Un wagon SNCF de 26 tonnes remorqué par 194 locomotives Märklin en « H0 ».

Nous remercions vivement les 15.000 lecteurs pour leur intérêt et leur soutien par leur lecture de l’article consacré au mystère de la conicité (et des glissements malgré tout inévitables). Cet article, dont le succès se maintient toujours, est paru récemment sur ce site « Trainconsultant ».

Dans le même ordre d’idées, nous proposons aujourd’hui de traiter, historiquement, un autre fait ferroviaire tout aussi passionnant et quelque peu oublié. Il s’est illustré par ce qui apparaissait comme un exploit, alors que c’était on ne peut plus normal. On parle toujours de puissance, de tonnes-kilométriques remorquées (TKBR), de la charge des trains (surtout pour le fret), de vitesse : on considère que ces données sont fixes, déterminées et difficilement modifiables. Mais, on oublie l’accélération qui, si on la réduit, induit nécessairement une augmentation spectaculaire de la masse déplacée.

Si on se contente d’une accélération réduite à une quasi immobilité, quasi imperceptible à l’œil, alors la charge, pour une puissance de traction infime, peut augmenter dans des proportions impressionnantes. On peut même, par exemple, déplacer un wagon-citerne réel SNCF pesant 26 tonnes remorqué par des locomotives miniatures roulant sur des voies en « H0 » (échelle du 1/87ᵉ, soit 87 fois plus petites que la réalité) posées entre les rails de la voie SNCF réelle. Plaisanterie ? Non : simple réalité physique ferroviaire.

L’exploit de 1995.

Aujourd’hui on n’en parle plus. C’est oublié et pourtant c’est, sans doute, un des exploits les plus surprenants de l’histoire des chemins de fer réels et miniatures que beaucoup de points communs relient.

L’exploit accompli par Märklin au Salon du Modélisme 1995 est, pour une fois, à la fois le fait de la qualité et la beauté très professionnelles du stand Märklin-France auxquelles nous étions habitués en cet âge d’or du modélisme en France que sont les années 1980 et 1990, et, en plus, le fait réel et physique de la traction et du déplacement d’un vrai wagon-citerne Simotra de 26 tonnes SNCF, avec son beau vert, et surtout avec plusieurs personnes présentes sur la passerelle d’accès à une des extrémités du wagon.

L’exploit Märklin au salon du modélisme de la Porte de Versailles en 1995. Le wagon remorqué est un citerne Simotra SNCF pesant 26 tonnes. Document Märklin Insider.
Le jour de l’essai. Plusieurs personnes ajoutent leur poids à celui du wagon, dont Pierre Villemagne, en deuxième position à partir de la droite sur ce cliché fourni par lui.

Résumons-nous : sur 50 mètres de voie SNCF, un wagon remorqué par 194 locomotives Märklin « H0 » de type BB (réf. 3334 et 3320) posées côte à côte sur un faisceau de 48 voies en « H0 », ces voies étant posées sur les traverses de la voie SNCF. Ce faisceau de 48 voies « H0 » a une longueur de 4,15 mètres et les voies sont alimentées tous les 54 cm par deux transformateurs.

Rappelons que ce record spectaculaire a été monté par Pierre Villemagne, Président de Märklin-France, et que les bénéfices des ventes des locomotives ayant participé au record ont été affectés à la lutte contre la mucoviscidose. Aujourd’hui cet exploit est oublié, et seule une vidéo, d’origine italienne, est disponible sur « YouTube ». Son lien est : 

https://www.youtube.com/watch?v=PY2u21jfCCk

Rappelons que, à l’époque, sur le catalogue Märklin, on trouve quatre versions en « H0 » de la BB-26000 SNCF. D’abord, dès 1991, Märklin propose la BB-26002 du dépôt alsacien de Souffelweyersheim, ou la BB-26004 du dépôt de Cernay ou encore la BB-26006 du dépôt de Mulhouse. En 1995, Märklin ajoute une version grise de la BB 26070, modèle équipée du système Digital Delta. Notons qu’au dépôt de Villeneuve-Saint-Georges, la BB-26002 réelle a été « pelliculée », pour un temps, avec la mention de cet exploit accompli au salon du modélisme. Seul le magazine « Rail Passion » des éditions La Vie du Rail y consacre sa couverture, tandis que la revue « Chemins de fer » de l’AFAC fait paraître un article écrit interne et non illustré écrit par votre serviteur.

À Villeneuve-Saint-Georges, la « vraie » BB-26002 SNCF « pelliculée » sur le thème de l’exploit des 194 locomotives Märklin dont un cheminot tient un exemplaire en « H0 ». Document Märklin-France fourni par Pierre Villemagne.

L’explication de l’impossible.

La nature technique et scientifique de l’exploit, soit 194 locomotives en “H0” déplaçant 26 tonnes, peut paraître difficilement explicable, au point de laisser sceptiques sur la possibilité réelle de la chose, ou sur l’absence de tout truquage. Or, pour quiconque connaît bien les problèmes théoriques de traction, on voit que cet exploit est parfaitement possible et heureusement… car l’exploit a bien existé et a été un succès.

Ayant soutenu une thèse en Sorbonne sur l’histoire de la traction à la SNCF et ayant suivi un stage de deux semaines avec André Cossié, ingénieur général de la SNCF chargé de former, en matière de traction, les ingénieurs Alsthom, nous avons ouvert à nouveau le cours de traction que donne André Cossié pour son enseignement au CNAM et son stage destiné aux Attachés SNCF groupe 1. Nous avons, de nouveau, aligné des chiffres…

Caractéristiques efforts-vitesses des locomotives

Les locomotives sont calculées en fonction des trains-types à remorquer, des vitesses à pratiquer, des rampes rencontrées. Il faut donc connaître les efforts que doit développer la locomotive pour remorquer les trains prévus dans le cadre du programme de traction. Les accélérations prises en considération pour les mises en vitesse déterminent les efforts de démarrage, et, dans le chemin de fer, c’est bien l’effort au démarrage qui est déterminant : une fois le train démarré, les efforts de traction, on le sait, diminuent (la résistance spécifique est plus élevée au « décollage » parce que le film d’huile des boîtes d’essieu n’est pas encore rétabli).

L’effort à la jante sera la somme de l’effort pour faire rouler la locomotive plus l’effort pour faire rouler le train.

L’équation fondamentale de la dynamique est :  ΣF = (Σm)γ qui est le produit de la somme des masses (en tenant compte des masses tournantes) par l’accélération du convoi. Il faut donc connaître, pour commencer, les valeurs des efforts résistants.

Les efforts résistants

Toujours d’après le cours de Cossié, ils comprennent : la résistance à l’avancement en alignement et en palier. Elle est ainsi fonction de la vitesse (ici, la vitesse est très basse), la résistance due aux courbes (ici, elle est inexistante car la voie est en alignement), l’effort dû à la pesanteur (ici, la voie est parfaitement de niveau).

Dans le cas de la résistance en alignement et en palier, la formule est R=A+BV+CV².

« A » représente les frottements dans les boites d’essieu et les résistances au roulement des roues sur le rail dues aux pertes résultant des déformations élastiques des métaux en contact. Il varie entre 0,8 et 1,9 daN selon les types de matériel : notre wagon est pratiquement vide, et la valeur de 0,8 est convenable.

« BV » représente les efforts de frottement des boudins des roues contre le champignon des rails, et pour des matériels performants (voitures VTU, TGV).

« B » est de l’ordre de 0,008 daN/t, mais on compte pour le matériel courant comme notre wagon, une valeur de 0,01 daN/t. Comme le wagon SNCF tiré par les 194 locomotives Märklin a des roues neuves et est placé sur des rails neufs, on peut ne pas adopter cette valeur de 0,01 daN/t, mais prendre une valeur de 0,008 daN/t.

« CV² » représente la résistance de l’air : ici, elle sera nulle dans la mesure où la vitesse atteinte est très basse et de l’ordre de 2 km/h.

Ne traitons pas de la résistance due aux courbes, le cas ne se présentant pas ici sur un court tronçon de voie, ni de l’effort dû à la pesanteur (rampes) puisque, ici aussi, ce cas est nul et la voie est posée en étant parfaitement en palier, chose vérifiée au niveau à bulle. Nous n’aurons pas à appliquer R = Mgi  (M = masse en kg, i = rampe en mm/m).

Puissance de l’engin moteur.

Ne confondons pas, comme le fait le grand public, et comme nous l’a rappelé fermement André Cossié, les deux notions fondamentales d’effort et de puissance.

La puissance est le produit de l’effort par la vitesse, et sa formule est : P = FV. La relation permettant d’obtenir la puissance en kW est :

PkF =   F daN. x V km/h /360

Ainsi pour une BB 26000 SNCF (une vraie !), fournissant un effort total à la jante de 10000 daN à une vitesse de 200 km/h la puissance sera de :   10000 × 200 / 360   = 5555 kW.

Nos BB 26000 Märklin en « HO » vont rouler à une vitesse infime, proche de 2 km/h et vont fournir un effort accélérateur servant juste au « décollage» du wagon de 26 tonnes, ceci avec des roues neuves sur des rails neufs, avec une voie en alignement et parfaitement plane.

Avec une tension nominale de 16 volts et une intensité de 340 mA chacune de nos 194 locomotives Märklin pèse 526 g, et peut fournir un effort de traction au « décollage » de 200 cN. nos 194 locomotives peuvent donc être assimilées à un engin de traction réel pesant 102,044 kg, et capable de fournir un effort de 38800 cN, soit 38,8 daN, et reposant sur… 776 essieux.

Une locomotive réelle à 776 essieux, donc !

C’est ce dernier point qui est particulier, car, en regard de notre wagon-citerne qui accuse 6,5 tonnes par essieu, notre engin de traction, lui, n’accuse que 0,000131 tonne par essieu : attention aux patinages !

Eh bien, non…Notons que les locomotives Märklin n’ont reçu aucune modification, et qu’elles sont bien dotées des deux seuls essieux moteurs d’origine, sans aucun ajout de bandages supplémentaires ou autres artifices : prises au hasard dans la production, ces locomotives sont strictement de série et ont simplement leur inverseur de sens de marche bloqué et des attelages classiques Märklin sans boîtier NEM.

Tout le problème est donc bien dans ce que l’on appelle, en traction, la courbe Fmax qui donne la limite d’adhérence de notre engin de traction : cette courbe est très basse, située pratiquement en bas du graphique, sur l’axe des « y ». Il faut donc doser, avec infiniment de précautions, l’effort moteur Fmax, d’autant plus que la marge de manœuvre est très faible. Nous aurons donc une accélération qui sera de très loin inférieure aux quelques cm/s² des trains de marchandises SNCF démarrant en rampe (n’espérons même pas le 1 m/s² des rames automotrices de banlieue…)

Notre « train » pèse 26 tonnes de matériel remorqué plus les 102 kg d’engin de traction = 26,1 tonnes arrondis. Notons que ces rapports entre masses du matériel remorqué et masse de l’engin de traction ne sont pas incohérents. On voit des locotracteurs de 10 tonnes décoller, à très faible vitesse, des rames de wagons chargés formant un train de plus de 2000 tonnes parfois. Ici avec 0,1 tonne contre 26 tonnes, nous avons presque le même rapport.

Avec la formule R=A÷BV÷CV2, la résistance au roulement, à 1 km/h, sera de 21,14 daN (la résistance de l’air est négligeable). La résistance à 2 km/h, vitesse maximale en général d’une locomotive en « HO », sera de 21,40 daN, toujours sans la résistance de l’air… et sans courant d’air violent !… En réalité, la puissance de notre engin de traction est largement suffisante pour les très faibles vitesses demandées pour la démonstration. On pourrait montrer, en appliquant la formule, que la résistance au roulement resterait inférieure aux possibilités de traction jusqu’à des vitesses proches de 50 km/h, si l’on ne tient pas compte de la résistance de l’air (CV²) Mais il est certain que de telles vitesses ne peuvent être atteintes par nos locomotives Märklin et que les possibilités de vitesse de rotation des moteurs se situent bien en dessous, aux environs de 2 km/h.

En conclusion : un exploit très possible.

À bien y penser, il n’y a donc rien d’extraordinaire dans cet exploit, mais le fait d’avoir choisi un cas limite en matière de traction est très astucieux. L’exploit, à notre avis, est d’avoir songé à ce cas, ce qui montre une parfaite connaissance du problème ferroviaire, et d’en avoir fait un événement médiatique. Et Pierre Villemagne, de Märklin, a frappé très fort.

Si l’on maîtrise bien les problèmes d’adhérence, et si, pour cela, on dose bien la répartition du courant entre les 194 locomotives pour qu’aucune d’elles ne patine, le wagon décollera sans problème, roulant très lentement sur ses roues neuves et ses rails neufs.

Mais il est certain que sur des rails usés, avec des roues usées, avec donc une résistance passant de 0,8 à 1,9 daN/t (paramètre « B » sur la formule), déjà l’exploit serait impossible. Toute l’astuce de l’exploit est donc bien dans la lutte contre la résistance au roulement. Et le fait que quelques personnes (très impressionnées) montent sur le wagon et ajoutent plusieurs centaines de kilogrammes à la masse tractée n’augmente que d’une manière insignifiante l’effort à fournir par nos 194 locomotives Märklin. Il fallait y penser.

Ce que pense Pierre Villemagne de cet article paru sur ce site-web :

Merci, cher Clive, d’avoir publié ce très bel article qui me rappelle les glorieuses heures de Märklin France. Juste deux précisions :

– Les 48 voies parallèles étaient fixées sur un plateau d’un long wagon plateau pour que le câble de traction soit le plus horizontal possible.
– Les voies étaient alimentées par la sortie « lumière » des transformateurs, de façon à avoir la puissance maximale de chaque transformateur en permanence et simultanément. C’est l’alimentation en 220 V des transformateurs qui était réglable par un gros rhéostat permettant de piloter la puissance de ceux-ci.

Un tout dernier point : nous avons homologué ce record avec ce wagon, pesé pour 26 tonnes devant huissier aux ateliers de la société Simotra. En fait, il a été ensuite lesté à 30 tonnes avant d’être acheminé à Paris, car chaque don de 10 Francs correspondait à 1 kg de plus en poids tracté et nous avions estimé être certains de recevoir au moins 40 000 francs de dons vu le nombre fantastique de visiteurs que nous avons eu cette année-là au salon (plus de 200 000).

Toutes les télévisions et radios de France ont, à l’époque, relaté cet évènement.

Préparation soignée de la voie dans les locaux des salons de la Porte de Versailles. Document Märklin-France fourni par Pierre Villemagne.
Le wagon Simotra et ses 26 tonnes (pardon :30 tonnes) prêt à se rendre sur les lieux de l’exploit. Document Märklin-France fourni par Pierre-Villemagne.

2 réflexions sur « Un wagon SNCF de 26 tonnes remorqué par 194 locomotives Märklin en « H0 ». »

  1. Physique Physique, que tu es belle ??? aucune science exacte ne te dépasse, et la mécanique reste la belle au beau physique !!!

  2. Pierre Villemagne 29 avril 2022 — 12 h 50 min

    Merci cher Clive, d’avoir publié ce très bel article qui me rappelle les glorieuses heures de Märklin France. Juste deux précisions :
    – Les 48 voies parallèles étaient fixées sur un plateau d’un long wagon plateau pour que le câble de traction soit le plus horizontal possible.
    – Les voies étaient alimentées par la sortie lumière des tansfos, de façon à avoir la puissance maximale de chaque transfo en permanence et simultanément. C’est l’alimentation en 220 V des transfos qui était réglable par un gros rhéostat permettant de piloter la puissance de ceux-ci.

    Dernier point nous avons homologué ce record avec ce wagon, pesé pour 26 tonnes devant huissier aux ateliers de Simotra. En fait il a été ensuite lesté à 30 tonnes avant d’être acheminé à Paris car chaque don de 10 Francs correspondait à 1 kg de plus en poids tracté et nous avions estimé être certains de recevoir au moins 40000 F de dons vu le nombre fantastique de visiteurs que nous avons eu cette année là au salon (plus de 200 000).

    Toutes les télés et radio de France ont à l’époque relaté cet évènement.

Commentaires fermés

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