Le PLM, de la « Pacific » à la « Mountain »: la puissance et le soleil.

Si, d’après Lénine, le communisme c’étaient les Soviets plus l’électricité, pour le chemin de fer français, d’après l’auteur de ce site (toutes proportions gardées) le PLM c’était la puissance et le soleil.

Le PLM ? Pour les amateurs de chemins de fer du monde entier, et pas seulement pour les Français, ces noms de compagnies anciennes, celles qui ont précédé la SNCF jusqu’en 1937, sont magiques et évoquent, avec la puissance d’une madeleine proustienne, un chemin de fer d’une France toute autre que celle d’aujourd’hui. Les amateurs ont toujours plaisir à retrouver, dans les musées ou sur les chemins de fer touristiques, et plus encore restés sur les frontons des gares, ces noms comme cet EST qui annonçait le champagne, l’Alsace et la Lorraine, les guerres, ce NORD rigoureux et bref avec ses trains de luxe et ses Pacific marron à filets jaunes, cet OUEST-ÉTAT avec ses trains verts empreints de la douceur normande et du romantisme des paysages bretons, ce PO-MIDI plein de bonnes odeurs de cuisine et de bons vins et aussi de paysages d’une France plus que profonde, et aussi ce majestueux PLM transportant déjà, par la magie de ces trois lettres, des rêves d’Alpes ou de Côte d’Azur mais aussi le soleil et l’accent de Marseille ou des douceurs de la riche Bourgogne.

Autant de Frances profondément différentes, autant de cultures professionnelles de cheminots très éloignées les unes des autres, autant de conceptions de locomotives avec leurs ingénieurs et leurs écoles de pensée propres, autant de systèmes de signalisation ou d’habitudes d’exploitation souvent incompatibles, voilà une France ferroviaire qui mériterait un guide aussi détaillé que celui de ses vins ou de ses fromages.

Parmi ces réseaux français, le royal et éclatant seigneur des réseaux, le plus grand, le plus riche, le plus chic, celui des stations de ski et des palaces de la Côte d’Azur, celui d’une certaine nonchalance et d’une joie de vivre, celui du soleil et des grands trains de luxe, celui qui peut se payer le superflu mondain d’un certain refus de la modernité et d’une profonde allergie à la traction électrique, c’est bien le Paris, Lyon et Méditerranée, ou PLM, qui ne peut laisser indifférent et ne laisse aucun amateur de chemins de fer au monde échapper à son charme.

Réseau de grandes gares éblouissantes étalées sous le soleil, de longues locomotives Pacific et Mountain à cabine coupe-vent, de lignes de montagne jamais rentables, mais audacieuses, de particularités d’exploitation et de signalisation dont la justification se perd dans le chant des cigales et la chaleur de l’après-midi, le PLM étale sur ses voitures raffinées et ses autorails multiples ses trois lettres magiques qui, aujourd’hui toujours, n’ont rien perdu de leur éclat.

Très belle photographie signée René Floquet, prise dans les années 1950 dans un dépôt PLM devenu SNCF. Les innombrables « Pacific » PLM dominent encore la traction des trains de voyageurs, et même ont aussi envahi la région Nord avec les 231-K.

La Pacific PLM : alors les 231 sont 462 ?

La « Pacific » PLM est la locomotive à vapeur française la plus répandue, et, sans aucun doute, la plus connue si elle n’est pas la plus performante, laissant la vitesse et la puissance aux « Pacific » PO et Nord.  Cette « Pacific » du PLM fut construite à 462 exemplaires entre 1909 et 1932, ce qui est considérable dans l’univers des chemins de fer, où la plupart des séries de l’époque et sur le réseau français ne comportent que quelques dizaines de machines tout au plus. Mais ces Pacific ne se contentèrent pas d’être très nombreuses : elles durèrent très longtemps, certaines étant transformées après la Seconde Guerre mondiale et ayant l’honneur de terminer l’épopée de la traction vapeur en France en restant en service jusque durant les années 1970 et jusqu’au dépôt de Calais.

Pendant la totalité du XIXe siècle les trains de voyageurs sont légers puisque les voitures ont une caisse en bois, et sont, en général, assez petites, d’où des trains dont le tonnage ne dépasse guère 200 à 300 tonnes. Mais, au lendemain de la Première Guerre mondiale, des exigences de confort et de sécurité conduisent les compagnies, malgré elles souvent, à adopter des voitures métalliques, donc plus lourdes, et surtout de dimensions plus généreuses. Le poids des voitures grimpe alors jusqu’à 40 et même 50 tonnes. Les locomotives pour trains rapides et express de l’époque sont du type 220 ou 221. Leur faible poids, leur petite chaudière donnant une faible puissance de traction, et leurs deux essieux moteurs ne peuvent plus faire face à la lourde tâche qu’est la traction de trains atteignant 400 à 600 tonnes.  Comme la majorité des compagnies européennes et américaines des années précédant la Première Guerre mondiale,  le PLM est confronté au problème de l’insuffisance de puissance de ses locomotives et se lance dans la construction de locomotives de vitesse à 3 essieux moteurs. Si certains réseaux se contentent du type 230, par simple adjonction d’un essieu moteur supplémentaire, le PLM fait partie de ceux qui mettent le problème à plat, étudient intégralement de nouvelles locomotives et engagent des « Pacific » sur leurs grandes lignes.

Carte du réseau PLM en 1920. Déjà gâté par le tourisme, le réseau est surtout très bien placé sur le plan des relations internationales, avec la Suisse et l’Italie.

La 6001 et la 6101 : to be or not to be (compound).

Peu avant la Première Guerre mondiale, les écoles de pensée s’affrontent encore en matière de conception de locomotives. D’un coté, principalement en Allemagne, en Europe Centrale, au Royaume Uni, les ingénieurs partisans de locomotives simples, économiques et robustes préconisent la locomotive à simple expansion – c’est-à-dire ne faisant travailler la vapeur qu’une seule fois dans ses cylindres. D’autres ingénieurs, principalement en France, optent pour des locomotives performantes, très puissantes, quitte à ce qu’elles soient plus complexes et délicates, et préconisent la locomotive « compound », c’est-à-dire à cylindres haute pression et cylindres basse pression dans lesquels la vapeur travaille deux fois de suite, générant une forte puissance pour une consommation modeste. Hésitant entre les deux écoles de pensée, les ingénieurs du PLM n’ont pas encore fixé leur doctrine en matière de « Pacific », et font construire, à titre d’essai, deux locomotives qui utilisent chacune l’un des deux systèmes. Le choix sera crucial, et sera une crucifixion. « To be or not to be », question fondamentale posée par Shakespeare mais résolue à la française, avec pragmatisme et « sur le terrain » comme on dit aujourd’hui.

L’une des deux locomotives est une «compound» à quatre cylindres dont les deux cylindres haute pression attaquent le deuxième essieu moteur par l’extérieur du châssis, et dont les deux cylindres basse pression attaquent le premier essieu par l’intérieur du châssis. C’est la 6001, reconnaissable à ses cylindres extérieurs disposés au niveau du deuxième essieu du bogie avant. Le système «compound» permet une meilleure utilisation de la vapeur par une détente successive dans des cylindres à haute puis basse pression, mais la locomotive est plus complexe et plus délicate mécaniquement, et demande une plus grande finesse de conduite.

L’autre locomotive, la 6101, est reconnaissable à ses cylindres disposés au niveau du centre du bogie avant. Elle n’est pas une « compound » mais une machine à simple expansion dont les quatre cylindres sont disposés en « batterie », c’est-à-dire alignés côte à côte, et dont la chaudière est dotée de la surchauffe de la vapeur. Ce système permet un meilleur rendement de la vapeur du fait de sa température élevée. La 6101 réalise des économies de l’ordre de 13,5% pour 750 ch. au crochet et à 85 Km/h, et de 5% pour 1000 ch. à 80 Km/h.

Il est intéressant de savoir que, en fin de compte, la 6001 est munie elle aussi, à son tour, de la surchauffe, et réalise désormais des économies de 31%  de charbon et de 30% d’eau, réunissant pratiquement les avantages des deux systèmes. Mais ce n’est pas pour autant que le PLM fixe son choix sur le type compound, du moins initialement.

Le PLM se décide, après les essais, pour le type à simple expansion et surchauffe. Le choix en faveur d’une locomotive moins évoluée et moins performante sur le plan des économies est surprenant : les autres grands réseaux français adopteront des locomotives de vitesse de type compound, notamment le Nord. Mais on peut expliquer ce choix par des craintes de dépenses d’entretien et de réparations, et par une confiance mesurée dans les aptitudes des équipes de conduite en face d’une locomotive complexe. Beaucoup d’autres réseaux, et surtout les réseaux américains, n’auront jamais de locomotives compound pour les mêmes raisons.  Mais, décidément très… indécis, le PLM revient sur son choix en 1912, devant l’exemple des autres compagnies françaises particulièrement contentes de leurs locomotives « compound ».

La « Pacific » 6001 compound dans sa simplicité et sa pureté originelles, sans la surchauffe ni ses tuyauteries, sans écrans, et peinte dans un beau vert-olive PLM (non rendu par la photographie en NB). Peu d’équipements sur le corps cylindrique autres que les commandes de relevage de la distribution ou de la sablière, et une cabine de conduite tout aussi dépouillée, mais quand même dotée de sièges très élémentaires : la conduite assise est peu à peu admise par les compagnies en mal de progrès social. Un poteau a poussé à travers le toit, au fond à gauche.
La locomotive PLM type 231 N° 6024.(ex-6201 à 6285).) Document PLM de 1912. Les cylindres sont en « batterie » et disposés en alignement transversal au niveau du centre du bogie directeur.

La dynastie des « Pacific PLM ».

La descendance de la 6101 sera longue et complexe. L’évolution continuelle de ces machines montre bien cette loi de constante modification appliquée aux locomotives à vapeur du monde entier.

La 6101 donne la série 6101 à 6171, plus tard 231-A. Mais en 1912 le PLM donne une descendance à la 6001 avec une série 6201 à 6285  plus tard 231-C. Puis ce furent les 231-D et F qui sont construites en 1921-1922, toujours du type « compound » et qui furent transformées en 231G et H durant les années 30 par accroissement du circuit de vapeur et des cylindres. Enfin les 231-K, identiques aux 231G, furent obtenues, à partir de 1939 et après la guerre, à partir des 231C. Notons que la 231-K-8, entièrement reconstruite par la SNCF en 1947, a été préservée par l’association Modélisme Ferroviaire de Paris-Nord  vu sa fraîcheur et sa forme, et elle circule en tête de trains spéciaux sur le réseau de la SNCF.

Locomotives PLM type 231 (ex-6011 à 6030 puis 6201 à 6285) vues au dépôt de Laroche-Migennes.
En tête d’un train lourd du PLM devenu région Sud-Est SNCF : la locomotive 231-G-255 (série 231-G-2 à 231-G-285) du PLM avec transformation de 1934 à 1936. Le fourgon à bogies PLM à caisse en bois est un grand classique. Beau cliché René Floquet.
La très classique 231-G du PLM. Document LR-Presse-Loco-Revue.
La locomotive 231-K-8 (série 231-K-2 à 231-K-86) de la SNCF dans son état actuel, parfaitement préservée, vue en 2018, exposée aux ateliers des Joncherolles (cliché de l’auteur de cet article).
Caractéristiques techniques.

Type : 231.

Date de construction : 1912 à 1932.

Diamètre des cylindres HP: 390mm.

Diamètre des cylindres BP: 560mm.

Course des pistons: 650mm.

Diamètre des roues motrices : 2.000 mm.

Diamètre des roues porteuses avant : 1.000 mm.

Diamètre des roues porteuses arrière : 1.360 mm.

Surface de la grille du foyer: 4,25m2.

Pression de la chaudière : de 12 à 16 kg/cm² selon les séries.

Diamètre moyen de la chaudière: 1,68m.

Longueur de la locomotive : 13, 99 m.

Masse de la locomotive : 93, 7 t.

Longueur du tender : 9,46 m.

Contenance du tender en eau : 30 t.

Contenance du tender en charbon : 7 t.

Masse du tender en charge : 68, 4 t.

Masse totale: 162,1 t.

Longueur totale: 23, 45 m

Vitesse maximale: 130 Km/h.

Les 241 du PLM.    

Les amateurs du monde entier ont surnommé la première série « cigare du PLM » du fait de la porte de boîte à fumée dotée d’un paraboloïde de Prandlt en vue de diminuer la résistance à l’avancement, ce système ayant d’ailleurs été abandonné ultérieurement. Ces 241 du PLM devaient être le sommet dans l’art de la locomotive à vapeur  pour la grande et noble compagnie du Paris-Lyon-Méditerranée qui ne s’intéressait guère à la traction électrique et qui voulait pousser la vapeur dans ses limites extrêmes sous l’influence d’Ange Parmentier, Directeur du Matériel et « vaporiste » militant. Mais ces locomotives furent plutôt décevantes et laissèrent aux « Pacific », qu’elles devaient supplanter, toutes leurs chances en tête des beaux trains de luxe roulant vers la Côte d’Azur.

La compagnie du PLM, sur sa ligne dite « impériale » (en hommage à Napoléon III) Paris-Lyon-Marseille, bénéficie d’une configuration du relief plutôt favorable, offert par les vallées de la Seine, de l’Yonne, de la Saône et du Rhône. Mais le franchissement de la ligne de séparation des eaux entre les bassins de la Seine et du Rhône a toujours crée cette difficulté qu’est le Seuil de Bourgogne. Placé en plein milieu de la grande ligne « impériale » de Paris à Lyon et à Marseille, ce seuil crée un étranglement entre Laroche et Dijon car, pour un seuil, il ne se franchit pas d’un simple pas comme pour une porte d’une maison, mais au terme d’une longue montée : la longue rampe de 8 pour 1000 sur 200 kilomètres dans le sens Paris-province, ou 95 km en sens inverse, ralentit les trains. Les « Pacific » peinent en tête de trains de plus en plus lourds, arrivant au sommet de la rampe à bout de souffle et à 70 ou 80 km/h. Les trains se suivent à vitesse lente sur la rampe et les autres attendent pour s’y engager. Les pertes de temps accumulées sont considérables. Le besoin de locomotives très puissantes se fait sentir, et le PLM songe, dès 1923 et pour cette difficile portion de ligne, à une machine à quatre essieux moteurs pour remplacer les Pacific qui n’en ont que trois.

La puissance, oui, le soleil parfois, mais la vitesse pas souvent.
Le profil de la ligne de Paris à Lyon, ici vu en 1952. Le Seuil de Bourgogne, et ses « rampes de 8 », est la grosse difficulté à vaincre, ceci depuis l’ouverture de la ligne au milieu du XIXe siècle. Toutes les locomotives à vapeur y ont perdu leur souffle.

L’Office Central d’Etudes du Matériel (OCEM), qui est commun à certains réseaux français, étudie pour le PLM une 241 qui est, après modifications, construite par Schneider en 1925 et affectée au dépôt de Laroche. Une série de 145 machines est construite en tout, et elle fait sensation dans le monde ferroviaire de l’époque tant par sa beauté que par les performances promises.

A l’usage, les choses ne sont pas aussi enthousiasmantes que ne le laissaient prévoir les ingénieurs. Ces magnifiques locomotives révèlent des défauts de conception. Les bielles motrices chauffent, et à 110 km/h les locomotives sont parcourues par d’inquiétantes vibrations. La curieuse disposition de la courte bielle motrice attaquant directement le premier essieu moteur, donc très inclinée et courte, n’est sans doute pas étrangère à ces désordres. La fragilité et le manque de rigidité du châssis aux longerons trop fins y sont pour beaucoup.

Les rails sont martelés par les roues motrices à certaines vitesses et les cheminots, qui « ont l’oreille », reconnaissent sans difficulté la locomotive à distance, d’après Henri Vincenot dans magnifique et touchant « Mémoires d’un enfant du rail » (Hachette, 1980) . La vitesse en service, prévue pour plus de 120 km/h fut finalement limitée à un sage 110 km/h, mais les équipes de conduite ne dépassaient pas 100 km/h pour être sûrs de « faire l’heure » et de ne pas demander la « réserve » (=machine de secours).

Dès les essais de 1925 la 241-A-1 se montre capable de franchir la sévère rampe de 8 pour 1000 du Seuil de Bourgogne, ceci en tête de trains de plus de 600 tonnes, donc très lourds, et à une vitesse moyenne de 80 km/h. Cet effort correspond à une puissance donnant jusqu’à 2.180 ch. au crochet de traction. En 1927 le même exploit est réalisé avec des trains de 800 tonnes, la vitesse étant constamment maintenue entre 90 et 100 km/h sur les rampes de 5 pour 1000 précédant celle du Seuil proprement dite, et le Seuil étant franchi à 70 km/h au sommet à Blaisy-Bas, correspondant à une puissance de 2.800 ch. La puissance était au rendez-vous, à défaut de la vitesse.

Une locomotive type 241-A du PLM (série 241-A-2 à 241-A-125).Le paraboloïde de Prandtl attire les regards et crée ce que l’on appellera aujourd’hui une « signature ». Photographie prise en 1925.

La descendance de la « Cigare du PLM » révèle les qualités cachées de la machine.

Les ingénieurs du PLM ne s’avouent pas battus et savent que, fondamentalement, leur locomotive a de réelles qualités malheureusement cachées par des défauts qu’il urge de corriger. La 241-A donne naissance à d’autres Mountain PLM que sont les 241-B, C, D et E.

Nous passons rapidement sur la 241-B qui est une 241-A dotée, en 1930, d’une chaudière système Schmidt à haute pression qui est de 60 kg/cm2, soit presque 4 fois la pression normale de chaudières équipant les locomotives de la série. La firme allemande, en effet, a mis au point une chaudière capable de produire la même puissance avec une économie de 20%. Les essais sur 36.000 km ne prouvèrent pas l’intérêt d’une telle formule.

La locomotive 241-C-1 apparaît en 1929, alors que 144 locomotives type 241-A sont construites de 1925 à 1931. Montée sur roues motrices de 2 m de diamètre (contre 1,79 pour la série A), cette locomotive se distingue surtout par des bielles motrices extérieures attaquant le deuxième essieu moteur au lieu du premier, et des bielles motrices intérieures attaquant le troisième essieu moteur. L’allongement de ces bielles donne à la locomotive un aspect plus classique et plus satisfaisant. La pression est portée à 20 kg/cm2. Elle conserve son magnifique paraboloïde initialement, avant de recevoir une porte de boîte à fumée classique, et des écrans pare-fumée.

Mais ce sont les 241-D qui ont le dernier mot. La 241-A-20 est modifiée en 1932 : ses sections de passage entre les cylindres comme les conduits et les diamètres des tiroirs sont agrandis  (les idées de Chapelon gagnent-elles enfin le PLM ?) et la locomotive se montre supérieure à ses sœurs, économisant 10% du charbon, et gagnant 10% en puissance. En 1936 d’autres locomotives de la série A sont transformées, et, en 1938, à sa création, le SNCF poursuit les travaux sur d’autres locomotives de la série A. En totalité il y a 48 locomotives A transformées, et elles deviennent la série 241 D. Notons, pour être un peu plus complets, que la 241-A-27 fut modifiée, en 1941, avec des bielles d’attaque disposées comme sur la 241 C, des cylindres d’un diamètre plus réduit, et une numérotation 241-E-27 : la SNCF préparait-elle déjà la 241-P ?

Ci-dessus : schéma d’identification et coupe de la 241-C PLM.
La locomotive 241-D-17 du PLM ex 241-A transformée à partir de 1932.Document HM Petiet.
Une 241-A PLM au départ, à la gare de Perrache, à Lyon.
Une 241-A du PLM aux approches de Paris dans les années 1920.
La 241-A-1 du PLM. Le défaut majeur de cette locomotive se voit nettement avec sa bielle motrice, attaquant le premier essieu moteur, trop courte et à « battement » vertical atteignant un angle trop prononcé, d’où une contrainte mécanique trop forte sur les glissières. La cabine de conduite « en tunnel » offre une vision latérale restreinte.

Les performances des 241 du PLM.

Le tableau suivant montre de quoi ces locomotives étaient capables. Il est important de savoir que, contrairement au cas des moteurs à combustion interne, la puissance des moteurs à vapeur décroit avec la vitesse : elle est donc maximale au départ (à l’ « arraché » du train) et décroit rapidement avec la vitesse. C’est ainsi que la charge remorquée est de 3.629 tonnes à 20 km/h, mais tombe à 460 tonnes à 110 km/h. On apprendra aussi, sur ce tableau, l’importance des rampes : à vitesse égale, la charge remorquée est divisée par 3 ou 4 si l’on passe du palier (absence de rampe) à une simple rampe de 10 mm par mètre. C’est ainsi que, à 100 km/h, la charge est de 582 tonnes en palier, mais en rampe de 10 pour 1000 (soit un modeste 1% pour une automobile), la charge tombe à 222 tonnes. Au-delà de 20 pour 1000 et à une vitesse de plus de 90 km/h, la locomotive ne peut que se mouvoir elle-même !

Vitesses (km/h)203040506070 8090100105110
Charge en palier362927672258191015801243930730582514460
 Charge en rampe de 3 pour 100018501580138512351065850660526421373335
En rampe de 5 pour 1000137012071080970840690540432350306275
En rampe de 8 pour 1000970875793713620515415330265230210
En rampe de 10 pour 1000800730670590508430352280222195170
En rampe de 12 pour 1000675622572510440370300240190160140
En rampe de 20 pour 1000386365340310280225170125
Locomotive 241-C prototype du PLM. La bielle motrice extérieure attaque le deuxième essieu moteur, enfin !
La locomotive prototype 241-E-27 (ex-241-A-27).SNCF vue en 1938. C’est la dernière étape de l’évolution des « Mountain » PLM avant le passage au type 241-P SNCF. Document SNCF.

La 241-P de la SNCF : la dernière des belles.

Cette très belle locomotive se fait remarquer sur les lignes principales de la SNCF qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ne sont pas encore électrifiées mais qui voient passer des trains de voyageurs rapides et lourds et qui ont besoin de locomotives performantes. En attendant que les 2D2 ou les CC et les BB électriques s’en donnent à cœur joie une fois les caténaires tendues, la traction vapeur a encore l’occasion de donner toute sa mesure, notamment dans les parcours de prolongement au-delà des sections de grandes lignes électrifiées, comme au-delà du Mans sur la ligne de Brest, ou au-delà de Lyon sur la ligne de Marseille. Mais, dès la fin de la décennie des années 1950, leurs jours sont comptés.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la SNCF doit faire face à un trafic très important et la seule réponse est celle de l’électrification de ses lignes, la locomotive électrique pouvant fournir à la fois la puissance et la vitesse nécessaires pour augmenter le débit des lignes existantes. Mais il faut le temps d’électrifier, et, en attendant, il faut se tourner vers les modes de traction conventionnels. Puisque la traction diesel, à l’époque, n’offre pas encore une solution satisfaisante, notamment en matière de puissance et de fiabilité, il ne reste que la traction à vapeur.

La SNCF décide de construire, entre autres, une nouvelle série de locomotives de type 241 déviées du type PLM 241 C de 1930 dans la mesure où ce type a deux qualités essentielles : il est à quatre essieux moteurs, donc il donne une bonne adhérence, et il est à roues de grand diamètre, et donne une vitesse de pointe assez élevée. Le choix d’une telle machine ne manque pas de surprendre les experts de l’époque dans la mesure où la SNCF pourrait continuer à construire des 240 P qui sont plus puissantes, ou construire en série des locomotives type 242-A-1 qui développaient au moins 2.000 ch. de plus que les 241 P.

Mais ces 241 P sont construites entre 1948 et 1949 par les établissements Schneider, au Creusot, et elles sont immédiatement engagées sur la ligne de Paris à Marseille, pas encore électrifiée mais dont l’électrification vient de commencer.

Déjà les 241 du PLM étaient belles. Mais leurs descendantes recevront un certain nombre de perfectionnements ce qui leur donnera une ligne superbe, comme la cheminée type PO, ou surtout la porte de boîte à fumée type Nord. Sur le plan technique, ces locomotives reçoivent un foyer en acier (abandonnant le cuivre des machines PLM), un stocker assurant le chargement du charbon, des sections de passage de vapeur agrandies, des cylindres agrandis, et des distributeurs à plus longue course – ces trois derniers points montrant l’influence des idées d’André Chapelon enfin admises.

Les fusées des essieux moteurs ont un diamètre augmenté, et le châssis est constitué de longerons plus épais – ceci mettant fin aux faiblesses endémiques des machines PLM, mais augmentant le poids de la machine de 5 tonnes !

Ultime étape de l’évolution de la « Mountain » PLM: la 241-P-1 de la SNCF inaugure l’ère de la dernière des belles locomotives à vapeur en France. Un dessin parfait, cabine comprise, une accessibilité pour l’entretien exemplaire, et une réelle beauté caractérisent ces locomotives réussies fruit d’un travail clandestin pendant la guerre.

Des performances très honorables.

Les 241 P, contre toute attente de la part des ingénieurs sceptiques, s’en tirent plutôt bien et font oublier la médiocrité de leurs devancières et faisant aussi bien que les 2D2 électriques qui les remplacent au fur et à mesure que la caténaire gagne du terrain au départ de Paris, faisant émigrer ces locomotives de Paris à Dijon, puis de Dijon à Lyon, puis à Avignon ou à Nevers, poussées en direction du sud ou du Massif Central.

Elles parcourent facilement 30.000 km par mois, soit un bon millier de kilomètres certains jours, sans incidents notables et en étant conduites en « banalité », c’est-à-dire par des équipes qui se relayent – ce qui fait toujours souffrir les machines, alors que les machines à équipe « titulaire » sont dorlotées… Elles pouvaient parcourir jusqu’à 140.000 km entre les « levages », c’est-à-dire un passage en atelier où l’on levait la locomotive au-dessus de ses roues pour examiner les organes de roulement, et jusqu’à 560.000 km entre deux « GR » (grandes révisions) en atelier, cette dernière opération étant plus importante. Ces distances les situaient tout à fait d’une manière honorable.

Elles ont pu développer des puissances estimées à environ 3.000 ch (faute de mesures précises) car elles étaient capables d’arriver en haut de la redoutable rampe de 8 pour mille du Seuil de Bourgogne à 100 km/h tout en remorquant des trains de 600 tonnes. On signale des trains de plus de 800 tonnes remorqués à 110 km/h en rampe de 5 pour mille sur la ligne de Nevers à Moulins, ce qui aurait demandé environ 4.000 ch.

Une vue d’une 241-P prise depuis le tender d’une autre 241-P en gare de Lure (Haute-Saône) par un chauffeur. On notera que ce genre d’acrobatie n’était pas très recommandée…
Sur la 241-P-4, entre Lure et Vesoul. Vue prise par le chauffeur.

Les 241 P : une présence remarquée sur les grandes lignes.

Si elles circulent principalement sur la ligne de Paris à Marseille, elles ont aussi circulé sur la ligne du Bourbonnais entre Moret-sur-Loing et Clermont-Ferrand, et entre Vierzon et Saincaize. Mais elles ont aussi circulé entre Paris et Strasbourg, Paris et Lille, Paris et Aulnoye, ou bien encore entre Le Mans et Brest, ou Chaumont et Belfort.

Construites à 35 exemplaires en 1948-49, elles sont encore au nombre de 34 en 1966. Elles termineront leur carrière à la fin des années 1960 après avoir remorqué, avec brio, des trains de voyageurs rapides lourds. En particulier, elles pouvaient remorquer ces trains en parcours de prolongement de la traction électrique sans diminution des performances.

En vert : les lignes et les dépôts des 241-P de la SNCF dans l’ensemble de leur carrière.
Une 241-P vue à Mulhouse en 1967 : la fin du règne des 241-P est comptée à quelques semaines près, comme l’annoncent les caténaires fraîchement tendues au-dessus des voies.
En 1967, le train 42 quitte Belfort et double un cycliste qui pédale difficilement sur une rampe qui n’a rien de ferroviaire. Que l’on ne s’y trompe pas : le cycliste maudit le vélo et rêve d’une « belle bagnole » comme la Dauphine Renault qu’il vient de croiser. Aujourd’hui, l’automobiliste, empêtré dans son embouteillage, rêve d’un vélo et ne prend pas le train pour autant.
Caractéristiques techniques.

Type : 241

Date de construction : 1948.

Moteur : 4 cylindres compound.

Cylindres haute pression 446 x 674 mm, intérieurs et inclinés.

Cylindres basse pression 650 x 700 mm, extérieurs et horizontaux.

Surface de la grille du foyer : 5 m2.

Surface de chauffe : 244, 57 m2.

Surface de surchauffe : 109, 38 m2.

Diamètre de la chaudière : 1.862 mm.

Pression de la chaudière : 20 kg/cm2.

Diamètre des roues motrices : 2020 mm.

Diamètre des roues porteuses avant : 1020 mm.

Diamètre des roues porteuses arrière : 1350 mm.

Longueur : 17, 172 m.

Masse : 131.4 t.

Contenance en eau du tender : 30 t.

Contenance en charbon du tender : 7 t.

Longueur : 9, 46 m.

Masse en charge : 68 t.

Longueur totale : 27, 91 m.

Masse totale : 188 t.

Puissance maximale approximative : 2940 kW (soit 4.000 ch).

Vitesse maximale en service : 120 km/h.

Certaines 241-P de la région Sud-Est (5) et Méditerranée (6) de la SNCF ont eu l’honneur d’une mise en tête du « Mistral ». Ici la 241-P-3 numérotée en région 6 au départ de Marseille. Le train est composé des performantes voitures DEV-Inox.
Une 241-P en train de « faire du sable » au dépôt de Chaumont, sur la prestigieuse « ligne 4 » du réseau de l’Est.
La sublime 241-P-16 de la Cité du Train de Mulhouse avec ses belles roues vertes. Elle est reproduite en ce moment par Altaya sous la forme d’un impressionnant modèle réduit à construire à l’échelle « 1 » (1/32e), long de 86 cm et pesant environ 7 kg, comprenant plus d’un millier de pièces.

1 réflexion sur « Le PLM, de la « Pacific » à la « Mountain »: la puissance et le soleil. »

  1. dimitrigranovsky 1 mars 2023 — 10 h 14 min

    Cher Monsieur Lamming, Permettez moi de vous remercier pour votre excellente documentation. Plus qu’une documentation, c’est une ode aux chemins de fer. Passionnante , émouvante . Je serais heureux de vous rencontrer et d’échanger avec vous notre profond intérêt en la matière. Peut-être est-ce possible ? J’habite en Anjou, ex Parisien… je viens à Paris pour enseigner toutes les semaines… en train bien sûr. Très belle journée à vous et peut-être à bientôt. Encore merci

Commentaires fermés

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