La France des régions : “trains à lettres”, autorails, avions, trains Corail. Qu’est-ce qui marche ?

La France des régions est fâchée avec le chemin de fer. Avec les tentatives et, hélas, les ajournements répétés et même récents de Rail-Coop pour faire revivre la relation Bordeaux-Lyon, on pourrait se demander comment, jadis, de telles relations ont pu exister et fonctionner durant des décennies. Il y a eu, des décennies durant, ces fameux “trains à lettres” qui reliaient des grandes villes régionales comme le Bordeaux-Lyon (BL-LB), le Strasbourg-Lyon (SL-LS), le Nantes-Vichy (NV-VN), etc. et certains de ces trains ont été assurés, à partir des années 1930, par des grands autorails Renault, puis récemment, par des trains Corail. Qu’est-ce qui a bien marché ? Les autoroutes.

Un bel exemple de création de relations transversales par autorails lourds : ici le “service” Bordeaux-Clermont-Ferrand à travers le Massif-central ouvert en juin 1937. On remarquera que le joli terme de “service” est remplacé aujourd’hui par celui de “ligne” qui désigne normalement une voie ferrée : on construit une ligne de chemin de fer, puis on crée des services… mais la confusion actuelle et la destruction de la langue française poursuivent inexorablement leur … ligne.

Un malentendu ou un mystère historique.

Les “trains à lettres” ? Le grand chemin de fer des régions a commencé avec eux. Il ne s’agit nullement de trains transportant des lettres ou toute autre forme de courrier… mais d’une catégorie de trains qui a existé pendant plusieurs décennies sur le réseau de la SNCF, roulant d’une région à une autre en osant ignorer Paris. Lors de sa création, notre réseau national a la particularité de rayonner à partir de Paris et d’imposer un trajet par Paris à une grande partie des déplacements de voyageurs ou de marchandises se faisant entre deux gares situées dans ce qu’il est convenu d’appeler la province.

Contrairement à une opinion assez répandue, la France est loin d’être le seul pays souffrant (ou bénéficiant, selon les points de vue) de cette disposition en « étoile » de son réseau ferré national, et d’autres grands pays dans le monde, tout aussi centralisateurs que l’était la France du XIXe siècle, en ont fait autant : le Royaume-Uni avec Londres, la Russie des Tsars avec Moscou, l’Argentine avec Buenos-Aires, l’Autriche avec Vienne en sont des exemples, alors que d’autres pays ont choisi des réseaux multipolaires comportant plusieurs grandes villes, bientôt appelées « hubs », comme c’est le cas aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie, en Espagne, etc… On peut lire beaucoup de choses dans la forme des réseaux ferrés nationaux, et des dirigeants de la SNCF comme Bernard de Fontgalland ont fait des études approfondies à l’Union Internationale des Chemins de fer dans cette direction en s’intéressant, avec clairvoyance, au fonctionnement du chemin de fer dans le monde dans son livre “Le système ferroviaire dans le monde” (Editions Celse, 1980).

C’est le haut fonctionnaire Alexis Legrand qui joue, sous la Monarchie de Juillet, un rôle essentiel dans la mise en marche définitive du système ferroviaire français. Il devient, en 1837, sous-secrétaire d’état aux Travaux publics et persuadé de l’importance des chemins de fer dans la création d’un état centralisé et fort, il trace un programme cohérent de construction d’un réseau national de grandes voies ferrées rayonnant à partir de Paris en direction des grands ports et des frontières qui sera dorénavant appelé « étoile de Legrand » et qui sera réalisé, avec le souci de réunir directement chaque préfecture à la capitale, et l’ensemble des sous-préfectures aux préfectures si elles ne sont pas sur les grandes radiales.

Les pouvoirs publics prennent le réseau en mains avec la loi du 11 juin 1842 qui définit le partage des tâches, le rôle de l’Etat qui construira les infrastructures et les ouvrages d’art, laissant aux compagnies les bâtiments, la pose des voies, la fourniture du matériel roulant. Un réseau d’environ 2.500 km est prévu avec des grandes lignes nationales tracées au départ de Paris et il est construit en une vingtaine d’années seulement. Notons que si, pour d’évidentes raisons topographiques, le système des canaux et des voies navigables qui a précédé celui des chemins de fer n’a pas été conçu et construit en « étoile », celui des routes non plus au temps des rois de France, mais il le sera au XIXe siècle quand le système des routes nationales sera mis en place et développé pour favoriser l’automobile. Les autoroutes, dans leur première grande phase de développement, après la Seconde Guerre mondiale, suivront aussi ce principe.

Pair ou impair ?

Tout part de Paris, ou y arrive. Pour les voies et pour les trains, c’est prévu dès la création des chemins de fer en France, que Paris soit le centre de la France donc du monde, par les très abondants textes de l’ordonnance du 15 novembre 1846. Les lignes sont établies, comme les routes royales, avec des points kilométriques (PK). Lorsque qu’un train circule sur une voie, y compris sur une ligne en voie unique, s’il circule dans le sens croissant des PK, il est considéré comme circulant dans le sens impair. C’est le cas pour les trains s’éloignant de Paris, puisque le « point kilométrique zéro » (PK 0) des lignes radiales est à Paris. Les trains circulant dans l’autre sens sur ces lignes radiales, donc se dirigeant vers Paris, sont considérés comme circulant dans le sens pair. Sur les lignes à double voie, abondantes dès les débuts du chemin de fer, évidemment les trains, les sens de circulation, et les voies sont trois notions placées d’une manière liée sous le signe du pair ou de l’impair : un train pair ne peut que circuler dans le sens pair et sur une voie paire.

Indépendamment de cette question des trains pairs ou non, notons que, pour ce qui est des lignes à double voie, le décret de 1846 recommande la marche à gauche. Dès 1846 aussi, la voie 1 (ou impaire) est donc logiquement celle qui, à gauche au départ de Paris, est parcourue dans le sens croissant des PK, donc en sens impair, et la voie 2 (dite paire) est parcourue en sens décroissant des PK, donc en sens pair. Nous avons trouvé, sur un horaire du PO datant de 1845, les indications « Trains montant ou partant de Paris » au lieu de trains impairs, et « Trains descendants ou allant à Paris » au lieu de trains pairs, ce qui semble montrer qu’avant l’ordonnance de 1846, il y avait déjà un usage courant pour distinguer le sens de marche des trains et déjà en considérant Paris comme étant le point de référence des mouvements des trains sur les réseaux. Notons que, bien entendu, il est possible, dans l’exploitation réelle et pour diverses raisons, que chacune des voies puisse être parcourue en sens impair ou pair, donc en sens normal ou en contre sens.

Même s’ils ne circulent pas au départ de Paris ou n’y finissent pas leur trajet, donc s’ils parcourent une ligne transversale, les trains seront considérés comme pairs si, au départ, ils utilisent une voie paire qui elle les mènerait jusqu’à Paris, mais qu’ils quittent, en cours de route, pour prendre une autre ligne et ainsi effectuer un parcours ne concernant nullement Paris. C’est le cas d’un grand nombre de trains, et le réseau national, dès ses débuts, semble avoir pu parfaitement gérer cette situation. Par exemple, la très ancienne ligne de St-Etienne à Lyon est transversale par excellence et persiste dans cette manière de vivre depuis 1833, et elle est parcourue par des trains à double parité, comme le train 886 257/6 Firminy 06h38 -St-Etienne Châteaucreux 07h04 – Lyon Perrache 07h50. C’était donc simple : il suffisait de terminer le numéro du train par un chiffre impair puis un chiffre pair séparés par une barre oblique dite “barre de fraction” (devenue le très anglais « slash » actuel). Nous n’avons pu retrouver la date d’introduction de ce système de numérotation à double parité, mais il ne semble pas apparaitre sur les horaires d’avant la Seconde Guerre mondiale.  

Et les « trains à lettres » ?

On est conduit à se demander pour quelle raison est apparu le système des « trains à lettres » ? Il est possible que ce soit dans un but pur de « communication » publicitaire quand, au lendemain de la Première Guerre mondiale et pendant les années 1930, les grandes compagnies nationales conjuguent leurs efforts et se réunissent dans un groupe dit « Grands Réseaux » pour lutter contre la concurrence automobile, relancer le tourisme et les trains de luxe, reconquérir une clientèle qui est en train de se détourner vers l’avion. Détournés du monde un peu anonyme des trains à chiffres, mis en évidence et avec une certaine élégance par une appellation avec des lettres, ces trains se veulent différents des autres et parés d’une certaine aura, à la manière des « trains à noms » de la CIWL ou de certaines compagnies de l’époque. En effet, la consultation de revues d’époque, surtout touristiques, montre que les premiers « trains à lettres » apparaissent sur les brochures et les horaires grand public au début des années 1930/ Les plus anciens sont le Bordeaux-Genève BG/GB, Bordeaux-Vichy BV /VB, Dieppe-Nantes (Irun) ND/ND, ou le Vichy-Littoral VL/LV (Vichy-Marseille, réellement) qui circulent déjà en 1932 sous cette appellation. La SNCF ne manquera pas, elle aussi, de donner une plus forte lisibilité avec des trains à noms comme le « Capitole » ou l’ « Etendard » et autres « Cévenol » ou « Goéland ».

En consultant divers documents, on peut dresser un tableau qui compte 86 « trains à lettres » comportant l’année dans laquelle leur existence a été constatée. Lourds, lents, comportant plus de 10 ou même 15 voitures OCEM ou DEV, parfois une voiture-buffet, en traction autonome vapeur ou diesel puisque ne prenant pas les grandes radiales électrifiées, ces trains perdent beaucoup de temps dans les gares assurant des correspondances parfois un peu incertaines et sur des lignes au profil et au tracé peu favorables. Sans aucun doute, ces « trains à lettres » ont des horaires difficiles, des trajets interminables de l’aube jusqu’à minuit, et ils sont rapidement victimes de la concurrence aérienne (les « Caravelles » d’Air-Inter) dans les années 1960-1970, et des autoroutes massivement ouvertes dès les années 1970-1980, et surtout, ne l’oublions pas, du TGV qui crée, autour de lui et à partir des années 1980, une véritable renaissance du chemin de fer en France.

Les lignes empruntées par les “trains à Lettres” en 1955: ce sont de grandes lignes régionales qui évitent Paris et dont, pour de nombreuses raisons, le service offert ne sera jamais vraiment satisfaisant.
Le magazine « Rail-Route » donne une dernière liste de ces trains dans son numéro de juin 1950 :

BG/GB : Bordeaux-Genève

BR/RB : Bordeaux-Riviera

BM/MB: Bordeaux-Milan

LS/SL : Lyon-Strasbourg

FY/YM : Flandres-Metz (la lettre Y est affectée aux relations ayant leur origine ou leur terminus à Metz).

OC/CO : Oberland-Calais (dédoublement du BC Bâle-Calais).

EV/VE : Est-Vichy.

YT/TY : Metz-Tours.

YM/MY : Metz-Méditerranée.

AV/VA : Atlantique-Vichy.

NV/VN : Nantes-Vichy.

BS/SB : Bordeaux-Strasbourg (appellation d’un train Circulant en 1939 et non rétabli sur ce parcours).

PS/SP : Pyrénées-Savoie.

AR/RA : Atlantique-Riviera.

VL/LV : Vichy-Littoral (méditerranéen)


Voici une étude menée par Robert Nobécourt dans ses carnets manuscrits (publiés par Loco-Revue actuellement) concernant certains de ces grands trains “transversaux” dont on a oublié jusqu’au nom, comme le “Manche-Océan” ou le “Côte d’Emeraude-Pyrénées”, ou le “Dieppe-Nantes” fait en autorail Bugatti.
Un exemple de “train à lettres” en 1950, paru dans la revue “La Route du Rail” : le GO/OG ou Genève-Océan. Les horaires, surtout lors des arrivées au milieu de la nuit après une dizaine d’heures de voyage, demandent un héroïsme wagnérien digne de Siegfried partant tuer un dragon. On notera que les trajets aller et retour ne sont pas symétriques.
En 1921, ce que l’on commence à appeler “Les Grands Réseaux” étudie un projet de “lignes à grande puissance” (la grande vitesse n’est pas encore envisagée) permettant des transports lourds entre les régions françaises. Une ligne Lyon-Bordeaux “à grande puissance” est envisagée. Elle le restera éternellement, tout comme une aussi énigmatique Lyon-Brest. Document RGCF.

La fin des trains classiques régionaux.

C’est alors qu’apparaît, telle la statue du Commandeur, l’imposante ombre des autorails Renault ABJ à ABV en passant par les ADX qui, à partir des années 1930, ont crée puis assuré ces longues relations régionales et souvent transversales pour lesquelles le réseau français n’était pas prévu à sa création. Ces très importantes séries ont été, pour le grand public, dominées par les 239 autorails ABJ devenu en son temps, sans nul doute, l’autorail français par excellence, le grand classique des années 1930 à 1950, et le chef d’œuvre de Renault dans ce domaine. Placé sous le signe des performances, il marque une nouvelle orientation de la politique des autorails: assurer les relations rapides sur des longues distances.

Nous sommes en 1935. Louis Renault, face aux compagnies de chemin de fer réticentes, a gagné son pari: leur faire adopter l’autorail. Il a mis au point un engin de capacité moyenne pour services omnibus ou express sur lignes principales ou secondaires, le VH, qui connaît un réel succès à partir de 1933. Mais les dirigeants des réseaux de chemin de fer voient dans l’autorail un engin léger de complément pour petites lignes locales, alors que le grand constructeur d’automobiles prépare déjà un nouveau type d’autorail capable de faire mieux encore: l’ABJ. Louis Renault, aussi, veut faire tourner ses usines et ses chaînes de production. Il est prêt à tous les sacrifices, quitte à casser les prix, pour ne pas mettre ses ouvriers au chômage (quelle belle époque…) et pour préserver son entreprise. Il rêve encore de vendre des autorails par milliers, et de faire comme avec les autobus parisiens dont le prix décroissait avec le nombre produit : il voudrait remplir le réseau ferré français d’autorails qui envahiraient toutes les lignes et feraient du chemin de fer un grand transporteur public et bon marché. En face de la saturation des routes, l’inaction des voies ferrées, pendant de longues heures après le passage d’un train, le désole et il pense que c’est un gaspillage immense.

C’est donc sur le nouvel autorail ABJ, qui réunit toutes les qualités, y compris esthétiques, qu’il compte pour réussir ce pari incroyable : réveiller la princesse endormie qu’est le chemin de fer français. L’ABJ réveillera-t-il la Belle au bois dormant ? Oui.

L’ABJ vaut bien un train (ou presque).

A la fin de l’année 1934 le projet d’un grand autorail Renault, qui va se concrétiser sous la forme du magnifique ABJ, est terminé: la fabrication peut commencer dans l’usine de Billancourt. Le premier modèle sorti est présenté en février 1935 à la Gare de Lyon à Paris. Les réseaux de l’Est et du PLM seront honorés des premières livraisons des engins de série peu après.

Ce prototype comporte quelques différences par rapport aux modèles de série : peint dans une couleur sombre uniforme (sans doute rouge), le modèle comporte sur chaque face latérale le marquage « Renault » en grandes lettres, avant d’être peint, bien sûr, aux couleurs du réseau de l’Est. Les baies latérales d’extrémité des cabines de conduite sont en parallélogramme incliné, sans les montants verticaux des baies en trapèze de la série. Ce prototype sera vendu au réseau de l’Est, puis circulera sur le réseau de la SNCF (régions sud-ouest puis sud-est) sous le numéro X-3101.Le premier modèle de série est livré au PLM, et deviendra plus tard le X-3001 de la SNCF, ce qui fera croire que c’est lui le prototype, mais il est bien le premier ABJ de série.

Les premiers ABJ sortent de Billancourt et reçoivent le même moteur que les derniers VH, car il faut aller vite,  tandis que les autorails suivants reçoivent le moteur type 513 à 12 cylindres en V capable de fournir 265 ch à un régime de 1 500 tr/mn. A partir de 1937, c’est le fameux moteur type 517 fournissant 300 ch qui restera le moteur standard des autorails jusqu’à la fin de la production.

Réception d’un ABJ en 1937 : les “chapeaux mous” (surnom donné aux ingénieurs) sont de sortie, y compris avec Madame pour les très haut placés.

Les caractéristiques techniques des ABJ vues par le détail.

La boîte de vitesses est mécanique, du type employé couramment sur les véhicules routiers, avec des engrenages toujours en prise et un synchronisation. Elle comporte quatre vitesses et un inverseur de marche.

L’embrayage est à disques multiples fonctionnant à sec, dans la tradition Renault qui refuse la complexité et le poids des transmissions hydrauliques ou électriques. Tous ces dispositifs sont donc tout à fait classiques, mais leur commande comporte une grande innovation : alors que, jusqu’ici, sur les autorails Renault, les commandes de l’embrayage, de la boîte de vitesses et de l’inverseur sont entièrement mécaniques, réalisées par tringles et leviers, dans les autorails ABJ, au contraire, ces commandes sont électropneumatiques. Elles éliminent ainsi tout effort physique de conduite et rendent le démarrage; le changement de vitesses ou le changement de marche aussi faciles qu’avec une transmission électrique.

Mais ce n’est pas seulement dans la facilité de conduite que réside le principal avantage de la commande par électrovalve : ce dispositif permet d’accoupler entre eux deux autorails et de centraliser leurs commandes entre 1es mains d’un seul conducteur, ce qui simplifie considérablement le mouvement des trains, car si un second autorail est nécessaire, le deuxième n’a plus à circuler à distance du premier comme train bis.

Avec les commandes électropneumatiques, la pédale de débrayage est supprimée et le grand levier du changement de vitesses est remplacé par un petit levier placé sur le pupitre du poste de commande. Le déplacement de ce levier dans sa, grille commande, sans effort, à la fois l’embrayage et la boîte de vitesses de l’autorail  – ou des deux autorails dans le cas de marche en unités doubles.

Aux commandes de l’ABJ.

Le massif « piano » du pupitre de commande trône, de tout son poids, au milieu de la vaste cabine de conduite, avec le puissant moteur qui gronde, vibre, réchauffe l’atmosphère et fait entendre à pleine voix ses innombrables décibels… (nous revoilà chez Wagner).

Au premier plan sur le pupitre illustré ci-dessous, on a, de gauche à droite, le robinet du frein à air, le levier de l’accélérateur qui, par l’intermédiaire d’une transmission pneumatique, agit sur le réglage des pompes d’injection du moteur diesel,  le levier de changement de vitesses avec sa grille à positions correspondant aux quatre vitesses, le levier de changement de marche qui permet, en outre, dans le cas de marche en unités doubles, d’utiliser, à volonté les moteurs des deux autorails ou d’isoler l’un d’eux, et cela quel que soit le sens de marche, et, enfin, la manette d’isolement du pupitre. Cette manette n’existe qu’à un seul exemplaire par voiture. Amovible, elle se place sur le pupitre utilisé par le conducteur, et l’autre pupitre est alors isolé et à l’abri de toute fausse manœuvre. Pour la marche en unités doubles, les deux autorails peuvent être accouplés à l’aide d’un attelage central automatique Willison de dimensions réduites. En outre, divers boyaux d’accouplement d’air et des câbles de couplage électrique assurent la liaison entre les deux véhicules au point de vue freinage et commandes électropneumatiques.

Le freinage est assuré par quatre systèmes : soit par frein à air direct agissant sur un sabot par roue et commandé à volonté par un robinet ou une pédale, soit par frein à air automatique mis en action par une rupture d’attelage (en cas de marche en unités doubles) ou par le signal d’alarme, soit par frein électromagnétique sur rails commandé à volonté par bouton-poussoir ou par le robinet du frein à air lorsqu’il se trouve poussé à fond sur la position « serrage d’urgence », soit, enfin, par frein à main agissant de chaque poste de conduite sur les sabots du bogie correspondant.

Aux commandes de l’ABJ : le “piano” fait du conducteur un concertiste digne d’un prix de Rome, surtout pour le volume du bruit dégagé. L’ensemble tout métal flaire la qualité et la solidité.

Un confort accru… sauf pour le conducteur !

Plus longue de six mètres par rapport à celle du VH, la caisse de l’ABJ et formée de deux poutres en acier soudées entre elles et d’un revêtement en tôles d’aluminium -cette dernière technique procurant un gain de poids appréciable faisant que l’ABJ pèse moins que le VH tout en offrant une capacité supérieure. Les dispositions des sièges peuvent varier selon les demandes des compagnies: quatre ou cinq sièges de front, banquettes dos à dos ou sièges séparés, etc. Il est ainsi possible de loger entre 48 et 70 voyageurs selon les politiques commerciales des compagnies. Un compartiment postal et un compartiment à bagages complètent l’équipement de l’ABJ et lui donnent, en quelque sorte, les mêmes fonctions qu’un train complet. Le conducteur de l’ABJ, s’il a le manque de chance d’assurer son service dans le poste de conduite situé près du moteur, est littéralement assourdi par le moteur qui, en fait, occupe avec lui ce poste ! Les syndicats lutteront pour obtenir le retournement des autorails à chaque fin de trajet pour permettre aux conducteurs d’occuper le poste le plus éloigné du moteur et de ne pas finir sourds avant leur retraite.

ABJ-1, ABJ-2, ABJ-3 et ABJ-4 : les différences à l’intérieur d’une dynastie.

Les ABJ-1 à 3 sont tous produits avant la Seconde Guerre mondiale. Leur différence principale consiste dans la disposition du système de refroidissement à eau du moteur. A l’origine, on trouve, à chaque extrémité de caisse, deux radiateurs frontaux disposés sous les baies frontales de la cabine de conduite. La ventilation est assurée par l’air de l’extérieur pénétrant, par l’effet de la vitesse, dans la grille des radiateurs. Des canalisations placées sous la caisse apportent l’air des depuis l’avant, dans le sens de la marche, jusqu’aux radiateurs situés à l’arrière. Mais à l’arrêt, ou encore durant les beaux étés des années 1930, ça chauffe ! On craint même la surchauffe pour les radiateurs de l’autorail en deuxième position derrière le premier, lors de la circulation en couplage. On intercale alors des radiateurs intermédiaires sur les canalisations longitudinales : c’est l’ABJ-2. Extérieurement, l’aspect ne change pas, et cette distinction entre ABJ-1 et ABJ-2 n’est pas encore officielle, ni pour Renault, ni pour les réseaux. Elle ne sera faite qu’après la Seconde Guerre mondiale par la SNCF.

Mais ces mesures ne suffisent pas et les ingénieurs de Renault doivent se remettre sur la planche à dessin. Ils proposent alors deux solutions : le système du VH avec des radiateurs frontaux sur le toit, au-dessus des baies frontales de la cabine de conduite, l’autre étant une ventilation forcée de radiateurs placés, eux aussi, en toiture.  La première solution, avec un système proche de celui du VH comportant un radiateur  de toiture à ventilation naturelle, caractérise l’ABJ-3, dont une des extrémités est surmontée d’un très gros radiateur qui vaut ne surnom de « Bigouden » à cette catégorie d’autorails par analogie avec la célèbre coiffe bretonne pointant vers le ciel ! La deuxième solution, caractérise l’ABJ-4, et est appliquée aux autorails ABJ produits après la Seconde Guerre mondiale.

Un “Bigouden” (ABJ-3) avec sa ventilation forcée. Noter le tamponnement central utilisé par certaines anciennes compagnies. La SNCF généralisera la traverse de tamponnement classique.

Une carrière exceptionnelle.

Présents sur l’ensemble des réseaux français d’avant la SNCF et sur celui de la SNCF jusque durant les années 1970, mais aussi exporté en Espagne, en Grèce, ou sur les réseau français d’Outre-mer, l’ABJ a fait une carrière remarquable avec des parcours records de plus de 500 km/jour pour certains exemplaires. Voici un résumé de leur carrière sur les anciens réseaux depuis leur sortie d’usine.

Le réseau d’Alsace-Lorraine affecte ses quatre autorails ABJ au centre de Metz-Sablon pour le service des lignes de Thionville, Luxembourg et Strasbourg.

Le réseau de l’Est répartit ses autorails entre les centres de Nancy et de Noisy-le-Sec. Nancy est le point crucial du réseau où la firme Renault met en place une assistance technique, une formation du personnel de conduite et d’entretien, et assure des réparations. Le parc de l’Est comprend 14 autorails dont quatre sont de type dit « luxe » des liaisons de Nancy à Belfort, et à Vitry-le-François, Mirecourt, Epinal, Mulhouse, Metz, mais aussi des liaisons de Mulhouse à Belfort et d’Épinal à Charmes. Ces autorails assurent un parcours quotidien qui est d’environ de 4000 km. Un ABJ faisait, sur une seule journée, le parcours de Nancy à Mulhouse, puis à Belfort, et un retour de Mulhouse à Nancy, soit 574 km, sur une ligne à profil difficile avec des rampes à 13 pour mille, d’après l’auteur Yves Broncard dans son ouvrage magistral “Autorails de France” (LVDR) en cinq tomes.

A Noisy-le-Sec, un parc de sept ABJ assurent des trains omnibus ou de banlieue, notamment entre Bondy et Gargan mais aussi font le service rapide de Paris à Langres avec des arrêts à Troyes et Chaumont, sur 297 km parcourus en 3 h 7 mn par  deux ABJ en couplage. On retrouvera ultérieurement des ABJ sur la ligne d’Epernay à Sézanne, et aussi d’Epernay à Paris par Coulommiers, et aussi d’Epernay à Reims.

Sur le réseau du Nord, les dix autorails du centre d’Amiens assurent des relations vers Compiègne, ou vers Hirson par Laon, ou encore vers Le Tréport, ou Calais, ou Rouen. En 1937 le Nord ouvre un centre d’autorails ABJ au dépôt de La Chapelle en vue d’un service de banlieue omnibus en direction d’Argenteuil par Ermont Eaubonne et Sannois, et aussi des services sur la Grande Ceinture entre Argenteuil et Juvisy, ou entre Montsoult-Maffliers et Luzarches.

Le réseau de I’Etat affecte ses 21 autorails à ses centres de Caen et de Rouen pour des services omnibus sur les lignes du Havre et de Cherbourg.

Le Réseau du PO-Midi affecte ses douze autorails à  Tours pour des services vers Châteaudun, Angers, Loches et à Bourges, et aussi au centre d’autorails de Bordeaux pour un remarquable service sur longue distance entre Bordeaux et Clermont-Ferrand par Brive et Ussel. Les autorails accomplissent dans la même journée le trajet Bordeaux de Clermont-Ferrand et retour, soit 804 km, dont une grande partie sur des lignes à profil difficile. Le centre de Bordeaux dispose aussi de sept autorails ABJ pour les relations vers Poitiers, Limoges, Aurillac et Bergerac.

La Compagnie du PLM concentre toute la série de ses 19 autorails ABJ-1 dans son grand centre d’autorails de Lyon-Vaise pour d’importants services vers Morez, Chambéry, Grenoble et vers Clermont-Ferrand par Thiers ou par Roanne.

En 1938, les anciens réseaux cèdent à la  toute nouvelle SNCF un parc de 85 autorails des types ABJ-1 et ABJ-2  et  de 13 autorails du type ABJ-3, soit un total de 98 autorails dont 4 viennent du réseau de l’Alsace-Lorraine, 21 de l’Est, 21 du Nord, 21 de l’Etat, 12 du P.O.-Midi et 19 du PLM. En 1940, la SNCF reçoit un contingent de 16 autorails du type ABJ-3 qu’elle engage sur la Région Ouest. Ceci porte la consistance du parc des ABJ SNCF à 114 autorails représentant 14,4 % de l’effectif total officiel SNCF qui est de 791 autorails.

Un ABJ sur le Nord dans les années 1950, et vraisemblablement pour un service omnibus. La lourde “Mob” voyage dans le compartiment fourgon et demande de bons biceps pour les agents.

Les ABV : des ABJ qui voient double.

En 1935 un immense autorail fait sensation à Bruxelles, présenté dans le cadre d’une exposition de matériel ferroviaire dans le Grand Palais d’Osseghem. Eclipsant par sa longueur et sa prestance un Bugatti « Présidentiel », c’est un autorail double articulé qui se présente comme formé de deux caisses d’ABJ, chacune démunie d’une cabine de conduite, et réunies, par ces deux extrémités sans cabine, sur trois bogies. Les deux extrémités libres conservent leur cabine de conduite et surtout leur motorisation. La puissance totale est donc de 530 à 600 ch. selon les moteurs. Cet autorail est ensuite produit à 17 exemplaires, avec 3 pour l’Est, 5 pour l’Etat (dont 3 pour le réseau algérien géré par l’Etat), 3 pour le PO-Midi, 5 pour le PLM, et un dernier exemplaire livré directement à la SNCF.

Ces beaux autorails sont engagés par l’ensemble des réseaux sur des services nobles dont, enfin, avec les Bugatti, l’autorail a fait la conquête et montré ses aptitudes au confort et à la vitesse : ils circulent sur des relations rapides de Paris à Lyon ou à Strasbourg, sur de grandes transversales difficiles comme de Bordeaux à Lyon ou de Lyon à Strasbourg, ou encore de Clermont-Ferrand à Lyon, offrant des places dans les trois classes avec des salles séparées. Certains autorails reçoivent une cuisine pour le service des repas à la place. Ils rouleront jusqu’en 1971, assurant un service exceptionnel et difficile.

Le voyage d’inauguration d’un ABV décrit dans la revue d’époque “Traction nouvelle”. Messieurs les ingénieurs se laissent même aller jusqu’à faire un peu d’alpinisme, mais en costume trois pièces et chapeau.

Le langage Renault en deux ou trois lettres.

Comme nous l’avons déjà indiqué dans notre article consacre à Louis Renault (“l’homme qui aimait les trains”) les dénominations ABV, ACB, ABJ, ADP, ADX, AEK, ABH, qui se rapportent toutes à des autorails Renault correspondent uniquement à l’ordre dans lequel ces véhicules ont été étudiés aux Usines Renault et se confondent avec les séries de voitures et de camions, que les amateurs d’automobiles anciennes reconnaîtront. La première voiture automobile s’appelle type A, puis la 26e est une AA. Les Usines Renault en sont ainsi arrivées aux indices AAA, ABV dans lesquels s’insèrent les autorails.

Rappelons brièvement les indices types d’autorails Renault :

ABV : Autorails doubles (deux caisses sur trois bogies) deux moteurs 300 ch. (séries X 100),

ZO., et ACB. Autorails à deux essieux, un moteur Diesel, 110 ch.. Les autorails ACB sont les mêmes que les ZO, mais de construction plus récente : 1934 pour les premiers, 1936 pour les secondes (série X 10.000 et X 11000).

VH : Autorails à bogies à un moteur Diesel 300 ch. (série 2000)

ABJ : Autorails à bogies à un moteur Diesel 300 ch. (série 3000)

ADP : Autorails à bogies à un moteur Diesel 500 ch. (série 4000 et 4100).Les moteurs 500 ch. de ces autorails sont progressivement remplacés par des moteurs de 300 ch..

ADX : Autorails à bogies à deux moteurs Diesel 300 ch. (série 5100 et 5200);

AEK : Autorails à bogies à deux moteurs Diesel 150 ch. (série 7000). Ces autorails n’ont qu’un poste de conduite situé dans un kiosque au milieu de la caisse;

ABH: Version VH ou ABJ pour voie métrique.

Caractéristiques techniques des ABJ.

Type: autorail B2.

Date de construction : 1935.

Puissance: 300 ch.

Moteur: Diesel 12 cylindres en V.

Transmission: mécanique.

Places assises : 68 à 90.

Masse: 31 t.

Longueur: 25,18 m.

Longueur avec attelages Willison : 26,26 m.

Vitesse: 100 km/h.

L’arrivée de l’empereur ADX2

En 1936, Louis Renault propose aux réseaux des essais comparatifs entre deux prototypes de grande puissance : l’ADP-1 à moteur unique type 504 de 500 ch., et l’ADX-1 à deux moteurs type 513 de 265 ch. donnant 530 ch en totalité. L’ADX2 l’emportera, surtout par la présence de deux moteurs permettant de surmonter une panne et de toujours rentrer au dépôt. Le moteur type 504 de 500 ch se montra, en outre, assez défaillant et sa mise au point s’annonçait longue et difficile.

Les compagnies de l’époque ayant de nombreuses lignes de montagne à profil difficile, comme le PO avec le Massif-Central, ou le PLM avec les Alpes et le Jura, ont un important et urgent besoin d’autorails de forte puissance et capables, les jours de pointe, de prendre plusieurs remorques.

Louis Renault se passionne pour son nouveau moteur type 504 d’une puissance jamais atteinte et qu’il compte bien vendre aux dirigeants des compagnies, mais ses adjoints, les très sages et fidèles ingénieurs Georges Baldenweck et Rolf Metzmaier écoutent plutôt les avis des conducteurs et chefs de dépôt qui préfèrent l’autorail à deux moteurs classiques et bien éprouvés, ces autorails étant plus sûr en cas de panne. Les autorails à deux moteurs sont, à puissance totale égale à un monomoteur, plus chers au kilomètre certes, mais les déboires occasionnés par un moteur nouveau et long à mettre au point plaideront bien en faveur du bimoteur.

La compagnie du PO-Midi commande ainsi 10 ADP et 13 ADX pour poursuivre encore les comparaisons, l’Etat commande 5 ADP, mais le PLM, qui a une bonne expérience des autorails bimoteurs Decauville ou De Dietrich, passe directement une commande pour 8 autorails ADX. Louis Renault est bien obligé, pour continuer à fournir des autorails à la toute jeune SNCF, de rester fidèle à l’autorail bimoteur et d’abandonner son cher moteur 504.

Durant la fin des années 1930, Louis Renault gère son empire industriel en grand « patron » innovant et énergique et, en ce qui concerne les autorails, il se lance dans la construction de nombreux prototypes de dimensions et de puissances imposantes. A partir de 1934, le Bureau d’études de Billancourt ne chôme pas avec la conception de cinq prototypes « géants » conçus pour les services rapides et à grande capacité.

L’autorail triple ABL est demandé par le Réseau de l’Etat qui essaie déjà le fameux Bugatti triple et le type 33 Michelin et sollicite Renault pour la réalisation de que l’on appelle, à l’époque, des « trains automoteurs » destinés à la relation rapide Paris-Le Havre. Le deuxième prototype est l’ADP, à caisse unique, capable de remorquer des voitures légères, ou de circuler sur des lignes de montagne à profil difficile sans perte de vitesse notoire. Ces deux prototypes sont équipés du nouveau moteur 16 cylindres de 500 ch. du type 504 dont Renault attend beaucoup;

Mais il y a aussi trois autres prototypes à caisse unique : d’abord l’autorail ADX, répondant aux mêmes besoins que l’ADP, mais avec deux moteurs de type 513 déjà montés sur I’ABJ, représentant, pour les exploitants, moins de risques techniques. Ensuite on a le très curieux AEK à poste de conduite central et kiosque, plus léger que I’ABJ, mais de même puissance avec deux moteurs 6 cylindres de 150 ch, destiné à des services omnibus ou de banlieue. Enfin, on trouve l’AET, avec son moteur de 500 ch comme l’ADP, d’une longueur incroyable de 32,73 m qui lui fait battre le record de capacité pour un autorail à caisse unique. Tous ces prototypes sont construits et essayés entre 1935 et 1937 et, même, l’ADP battra des records en effectuant un Paris-Strasbourg en 3h34mn, accumulant, avec le retour, une distance de 1104 km parcourue à plus de 140 km/h en moyenne..

L’ADX-2 : sa puissance en fera une vraie “locomotive” pouvant emmener pas moins de trois remorques, ce qui le détournera sa fonction d’autorail rapide. La SNCF se lancera dans une politique de “trains d’autorails” sur ses services omnibus, peu appréciée par les usagers qui commencent à préférer le confort de la 4cv familiale, quitte à continuer à rouler en … Renault.

Les raisons du choix de l’ADX.

Le prototype ADX fait partie, avec l’ADP et l’AEK, de ceux qui sont suivis d’une descendance, ce qui leur vaudra, a posteriori, de porter le chiffre 1 à la suite des trois lettres. Ainsi les autorails de série seront, pour l’ADX, le type ADX2.

L’ADX-1 prototype est essayé par le réseau de l’Est dans le cadre du roulement des ABJ entre Nancy et Langres par Vittel et Merrey, et en remorquant une voiture à bogies de première et troisième classe du célèbre type Ty pesant quand même 34,5 t à vide et offrant 52 places assises. A part quelques problèmes de refroidissement des moteurs et de tenue de voie, tout se passe assez bien pour que l’on envisage une production en série en 1937. En effet, le PO-Midi a commandé treize autorails pour les lignes rayonnant autour de Limoges, et, de son côté, le PLM a pris une option pour quatre autorails. Le premier ADX-2 est livré en 1938 à la SNCF, et essayé sur les lignes de Dreux à Vire et à St-Hilaire-du-Harcouet. IL est ensuite essayé sur la dure ligne de Grenoble à Veynes. D’après Yves Broncard, il porte le numéro ZZ PEty 23841 qui est, en principe, un numéro du PO-Midi…

Avant la Seconde Guerre mondiale, les 21 autorails ADX 2 commandés sont livrés à la SNCF qui les numérote ZZ R 5101 à 5113 pour ce qui est des autorails ex-PO-Midi, et ZZ R 5201 à 5208 pour les ex-PLM. Tous les ADX-2, et le prototype ADX1, sont regroupés sur la région Sud-Ouest de la SNCF malgré les origines des commandes des anciennes compagnies qui auraient pu laisser penser que les régions Sud-Est et Est en auraient eu aussi. Le principe de regroupement du matériel et de standardisation qui est un des « fondamentaux » (comme on dirait aujourd’hui) de la SNCF fait que les ADX-2 feront donc carrière sur les lignes du Massif-central.

Le crépuscule d’un dieu.

La carrière des ADX-2 est remarquable. Les treize X-5100 de la SNCF sont affectés au centre d’autorails de Tours, et, de leur côté, les huit 5200 sont répartis entre Narbonne pour six engins et Bordeaux-Bastide pour les deux autres. En 1940, six des treize autorails de Tours sont repliés à Bordeaux-Bastide et sept le sont à Carmaux. Les autorails ADX-2 de Carmaux  assurent des relations au départ de Toulouse vers Auch, Mazamet, Rodez et Albi, ainsi que des relations accélérées entre Toulouse et Bordeaux, Marmande et Agen, ou Agen-Montauban avec des moyennes pouvant atteindre 100 km/h. Se faisant remarquer par leur puissance, ces autorails tirent ce qui sera en fin de compte de véritables trains en acceptant jusqu’à trois remorques XR 6000 Decauville.

Notons qu’en avril 1947, l’autorail ZZ R 5204 de Narbonne, encore équipé pour la marche au gaz, ira faire des essais en Suisse sur les lignes secondaires du Jura et sur la petite ligne de Wil à Constance : la Suisse, elle aussi, manque de pétrole à l’époque.

En 1952, le magnifique parcours Toulouse-Lyon sur 609 km à travers le Massif-central, par Rodez, Mende et Le Puy, marque, sans nul doute, l’apogée de ces très beaux autorails qui trouvent enfin un parcours à la hauteur de leurs performances. Mais les nouveaux autorails unifiés X 2400 les chasseront de ce parcours mythique assez rapidement.

La série est réduite à 19 unités par suite de la guerre pour ce qui est du X-5106, ou par suite du déraillement de l’autorail X-5001 à Barbentane, tandis que le 5113 est détruit lors de la collision de Gaillac. A partir de 1958, tous les ADX se retrouvent à Limoges où ils finissent leur carrière, retirés du service entre 1969 et 1976. L’autorail X-5101 est conservé pour le Musée français du Chemin de fer, mais n’est toujours pas restauré. La plupart auront totalisé plus de 3 millions de kilomètres !

Les lignes parcourues par les ADX-2. L’importante liaison Bordeaux-Toulouse-Montpellier est un véritable service régional, mais les longues heures de trajet dans un autorail vibrant de toute la puissance de ses deux gros diesels sont, à la longue, dissuasives. Pour Clermont-Limoges, c’est sans doute un peu plus vivable.
Caractéristiques techniques de l’ADX-2

Type: autorail à bogies BB

Moteurs principaux: 2 x 300 ch.

Transmission: boîte 4 vitesses et embrayage à disques.

Capacité: 64 places en 3e classe plus 5 ou 3 strapontins.

Masse: 43 t.

Longueur: 26,43 m.

Vitesse: 120 km/h.

Quand le réseau du PO choisit l’avion pour relier rapidement Bordeaux au centre de l’Europe.

Peu connue, voici une aventure est assez surprenante, surtout de la part d’une grande compagnie française de chemin de fer qui laisse tomber son service rapide d’autorails pour… “s’acheter” un avion. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’économie nationale s’installe pour longtemps dans la crise et les compagnies de chemins de fer françaises, à la recherche de débouchés et de marchés, s’associent avec la grande industrie minière, métallurgique et automobile, les compagnies de navigation maritime ou aériennes. C’est avec la Chambre de Commerce de Lyon, que le chemin de fer fonde une société pour le développement de l’aviation commerciale française, en abrégé « Sodac » , dont le but est de tester l’expérience d’une exploitation aérienne postale et la mise au point d’avions appropriés susceptibles d’assurer régulièrement des vols de nuit.

Le PO obtient que la ligne Bordeaux-Genève soit choisie pour essayer cette formule. Bordeaux est le point de convergence d’importantes relations avec le sud-ouest de la France, l’Espagne et l’Amérique du Sud, tandis qu’à Genève, les lignes aériennes de la très dynamique Lufthansa donnent des correspondances avec toute l’Europe centrale et ouvrent même des lignes dans les Balkans, au grand détriment de l’Orient-Express. Le réseau du PO est donc, dans la circonstance, « triplement intéressé » selon les termes de la revue « Traction  Nouvelle ». Il participe à la nouvelle société. Son territoire est survolé, dans toute sa largeur, par la nouvelle ligne et enfin, dans la période de début, il effectuera lui-même, entre Montluçon et Bordeaux, par ses trains à lettres « BG » et « GB “, le transport des dépêches postales et des colis qui incombera è l’avion entre Montluçon et Genève.

« Il y a en effet 600 kilomètres entre Bordeaux et Genève, peut-on lire dans « Le PO Illustré » qui n’est autre que l’organe officiel du réseau que tous ses cheminots doivent lire, et en famille de préférence. Le trajet par air exigera 5 heures au moins avec escales à Limoges, Clermont-Ferrand et Lyon, et la route est difficile au-dessus des montagnes nuageuses et des plateaux venteux du Massif Central. D’autre part, les correspondances à Genève avec la Lufthansa imposent un départ après 18 heures, une arrivée avant 8 h, 40. A l’avenir, le parcours total de Bordeaux à Genève devra donc être accompli en partie la nuit, ce qui exige des avions « poly-moteurs » et un balisage lumineux avec phares tous les 40 kilomètres et des feux de jalonnement intermédiaires. On peut lire dans la presse de l’époque que « L’étude et même l’exécution de ce programme sont en cours, mais, sans en attendre l’achèvement, on a jugé préférable de mettre la ligne en service dès le 3 mai dernier, en utilisant provisoirement de Bordeaux à Montluçon les express de nuit du « BG » (arrivée à Montluçon à 5 heures 7) et du « GB » (départ Montluçon à 23 heures 18). Un service rapide relie la gare à l’aérodrome et les correspondances de Genève peuvent être, de la sorte, assurées en limitant au minimum, au moins pendant l’été, le vol de nuit. »

Notons que de tels horaires, aujourd’hui, décourageraient l’horairiste le plus optimiste, mais à l’époque, vu les performances des locomotives à vapeur, c’est intéressant.

Dans cette première étape, cinq avions monomoteurs de la Compagnie Aérienne Française assurent le service pour le compte de la « Sodac ». Les voyageurs ne sont pas actuellement admis. L’avion n’emporte que les dépêches postales, des messageries et des colis postaux dits “Aéropaquets” à l’époque, le tout moyennant dos surtaxes qui n’ont rien de prohibitif, si l’on considère les réductions considérables de la durée d’acheminement. Par exemple, une lettre mise à la poste à Bordeaux avant 20 heures, atteindra Berlin dès le lendemain soir à 17 heures 40. Un « Aéropaquet » remis à la gare de Bordeaux-St Jean avant 20 heures, sera le lendemain è Vienne à 16 heures 40. Un colis-postal pris à Genève vers 18 heures pourra être livré à Bordeaux dès les premières heures de la matinée : voilà les promesses. Il semble qu’elles aient été tenues, mais il n’en sera plus question dans « Le PO illustré », sans doute parce que l’aviation est alors en pleine organisation et que l’Aéropostale prendra à son compte l’ensemble de ces tentatives qu’elle exercera dans un esprit de concurrence.

Relier Bordeaux à Genève : les vains efforts du PO.

Voilà une autre aventure tout aussi passionnante. Le 22 mai 1937, le réseau du PO-Midi met en service , entre Bordeaux et Clermont-Ferrand, trois autorails Renault, type ABV, composés de deux caisses articulées portées sur trois bogies à deux essieux. L’horaire adopté permet à un (courageux) voyageur parti de Bordeaux le matin à 7 h. 20 d’être à Clermont-Ferrand à 13 h. 59, où le PO passe le relais au PLM pour une arrivée à Vichy à 14h 52, à Lyon à 17h 45 et enfin à Genève à 21 h  21, soit, quand même, au terme d’un trajet de 14 heures !

En sens inverse, partant de Genève à 9h 08, de Lyon à 12h 35, de Vichy à 15h 28, on arrive à Clermont-Ferrand à 16h 20, d’où l’autorail PO-Midi part à 16h 30 et permet d’atteindre Bordeaux à 23h 10, soit 14 heures de trajet tout autant. Mais n’oublions pas que les vitesses limites en traction vapeur sont à 120 km/h de Bordeaux à Coutras, 100 km/h de Coutras à Périgueux, de 75 à 90 km/h suivant les sections de Périgueux à Brive, de 70 km/h de Brive à Tulle et 60 km/h de Tulle à Clermont, sauf sur les 11 kilomètres de Meymac à Ussel où la limite est de 80 km/h.

Pour ce qui est des trains classiques du PO proprement dit, la durée du trajet Bordeaux-Clermont-Ferrand par le train express temporaire « BC » le plus rapide est de 8h 53 à l’aller et et 9h 15 au retour alors qu’avec l’autorail c’est 6h 30 à l’aller, 6h 40 au retour. En outre l’autorail type ABV du PO comporte une cuisine permettant de servir des repas chauds à la place en 1ère classe, et dans un petit compartiment restaurant en 2ème classe à proximité de la cuisine.

« Entre Bordeaux et Clermont-Ferrand, le profil est extrêmement varié, note un des participants du voyage inaugural. .J’ajoute qu’entre Brive et Tulle il y a de nombreuses courbes de 300 mètres. Enfin, entre Tulle et Clermont-Ferrand, on se trouve franchement dans la montagne, atteignant l’altitude de 912 m à Laqueuille et, sur ce parcours, le rayon minimum des courbes est de 250 mètres ». Bref, rien de très performant ne s’annonce à l’horizon ,pour cette relation, et jamais ce ne sera le cas avec d’interminables trajets Clermont-Bordeaux ou Clermont-Toulouse en voie unique avec des horaires lourdement dépendant des aléas des évitements et des attentes au pied des sémaphores.

Mais le PO a le désir de communiquer et de présenter le nouvel autorail aux usagers et à la presse, et joue même le jeu « pour faire apprécier les difficultés du parcours aux techniciens des autorails, le PO-Midi a convié les délégués des Chambres de Commerce de la région, les représentants de divers journaux et les présidents et anciens présidents de la Commission inter-réseaux des automotrices à un voyage d’étude réalisé à la vitesse normale du service courant, entre Bordeaux et Le Mont-Dore, pour ajouter aux difficultés du trajet habituel les fortes rampes de la section de Laqueuille au Mont-flore ».

Un autorail spécial parti de Bordeaux-Saint-Jean le 3 juin à 7 heures et arrive à Laqueuille à 12 h 02. Quittant alors la direction de Clermont-Ferrand, il se dirige sur le Mont-Dore où il arrive à 12h 24, ayant soutenu sur la rampe de 35 pour 1000 la vitesse de 45 km/h. Le temps alloué pour la marche (5 h. 24) a été respecté, « malgré deux arrêts intempestifs aux sémaphores » (il fallait s’y attendre..). Au total, le temps regagné a atteint 30 mn, ce qui réduit la durée réelle du trajet à 4 h. 54 et donne une vitesse commerciale (temps perdu déduit) un peu supérieure à 72 km/h.

« Au retour, parti du Mont-Dore à 16 h. 55 pour arriver à Bordeaux-Saint-Jean à 22 h. 10, l’autorail eut à subir, comme à l’aller, quelques retards dus aux incidents de voie unique (sans commentaires !), il en résulta l’obligation pour le conducteur de marcher à la vitesse maximum, ceci précisément à l’heure du diner, et aucun des convives ne s’en aperçut. C’est la meilleure démonstration du confort que donnent ces autorails doubles sur trois bogies » conclut l’auteur de l’article de « Traction nouvelle ». Un bon point, incontestablement, pour le matériel roulant, mais pas pour l’itinéraire. Genève et l’Europe centrale allaient rester définitivement hors de portée de Bordeaux, et un échec, un de plus, en ce qui concerne les grandes relations régionales ferroviaires françaises.

En conclusion : les “Corail Intercités”, ici en 2006, assurent un confort remarquable et un trajet agréable. Mais l’automobile gagne du terrain…. et en 2014 la SNCF abandonne, entre autres, la relation Lyon-Bordeaux : les autres relations tiendront-elles ?
“In memoriam”, pour ainsi dire : quelques belles grandes gares qui méritaient mieux que leur destin régional.
Metz. Gare Alsace-Lorraine. 1908. Chef d’œuvre de Jürgen Kröger. Inscrite aux Monuments Historiques.
La Rochelle. Gare Etat. Architecte Pierre Esquié.1922. Inscrite aux Monuments Historiques.
Lyon-Brotteaux. Gare PLM. 1908. Chef d’oeuvre de l’architecte Paul D’Arbaut et une des rares gares classées Monument Historique. Elle n’est plus en service depuis 1983.
Rouen-Rive droite. Gare Etat.1928.Chef d’oeuvre d’Adolphe Dervaux.
St-Brieuc. Gare Etat. 1929.
Valenciennes. Gare Nord. 1907.
Nice. Gare PLM. 1864. Architecte : Louis-Jules Bouchot.
Bordeaux-St-Jean. Gare Midi. 1855. Chef d’œuvre de Louis Choron et Marius Toudoire. Inscrite aux Monuments Historiques.
Bordeaux-Bastide. Gare PO, 1852, pour rappeler que Bordeaux, la ville aux 14 gares ne s’est que peu servie de la plupart d’entre elles, ne parvenant pas à devenir la grande capitale ferroviaire du grand sud-ouest de la France.
Limoges-Bénédictins, gare PO, celle que l’on ne présente plus… Ce BV de 1929 est le chef d’œuvre de Roger Gonthier, plébiscité par la France entière aujourd’hui toujours qui ignore que cette Belle au bois dormant ne voit passer que peu de trains chaque jour. Inscrite aux Monuments Historiques.
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