste, un esprit d’observation et de comparaison, et refusent tout esprit de spéculation, même parée des vertus scientifiques ou d’innovation hasardeuse.

Les « Pacific » 4500 du Chemin de fer de Paris à Orléans, pour leur propre compte, n’échapperont pas à cette loi ancienne et éprouvée et ne sont, elles aussi, que le commencement d’une longue évolution de la locomotive type « Pacific », connaissant elles-mêmes des sous séries (4530 à 4540, 4571 à 4600 avec surchauffe), mais aussi précédant les 3500, les 3600, 3700, puis les type 240 série 4700.

Une très rare vue d’une des premières « Pacific » françaises, la 4501 PO, alors en circulation avec un curieux tender à deux essieux, lors d’essais.
Très rare vue d’une « Pacific » PO, vers 1908. Négatif sur verre. Collection Petiet.

Née sous le signe de la prudence.

Les ingénieurs du Paris-Orléans, époque d’avant Chapelon, et de son fidèle constructeur, la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques (future Alstom), travaillent en commun et pour limiter les risques de l’innovation poussée au-delà des limites du raisonnable, dessinent une locomotive en reprenant directement les caractéristiques techniques des locomotives des séries 3000 et 4000 qui existent déjà sur le réseau et qui, pour le moins, ont démontré la valeur du moteur compound à quatre cylindres.

L’originalité et l’innovation se trouvent au niveau du foyer de ces nouvelles « Pacific », avec la présence d’une boîte à feu Belpaire qui déborde des longerons du châssis. Cette disposition permet de concilier les avantages des foyers profonds qui assurent toujours une meilleure combustion, et ceux du foyer débordant qui permet au chauffeur d’avoir une meilleure maîtrise du feu et un meilleur accès en tous points de celui-ci. Ces locomotives seront, d’ailleurs, perfectionnées ultérieurement, selon le pragmatisme ferroviaire bien connu, et, en particulier, la surchauffe et les réchauffeurs d’eau seront montés.

Les « Pacific » 4500 engagées sur la ligne consommeront moins que les types 230 avec 4 à 5 kg par tonne-kilomètre et une économie de l’ordre de 5 à 10 %, mais elles donneront une puissance de plus de 2 000 chevaux à 100 km/h contre 1200 chevaux précédemment. Il est possible, désormais, de prévoir des trains de 400 à 500 tonnes comprenant plus de 10 voitures.

Diagramme d’une 4500 PO. Document LR-Presse.
« Pacific » PO 1907 vue par le peintre et documentaliste SNCF qu’est Michel Lamarche dans les années 1980. Voitures du PO à bogies à trois essieux très américains.

La carrière des 4500.

Affectées principalement aux dépôts de Tours, Bordeaux, Vierzon, Limoges, Brive et Capdenac avant la Première Guerre mondiale, ces locomotives assurent commencent par la remorque du rapide de Bordeaux entre Paris et Tours en attendant l’arrivée des « Pacific » 3500, puis affrontent un service très dur sur les lignes de Paris à Toulouse, bien sûr, mais aussi à Bordeaux, ou Le Mans – Tours – Vierzon – Saint-Germain-des-Fossés, ou encore Brive à Toulouse par Capdenac, Limoges à Agen, etc. Elles remorquent notamment le fameux « Sud-Express », et, le 22 juillet 1922 le trajet de 107 km entre le sommet de la rampe de Montmoreau jusqu’à la bifurcation de Monrepos, entre Angoulême et Bordeaux, a été parcouru à une vitesse moyenne de 95,4 km/h. La consommation en tête de trains pesant 450 à 500 tonnes, à une telle vitesse, était inférieure à 4 kg de charbon par centaines de tonnes et par kilomètre. Les puissances développées sont estimées à plus de 2.200 ch.

En 1930, dix locomotives sont louées au PLM qui manque de machines pour la liaison Nevers – Clermont-Ferrand. Ces locomotives se montrent capables non seulement d’être rapides, mais aussi de regagner du temps en cas de retard : l’auteur très connu Lucien – Maurice Vilain cite un gain de 9 minutes effectué le 8 août 1908 par la machine 4508, sur le parcours Brive – Limoges, en tête d’un train de 386 tonnes, puis de 13 minutes avec la 4596 le 20 mai 1914, le parcours étant fait en une heure 19 minutes.

Entre Argenton et Limoges, il fallait développer plus de 2200 chevaux pour remorquer à plus de 70 km/h des trains dépassant 500 t sur des rampes de 6 pour mille. En 1936, des trains comme le Bordeaux – Strasbourg – Milan comportent 15 voitures et pèsent 625 t : des vitesses de plus de 110 km/h sont maintenues en dépit du profil difficile de la ligne. Les grandes électrifications du réseau PO – Midi mettront fin à ces exploits et chasseront ces locomotives vers des services moins nobles à partir de 1935.

Le « Sud-Express » de la CIWL vers 1920. En tête, une 4500 ou une 3500 du PO le manque de qualité de ce rare document ne permet pas de le préciser.
Une « Pacific » 4500 PO. État d’origine.

Les caractéristiques techniques des 4500 PO

Type : 231

Moteur : 4 cylindres compound

Cylindres haute pression : 390 × 650 mm

Cylindres basse pression : 640 × 650 mm

Diamètre des roues motrices : 1850 mm

Pression de la chaudière : 16 kg/cm²

Surface de la grille du foyer : 4,27 m²

Masse : 91,6 t

Vitesse : 120 km/h

La « Pacific » 3700 PO : donner raison au « Genius of french steam ».                    

Les « Pacific » 3500 apparaissent peu de temps après les 4500, et diffèrent de celles-ci par le diamètre des roues motrices. Les 4500 ont des roues de 1850 mm et les 3500 des roues de 1950 mm. Ces 100 mm de différence semblent négligeables par rapport aux dimensions générales de la locomotive, mais elles ont une très grande importance.

Expliquons-nous : une locomotive, comme un cycliste, ne peut « pédaler » qu’à une vitesse déterminée, c’est-à-dire donner un nombre de coups de piston maximal par minute. Si l’on veut aller plus vite, on doit prévoir de grandes roues, mais on perd en force de traction. Si l’on veut une grande force de traction, on renoncera à la vitesse. Il faut donc choisir le diamètre des roues en fonction des tâches attendues (traction lente de trains de marchandises lourds, ou traction rapide de trains de voyageurs plus légers) et du profil des lignes sur lesquelles on engagera la locomotive (les lignes plates permettant de plus grandes roues pour gagner de la vitesse, les lignes accidentées demandant un effort de traction plus important au détriment de la vitesse, donc des roues plus petites).

Les 4500 sont prévues à profil accidenté comme Brive-Toulouse par Capdenac, tandis que les 3500 courront sur des lignes plates et faciles comme Paris-Bordeaux. C’est du moins ce que prévoyaient les ingénieurs… car, dans la pratique, notamment lors des jours de pointe, il pouvait en être tout autrement.

Pouvant donner des puissances atteignant des valeurs se situant entre 1.900 et 2.200 ch, ces locomotives 3500 peuvent soutenir une vitesse de plus de 110 km/h en tête de trains de 400 t, assurant des moyennes de l’ordre de 90 km/h. Grâce aux 3500, le PO se place parmi les réseaux les plus rapides d’Europe, en 2ᵉ position derrière celui du Nord pour le nombre de parcours de trains express et rapides et pour les vitesses.

En 1913, par exemple, la voiture du Roi d’Espagne est incorporée au Sud-Express avec un certain retard – les rois ne pouvant voyager comme le commun des mortels et respecter les horaires. Entre Bordeaux et St-Pierre des Corps (Tours), le retard est rattrapé avec un gain de 26 min donnant une vitesse moyenne de 97 km/h : sur le parcours Poitiers – Saint-Pierre, les vitesses atteignent 100 km/h en rampe de 5 pour mille et 125 km/h en pente. Merci, Sire.

La puissance de ces locomotives étonne même les Américains pendant la Première Guerre mondiale : et pourtant les locomotives américaines sont dites les meilleures du monde à l’époque. Ces locomotives PO seront l’objet de profondes modifications par l’ingénieur André Chapelon à partir de 1929, donnant les fameuses 3700 capables alors de développer une puissance augmentée de plus du tiers tout en consommant moins, remorquant alors des trains de 500 t au lieu de 350 t et à une vitesse supérieure.

La transformation des locomotives série 3500 en série 3700, entreprise par les ateliers de Tours entre 1929 et 1932, est l’illustration de l’exactitude des théories de l’ingénieur André Chapelon qui, par une application rigoureuse et opportune des lois scientifiques de la thermodynamique, obtient de ces locomotives des performances sans précédent et qui feront sensation dans le monde. André Chapelon sera désormais salué par les plus grands auteurs, spécialistes et ingénieurs de la vapeur du monde entier, y compris le Britannique George Carpenter, comme étant « The genius of french steam ».

Locomotive N°3508 en tête d’un express du PO vers 1910. Négatif sur verre Petiet. Tender PO à trois essieux et train à caisses en bois.

Ces locomotives formant la série 3700 sont issues de la fameuse 3566, la première locomotive de la série des  3500 transformée par André Chapelon dans les ateliers de Tours, en 1929. Après transformation, leur chaudière comporte un siphon Nicholson dans le foyer, un régulateur à soupapes, un surchauffeur Houlet à haut rendement. Leur mécanisme est doté de circuits de vapeur de fort diamètre, d’une distribution par soupapes système Lentz-Dabeg mais commandées par un mécanisme Walschaërts, des cylindres d’un grand diamètre, d’un échappement Kylchap mis au point par l’ingénieur finlandais Kylalä et André Chapelon. L’eau d’alimentation est réchauffée. Le graissage est mécanique, système Bosch.

L’égalité des puissances et de l’action entre les cylindres haute et basse pression est enfin réalisée : elle était recherchée depuis les débuts du compoundage par les ingénieurs. On obtient une locomotive dont tous les coups moteurs sont équivalents, et l’économie de combustible, par cette parfaite répartition du travail, est déjà très significative, mais aussi le risque d’amorce de patinage lors de grands efforts de traction est moindre.

Les 3700 sont affectées principalement au dépôt de Tours, effectuant un service exemplaire entre Les Aubrais et Bordeaux ou Tours et Nantes. Elles ont l’honneur de prendre le relais de la traction électrique en gare des Aubrais et de montrer que la vapeur n’a pas dit son dernier mot ! Le Sud-Express du 28 juin 1932 est remorqué par la 3705 de Poitiers à Angoulême (113 km) en 1 heure exactement : le train pèse 546 t. Des moyennes de près de 100 km/h sont tenues en tête de trains de plus de 700 t. Un train de 805 tonnes, le 31 juillet 1935, regagne 19 minutes entre Tours et Nantes en soutenant la vitesse de 116 à 118 km/h, remorqué par la locomotive 3710, réalisant plus de 100 km/h de moyenne entre Angers et Nantes.

Locomotive N°3566 PO vue en 1937 du côté gauche.
Locomotive N°3566 du PO vue en 1937 du côté droit.
Locomotive série 3700 du PO vue en tête d’un train PO à la fin des années 1930 composé de matériel ancien.
Avec la 3.1192 de Mulhouse, c’est à Saint-Pierre des Corps, dépôt prestigieux du PO, que l’on verra la seule Chapelon type PO ou Nord existante en France, la 231-E-41 SNCF, ici en cours de restauration. Document Nicolas Perrodin.

Les autres réseaux sont séduits.

Le réseau de l’Est s’intéresse à ces locomotives si performantes et emprunte la 3566 en 1931 pour des essais comparatifs avec ses puissantes Mountain, en tête de lourds trains de 500 tonnes sur la ligne de Paris à Belfort. La « Pacific » fait mieux que la « Mountain », capable de gagner, dans le sens comportant le plus de rampes, un temps de l’ordre de 23 minutes alors que la 241 n’en gagne que 13, tout en économisant 13,6 % sur le plan de la consommation de charbon.

Des essais sur le réseau Nord, lui aussi demandeur, montrent la supériorité de ces locomotives par rapport aux « Superpacific » dont ce réseau est pourtant si fier : le train Calais – Paris du 12 janvier 1933, pesant 660 tonnes, regagne 22 minutes sur l’horaire la rampe de Caffiers à 8 pour mille étant grimpée à 75 km/h et celle de Gannes, à 4 pour mille, à 120 km/h. C’est alors que le Nord, bon perdant, commandera des locomotives identiques aux 3700, les fameuses « Chapelon Nord », futures 231 E à la SNCF : d’abord, c’est une commande de 20 machines du type 3500 transformées, puis de 28 machines neuves sur le même type.

Ce sont surtout ces locomotives qui porteront alors très loin la renommée d’André Chapelon car la « Chapelon Nord » passe pour l’accomplissement le plus parfait de l’œuvre de l’ingénieur, et sans doute la plus réussie si l’on tient compte de la somptueuse livrée marron à filets jaunes habillant cette série exceptionnelle. Il est à noter que c’est sur le réseau du Nord, en 1956, qu’une Pacific PO transformée a effectué des essais de caténaire avec la pousse d’une locomotive électrique, en atteignant, à de nombreuses reprises, une vitesse de 160 à 180 km/h, sans aucune défaillance ni incident.

Caractéristiques techniques des 3700 PO

Type : 231

Date de construction : 1929

Moteur : 4 cylindres compound

Cylindres haute pression : 420 × 650 mm

Cylindres basse pression : 640 × 650 mm

Diamètre des roues motrices : 1950 mm

Surface de la grille du foyer : 4, 33 m²

Pression de la chaudière : 17 kg/cm²

Contenance du tender en eau : 37 m³

Contenance du tender en charbon : 9,9 tonnes

Masse : 101,8 t

Vitesse : 120 km/h

La « Pacific » Chapelon Nord : l’apogée du règne du grand ingénieur.

Très vite surnommées les « Chapelon » sur le réseau du Nord, ces machines accomplissent des exploits remarquables, roulant à plus de 130 km/h en tête de trains très lourds au départ de Paris et en direction de Londres ou du nord de l’Europe. Une «Chapelon» put atteindre, très normalement, 170 km/h lors d’essais de pousse de locomotives de type électrique sous des caténaires en 1956.

Numéros Nord (jusqu’à 1938)Numéros SNCF (à partir de 1938)Année de commandeAnnée de mise en serviceConstructeurs
3.1171 à 3.1190231 E 1 à 2019331934Fives-Lille/Cail + transf.Ateliers Tours
3.1191 à 3.1198231 E 21 à 2819351936Ateliers du Nord de la France
3.1111 à 3.1130231 E 39 à 4819361937-1938Marine-Homécourt/Fives-Lille

La locomotive, splendide dans sa livrée chocolat à filets jaunes, fait surtout un grand effet en tête de la « Flèche d’or », et plus spécialement quand les voitures passent de la livrée marron et crème à la livrée bleu sombre et crème en 1932 : la différence de teintes entre la locomotive et son train met la machine encore plus en valeur.

La « Flèche d’or » en 1965 au départ de la Gare du Nord. La 231-E-32 est splendide.
Mécancien, chauffeur et « chef-méc » de la 231-E-17 sur le Nord, années 1960.

Et cette mise en valeur est certes très recherchée par les mécaniciens du Nord qui ont à cœur d’astiquer leur locomotive et de la maintenir dans un état de propreté impeccable, y compris les jantes des roues peintes en blanc. À l’époque, en France, cette tradition était en voie de disparition sur les lignes des autres compagnies, mais le Nord, lui, joue jusqu’au bout la carte de son image de marque de réseau aux plus hautes performances et aux trains les plus soignés.

La Chapelon entre ainsi dans la légende des grandes locomotives de ce monde, et plus spécialement sur un réseau qui ne l’a pas créée, puisque la « Pacific » de base transformée par Chapelon est une machine du Paris-­Orléans. Dotée du tender spécial Nord à grande contenance, la locomotive prend, de ce fait, une esthétique très « Nord « et s’intègre très bien dans le parc des « Superpacific » Nord, ou même des « Atlantic » Nord qui ont la même livrée chocolat et les mêmes tenders.

Avec la « Pacific » Chapelon, le train la Flèche d’or atteint son apogée. C’est un spectacle très apprécié des jeunes garçons de l’époque, que de voir, à midi, le départ du train depuis la voie 4 de la gare du Nord. Ce train est différent des autres, sans doute par sa locomotive, mais aussi par ses voitures-salons Pullman au luxe remarquable qui le composent, à l’exclusion de toute voiture-lit : cette succession de voitures-salons avec une alternance de voitures avec cuisine et sans cuisine crée une différence d’aspect notable par rapport aux autres trains de prestige du moment, pratiquement tous composés de voitures-lits bleu sombre.  Et il y a un très curieux véhicule que seul le train la Flèche d’or a eu : un incroyable fourgon-truck dont les deux plateaux extrêmes, encadrant une courte cabine centrale, transportent des conteneurs à bagages. La partie centrale est peinte, bien entendu, en marron et crème, puis en bleu et crème après 1932.

À bord d’une Chapelon Nord. Photographie prise par le mécanicien Néel.
La Chapelon Nord N°3.1192, joyau à contempler absolument à la Cité du Train Patrimoine SNCF, à Mulhouse et sans sa superbe livre Nord. À notre humble avis, et sauf erreur, cette locomotive est, avec la 231-E-41 en cours de restauration par l’AAATV de Saint-Pierre des Corps, une rare occasion de voir une « Pacific » Chapelon PO ou Nord en France.
L’abri de conduite de la Chapelon 3.1192. La locomotive a été mise exprès pour l’auteur du cliché (Lamming, en l’occurrence) sur le pont-tournant du dépôt de Mulhouse dans les années 1968 ou 1969, avant l’ouverture du Musée. Merci encore…

Caractéristiques techniques de la « Pacific » Chapelon Nord.

Type : 231

Date de construction : 1909/1914

Date de transformation : 1934/1937

Diamètre des roues motrices : 1950 mm

Diamètre des roues porteuses avant : 960 mm

Diamètre des roues porteuses arrière : 1140 mm

Surface de la grille du foyer : 4,33 m²

Surface de chauffe de la chaudière : 199 m²

Surchauffeur : 28 tubes à éléments Houlet et Schmidt

Surface de surchauffe : 80 m²

Longueur des tubes de la chaudière : 5,90 m

Timbre ou pression de la chaudière : 17 kg/cm2

Régulateur : soupapes équilibrées

Diamètre intérieur moyen du corps cylindrique : 1,68 m

Expansion  : compound

Échappement  : Kylchap double tête

Dimensions des cylindres haute pression : 420 × 650 mm

Dimensions des cylindres basse pression : 640 × 650 mm

Distribution : soupapes à cames oscillantes Lentz

Puissance à la jante : 2 700 ch

Longueur de la locomotive : 13,71 m

Masse de la locomotive (ordre de marche) : 102 t

Longueur du tender : 9,73 m

Masse du tender (pleine charge) : 80 t

Contenance en eau : 38,5 t

Contenance en charbon : 9,2 t

Longueur totale locomotive + tender : 23,44 m

Masse totale locomotive + tender : 182 t

Vitesse maximale en service : 140 km/h

La 240.P : puissante, rapide, originale et qui plaît aux comptables.

Cette locomotive est d’une disposition d’essieux assez peu courante : 240. Il s’agit donc d’une machine à bogie avant suivi de quatre essieux moteurs, sans essieux porteurs arrière. L’explication de cette disposition est donnée par l’histoire : ces machines sont, dans les faits, des « Pacific » transformées et dont on a remplacé l’essieu porteur arrière par un essieu moteur supplémentaire. C’est pourquoi, dans le domaine ferroviaire, on peut dire que 231=240 par le nombre d’essieux, mais nullement par les performances, comme l’a démontré l’ingénieur André Chapelon. Effectivement, cette transformation démontre que le nombre d’essieux moteurs est déterminant pour transmettre utilement l’effort de traction que la chaudière peut permettre et que les cylindres peuvent développer.

Certes, la « Pacific » est, par excellence, la locomotive de vitesse des grands réseaux européens à partir des années 1910. Avec son bogie avant qui l’inscrit parfaitement en courbe, ses trois essieux moteurs à grandes roues qui enlèvent des trains de 300 à 400 tonnes et à plus de 120 km/h, son bissel arrière supportant le foyer, cette machine à disposition d’essieux 231 apparaît à la fois comme le « nec plus ultra » et l’expression de l’équilibre et de la perfection.

Mais les trains des années 1910 sont encore composés de voitures à caisse en bois, légères, certes, mais fragiles en cas d’accident. Les réseaux européens généralisent la voiture entièrement métallique entre les deux guerres, comme le fait la France, par exemple, avec les voitures tout acier de construction rivetée étudiées par l’« Office Central d’Études du Matériel » (OCEM). Le seul problème est, alors, l’accroissement des poids des trains composés désormais de voitures pesant souvent plus de quarante tonnes contre une vingtaine auparavant. Les trains deviennent lourds, et des poids totaux de 500 ou même 600 tonnes sont désormais monnaie courante, quand il ne s’agit pas de 700 à 800…. Les « Pacific » s’essoufflent et les compagnies cherchent, à bon compte, la solution. Certains ingénieurs talentueux et innovateurs en proposent une : la transformation en profondeur du type Pacific.

La solution proposée par André Chapelon.

Le réseau du Paris-Orléans (qui, en fait, s’étend sur tout le sud-ouest de la France) possède un excellent parc de « Pacific » mais dont les performances souffrent, sur les lignes difficiles, de l’alourdissement du poids des trains. La compagnie n’est pas assez riche pour s’offrir des « Mountain » 241 comme le PLM ou l’Est, et hésite devant la dépense. Or quatre essieux moteurs sont, à l’époque, la garantie en matière de performances et de puissance. Comment donc obtenir quatre essieux sans en payer le prix ?

André Chapelon, ingénieur de la compagnie du Paris-Orléans, propose alors la transformation de « Pacific » série 4500 en type 240 par adjonction d’un essieu moteur supplémentaire à la place de l’essieu porteur arrière. En même temps, il propose de perfectionner la chaudière avec un timbre porté de 17 à 20 kg/cm² et de la doter de tous les autres perfectionnements d’usage.

La première machine transformée, la 4701, sort des ateliers de Tours le 16 août 1932 et la machine, lors d’essais, peut remorquer des trains de 800 tonnes en rampe de 5 pour 1000 à 95 km/h de moyenne, ou des trains de 575 tonnes en palier à 140 km/h. Ceci représente des puissances de plus de 4000 ch, et donne à la locomotive un record du monde de puissance massique (rapport poids/puissance). Convaincu, le PO entreprendra la transformation de onze « Pacific » formant la série 240-701 à 240.711.

Les locomotives sont essayées sur les lignes de Paris à Nantes, de Paris à Bordeaux et Toulouse, mais aussi sur la ligne de Paris à Cherbourg du réseau de l’État, de Paris à Calais sur le réseau du Nord, et de Paris à Charleville sur le réseau de l’Est. Elles développent, à chaque fois, des puissances considérables et sans commune mesure avec les locomotives que ces réseaux possèdent déjà.

Le réseau PLM s’intéresse à cette locomotive et fait faire des essais qui sont entrepris durant l’été de 1938 avec la machine 240-705 du dépôt de Brive qui est engagée sur la grande ligne de Paris à Lyon. Le total parcouru est de 4.608 km, dont 9 trajets faits devant des trains rapides lourds, comme les trains Pullman N°11 et 12 effectuant la distance Paris – Lyon sans relais traction. Une moyenne de plus de 107 km/h permet de gagner jusqu’à 30 minutes ! Le comportement mécanique des locomotives est jugé parfait.

Devenu région sud-est de la SNCF en 1938, ce réseau maintient son intérêt pour la locomotive et en commande vingt-cinq qui seront obtenues en 1940 par la transformation de « Pacific » PO dans les ateliers de Tours, mais munies d’un « stoker » assurant le chargement automatique du foyer, de cylindres basse pression augmentés, tandis que le châssis est renforcé, un échappement Kylchap double. Ces locomotives forment série 240 P 1 à 25 de la SNCF, et sont affectées à la difficile rampe du Seuil de Bourgogne qu’elles franchiront, en tête de trains de 800 tonnes, à plus de 100 km/h, et avec 512 tonnes, à 120 km/h ! Elles passent pour être, à l’époque, les locomotives à vapeur européennes les plus puissantes dans l’absolu, et sans doute les plus puissantes du monde en fonction de leur poids. Elles pourront assurer, dans la difficile année 1944 où tout est désorganisé et où le charbon de qualité manque pour des trains de voyageurs portés à 1.100 tonnes, ou encore de lourds trains de charbon de 2.000 tonnes entre les mines du Nord et Paris, ceci à 85 km/h. Elles disparaîtront du réseau de la SNCF en 1953.

La locomotive 240-P-13 de la SNCF.
Locomotive 240-712.(ex-4701-4712) PO. Vue sur le viaduc du Boulet près de Souillac.1932. Photo L-M Vilain sur négatif collection Petiet.
Une 240 PO vue par Michel Lamarche et illustrant un des ouvrages de Lucien-Maurice Vilain.

Caractéristiques techniques des 240-P

Type : 240

Date de construction : 1940

Deux cylindres haute pression 440 × 650 mm.

Deux cylindres basse pression 650 × 690 mm.

Surface de la grille du foyer : 3,72 m².

Pression de la chaudière : 20 kg/cm².

Diamètre des roues motrices : 1,65 m.

Longueur : 13,65 m

Poids total : 112,8 t.

La 160 A 1 : oser six essieux moteurs.     

Avant la Seconde Guerre mondiale, et lors de sa création en 1938, la SNCF met en place sa fameuse DEL ou Division des Études de Locomotives et étudie, avec des locomotives électriques, des locomotives à vapeur sous la direction d’André Chapelon. Il s’agit de prototypes de locomotives à vapeur classiques, d’une part, et, d’autre part, des prototypes de locomotives à vapeur non conventionnelles très innovantes. Mais les locomotives à vapeur classiques nouvelles construites par la SNCF ne sont, en fait, que des modifications très profondes de types anciens. L’unique et éphémère 160 A 1 en fait partie.

Parmi les études en cours se trouve celle d’une locomotive pour trains de marchandises, mais à six essieux moteurs, destinée à la difficile ligne de Limoges à Brive et à Montauban. Cette ligne est parcourue par des trains de marchandises lourds, et leur circulation à basse vitesse provoque un ralentissement de son débit : il faut, là tout particulièrement, que les trains de marchandises aillent vite pour désengorger la ligne.

Toutefois, la SNCF ne demande pas une locomotive nouvelle, mais une transformation : André Chapelon reprend les études d’une 150 du Chemin de fer de Paris à Orléans datant de 1935, et procède à une transformation en type 160. Le passage de 5 à 6 essieux moteurs est une première en France. On découvre aussi que l’accroissement de l’adhérence et l’augmentation du rendement que l’on compte obtenir doivent se faire au prix d’un renforcement du châssis, et d’une augmentation des dimensions des cylindres pour obtenir une bonne détente de la vapeur donnant un bon effort de traction.

L’exode, mais à la manière de la 160-A-1.

La 160-A-1 est un exemple de locomotive nouvelle obtenue par profonde modification, faite par André Chapelon, d’une machine ancienne, modification confinant à la reconstruction intégrale presque. Partant d’un type existant, une 150 de l’ancien Chemin de fer de Paris à Orléans, elle est reconstruite entre 1938 et 1940, avec une refonte complète de l’ensemble de ses organes: châssis, foyer, chaudière, cylindres (nombre passé de 4 à 6 aussi), distribution (ici par soupapes). Elle est dotée de la surchauffe et de la resurchauffe.

Sortie des ateliers de Tours en juin 1940, il ne lui reste plus qu’à vivre l’exode à sa manière en rejoignant Brive, pour être garée, ceci en roulant en tête d’un lourd train de marchandises sans aucun rodage. Ce voyage, d’après André Chapelon lui-même dans l’ouvrage collectif « Histoire des chemins de fer en France » (Presses Modernes, Paris, 1964), mérite d’être signalé, car, à l’époque, les marches haut-le-pied n’étaient pas admises en ligne : c’est pourquoi elle circule en tête d’un train de marchandises, et le mécanicien Gourault, spécialiste pourtant de la conduite de prototypes, a toutes les peines du monde à amener la locomotive à bon port ! Essayée dans des conditions plus normales en 1946, la locomotive se montre capable de rouler à 30 km/h en tête de trains de 1600 tonnes en rampe de 8 pour 1000, ou d’atteindre 90 km/h en vitesse de pointe.

La 160-A-1 souffre du sort que le chemin de fer réserve aux locomotives uniques : la difficulté de l’inclure dans un « roulement » (c’est-à-dire un service) avec d’autres locomotives d’un parc homogène souligne sa différence et impose, à la longue, une lente mise à l’écart après des essais et des parcours en tête de trains de types divers. Et pourtant, elle a brillé dans les conditions les plus dures, y compris en tête de trains de voyageurs, comme ce train de 13 voitures, pesant 578 t et remorqué brillamment à 30 km/h sur la dure rampe du col des Sauvages, faisant mieux que les deux locomotives en double traction habituellement nécessaires.

Le prototype 160-A-1 SNCF obtenu par André Chapelon à partir d’une 150 PO.

Caractéristiques techniques de la 160-A-1

Type : 160

Date de construction : 1940

Moteur : 6 cylindres compound

Cylindres haute pression (intérieurs) : 520 × 540 mm

Cylindres basse pression (intérieurs) : 520 × 540 mm

Cylindres basse pression (extérieurs) : 640 × 650 mm

Diamètre des roues motrices : 1400 mm

Diamètre des roues porteuses : 860 mm

Surface de la grille du foyer : 4,4 m²

Surface de chauffe : 217, 7 m²

Surface de surchauffe : 182, 7 m²

Diamètre intérieur du corps cylindrique : 1790 mm

Pression de la chaudière : 18 kg/cm²

Masse : 137, 65 t

Longueur : 15, 23 m

Contenance du tender en charbon : 9 t

Contenance du tender en eau : 38 t

Masse en charge : 78, 25 t

Longueur : 9, 93 m

Masse totale : 198 t

Longueur totale : 25,165 m

Vitesse : 90 km/h

La 141 P : la France prépare l’avenir.

Étudiée dans la difficile période de la guerre et à une époque où l’on prépare déjà le retour de la paix et une France moderne, la 141 P passe pour l’une des meilleures locomotives à vapeur de la SNCF dont c’est le tout premier modèle étudié. Mais, à y regarder de plus près, elle est, pour dire les choses comme elles sont, une ancienne Mikado du PLM modifiée et perfectionnée.

À sa création, la SNCF commande deux types de locomotives à vapeur classiques : ce que l’on peut appeler les « neuves » et les « nouvelles ». Notons que des prototypes non classiques (moteurs à turbines, chaudière Velox, etc) ont existé aussi.

Les neuves sont celles que la SNCF construit sur des types anciens hérités des compagnies et ayant bénéficié de perfectionnements partiels. Elles contribuent au vaste plan d’amortissement que la SNCF engage, après la guerre, pour le remplacement prévu de 8 000 locomotives avant 1956. Il s’agit des séries dites P, comme les 240 P, ou bien les 150 P, ou surtout les deux séries de locomotives neuves qui se démarquent des autres par leur nombre et leur succès : les 141 P et 241 P qui dominent le devant de la scène.

L’ensemble de ces locomotives neuves, mais non nouvelles, représente un parc de 550 machines construites entre 1938 et 1949 dans le cadre d’une politique de traction prudente menée au coup par coup, utilisant des techniques éprouvées et peu chères, reprenant des types anciens, mais dotés de perfectionnements récents dont la valeur a été démontrée par André Chapelon qui signe, à sa manière, l’ensemble de ce parc moteur.

Les quelques locomotives que nous appelons nouvelles sont entièrement redessinées : la 160 A 1 ou la 242 A 1 sont des exemples de locomotives nouvelles obtenues par de profondes modifications, faites par André Chapelon, d’une machine ancienne, modification confinant à la reconstruction intégrale. La 232 U 1, elle aussi, est nouvelle, construite en 1948 et dotée de la quasi-totalité des perfectionnements disponibles à l’époque.

La doctrine SNCF de la locomotive mixte.

Les 141 P marquent l’orientation définitive de la SNCF vers la locomotive mixte, apte à la traction des trains de voyageurs à une vitesse modérée, mais acceptable, d’un peu plus de 100 km/h, mais aussi apte à la traction des trains de marchandises d’un tonnage moyen : bref, le compromis par excellence, la locomotive unique et « universelle » dont l’exploitation a besoin pour assurer à moindre coût et plus souplement les différentes tâches. La SNCF abandonne la vitesse, et oublie les rêves Nord du 160 à 200 km/h d’avant la guerre, et se lance dans une politique de traction intermédiaire entre la grande traction voyageurs et la grande traction marchandises, faisant fusionner ces deux concepts dans le cadre d’une politique du moindre coût.

Les 141 P forment une importante série de 318 machines dérivant des 141 de l’ancien PLM que la SNCF pensait initialement reproduire purement et simplement. Mais elle applique à ces 141 P les perfectionnements d’usage : chaudière timbrée à 20 kg/cm², surchauffe, foyer acier, chauffe mécanique, tiroirs à double admission, moteur compound, échappement Kylchap associant les deux noms des ingénieurs finlandais Kyläla et français Chapelon.

La vitesse est d’un modeste 105 km/h en service, mais l’effort de traction, à cette vitesse, peut dépasser 2300 kW (3220 ch.), ce qui permet la remorque de trains de voyageurs lourds de plus de 550 tonnes à 80 ou même 100 km/h sur des lignes difficiles. Construites entre 1942 et 1948, les 141 P assurent un service intense et contribuent à la remise en marche du réseau national.

Elles ont roulé pratiquement sur l’ensemble des régions de la SNCF, sauf le Nord, et principalement sur les lignes desservant la Bretagne, ou Marseille, Mulhouse, Bâle, Grenoble, Nîmes, Clermont-Ferrand, etc. Elles ont fini leur carrière sur les régions Est et Ouest, et ont été retirées du service au début des années 1970.

Encadré technique :

Type : 141

Date de construction : 1941

Cylindres haute pression : 410 × 700 mm

Cylindres basse pression : 640 × 700 mm

Diamètre des roues motrices : 1650 mm

Diamètre des roues porteuses avant : 1010 mm

Diamètre des roues porteuses arrière : 1370 mm

Surface de la grille du foyer : 4,28 m²

Surface de chauffe : 199 m²

Surface de surchauffe : 87 m²

Diamètre intérieur du corps cylindrique : 1680 mm

Pression de la chaudière : 18 kg/cm²

Masse : 108 t

Longueur : 13, 77 m

Contenance du tender en charbon : 9 t

Contenance du tender en eau : 34 t

Masse en charge : 72 t

Longueur : 9, 93 m

Masse totale : 180 t

Longueur totale : 23, 7 m

Puissance : 3.000 ch.

Vitesse : 105 km/h

La 141-P-78 au banc d’essais de Vitry.
Diagramme d’une locomotive type 141-P SNCF.

La 242-A-1 : le dernier rêve d’André Chapelon.

La plus puissante des locomotives à vapeur françaises, le chef-d’œuvre des transformations entreprises par André Chapelon, cette unique 242 A 1 fait figure à la fois d’apogée, mais aussi de fin d’un grand règne. Restée unique dans son genre, elle emporte avec elle, lors de sa mise en retraite précoce, les espoirs déçus de ce grand ingénieur qui croyait encore, mais seul contre tous, en l’avenir de la traction vapeur.

La 242 A 1, due à André Chapelon, est une transformation en profondeur d’une ancienne 241 commandée par le réseau de l’État en 1932. Chapelon a déjà proposé, en 1938, d’en faire une base d’essais et de la modifier pour, en quelque sorte, tester les solutions qui caractériseront la locomotive à vapeur de l’avenir, celles que Chapelon appelle « les locomotives de la troisième génération ».

La 241-101 État, prototype datant de 1932 qu’André Chapelon transformera vingt ans plus tard.

Reconstruite en 1946 par les Ateliers de la Marine et d’Homécourt, passée au type 242 par remplacement du bissel arrière par un bogie, cette locomotive reçoit un moteur compound à trois cylindres. Elle s’avère capable des plus hautes puissances jamais atteintes en traction vapeur en France, soit 3.000 kW ou, en mesures d’époque, 4000 ch au crochet du tender. Pour faire une comparaison objective avec la traction électrique ou diesel, dont la puissance est donnée aux arbres des moteurs, il faudrait dire 5.000 ch, qui est la « puissance indiquée », cette puissance étant celle indiquée par un appareil placé sur les fonds de cylindres.

Capable de tirer un train de 700 tonnes en rampe de 8 pour 1000 à 110 km/h, la 241-A-1 peut aussi rouler à 140 km/h et même 150 km/h. Cette locomotive est donc surprenante par les possibilités très étendues de son utilisation.

La transformation de cette locomotive n’est pas onéreuse si on la compare, par exemple, au financement débloqué pour la construction des 550 locomotives neuves dont la SNCF a besoin à l’époque, ou à celui envisagé pour l’élimination des 8 000 locomotives vétustes du parc. Les coûts engagés en recherches et construction de prototypes sont minimes en comparaison, et les dirigeants de la SNCF de l’époque pensent que les essais de Chapelon pourraient déboucher sur une locomotive nouvelle qui résoudrait le problème de la traction sur les lignes à trafic en dessous du seuil de rentabilité de l’électrification, une locomotive nouvelle que la traction diesel d’alors ne semblait pouvoir être capable de faire naître.

C’est pourquoi André Chapelon a pu continuer ses essais et ses recherches jusqu’à son départ en retraite, et si jamais il n’a pu réaliser intégralement un prototype et seulement faire des transformations (ce fut la grande déception de sa vie : Marc de Caso fut mieux loti), il a pu réaliser la 242 A 1 et en tirer une fierté légitime. Chapelon part en retraite en 1953 : la 242 A 1 est utilisée jusque vers 1954, et démolie discrètement en 1957, après le départ de Chapelon, donc. Certainement, il y avait le poids de la personnalité de Chapelon, hommes reconnu et respecté : il ne pouvait être question de mettre fin avec brusquerie à ses activités et de fermer son bureau ou son service de recherche avec des arguments purement économiques, comme on le ferait aujourd’hui…

Photographie officielle SNCF de la 242-A-1 ex-prototype État.
Le diagramme de la 242-A-1.

Caractéristiques techniques de la 242-A-1.

Type : 242

Date de construction : 1946

Moteur : 3 cylindres compound

Cylindre basse pression : 680 × 760 mm

Cylindres haute pression : 600 × 720 mm

Diamètre des roues motrices : 1950 mm

Diamètre des roues porteuses avant : 970 mm

Diamètre des roues porteuses arrière : 970 et 1100 mm

Surface de la grille du foyer : 5 m²

Surface de chauffe : 252, 7 m²

Surface de surchauffe : 120, 22 m²

Pression de la chaudière : 20 kg/cm²

Diamètre du corps cylindrique : 1 835 mm

Masse : 148 t

Longueur : 17, 79 m

Longueur totale : 22, 339 m

Contenance du tender en eau : 34 t

Contenance du tender en charbon : 11, 4 t

Masse en charge : 77 t

Longueur : 9, 54 m

Masse totale : 226 t

Longueur totale : 27, 33 m

Vitesse : 120 km/h

Des projets d’André Chapelon jamais réalisés.

André Chapelon songe, pendant la guerre, à la nouvelle génération de locomotives du futur qu’il appelle les « locomotives de la troisième génération ». Il considère que la première génération est celle des locomotives des débuts jusqu’aux années 1930, la deuxième étant celles des transformations qu’il a effectuées durant les années 1930 et 40 (circuits de vapeur, échappement, etc.) et la troisième génération serait une combinaison des résultats de ses travaux et des derniers progrès de la construction américaine (châssis monobloc en acier moulé, boîtes à rouleaux sur les bielles et les essieux, chauffe mécanique, nombreuses fonctions assurées automatiquement, etc.). Il prévoit pour la « Direction des Etudes de Locomotives » (DEL) un programme remarquable comportant les types suivants :

TYPESPOIDS DES TRAINS (t)VITESSE DES TRAINSVITESSE MAXIMALE
1422 00090110
1522 00070110
242950120140
232600140200
142+241
Quelques-uns des projets Chapelon. Le 200 km/h était au programme comme il le fut effectivement essayé sur le réseau allemand des années 1930.

Toutes ont en commun un châssis monobloc, un moteur 3 cylindres compound, une grille de 5,5 m², un effort de traction maximal de 2900 kW (4000 ch.). Le type articulé 142+241 est destiné aux lignes secondaires à fortes rampes et faible charge par essieu. Ce programme est proposé vers 1940 à une SNCF possédant 11 862 locomotives appartenant à 177 séries et d’un âge moyen de 30 ans. André Chapelon estime que son programme pourrait diviser cet effectif par 2 ou par 3 grâce aux importants parcours journaliers que ses machines auraient pu effectuer, c’est, à peu près, ce que la 141 R allait démontrer cinq années plus tard.

Notons que Chapelon ne croît guère dans les solutions non conventionnelles comme les moteurs à turbines ou à commande individuelle des essieux. Il les trouve trop complexes et délicats à entretenir. Il pense aussi qu’il est possible de dominer les problèmes d’action de paroi comme les condensations, de température des fluides, tout en restant dans le domaine de la locomotive conventionnelle, plutôt que de passer à la turbine qui n’est guère supérieure au moteur à cylindres du fait des fuites importantes entre stator et rotor au démarrage ou à basse vitesse. André Chapelon écrit : « Les régions SNCF consultées étaient preneuses d’un nombre important de 152, une commande fut passée aux Aciéries de Saint-Chamond qui en commença l’exécution, mais les travaux furent stoppés devant l’extension de l’électrification et la diésélisation de la SNCF, un point final étant mis à toute possibilité de comparaisons objectives entre une traction à vapeur moderne et les systèmes concurrents. »

André Chapelon a exercé sur la conception des locomotives à vapeur des années 1930 à 1960 une influence aussi forte que celle de George Stephenson un siècle plus tôt, à la naissance des chemins de fer. Les ingénieurs britanniques comme Stanier, Gresley, Bulleid, ou Riddles ont appliqué les principes de Chapelon, mais aussi les ingénieurs belges, espagnols, tchécoslovaques, ou même en Amérique du Sud, un des derniers pays au monde à utiliser la traction vapeur sous la forme de locomotives très modernes jusque durant les années 1980.

« Nul n’est prophète en son pays » dit-on couramment et Chapelon eut beaucoup de difficultés à faire admettre son point de vue en France. Chapelon ne put jamais faire de locomotive prototype, mais seulement procéder à des transformations. Il transforme en 1946 une locomotive de la SNCF qui donnera naissance à la locomotive la plus puissante d’Europe, la 242 A1, capable de développer 8 000 ch lors d’essais en 1952. Malheureusement, la traction électrique triomphe et met fin, à cette époque, au règne de la locomotive à vapeur et Chapelon ne pourra jamais réaliser les locomotives dont il rêvait et qui auraient dû rouler à 200 km/h. Né en 1892, il meurt en 1978, après une vie entière consacrée à la locomotive à vapeur, et, certainement déçu de n’avoir pu construire, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les locomotives de la nouvelle génération dont il avait pourtant établi les plans.

Les projets de locomotives nouvelles qu’André Chapelon ne réalisera jamais. Seule la 152 (bas de page) verra un commencement de construction pendant la Seconde Guerre mondiale. Voir l’article « De toutes façons la vapeur devait mourir » paru en décembre 2020 sur ce site-web « Trainconsultant ».
Diagramme coupe de la 152 Chapelon. Noter le travail effectué sur l’échappement.

1 réflexion sur « L’âge Chapelon : excellence de la vapeur française. »

  1. André & Joelle Nouguier 16 novembre 2021 — 12 h 07 min

    Bonjour Clive, Toujours aussi intéressé par le contenu de vos articles. Je teins à vous féliciter pour le fruit de la compilation sur un sujet ciblé. Je suis à la recherche des photos des premier wagons et des premiers voitures à bogies. J’ai pas mail de photos qui en montrent mais rarement en élévation ou vu du bout, ce qui fait que techniquement je ne peux que difficilement exploiter ces clichés pour faire une reproduction en 3D. J’ai aussi un problème similaire avec le dessus des locomotives à pantographe. Pensez-vous qu’il existe un moyen d’accéder à des photos si elles existent ? Bien cordialement, André

    Garanti sans virus. http://www.avast.com

Commentaires fermés

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