La « ligne des Causses » : c’est une appellation récente, faite dans le cadre de la redécouverte régionaliste actuelle. À l’origine, c’est bien la ligne de Béziers à Neussargues pour une compagnie du Midi voulant “monter à Paris” comme on disait des jeunes aventuriers avides de réussite sociale, ou voulant avoir sa « tête » à Paris comme on disait dans les salons des compagnies, en remontant en direction du nord et en comptant bien se faufiler entre les réseaux du PO et du PLM.


Le Midi reprend à son compte le très ancien projet du duc Charles de Morny qui, rêvant d’une “Compagnie du Sud de la France” reliant les Pyrénées et Paris, crée la “Compagnie du Grand Central de France” qui ne vécut que quatre années (1853-1857), construisant des lignes coûteuses et non rentables dans le Massif-central. Il a voulu réaliser cette relation directe entre le Midi et Paris que Bartholony, champion victorieux du PO, et Talabot, champion victorieux du Lyon-Méditerranée et futur PLM, empêcheront. Nous avons déjà abordé dans un autre article sur cette aventure du Grand Central qui est une des plus passionnantes de l’histoire, surtout économique et politique, des chemins de fer en France.
Mais n’oublions pas le Midi. Ce brillant réseau, dans sa course vers la capitale, s’arrêtera à Neussargues et n’ira jamais plus loin. La ligne Béziers-Neussargues formera ultérieurement un simple embranchement au sud du grand axe PLM de Paris à Clermont-Ferrand et Nîmes, et sera donc la ligne d’Arvant à Béziers. Le Midi la désignait en la parcourait dans le sens sud-nord : depuis l’époque du PLM et de la SNCF, il convient, pour ne pas dire qu’il est plus convenable, de la décrire en partant de Paris, et dans le sens nord-sud. Centralisme oblige…
Le projet remonte loin dans le temps, puisque vers la fin du XIXe siècle, la compagnie du Midi elle-même et sans l’appui d’hommes influents parisiens, veut toujours faire partir de Béziers les vins languedociens pour qu’ils parviennent jusqu’à Paris, d’une part, et, d’autre part, voudrait transporter vers les régions industrielles le charbon extrait dans les mines de Graissessac, du Bousquet d’Orb. Mais il ne faut pas moins de 278 km pour relier la plaine viticole à Neussargues, point extrême du Midi, d’où les trains devront continuer par les rails du Paris-Orléans pour atteindre Paris, sauf si le Midi parvient à « pousser » sa propre ligne en se glissant entre les réseaux du Paris, Lyon et Méditerranée et du Paris-Orléans. Le rêve de manque pas de grandeur, mais, malheureusement pour le Midi, il ne restera qu’un rêve.
Laissons parler les cartes.
La carte de 1878 montre, avec clarté, les formes définitives des réseaux ferrés français. Le réseau du Midi, en noir, initialement “confiné” (c’est le terme !) au sud de la Garonne a réussi, à l’est de Toulouse, à traverser le fleuve et à s’emparer d’une importante partie du Massif-central, alors démunie de lignes. Son ambition, dès le début du XXe siècle, est de “pousser” une pointe jusqu’à Paris en se glissant entre les réseaux du PO, en bleu, et du PLM, en rouge. Cela semble possible, en théorie, en se référant à la forme des réseaux, mais, sur le terrain, l’implantation des voies des réseaux pose de nombreux problèmes en se disputant une place de plus en plus restreinte quand on se rapproche de Paris.
Le PO gagne Paris en suivant la rive gauche de la Seine et le PLM en fait autant, mais sur la rive droite. Ainsi, au niveau de Vitry-sur-Seine (PO) et de Villeneuve-St-Georges (PLM), les lignes des deux réseaux ne sont séparés que par la seule largeur du fleuve, le PO arrivant en gare d’Austerlitz, et le PLM arrivant “en face” de l’autre côté de la Seine en gare de Lyon.

Si nous consultons cette carte des chemins de fer, on constate bien que, dès 1878, alors que le Midi n’a pas encore atteint Neussargues (ligne en pointillé), tous les points de jonction entre le PO et le PLM lui barrent la route, les deux réseaux allant se toucher en gare de Clermont-Ferrand, se touchant déjà dans les gares de Gannat, Moulins, Nevers, Gien, et se rapprochant l’un de l’autre en progressant vers Paris. Comment ce qui n’était plus possible dans les années 1870 est-il encore tenté par le Midi dans les années 1910 à 1930 ? Il aurait fallu, à chaque croisement d’une ligne transversale PO, soit traverser à niveau, soit passer dessous ou dessus, comme on le faisait aux États-Unis, soit se raccorder à l’un ou l’autre des deux réseaux dans une de leurs gares communes, ce qui aurait engendré un itinéraire complexe et aux sillons horaires peu favorables.
Bref, le Midi se retrouve dans la situation du réseau de l’État qui, crée en 1878 et regroupant des réseaux déficitaires en Vendée et dans l’ouest, essaie d’avoir sa “tête” à Paris en se glissant entre les réseaux de l’Ouest et du PO, mais ne put jamais dépasser la petite ville d’Auneau (ce fut son “Neussargues”) située à une centaine de kilomètres de Paris. Le réseau de l’État, toutefois, s’en tire en rachetant le réseau de l’Ouest en 1909 et trouve dans la corbeille les trois entrées dans Paris par St-Lazare, les Invalides et Montparnasse. Il n’en demandait pas tant… et le Midi n’aura jamais cette chance – sinon qu’en étant racheté par le PO.





Une ligne difficile à construire, pour ce qui a été fait jusqu’à Neussargues.
Mais le Midi n’a vraiment pas de chance. La construction de la ligne jusqu’à Neussargues, en plus, présente d’énormes difficultés techniques dès que l’on aborde les premiers contreforts du Massif Central. Les problèmes n’iront qu’en augmentant pour rejoindre, après Lunes, puis le Larzac, passer par Millau, et atteindre l’Aubrac. Pas moins de 68 ponts, 40 tunnels et 37 gares sont à créer le long de la ligne. La section de Bédarieux à Millau est mise en service en 1874, ensuite, en 1880, on va de Millau à Séverac-le-Château, et en 1889 la section de Séverac à Marvejols et à Neussargues est ouverte au service. La ligne est électrifiée par les ingénieurs du Midi en courant continu 1500 volts pour lui donner toutes les caractéristiques et les capacités de transport d’une grande radiale d’importance nationale : cette électrification est achevée en 1932, juste à temps… pour céder à ligne au Paris-Orléans en 1934 !
Devenue alors la ligne d’Arvant à Béziers, la ligne est exploitée par le désormais PO-Midi jusqu’en 1938, ne servant plus à grand-chose pour le PO qui, orienté autrement et ayant déjà sa grande artère Paris-Bordeaux, n’en avait aucun besoin vital.
Avec la création de la SNCF en 1938, la ligne est confirmée dans son rôle de simple embranchement de la ligne de Paris à Nîmes par Nevers et Clermont-Ferrand, cette ligne-là ayant été construite par le PLM pour doubler la ligne dite « impériale » de Paris à Marseille. Elle ne cessera de péricliter, vivant difficilement d’un trafic régional de plus en plus concurrencé par l’automobile, et les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale voient son endormissement. La ligne perd même son trafic marchandises.








Un destin de plus en plus difficile à vivre.
En 1984, la ligne est déclarée “sans avenir” par une SNCF qui annonce la fermeture de 6500 kilomètres de voies, dont la moitié dans le Massif-central. Inutile de dire que la ligne de Béziers à Neussargues est visée, baptisée par ses détracteurs “ligne des ramasseurs de champignons”…
En octobre 1999, le ministre des Transports Jean-Claude Gayssot affrète un train spécial entre Saint-Flour et Millau pour convaincre la SNCF et RFF de l’intérêt d’une modernisation de la ligne. En 2001, un train de fret circule à nouveau après une interruption de dix-sept années de toute circulation de ce type. Les pouvoirs publics promettent de moderniser la ligne en 2002-2003, mais les rares travaux entrepris seront suspendus, faute de financement. En revanche (à tous les sens de cette expression) l’autoroute A-75 et le pont de Millau, eux, sont construits, prennent leur revanche, et se portent bien… Aujourd’hui, il est question de faire de la ligne un grand axe de ferroutage européen, mais la ligne de la rive droite de la vallée du Rhône l’a emporté pour cause de tracé et de profil beaucoup plus favorables. À l’aube des années 2000, la belle ligne des Causses attend toujours un nouveau destin.
Aujourd’hui, on peut parcourir cette ligne en train : les trains de voyageurs sont toujours là, en principe, mais leur existence a été mouvementée ces dernières années. Le 8 mars 2007, la ligne est fermée entre Neussargues et Loubaresse suite au mauvais état de la voie. Le fameux train “Aubrac” de Paris à Béziers a circulé la dernière fois le 8 décembre 2007, et aujourd’hui, il est limité au parcours de Clermont-Ferrand à Béziers. Le 11 septembre 2009, à la suite de la découverte d’une fissure sur l’une des maçonneries des piles du viaduc de Garabit lors d’une visite, la ligne est à nouveau fermée, cette fois entre Neussargues et Saint-Chély-d’Apcher, puis le trafic a repris. Cette section est de nouveau fermée le 3 décembre 2020 vu l’état des voies, pour une durée présentée comme “indéterminée”, ensuite, les travaux venant de prendre fin, la ligne se remet de cette année de fermeture partielle. Les travaux urgents permettent de faire passer la vitesse maximale d’un modeste 40 km/h à un peu moins modeste 55,5 km/h. La ligne doit rouvrir en novembre 2021.
Un parcours enthousiasmant attend l’amateur de beauté et de sensations.
Dès que possible, il faudra faire ce magnifique parcours. Se débranchant de la ligne de Paris à Nîmes dans la petite gare d’Arvant, la ligne des Causses est, sur la totalité de son parcours, une ligne de montagne. Elle traverse des régions les plus pauvres du Massif-central, comme les monts de la Margeride et elle coupe, du nord au sud, les Causses, une des zones les moins peuplées de France. Enfin, elle traverse les Cévennes méridionales avant de descendre en direction de la Méditerranée. Elle ne dessert aucune grande ville, mais seulement des villages agricoles, des bourgs-marchés et quelques stations que les touristes commencent à fréquenter entre les deux guerres.
En quittant Arvant, à l’altitude de 425 mètres, la ligne s’engage peu après dans les gorges de l’Alagnon, un affluent de l’Allier qui descend du Lioran. Les gorges sont suivies en remontant jusqu’à Neussargues, ou, à seulement 49 km d’Arvant, la ligne est déjà à une altitude de 800 mètres. Neussargues a été, du temps du Midi, la gare la plus au nord du réseau, marquant l’ultime étape en direction de Paris, et devenant, par les hasards de l’histoire ferroviaire, une gare d’une certaine importance pour une petite ville qui n’en demandait pas tant… La ligne des Causses rencontre à Neussargues les lignes partant pour Bort et aussi pour Aurillac et Bordeaux par le col du Lioran.
En quittant Neussargues, la ligne continue en rampe et traverse, sur 80 km environ, un vaste plateau creusé de profondes vallées qui supporte les monts de la Margeride, formant la ligne de partage des eaux entre les bassins de la Garonne et de l’Allier. Peu après Saint -Flour, un des marchés des plus importants du Massif Central, la ligne traverse au point kilométrique 82 la profonde échancrure de la Truyère, sur le viaduc de Garabit, le viaduc le plus hardi de France avec le pont du Viaur. Ce viaduc a été construit par Eiffel en 1892 ; sa longueur est de 560 mètres, et la voie passe à 122 mètres au-dessus de la Truyère sur une arche centrale offrant une ouverture de 165 mètres.
Le point culminant de la ligne, à 15 km. au sud de Garabit, se trouve à la station d’Arcornie, à près de 1100 m. d’altitude, au-delà, la ligne reste à une altitude dépassant 1000 m. sur 25 km, passant par les gares de Saint-Chély-d’Apcher et Aumont. Ensuite, c’est une longue pente, parcourue en suivant les gorges de la Grueize, puis dans la vallée du Travel, avec franchissement des viaducs de la Grueize et de Chanteperdrix, de tunnel de Sainte-Lucie et de plusieurs autres ouvrages d’art, avant d’arriver en gare de Marvejols. Au point kilométrique 137, l’altitude est de 640 mètres. On suit la vallée de la Colagne jusqu’à son confluent avec le Lot, peu après la gare du Monastier, origine de l’embranchement de la ligne de Mende. Prisonnière des hauteurs, la ligne est condamnée à recouper transversalement les profondes vallées qui descendent du Massif-central vers la Garonne, comme celles de la Truyère, du Lot, du Tarn, ce qui crée un profil en dents de scie extrêmement dur. C’est ainsi que les déclivités forment autant de rampes et de pentes d’une valeur de 27, 30 et 33 pour mille, et qui se suivent sur de longues sections. Il est certain que c’est une des raisons du choix de la traction électrique de la part des ingénieurs du Midi pour permettre une exploitation souple et satisfaisante.
La descente vers la Méditerranée.
La ligne de Béziers suit alors le Lot qui coule au fond d’une vallée encaissée entre le Causse de Sauveterre et les monts d’Aubrac. À Saint-Laurent-d’Olt, au point kilométrique 160, elle le quitte pour monter sur le Causse de Sévérac qu’elle traverse du nord au sud en desservant Sévérac-le-Château, au point kilométrique 178, à l’origine de l’embranchement de Rodez. Après plusieurs tunnels et le passage d’un nouveau seuil à 840 m. d’altitude, c’est alors une longue pente tracée en corniche, coupée de viaducs et d’autres tunnels, au flanc de la vallée du Tarn, près des fameuses gorges.
Après Millau, la ligne remonte vers le Causse du Larzac en desservant la gare de Tournemire-Roquefort, tête de deux lignes fermées peu avant la Seconde Guerre mondiale, l’une allait à Saint-Affrique, et devait être prolongée jusqu’à Albi par la vallée du Tarn et dont la plateforme a même été terminée, et l’autre vers Le Vigan. À l’extrémité du Causse du Larzac, la ligne franchit la ligne de partage des eaux entre l’Atlantique et la Méditerranée par le tunnel de Saint-Six et passe dans la haute vallée de l’Orb. Évitant les gorges de l’Orb, la voie ferrée suit un tracé direct par les vallées de la Thès et du Gravezou, et le tunnel des Cabrils. Elle passe par les gares du Bousquet-d’Orb et de La Tour-sur-Orb où s’embranche la ligne du bassin minier de la Mare, venant de Plaisance et de Graissessac, une des plus anciennes lignes du réseau ferré français. Bédarieux est atteinte : c’est une gare qui a eu son importance grâce aux lignes d’embranchement de Graissesac-Plaisance et de St-Pons-Castres-St-Sulpice par la Montagne Noire. Elle doit ensuite contourner un pan de montagne par un tracé en corniche très sinueux avant de toucher Béziers : nous sommes à 325 km d’Arvant, et à une altitude de 17 mètres. Vraiment, une ligne très sinueuse, mais magnifique.







Merci beaucoup pour la présentation des difficultés de cette magnifique ligne. Cette présentation est très instructive et donne un point de vue du Sud.