La ligne de l’État : la ligne du parti est peu suivie.

Lorsque le réseau de l’État est constitué en 1878 par une réunion de lignes déficitaires rurales réparties principalement dans l’ouest de la France, il manque à ce réseau, pourtant précurseur de la nationalisation, une grande et longue ligne d’importance nationale au départ de Paris et à trafic important.

Le rachat du réseau de l’Ouest, en 1909, lui apportera trois gares parisiennes, des lignes menant au Havre ou à Brest, mais toujours pas une grande ligne, disons, significative et valorisante pour que ce nouveau type de réseau puisse faire la démonstration de ses aptitudes. Les hasards du découpage territorial national, lors de la création des grandes compagnies privées sous le Second Empire, font que le réseau de l’État de 1909, mieux servi en gares parisiennes, se trouve bien moins gâtée avec une modeste gare terminus située sur l’avenue Deschamps à Bordeaux : le réseau de l’État va donc entrer en concurrence frontale avec le puissant PO qui a fait de sa liaison Paris-Bordeaux (Bastide) par Tours, Poitiers et Angoulême, une des plus performantes relations rapides nationales.

Le réseau de l’État va « construire » sa ligne Paris-Bordeaux en mettant bout à bout des lignes peu importantes, donnant un itinéraire de second choix, par une succession de villes de moyenne importance, passant par Chartres, Saumur, Thouars, et Saintes, ayant même besoin de passer par le territoire du PO qui lui accorde, puisque l’on est entre collègues, cette faveur fermement suggérée par l’État (le vrai) pour l’État (le réseau).

Les deux lignes Paris-Bordeaux en concurrence, sur la gauche, celle de l’État qui est une succession de lignes de moyenne importance, et, sur la droite, l’importante artère du PO, la plus ancienne des grandes lignes françaises, cohérente et électrifiée à partir de 1926. Les chances sont aussi inégales que la largeur des traits rouges ajoutés par nos soins sur la carte Vidal-Lablache.

Le réseau Ouest-Etat: le paralytique fusionne avec l’aveugle ?

Ce réseau de l’État est le dernier grand réseau crée en France. Il est formé de la fusion du réseau de l’Ouest, qui vit très mal jusqu’à ce moment béni, et du réseau de l’État, qui n’a pas eu, non plus, une situation brillante jusque-là. Prononcée en 1909, l’union de ces deux exclus de la richesse ferroviaire française sera-t-elle meilleure que celle de la fable du paralytique et de l’aveugle ? Il faut croire que oui, car le réseau de l’État, surtout avec Raoul Dautry durant les années 1930, parviendra à un niveau très enviable, et prendra sa place au sein des grands pour montrer, par sa gestion exemplaire, la voie à suivre pour la nationalisation.

La création du réseau de l’État se fait en 1878 lors d’un grand débat national sur le statut des chemins de fer, débat qui couve depuis l’origine des chemins de fer en France. Prévue par le détail dès le début des années 1930, la nationalisation est une idée ancienne et la création de la SNCF le 1er janvier 1938 est bien le terme de cette longue évolution.

Le réseau de l’État apparaît comme un champ expérimental (on dirait aujourd’hui une « vitrine technologique ») qui doit démontrer, devant l’opinion et les grands réseaux, qu’une gestion directe des chemins de fer par les pouvoirs publics ne peut être que bénéficiaire pour la collectivité nationale. Si des pays comme la Suisse l’ont compris dès la fin du XIXe siècle, la France hésite encore et ce n’est que la faillite des réseaux avec la crise des années 1930 qui, en fin de compte, met un terme à un siècle de capitalisme privé.

Un réseau de l’État mais « par défaut ».

Le réseau de l’État apparaît en 1878 dans des circonstances tout à fait hasardeuses et bien fortuites. Au début des années 1860, le Second Empire concède des lignes d’intérêt local, trop peu productives au goût des grandes compagnies, à des financiers davantage attirés par les subventions promises que par le goût de construire et d’exploiter des chemins de fer.

Le scénario est invariable : une fois la construction terminée, les spéculateurs se retirent et la Chambre républicaine, élue en 1877, charge le ministre des Travaux Publics d’assurer la continuité de l’exploitation des lignes en faillite en attendant leur reprise ultérieure par l’une des grandes compagnies.  Cette loi du 18 mai 1877, bien que faite à titre provisoire, demeure l’acte législatif fondamental du Réseau de l’État jusqu’en 1937.

À l’origine, le Réseau de l’État n’est pas un « réseau », et il se borne à réunir 2615 km de lignes dispersées dans les Charentes, la Vendée, les régions de Nantes et Orléans, construites sans aucun plan d’ensemble, mal reliées et complètement isolées de Paris, et gérées d’une manière autonome jusqu’en 1882, année où cet ensemble est rattaché au Budget général de la nation, voté par le Parlement. Le réseau est alors un parmi d’autres des services spéciaux de l’État qui s’administrent eux-mêmes, avec un budget propre, comme la Monnaie, l’Imprimerie nationale ou la Caisse des dépôts. En 1895, ce réseau sort de la situation provisoire issue des textes de 1878 et 1882. Le ministre des Travaux Publics Edmond Guyot-Dessaigne statue par décret sur l’organisation définitive de l’exploitation du réseau, nommant un Directeur de réseau qu’il maintient sous son autorité immédiate. C’est à cette époque que commence à se diffuser l’idée que les transports ferroviaires constituent une sorte de service public, que chaque région a droit à son désenclavement, quelle qu’en soit la rentabilité économique.

Train de voyageurs typique du réseau de l’État vers la fin du XIXe siècle. Locomotive d’inspiration PO type 121 N° 059.(série 120.051 à 120.069 ex 2612-2620 construite en 1892) et matériel léger sur deux essieux.

Le rachat du réseau de l’Ouest : quand l’État se met à faire des (bonnes ?) affaires.

Le rachat du Réseau de l’Ouest, voté en 1908 et effectif en 1909, procède de la même manière de voir les transports publics. En effet, à partir de 1891, la « Compagnie de l’Ouest », en proie à de graves difficultés financières, ne doit plus sa survie qu’aux avances de l’État français au titre de la garantie d’intérêt. Condamnée à exploiter son réseau sans espoir d’augmenter les dividendes avant la libération de plus en plus lointaine de sa dette, la « Compagnie de l’Ouest » ne peut trouver de raison d’être, n’ayant aucune possibilité de développer son trafic, d’investir dans un matériel roulant nouveau, et d’engranger des bénéfices.

Pendant dix ans, la Chambre des députés examine, sans se laisser convaincre, des projets de rachat de 1’Ouest et éventuellement d’autres réseaux, proposés par des députés radicaux. À la suite de l’accroissement de trafic occasionné par l’Exposition Universelle de 1900 auquel le réseau ne peut faire face, la situation de la « Compagnie de l’Ouest » est désastreuse, notamment vis-à-vis de l’opinion publique, car le réseau est paralysé et incapable de faire face à la demande de transport.

C’est sous Georges Clemenceau, qui inscrit le rachat de l’Ouest dans son programme de gouvernement, que le ministre des Travaux Publics Louis Barthou dépose un projet de loi de rachat qui sera effectif le 13 juillet 1908.

Il est à noter que ce rachat de l’Ouest n’est pas un succès ni des socialistes ni des partisans de la nationalisation des chemins de fer, car l’État ne rachètera pas d’autre réseau, même si, en 1919, il reprend, sans achat, la gestion du réseau d’Alsace-Lorraine redevenu français. Ce rachat est le fruit du travail de politiques qui ne trouvent pas d’autre solution, les négociations menées par le ministère avec la Compagnie pour un rachat partiel par l’État et le PO n’ayant pas abouti.

Les budgets du réseau de l’Ouest et de l’ancien réseau de l’État resteront distincts jusqu’en 1917 pour prouver la rentabilité virtuelle du réseau de l’État qui sera exploité comme toute entreprise industrielle. Or le rachat de l’Ouest fait du « grand Réseau de l’État » le deuxième réseau français par son étendue après le PLM, totalisant alors 9 133 km, et auxquels il faut ajouter 467 km rachetés en Bretagne en 1934.

La naissance d’un réseau modèle.

La loi de finances du 13 juillet 1911 donne au réseau une organisation administrative et financière considérée comme définitive, avec une gestion par le ministre des Travaux Publics, qui nomme le Directeur, les chefs de service et les membres du Conseil de réseau, et au Parlement qui vote le budget du réseau comme budget annexe.

La Première Guerre mondiale le plonge, à partir de 1917, dans une crise grave. Le réseau mobilise à lui seul autant que tous les autres réseaux réunis, ce qui lui pose très vite un sérieux problème de main d’œuvre. Le gouvernement le charge de centraliser les commandes de combustibles et de matériel pour les industries considérées comme stratégiques et pour une partie de la population civile. Des ateliers du réseau sont transformés en usines d’obus. Épargné par les destructions, le réseau doit en revanche assurer des transports militaires très importants, notamment pour l’armée anglaise et à partir de 1917 pour l’armée américaine, ce qui perturbe son trafic commercial.

Après la guerre, le réseau a du mal à reprendre vie, avec un taux de matériel endommagé très élevé, et un personnel surabondant et sous-qualifié que l’État, qui a dû et doit encore donner l’exemple, a massivement embauché à la suite de la loi de 1919 sur la journée de huit heures de travail. Le retour à une activité économique normale provoque un brusque accroissement de la demande de transport auquel le réseau ne peut répondre. Les grèves se multiplient sur le réseau à partir des redoutables années 1920. Le décret du 16 novembre 1926 libère le réseau des contraintes de la comptabilité publique et lui donne beaucoup plus d’autonomie financière. Le réseau pourra-t-il enfin devenir un vrai réseau et lutter à armes égales avec ses concurrents ? Il y arrivera et, même, sera un des meilleurs réseaux français, notamment sur le plan de la rentabilité financière, mais aussi par la qualité et le confort de ses trains.

L’âge d’or avec Raoul Dautry.

Le 17 octobre 1928, Raoul Dautry, ancien ingénieur de la Compagnie du Nord, est nommé Directeur général du Réseau de l’État. Il le restera jusqu’en 1937, appliquant une pensée originale ou « esprit nouveau », se situant entre le libéralisme et le socialisme, pratiquant une organisation scientifique du travail et une efficacité économique, sans renoncer au maintien des droits sociaux. Dès les premiers mois, Dautry réussit à dynamiser le réseau et à y créer une nouvelle atmosphère qui ira jusqu’à modifier ce que l’on n’appelle pas encore l’image de marque du réseau auprès du grand public. Dautry mise tout d’abord sur la vitesse pour préserver le trafic, et il rationalise les itinéraires et les correspondances. Il crée en 1933 des bureaux d’études du travail, des méthodes et de l’outillage, ceci dans chaque atelier afin de procéder à un examen minutieux des conditions d’exécution du travail, puis un laboratoire pour l’étude des problèmes du travail humain, composé de médecins et de techniciens du réseau. Il songe aussi aux grandes électrifications du réseau, dont celle de Paris au Mans sera le point de départ dès 1937, une électrification réalisée de manière exemplaire et à un très haut niveau de technicité.

Raoul Dautry (1880-1951), ingénieur des chemins de fer, puis directeur du réseau de l’État de 1931 à 1937, ensuite homme politique.

En 1938, lors de l’intégration du réseau de l’État dans celui de la SNCF dont il devient alors la région Ouest, le réseau apporte un total des locomotives et des engins moteurs de 3 942 unités, et 422 locomotives accusent plus d’un demi-siècle d’âge ! Mais la moyenne d’âge du parc du réseau de l’État est très basse avec seulement 23,91 années, car le réseau, avec Dautry, a fait un important effort de reconstruction de locomotives de type 231 durant les années 1930 et surtout en 1933 et 1937. C’est ainsi que 137 locomotives de type 230 ont une année au plus et 153 de type 231 ont 5 ans au plus en 1938. Bien entendu, les 58 locomotives électriques 2D2 engagées pour Paris-Le Mans sont neuves : le total des locomotives âgées de moins de 10 ans est de 14,4 % pour le réseau de l’État contre 9,2 % pour le Nord ou 7,1 % pour l’Est.

Le « Patchwork » de la ligne Paris-Bordeaux de l’Etat.

C’est très difficile de savoir comment est née cette idée d’un service Paris-Bordeaux par l’État (soit 612,4 km), qui l’a proposée, et quand exactement. Il semblerait que ce soit peu probable avant les années 1910, bien que certaines sources mentionnent 1874 pour la création de la ligne N°500 du réseau national. Le réseau de l’État est créé en 1878, d’une part, et, sans doute, cette date de 1874 est aussi peu plausible vu la situation d’alors. L’idée doit dater des années 1910 quand le réseau de l’État, après le rachat de l’Ouest, « joue dans la cour des grands » et devient le 2ᵉ réseau français par son étendue. Toutefois, l’idée ne durera pas, car, dès les années 1930, le PO a définitivement remporté l’image du « vrai » Paris-Bordeaux d’alors avec son électrification exemplaire d’une ligne cohérente datant de 1853 et moins longue avec 579 km.

Si l’on consulte un horaire État, celui de 1935 par exemple, le seul train direct de jour Paris-Bordeaux par l’État part de Paris à 9 h 15 et arrive à Bordeaux à 18 h 59, soit un trajet interminable de 9 h et 44 minutes comprenant neuf arrêts ! Voici le détail des arrêts après le départ de Paris-Montparnasse : Chartres, Sargé-sur-Braye (?), Château-du-Loir, Saumur, Montreuil-Bellay, Thouars, Parthenay, Niort, Saintes et ne comptons pas Bordeaux-Deschamps puisque le train jouit de la faveur de terminer sa course à Bordeaux-Saint-Jean.

À moins d’avoir à Sargé-sur-Braye un cousin au 5ᵉ degré ou une tendre amie à honorer d’une visite, autant prendre le train de nuit partant de Paris à 21 h 50 et arrivant à Bordeaux à 9 h 53, soit 11 heures de trajet… et on aura quand même droit à une pause-pipi à Château-du-Loir, Saumur, Thouars, Parthenay et Niort. Si peu de trains et tant de lenteur (moyenne commerciale aux alentours de 60 km/h) font se demander si, vraiment, le service Paris-Bordeaux par l’État a été sérieux et durable.

La description de la ligne ne laisse pas, non plus, une impression de faisabilité. De Paris à Chartres, l’itinéraire Paris-Bordeaux par l’État et ses 612 km emprunte la grande ligne Paris-Brest qui est parfaitement apte à la vitesse d’alors. Mais, à partir de Chartres et jusqu’à Bordeaux, c’est le « patchwork » de lignes régionales ou même locales en voie unique, concédées à diverses compagnies, parfois à titre d’intérêt général, mais souvent à titre d’intérêt local. Les difficultés financières de ces compagnies et la mauvaise qualité de ces lignes peu aptes à la vitesse ont fait que ces lignes finissent rapidement, dès 1878, ou en 1909, sous le contrôle et la gestion du réseau de l’État.

Toutefois, le réseau « y croit » et, en 1905, engage sur sa ligne dite de Chartres à Bordeaux de puissantes locomotives compound type 221 série 3000 du PO conçues par le brillant ingénieur De Glehn. Pour faire bon poids, l’État recommence l’opération en 1908 avec des locomotives type 230 du PO, toujours, série 4000 dotées de la même chaudière et des mêmes perfectionnements. Aussi, le réseau commande, en 1909, des locomotives du type « Pacific » et reçoit, en 1922-1923 (du fait du retard dû à la guerre) 56 locomotives qui feront un excellent service surtout sur les lignes du Havre ou de Cherbourg. Toutefois le service de Paris à Bordeaux par l’État n’est plus une priorité et se réduit à un seul train direct de jour, plus un autre de nuit. Le PO, grâce à son électrification menée de main de maître, a définitivement gommé ce projet État.

Toujours est-il que, en 1931, le Paris-Bordeaux du réseau de l’État n’est plus cité sur ses prospectus, même en tant qu’omnibus sur grande ligne. La ligne Paris-Bordeaux n’est pas intégralement tracée.
Locomotive État type 221 construite aux USA chez Baldwin qui a pu assurer, entre Paris et Chartres, le service Paris-Bordeaux dans les premières années du XXe siècle.
En 1905 : départ de Montparnasse d’une 221 État type PO (série 2961 à 2960 puis 221.101 à 221.110). Ce genre de locomotive a pu circuler sur la ligne Chartres-Bordeaux en tête de trains express.
Possible vision d’un train ayant une composition typiquement PO et entre Paris et Bordeaux vers 1910. Locomotive.230 N°4082.(série 4001-4084) construite entre 1903 et 1908. Le réseau de l’État utilisera des locomotives identiques, mais un matériel remorqué différent. Négatif Petiet
Voiture Etat type A7.1911-1912.
Voiture-lits État type A6 de 1889. Pionnier de la voiture-lits et des trains de nuit, le réseau de l’État a pu engager ce genre de voiture sur ses premiers Paris-Bordeaux directs de nuit.
Voiture métallique État de 1931 : le réseau maintient la qualité de son matériel roulant grandes lignes. Le train direct Paris-Bordeaux de 1935, dont nous donnons l’horaire dans cet article, a sans nul doute été composé avec du matériel de ce type.

De Chartres à Niort.

Revenons aux années 1880 et au service Paris-Bordeaux par l’État. À Chartres, on quitte la grande ligne Paris-Brest pour une succession de petites lignes dont la plupart sont en voie unique, et ayant des caractéristiques dont la diversité est très mal adaptée à un service de trains rapides et lourds. On commence par celle de Chartres à Brou concédée le 20 mai 1870 à la très éphémère Compagnie du chemin de fer d’Orléans à Rouen qui l’ouvre le 7 mai 1876. Puis on passe à la section de Brou à Bessé-sur-Braye qui lui fait suite, en étant aussi la partie d’un itinéraire de Brou à Saint-Calais, concédée à la même compagnie qui ne pourra la mettre en service : ce sera fait par l’État le 23 mai 1885. Ensuite on passe sur la ligne de Bessé-sur-Braye à Château-du-Loir, concédée le 21 avril 1872 au chemin de fer de Paris à Orléans (PO) qui l’ouvre le 31 mars 1879.

La section de Château-du-Loir à Saumur est déclarée d’utilité publique par une loi le 21 mars 1881. Faute de trouver un concessionnaire, elle est mise en service par l’État le 11 juillet 1886. La section de Saumur à Montreuil-Bellay, utilisée par les trains Paris-Bordeaux du réseau de l’État, fait partie d’une ligne de Saumur à Poitiers. Elle est concédée le 15 mars 1870 à la Compagnie du chemin de fer d’intérêt local de Saumur à Poitiers qui la met en service par le 30 janvier 1876. Le 31 mars 1877, l’État rachète la ligne de Neuville à Saumur qui comprend le tronçon Saumur – Montreuil-Bellay.

La section de Montreuil-Bellay à Niort est déclarée d’utilité publique, à titre d’intérêt général, par une loi le 7 avril 1879. Elle est ouverte le 23 octobre 1882. Notons que les départements de la Sarthe et des Deux-Sèvres jouent un rôle central dans l’aventure de la ligne de l’État. La rotonde de Montabon, inscrite aux Monuments Historiques, en est une des dernières traces toujours visibles actuellement.

L’aventure du Paris-Bordeaux, pour le voyageur État, commence ici. En 1909, la gare Montparnasse tombe dans l’escarcelle du réseau de l’État qui vient de racheter le réseau de l’Ouest et ses trois gares parisiennes. Noter la circulation devant la gare : très parisienne et même déjà très bobo-écologique.
La gare de Saumur-État rive droite vers 1910.
La gare de Thouars à l’époque de la ligne de l’État. Avec le département des Deux-Sèvres, la ville a vécu, d’une manière très concernée, une importante carrière ferroviaire avec un dépôt très actif.
La gare de Niort au début du siècle.
La gare très active de Saintes, vue en 1885.
La gare de Bordeaux-Bastide où arrive le PO : pas très reluisante, plutôt une sinistre copie de la gare de l’Est à Paris, si on la compare à la magnifique gare de Bordeaux-Saint-Jean réservée au réseau du Midi, mais, quand même mieux que celle de Bordeaux-Deschamps qui attend le réseau de l’État, quelques dizaines de mètres plus loin.
Pas loin de la gare de la Bastide (PO), voici la pas vilaine, mais très petite gare de Bordeaux-avenue Deschamps dont le frugal réseau de l’État devra se contenter.

De Niort à Bordeaux : pas mieux !

La section de Niort à Saint-Jean-d’Angély est concédée à l’éphémère et fragile « Compagnie des chemins de fer des Charentes » le 23 mars 1874. Elle sera très longue à mettre en service, et donnera le temps au réseau de l’État de se créer en 1878 en rachetant le réseau des Charentes entre autres. Elle n’est mise en service que le 17 octobre 1881.

Le court tronçon (25 km) de Saint-Jean-d’Angély à Saintes fait partie d’une ligne prévue de Saint-Jean-d’Angély à Saujon. Il est déclaré d’utilité publique le 1ᵉʳ avril 1901, mais ne commencera son service qu’avec des trains de marchandises entre Saint-Jean-d’Angély et Saintes en mai 1911.

Mais la section de Saintes à Cavignac, qui fait partie d’un itinéraire de Saintes à Coutras, est déclarée d’utilité publique le 14 juin 1861. Elle est concédée à la Compagnie des chemins de fer des Charentes, en 1862, ce qui n’a rien de prometteur…

En 1868, la même Compagnie des chemins de fer des Charentes s’occupe de la concession à titre éventuel de la ligne « de Blaye à la ligne de Saintes à Coutras, près Mariens ». Et « en même temps », comme on dirait aujourd’hui, cette redoutable compagnie reçoit aussi, en convention, « la possibilité pour l’État de demander à la compagnie la création d’une ligne « de Saint-Jean-d’Angély à Niort ». Le tronçon de Cavignac à Bordeaux est déclaré d’utilité publique en 1881. Tout ceci ne laisse prévoir rien de bon.

Pas vraiment invité et placé en bout de table parmi les cousins indésirables, le réseau de l’État est mal accueilli à Bordeaux, dans la minuscule gare Deschamps. Le Bordeaux chic, rappelons-le, c’est la rive gauche. Plan Chaix-Lartilleux.
Confirmation de la maigreur des installations de la gare Deschamps à Bordeaux : les « invités » sont regroupés sur la peu désirable rive droite de la Garonne. Noter les extensions très larges de la gare du Midi, dite Bordeaux-Saint-Jean. Doc.SNCF.
Les arrivées discrètes des réseaux autres que Midi sur la rive droite de la Garonne. L’État se contente de la petite et exiguë gare du Boulevard Deschamps : manière de dire que ce réseau reste considéré comme « champêtre » ? Doc. RGCF.

Sauvés par le gong.

Mais comme certains boxeurs sont sauvés par le gong, un événement survenu en 1879 vient sauver les maigres espérances des lignes locales que le train Paris-Bordeaux par l’État doit emprunter sur sa partie sud : en effet le plan Freycinet prévoit de classer pas moins de 181 lignes du réseau national qui sont en situation financière catastrophique, ceci en les faisant passer sous le régime de l’intérêt général et prévoit, entre autres, une ligne de « Niort à Montreuil-Bellay avec embranchement sur Moncontour », de « Saumur à Château-du-Loir, par ou près Noyant et Château-la-Vallière, avec raccordement de Savigny à la ligne de Château-du-Loir à Saint-Calais » et une ligne de « Bordeaux (gare spéciale) à ou près Carignan (Gironde) ». Donc, pour dire clairement les choses, c’est le contribuable qui paiera les lignes de la partie sud du grand trajet Paris-Bordeaux par l’État.

La ligne inutilisée construite à la fin du XIXe siècle, et quand même utile pour le TGV de la fin du XXe.

Dans les premières années 1880, le tout jeune réseau de l’État, fraîchement crée, rêve de grands express diurnes et nocturnes comportant des voitures directes entre Paris et Les Sables-d’Olonne, ou et de Paris et Royan et, surtout, entre Paris et Bordeaux. Le réseau de l’État se met à la pelle et au pic et ouvre un chantier pour la construction de la Ligne de Paris à Chartres par Gallardon qui crée sa « tête à Paris » et la rend indépendante de la Compagnie de l’Ouest entre la petite station Ouest-Ceinture et la gare de Chartres. Mais en 1909, comme nous le savons, l’État rachète la compagnie de l’Ouest purement et simplement.  Les travaux sont interrompus, mais la plateforme reste en place, ce qui permettra de réaliser la pénétration urbaine de la LGV Atlantique un demi-siècle plus tard.

L’État peut donc, dès 1909, utiliser son réseau pour créer son Paris-Bordeaux via Chartres et Saumur, desservant peu de villes, concurrençant en pure perte le Paris-Bordeaux du PO, par Orléans, Tours, Poitiers et Angoulême, parcourue par de puissantes « Pacific » qui mènent une vie dure aux locomotives de l’État.

Locomotive PO type 231 N°3660.(série 3591 à 3640) construite en 1921. Ce sont elles qui assurent la suprématie du PO et donnent du fil à retordre au réseau de l’État, concurrent (déjà) malheureux.

Mais le pire est à venir quand la ligne Paris-Bordeaux du PO est électrifiée par caténaire en courant continu 1 500 volts entre 1926 et 1938. Forte de ses 52 puissantes sous-stations, espacées de 11 km en moyenne, bien tracée avec un profil favorable aux grandes vitesses, la ligne du PO offre des performances incomparables qui « plombent » celles, déjà aléatoires, de la ligne de l’État.

Dès 1926, le réseau du PO a commencé l’électrification de la ligne entre Paris et Vierzon. L’électrification atteint Bordeaux en 1938. L’État jette le gant.
À partir de 1933, les redoutables 2D2 du PO excellent sur les grandes lignes du réseau, dont Paris-Bordeaux. Ici la locomotive.2D2 N° 527.(série 503 à 537 puis 5503 à 5537) PO puis SNCF. Négatif Petiet.

À sa création, et pour d’évidentes raisons d’économies, la SNCF s’en mêle, n’a pas le choix et règle rapidement son compte à ce reste d’un rêve État, et relègue l’itinéraire Paris-Bordeaux, ex-État aux dessertes régionales de type omnibus. Le service des voyageurs est supprimé successivement entre Château-du-Loir et Saumur le 6 avril 1970, entre Courtalain et Château-du-Loir le 26 octobre 1971, et entre Thouars et Parthenay et Niort le 27 septembre 1980. La messe est dite…

La « ligne de l’État » toujours N° 500 SNCF, et sa situation actuelle.

Aujourd’hui, il reste des traces de cette ligne de l’État, toujours numérotée 500 par la SNCF, et tout n’est pas mort, même si deux sections de la ligne ont subi la peine capitale : il s’agit de celle de Mondoubleau à Bessé-sur-Braye (PK 163,530 à 183,400) fermée le 20 mars 1995, et aussi de celle de Bessé-sur-Braye à Montval-sur-Loir (PK 183,400 à 216,161), fermée le 18 octobre 2020.

Quelques autres sections survivent, mais posent des problèmes, comme celle Chartres à Courtalain-Saint-Pellerin, en voie unique, mais dont la vitesse des trains a pu, de justesse, être maintenue à 100 km/h, évitant la relégation à un honteux 40 km/h grâce à des travaux de RVB menés en 2019.  De Bordeaux à Niort, la voie est en mauvais état. Des ralentissements sont en place sur de nombreuses sections, notamment entre Saintes et Saint-Jean-d’Angély où l’on tombe à 60 km/h au lieu de 100 km/h.

Ne parlons plus de celle de Bessé-sur-Braye à Château-du-Loir qui est déferrée en 2021 après en avoir vu de toutes les couleurs et devenue une « voie verte » qui est la forme polie, politiquement correcte et bien actuelle, de la mise à mort pure et simple du chemin de fer.

Quelques bonnes nouvelles, cependant.

Parmi les bonnes nouvelles, il y a celles de la section de Saumur à Thouars, électrifiée en 25 kV et équipée d’une « Commande centralisée de voie banalisée » en 1982, ceci dans le cadre de l’électrification de Tours à Saint-Nazaire.

Il y a même des trains de voyageurs aujourd’hui sur trois sections isolées de l’ancien Paris-Bordeaux par l’État. Des TER circulent entre Chartres et Courtalain-Saint-Pellerin, entre Saumur et Thouars, ou aussi entre Niort et Saintes, tandis que des relations Niort-Royan en correspondance avec les TGV de Paris-Montparnasse.  Des TER Saintes-Bordeaux, La Rochelle-Bordeaux ou Saint-Mariens-Saint-Yzan-Bordeaux circulent, ainsi que des trains Intercités Bordeaux-Nantes.

Un soupçon de renaissance de la ligne de l’État a pu être espéré entre Cenon-Ambarès et Lagrave avec réhabilitation et électrification en 1500 V pour détourner des trains Paris-Bordeaux chassés par la rénovation des cinq tunnels de Lormont. Ceci a demandé la construction d’un raccordement entre les deux lignes. Cette section est même prolongée, en 2017, jusqu’à Bordeaux-Saint-Jean avec suppression de la bifurcation de Saintes située à Cenon. Autre bonne nouvelle : les trains de marchandises semblent circuler avec une louable persistance sur les restes de la ligne de l’État, grâce à de nombreuses conventions avec les régions. Si, vraiment, on n’a pas envie de faire un magnifique et confortable Paris-Bordeaux en TGV, on peut essayer, pour perdre beaucoup de temps, mais pour découvrir une France profonde et méprisée comme telle, de prendre toute une succession de billets pour refaire le Paris-Bordeaux par l’État, quitte à prendre l’autocar ou faire du stop en ce qui concerne les sections qui manquent à l’appel.

Et pendant ce temps-là, le PO fait des étincelles et pas seulement à la caténaire.

En 1853, le trajet PO de Paris à Bordeaux demande environ 13 heures. En 1914, il en est à 7 h 3 min par le meilleur train rapide. À l’époque des « Pacific » Chapelon série 3500 transformées et aussi du fameux relais traction à Saint-Pierre-des-Corps (SPDC pour les intimes), les Paris-Bordeaux font le trajet en moins de 6 h 30 avec des pointes à 120 km/h et des moyennes commerciales de l’ordre de 100 km/h, pour des trains pesant plus de 700 tonnes ! Le 13 décembre 1938, la grande ligne Paris-Bordeaux est entièrement électrifiée sous une caténaire 1500 volts : les locomotives 2D2 permettent de gagner encore une heure de temps de trajet qui tombe à approximativement 5 h 30.

La SNCF ne s’endort pas sur les lauriers du PO et après la Seconde Guerre mondiale, en 1955, le train « Le Drapeau » met 5 h 15 min pour relier Paris à Bordeaux à la vitesse commerciale de 112 km/h. Dès mai 1971, L’ « Aquitaine » et L’ « Étendard » circulent à 200 km/h assurant la liaison de Paris à Bordeaux exactement en 4 h pile, à la vitesse moyenne de 144,8 km/h, puis en 3 h 50 min, à la vitesse moyenne de 151,8 km/h. À cette époque, la ligne est la plus rapide du réseau français, avec des tronçons parcourus à la vitesse moyenne de 161 km/h. Cela a été quelque peu oublié.

En septembre 1990, la ligne est parcourue par les TGV en provenance de Paris-Montparnasse, autorisés à circuler à 220 km/h sur les tronçons les plus rectilignes. Le meilleur temps de parcours entre Paris et Bordeaux se réduit à 2 h 58.

On connaît la suite avec l’inauguration de la LGV « Sud Europe Atlantique » (LGV SEA), ou « LGV L’Océane » pour la SNCF, mise en service le 2 juillet 2017, et qui permet de relier Paris à Bordeaux en 2 h 04, soit un gain de 55 minutes par rapport à la ligne classique, avec des TGV roulant jusqu’à 320 km/h.

Une petite réponse à une petite question : par où passe la LGV ? Comme pour marquer sa situation par rapport aux deux lignes État et PO, elle passe exactement, sur toute sa longueur, entre les deux anciennes lignes, comme restant à distance égalitaire et équivoque des deux rivales, se voulant comme une bissectrice géométrique et diplomatique et un symbole diplomatique de la paix retrouvée.

Reste-t-il un souvenir du PO dans cette magnifique aventure ? Sans doute oui, parce que l’on se prépare à reconstituer la fusion des réseaux du PO et du Midi, effectuée en 1934, en rejouant la scène presque un siècle plus tard en poussant la LGV jusqu’à Toulouse.

Rien de nouveau sous le soleil chatoyant et toujours brillant du chemin de fer. Les TGV d’aujourd’hui ne vont que 6 fois plus vite que les premiers trains Paris-Bordeaux du PO. Six fois seulement ?

Locomotive CC-6530 de la SNCF (série 6501-6574 construite de 1969-à 1975) vue en gare de Bordeaux Saint-Jean lors d’un des derniers services en tête de l’« Aquitaine » à 200 km/ h en 2005.

3 réflexions sur « La ligne de l’État : la ligne du parti est peu suivie. »

  1. Une fois de plus, une merveille de lecture, de photos, d’images, de graphiques, d’explications et d’humour ferroviaire. MILLE MERCIS.

  2. toujours très intéressant, on découvre très souvents des choses que l’on ignorait. Une petite erreur s’est glissée dans la légende de la dernière photo : ce n’est pas une CC 6500, mais une BB 15000, probablement sur l’Est….

    1. Cher Monsieur, merci pour votre aide. La photo est tellement mauvaise que l’on ne voit pas grand chose, mais je croyais voir une CC 6500. Puisqu’il y a un doute, je la change pour une photo d’une 6500 en tête de l’ « Aquitaine » à Bordeaux. C’est clair, et, comme le port-salut, c’est écrit dessus. 🙂 Bien à vous, bien cordialement, CL

Commentaires fermés

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