Construire plus grand pour aller plus vite : la grande illusion.

Il est vrai que, si l’on s’amusait à construire une réplique d’une voiture de sport, mais sous une forme agrandie au lieu d’un modèle réduit, on pourrait logiquement espérer atteindre une vitesse proportionnellement plus grande que celle atteinte par la voiture d’origine. Dans les faits, on s’apercevrait rapidement que ce pari n’est pas gagné d’avance techniquement … Quand, au Royaume-Uni vers 1840, Isambard Kingdom Brunel fait le même pari en misant sur des trains de plus grandes dimensions circulant sur une voie large de sept pieds (2134 mm) au lieu des quatre pieds huit pouces et demie (1435 mm) de l’écartement normal, le gagnera-t-il ?

Oui, sur le plan technique, mais le réseau en voie de sept pieds sera converti en voie normale pour des raisons que l’on qualifierait aujourd’hui d’ « interopérabilité ». Pour le moins, le réseau en voie large de Brunel a existé et fonctionné très correctement pendant plusieurs décennies. Tout le reste ne relèvera que du rêve irréalisé, l’apothéose étant le fameux « Breitspurbahn » de Hitler qui devait conquérir toute l’Europe avec sa voie de 2500 mm (ou 3000 mm selon le Musée des Chemins de fer de Nuremberg) allant de Berlin à Brest ou Marseille en France, ou jusqu’à Moscou ou Stalingrad, cette dernière ville n’étant atteinte, réellement, qu’en char d’assaut embourbé et au prix de la défaite de l’Allemagne.

Au premier plan sur la gauche : un train classique sur voie normale de 1435 mm. A second plan, un train de la « Breitspurbahn » sur voie de 2500 mm (ou 3000 mm) et en traction diesel, et avec un gabarit presque le double de celui de la voie normale. Au fond, une de ces gares monumentales prévues par le Reich et pour coiffer le « Grand Terminal » new-yorkais au poteau. Le tout semble, à voir les voies, être une maquette, mais les proportions de l’ensemble restent impressionnantes. Document Yaplakai.Com.

D’abord des « pieds ronds ».

L’écartement choisi par Georges Stephenson est de quatre pieds, huit pouces et demie, soit 1435 mm, et beaucoup de bruits infondés circulent quant à ce choix, comme étant celui des charrettes anglaises de l’époque ou la largeur de deux chevaux pour pouvoir les atteler à des rames de wagons et de marcher côte à côte entre les rails, etc… La biographie très détaillée que lui consacre Samuel Smiles dans un ouvrage « La vie des Stephenson » (paru en langue française en 1858 chez Plon) reprend aussi cette affirmation de la largeur des roues des charrettes anglaises de l’époque, mais il est certain que cet écartement qui ne représente pas un nombre rond en mesures anglaises ne pourrait ainsi être un choix arbitraire.

Les premiers écartements des voies anglaises, utilisées dans les mines ou sur les estacades des ports au XVIIe siècle sont bien choisis arbitrairement, et sont en pieds entiers, ce qui est la mesure la plus courante et la plus simple. Et encore, faut-il faire attention à la manière dont on procède à cette mesure : soit c’est la distance entre les faces intérieures des « champignons » de roulement des rails, soit c’est la distance entre les axes centraux des rails.

La voie de deux pieds est très utilisée, et subsistera jusqu’à aujourd’hui sous la forme de la voie de 610 mm qui est l’écartement pour les trains de chantier britanniques, ou certaines lignes coloniales, jouant exactement le même rôle que la voie Decauville en 600 mm française. La voie de 3 pieds se développera aussi, et sera conservée aux Etats-Unis sur le Denver & Rio Grande Western par exemple. Il y eut aussi des mines ou des estacades en voie de dite de 4, ou de 5 pieds. La voie dite de 5 pieds, d’ailleurs, sera utilisée dans des pays comme la Russie, la Finlande, dans certains états du sud des Etats-Unis ou d’autres pays comme celui de Panama pour son tout premier chemin de fer, et l’on verra de la voie de 5 pieds et 6 pouces se développer en Inde sur l’ensemble de ce pays grand comme un continent, tout comme la voie de 6 pieds en Russie pour le premier Moscou-St-Petersbourg, par exemple. Et Brunel prendra naturellement de la voie de 7 pieds pour le Great Western Railway : il en sera question plus loin. Donc les ingénieurs comptent en pieds et en chiffres ronds. L’Allemagne nazie songera à la voie de 9 pieds, comme nous le verrons ci-dessous.

Stephenson ajoute un demi pied, ou six pouces, puis encore un demi-pouce supplémentaire : voici pourquoi.

Donc tous ces écartements sont en pieds, et en chiffres ronds et, en principe, mesurés entre les faces intérieures des « champignons » des rails. En principe…

On peut penser que Stephenson, lorsqu’il met en service sa première locomotive sur le réseau des mines de Killingworth le 25 juillet 1814 a songé à un écartement important comme celui de 5 pieds, mais les installations de la mine ne permettent pas un écartement de 5 pieds, dans la mesure où des murs ou des installations fixes font obstacle. Une voie de 4 pieds aurait été possible, mais Stephenson veut dimensionner sa locomotive au maximum pour avoir le maximum de puissance, et il choisit 4 pieds et demie, soit 4 pieds 6 pouces.

Mais la locomotive s’inscrit mal dans les courbes d’un réseau intérieur assez sinueux et accidenté, puisqu’il y a aussi des rampes de presque deux pour mille (1/450 selon le système britannique), et il est obligé d’ajouter un demi-pouce de jeu supplémentaire lorsqu’il installe la voie ou lorsqu’il la modifie  : sans doute la locomotive, déjà construite, ne peut être remaniée au niveau de l’écartement. Cette valeur d’un demi-pouce, qui correspond à 13 mm, est une cote que l’on retrouve souvent dans l’industrie anglaise, et elle n’a rien de surprenant ici. Le total donne bien cet écartement de 1435 mm qui est, dans le système métrique, nullement un nombre rond.

Stephenson conserve cet écartement pour les locomotives qu’il fournira dans le monde entier, et, pour commencer, en Europe. C’est en Europe continentale qu’il imposera, sans doute involontairement, cette norme qui deviendra l’écartement « normal » sauf pour la péninsule ibérique et l’Irlande. Il est certain – mais Stephenson ne s’en doute pas, ne soupçonnant pas l’importance que jouera le chemin de fer ni la demande de transport considérable créée – que cet écartement emprisonne le chemin de fer dans un carcan très étroit, limitant les dimensions du matériel roulant et limitant ainsi les volumes et les poids des charges transportées. Un certain nombre d’ingénieurs ne manqueront pas d’essayer de le briser.

Les différents écartements indiens, d’après « The Locomotive Magazine » en 1924 : 2 pieds (610 mm), 2 pieds et 6 pouces (762 mm), métrique, et 5 pieds et 6 pouces (1678 mm).
Ouverture d’une ligne en voie large de 5 pieds (dite comme étant de 1495 mm) au Canada vers 1890.
Tramway en voie large dite de 5 pieds ou 1495 mm à La Nouvelle Orléans, vu dans les années 1990, toujours en service.
Le réseau indien en voie large de 1676 mm (5 pieds et 6 pouces), vu, ici, en 1924.

La voie large et ses arguments contre la voie normale.

Au nombre de ces ingénieurs visionnaires et avertis on trouve, en tout premier lieu, Isambard Kingdom Brunel, pour le compte du Great Western Railway en Angleterre et Camille Polonceau pour le compte du réseau du Paris-Orléans en France. Ils estiment, non sans raison, que l’écartement de la voie normale est insuffisant et, comme le fait remarquer l’auteur Lucien-Maurice Vilain, ils ne sont pas les seuls puisqu’un grand nombre d’ingénieurs de l’époque appelle du nom de «voie étroite » ce que nous appelons aujourd’hui « voie normale ».

Ces ingénieurs, très en avance sur leur époque, estiment que, sur une voie plus large que la voie normale, on aurait pu établir des machines plus puissantes et surtout plus robustes. Cette dernière qualité aurait contrebalancé le surcoût à la construction demandé par une voie large. On aurait pu, sur des châssis plus larges, placer entre les longerons l’ensemble de l’appareil moteur, ce qui aurait donné une plus grande robustesse générale à cette partie toujours très délicate. Avec la voie normale, il a fallu, assez rapidement et dès les années 1850-1860, répartir l’appareil moteur à la fois entre les longerons du châssis et leur extérieur, cette disposition donnant des fragiles corps d’essieu coudés subissant aussi les contraintes crées sur les roues motrices par les bielles placées à l’extérieur.

En outre, des châssis plus larges permettent d’éviter le débordement des caisses des véhicules, ce qui autorise, avec un même degré de précision (ou d’imprécision) dans la pose des voies, des vitesses bien supérieures à celles qui sont pratiquées couramment durant des décennies, avec un meilleur confort offert aux occupants. En quelque sorte, on aurait retrouvé, comme dans l’automobile, des roues aussi écartées que la largeur de la caisse, même plus écartées encore : il est intéressant de savoir qu’en voie normale, aujourd’hui, les caisses sont deux fois plus larges que les voies, et qu’en voie étroite on était arrivé, jadis, à trois fois la voie.

Mais, surtout, et c’est ce qui intéresse les comptables des compagnies, la capacité de transport des voies ferrées en écartement large est, de loin, supérieure à celle des lignes établies en voie normale, entraînant un prix de revient moindre par tonne transportée, permettant aussi le transport de masses volumineuses indivisibles.

Et pourtant… aucun, mais aucun, projet de ce genre n’a jamais totalement et définitivement réussi. Seul le réseau britannique du Great Western Railway a pu installer un important kilométrage en voie de 2134 mm et qui a été exploité jusqu’en 1892, vaincu par les problèmes d’incompatibilité avec les réseaux environnants et la nécessité de tout transborder aux gares de jonction.

N’oublions pas, non plus, les réseaux de l’Espagne, du Portugal en voie large, celui de l’Irlande, aussi et celui de la Russie, tous déjà traités sur ce site « Trainconsultant ».

Train en voie large Brunel de 7 pieds (2134 mm) vue en 1866. La voie à trois files de rails montre que la conversion en voie normale est en cours ou pour bientôt.

Le 300 km/h possible… sur le papier.

Sur le terrain, dès 1845, c’est-à-dire le réseau en voie large du Great Western Railway, les trains roulent fréquemment et facilement à 60 mph (100 km/h) alors qu’en règle générale les trains de voyageurs sur la voie normale ne dépassent guère 45 mph ( un peu plus de 70 km/h). Plus précisément la voie large du Great-Western, les locomotives à disposition d’essieu type 111 qui sont de grosses Patentee comme la « Ixion », sur roues motrices de 2100 mm, atteignent fréquemment la vitesse de 100 km/h, avec des charges de plus de 70 tonnes.

Les ingénieurs qui travaillent pour les lignes en voie large font de très belles locomotives, comme la fameuse « North Star », qui est une Patentee rachetée au réseau américain du New Orléans qui est à voie de 1670 mm à l’époque, rapatriée au Royaume-Uni  et qui fut mise à l’écartement de 2134 mm. Restant en service jusqu’en 1870, cette belle grande machine totalise plus de 700.000 kilomètres.

Sur la machine « Hurricane » (Ouragan) construite en 1839 pour le Great Western, on ira jusqu’à l’établir sur des roues motrices d’un diamètre record de 3050 mm. Cette locomotive très curieuse se compose de trois véhicules ; la locomotive proprement dite avec son mécanisme moteur sur trois essieux dont le central est moteur, puis la chaudière placée sur un deuxième châssis à trois essieux, et enfin le tender sur deux essieux. Les cylindres moteurs, intérieurs et placés sur le premier véhicule, étaient placés à l’arrière, juste en face de la boite à fumée qui leur faisait suite sur le deuxième véhicule, et ils étaient alimentés par des tuyauteries permettant sans doute un certain jeu pour tenir compte de l’oscillation des véhicules. Cette locomotive, on s’en doute, ne marcha jamais correctement, et les roues motrices trop grandes et insuffisamment chargées manquaient d’adhérence, provoquant des patinages, et les conduits de vapeur articulés avaient des fuites. Mais si son moteur avait pu tourner au régime des dernières locomotives à vapeur des années 1960, cette machine aurait pu théoriquement  atteindre la vitesse de 300 km/h uniquement par le diamètre de ses roues motrices, et si les voies de l’époque l’avaient permis.

La « Hurricane » du Great Western Railway (1839) en voie large de 7 pieds (2134 mm) avec ses roues motrices de 3050 mm de diamètre. Les 300 km/h des TGV actuels de la SNCF seraient donc déjà possibles … mais sur le papier et dans les esprits. On notera ici le manque évident de poids adhérent sur l’essieu moteur qui devait donc patiner au démarrage, ainsi que la très problématique liaison, par des passages de vapeur articulés, entre la chaudière et les cylindres.

Un bon 120 km/h pour les locomotives qui marchent bien.

Pour la voie large du Great Western Railway toujours, l’ingénieur Daniel Gooch fait construire en 1846 une locomotive à grande vitesse nommée « Great-Western », du type 111 et aux roues motrices de 2440 m de diamètre. Elle atteint, lors des essais, la vitesse de 124,5 km/h. Pour des raisons de sécurité, et à la suite d’une rupture de l’essieu porteur avant, la machine passe au type 211 par dédoublement de cet essieu – il ne s’agit pas d’un bogie. En juin 1846, la « Great-Western », remorquant un train de 45 tonnes, effectue la distance de 312 km séparant Londres d’Exeter à 90 km/h de vitesse commerciale, ce qui donne des pointes à 120 km/h en pente.

Les locomotives du type « Great-Britain », issues de la « Great Western », sont des 211 à châssis rigide sans bogie avant. En 1848, l’une d’elles assure un trajet à une moyenne de 108 km/h sur 85 km en remorquant un train de 65 tonnes et en développant la puissance moyenne, extraordinaire pour l’époque, de 700 ch, et même, pense-t-on, avec des pointes de puissance atteignant le millier de chevaux vapeur. Les vitesses commerciales, c’est-à-dire arrêts compris, de ces machines en service courant dépassent 90 km/h.

Le petit réseau du Bristol and Exeter est en voie large, car il dépend entièrement de celui du Great Western Railway. L’ingénieur en chef de ce réseau, Pearson, grand partisan de la voie large – on le comprendrait à moins vu la position de son réseau enclavé dans le Great Western Railway – construit en 1853 une série de locomotives-tenders, à un seul essieu moteur, avec roues de 2740 mm de diamètre, sans boudin de guidage, le guidage sur la voie étant assuré par les deux essieux porteurs.  Une des locomotives de la série, la « Blue Devil » (Diable bleu) atteint des vitesses estimées à 130 ou 132 km/h, qui sont, pour un tiers de siècle, les plus grandes vitesses validées officiellement. Dès 1867 le réseau à voie large du Great Western Railway s’étend sur pas moins de 2.300 km, y compris certaines lignes à trois files de rails pour la circulation de trains des deux écartements.

Locomotive-tender Pearson type 212 avec roues motrices d’un diamètre de 2740 mm, sur le Bristol & Exeter, vue dans les années 1870, au Royaume-Uni. Le 130 km/h est atteint sans problème dès la mise en service de ce type de locomotive en 1854.
L’empire de la voie large de 7 pieds au Royaume-Uni en 1868. En trait rouge plein : la voie large. Avec deux traits rouge fins : la voie mixte large et normale, à trois files de rails. En 1892, tout aura disparu.



Cependant les ingénieurs des réseaux en voie normale ne s’avouent pas battus et parviennent à des vitesses tout aussi brillantes qu’en voie large. La « Cornwall », par exemple, est construite en 1847 aux ateliers de Crewe, en Angleterre, par un ingénieur qui n’est autre que le fils de Richard Trevithick. Cette locomotive roule pour le compte du réseau du London & North Western Railway, établi en voie normale et elle possède les plus grandes roues ayant existé jusque là en voie normale avec un diamètre de 2500 mm.

Le corps de l’essieu moteur passe par-dessus la chaudière pour abaisser le centre de gravité. Cette disposition curieuse n’empêche pas la locomotive de rouler à la vitesse de 126,5 km/h, raflant de peu le record de la « Great-Western » en voie large. Ultérieurement l’ingénieur Ramsbottom remet la locomotive dans un état de conformité à la tradition la plus classique, et la locomotive est encore en service sur la ligne de Manchester à Liverpool pendant les années 1900.

Mais cette frénésie de records et de vitesse ne se confine pas au Royaume-Uni. En France et en voie normale, le 29 juillet 1849, on inaugure la section de ligne d’Angers à Nantes appartenant au réseau de Tours à Nantes qui sera absorbé par le réseau du Paris-Orléans en 1852.  Une locomotive à voyageurs du type 111, construite par les établissements André Koechlin à Mulhouse sur les plans de l’ingénieur Victor Forquenot, montée sur des roues motrices de 1870 mm de diamètre, roule à une vitesse estimée à 120 km/h. En 1850, d’autres essais avaient permis d’atteindre, en divers points de la ligne de Tours à Nantes, au tracé et au profil commodes, des vitesses de 100 à 120 km/h.

D’autres records de la même nature sont battus sur divers réseaux européens, lors d’essais, et ils concourent à la défaite de l’image de marque de vitesse de la voie large. Il est vrai que les ingénieurs commencent, vers 1850, à soupçonner que les conditions de la stabilité sur une voie ne dépendent que très peu de l’écartement, et tout aussi peu du rapport entre le gabarit du matériel roulant et l’écartement des voies. Il est possible de faire rouler des trains de plus de trois mètres de largeur (ce qui est le cas en Europe continentale) sur des voies de 1,44 m sans problème de stabilité, et, même, des réseaux comme celui de l’Afrique du Sud ou du Japon parviendront, au siècle suivant, à faire rouler, d’une manière très satisfaisante, du matériel lourd presque aussi large que le matériel européen ou américain en voie normale, mais sur de la voie de 1067 mm.

Tout se passe comme s’il y avait un équilibre du matériel assuré par lui-même sur la voie, et aussi que cet équilibre n’était pas forcément amélioré par l’abaissement du centre de gravité : les ingénieurs découvrent que, au contraire, on a intérêt à augmenter la hauteur du centre de gravité comme s’il y avait une oscillation du matériel propre, et indépendante des contraintes exercées par les déformations de la voie, notamment avec le cas d’un matériel lourd porté par des suspensions souples. De même, les locomotives à vapeur, comportant un corps cylindrique élevé, détruisent moins les voies et sont plus douces dans leur roulement, alors que les Crampton, par exemple, très basses sur leur roues, fatiguent les voies et tendent à écarter les rails au lieu d’osciller librement au-dessus des rails.

Il semble que, vers 1880, la supériorité présumée de la stabilité du matériel roulant en voie large ne soit plus une question ou un sujet de discussion, et que, pour la voie normale ou même métrique, la cause est entendue : elles ne sont pas handicapées par l’étroitesse de leurs chemins de roulement.

Les dernières années de la voie large qui cessera toute activité en 1892. Ici, en 1885, les trains en voie normale dominent la situation et les voies à trois files de rails montrent que les jours sont comptés pour la voie large.

Les derniers regrets, y compris ceux de la RGCF.

Pourtant, en 1892, quand le Great Western Railway a terminé de déplacer un des deux rails de ses voies en écartement large pour obtenir la voie normale, une page est tournée à regret. Les ingénieurs du Great Western Railway savaient que, pour des questions de compatibilité (on dirait aujourd’hui d’interopérabilité) et nullement de supériorité technique, la voie normale ne gagne sur la voie large que parce qu’elle est plus répandue.

Le procès a été mauvais, et mu par des considérations plus politiques et économiques que techniques :  on a trop dit que le Great Western Railway maintenait un écartement différent de celui d’autres compagnies rivales dans le seul but de conserver son monopole en empêchant, justement, les concurrents de faire circuler leurs trains sur le réseau du Great Western Railway lui-même. Il faut dire que, sur la totalité du réseau ferré du Royaume-Uni, la liberté de circuler est garantie : aucune compagnie ne peut empêcher le passage des trains d’une autre compagnie, ou de ses wagons et voitures directes. Mais l’argument d’un écartement différent est, évidemment, imparable !…. Et l’on pense que le Great Western Railway ne maintient son écartement large que dans ce but. Ce soupçon va fausser le débat.

Il faut aussi dire que c’est beaucoup plus le coût de l’opération de la reconversion en voie normale qui compte, et que les records de vitesse en voie large ne pèsent que très peu en face de ces chiffres très lourds, sans compter le fait qu’il faudra purement et simplement ferrailler du matériel roulant qui ne peut, pour diverses raisons, être transformé pour la voie normale, comme des dizaines de locomotives, plus d’une centaine de voitures et plus de deux mille wagons que l’on verra restés garés pendant 18 années encore après 1892. La conversion aura donc été un désastre technique, et aussi économique et financier. Tout en restera là, bien que l’idée ne soit pas abandonnée et que, par exemple, en 1921, la Revue Générale des Chemins de Fer (RGCF) revienne sur le sujet en 1921 avec des trains très larges utilisant simultanément les deux voies parallèles d’une ligne en voie normale.

La voie plus que très large et d’une façon économique, en France ? Mais oui, si l’on ouvre la Revue Générale des Chemins de Fer qui, en 1921, propose cette solution consistant à utiliser simultanément les deux voies d’une ligne à double voie et à faire rouler des trains d’une largeur de pas moins de 10 mètres. On remarquera qu’en hauteur, il faut bien rester à 4,20 m, ce qui donne des trains larges, mais plats.
Transport improvisé d’une pièce de fonderie sur deux voies normales parallèles et, on l’espère, bien parallèles et sans le moindre obstacle, comme un signal, dans l’entrevoie. Nous sommes au Royaume-Uni, et en 1904.

Le « Breitspurbahn » de Hitler : aller à Stalingrad, mais pas en char d’assaut.

En voilà un qui « a vu large » dans tous les sens du terme, y compris pour les chemins de fer du Troisième Reich ! Il s’agit du « Breitspurbahn » (chemin de fer à voie large, en langue allemande) qui est un projet de réseau à voie de 3000 millimètres imaginé en 1943, construit sur une infrastructure gigantesque et parcouru par du matériel roulant du plus pur style « kolossal » et devant relier toutes les régions du Reich jusqu’à la mer Caspienne pour le transport à grande vitesse de voyageurs et de marchandises.

L’idée, comme pour beaucoup d’idées de Hitler, n’est pas totalement neuve : ici, dès la paix revenue en 1918, l’idée d’un réseau ferroviaire à voie large est prévue et, en 1938, la modernisation du réseau ferré allemand, que la Première Guerre mondiale a saccagé, est étudiée par la Deutsche Reichsbahn dès sa création en 1920. Plusieurs projets existent, dont un prévoyant de faire rouler des wagons d’un gabarit de 7 m de large sur deux voies parallèles des grandes lignes classiques, identique à celui décrit en 1921 par la RGCF (voir ci-dessus).

En 1942, Adolf Hitler compare ses larges autoroutes toutes neuves et le vieux chemin de fer dont l’écartement des rails reste celui, « ridicule » et « d’une diligence anglaise ». Il demande donc aux dirigeants de la DR de préparer un projet pour l’Europe devenue un Troisième Reich desservie par un « Breitspurbahn » à grand écartement et grande vitesse. Plus de 200 experts, dont Fritz Todt et Albert Speer, sont mis sur le projet, aidés par les firmes emblématiques comme Krupp, Siemens ou Henschel. Le projet sera même toujours d’actualité en 1943 après la bataille de Stalingrad qui était, ô ironie du sort, l’un des terminus prévus ! Les archives de la Deutsche Reichsbahn contiennent des documents « Breitspurbahn » qui sont même postérieurs au débarquement de Normandie.

C’est bien le ministre des transports Julius Dorpmüller (dont nous avons déjà décrit l’action sur ce site « Trainconsultant ») qui décide de la configuration du réseau, avec des lignes rayonnant autour de Berlin vers Hambourg, Paris, Munich, Istanbul via Belgrade et Bucarest, ou Rostov-sur-le-Don via Kiev. Des prolongements ultérieurs sont envisagés vers Brest (en France), vers l’Espagne via Marseille, vers Rome, vers Kazan via Moscou, et Stalingrad, ou Bakou. On se prend même à penser, à terme, à desservir l’Inde, des négociations entre l’Allemagne et le Japon (qui s’en souvient dans ces pays ?) ont lieu pour définir les zones d’influence respectives des deux pays en Asie. Le réseau est précisément dessiné sur des cartes au 1/75.000 ou au 1/25.000. L’infrastructure de la voie reste traditionnelle : une plateforme avec ballast supporte des traverses en bois ou en béton longues de 5 mètres, tandis que les rails, en écartement de 2500 mm (ou 3000 mm, selon les sources, et mesuré entre faces internes des « champignons » des rails), pèseraient de 76 à 95 kg par mètre.

Ce à quoi on a échappé… encore que faire un trajet de Brest jusqu’à Bakou, à 250 km/h pouvait avoir de l’intérêt, et un Paris-Istanbul à la même vitesse aurait tout simplement gommé l’ « Orient-Express » (symbole de la victoire des pays démocratiques et que Hitler détestait). Les oligarques russes auraient apprécié, pour leurs vacances, un trajet direct de Moscou ou Leningrad jusqu’à la Méditerranée française ou italienne à la même vitesse, tout en prenant des bains dans un train spacieux et luxueux. Carte allemande de 1943.

Le « Grand Central Terminal » à la sauce hitlérienne.

Le « Breitspurbahn » comporte aussi des triages et des gares permettant des échanges avec l’ancien réseau à voie normale qui sera maintenu en service. Berlin aura quatre gares, aux quatre points cardinaux de la ville, reliées par une ligne de ceinture ou « Ringbahn ». Une étude pour la gare de Berlin-Sud fait état de quatre étages de quais superposés, le bâtiment étant voulu encore plus important que la gare new-yorkaise du « Grand Central Terminal », un pays que Hitler déteste, mais qu’il admire, fasciné, et voulant le dépasser à tout prix, exactement comme en URSS, un pays que Hitler se prépare à détruire lui aussi. Si la gare de Munich a une coupole s’élevant à plus de cent mètres du sol, la future gare de Linz, ville d’Autriche où Hitler a passé une partie de son enfance, est dessinée par le « Führer » lui-même qui est s’intéresse subitement aux chemins de fer (il aurait été un bon lecteur de ce site « Trainconsultant, tout comme Goering qui est un modéliste ferroviaire presque accompli avec un réseau en « H0 » de la marque Trix).

Les locomotives n’ont rien à envier aux infrastructures. Souvent à trois niveaux avec salle des machines sur deux niveaux en bas, et vaste cabine de conduite en haut digne d’une passerelle de navire, elles atteignent des puissances de 30.000 ch., tirant des trains de voyageurs à 250 km/h ou de trains de marchandises de 10.000 t à 100 km/h (tonnage qui sera possible sur la voie normale aux USA et en URSS), et en traction vapeur, diesel ou électrique avec du monophasé à la fréquence de 16 ²⁄₃ Hz, comme sur le réseau à voie normale, mais à 50 kV ou même 100 kV.

Les voitures voyageurs sont à deux niveaux, grâce à un gabarit permettant 4,5 mètres entre le plancher et le plafond, et une largeur de 6 mètres. La longueur des voitures est de 42 m, soit le double de celle des voitures à voie normale, avec, en troisième classe par exemple, 460 places assises par voiture. Les voitures de 1ʳᵉ classe ont des grands salons avec lustres et tables de billard, tandis que les voitures lits ont des douches et des salons pour les petits déjeuners. Il y a même des voitures-bains et des voitures-cinéma à 196 fauteuils. Les wagons de marchandises ont jusqu’à de 210 t de charge utile pour les tombereaux, et même, pour les wagons couverts, 400 t. Les ingénieurs, foin de l’avarice, prévoient des wagons porte-conteneurs transportant l’équivalent de dix semi-remorques, ou un wagon à 32 essieux permettant le transport d’un navire de 1000t.

Une très belle vue très impressionnante d’un train du « Breitspurbahn ». Document Turbosquid.
Pas facile de donner un document au conducteur d’une locomotive du « Breitspurbahn », pourtant descendu d’un niveau à la rencontre de l’agent debout près de la voie. Au premier plan, une « grosse » locomotive type 150 en voie normale semble bien petite. Document Königreich Cavenburg.

Nous donnons, ci-dessous, un petit tableau en langue anglaise comportant les mesures des écartements en millimètres (mesurés entre les faces internes des « champignons » des rails) et aussi en pieds (ft) et pouces (in), pour faciliter la lecture de l’article ci-dessus:

Minimum gauges       

381 mm (15 in)

400 mm (15 3⁄4 in) Decauville gauge

457 mm (18 in)

500 mm (19 3⁄4 in) Decauville gauge

Narrow gauges           

600 mm or 610 mm (2 ft) gauge

750 mm (2 ft 5 1⁄2 in)

760 mm (2 ft 5 15⁄16 in) Bosnian gauge

762 mm (2 ft 6 in)

800 mm (2 ft 7 1⁄2 in)

891 mm (2 ft 11 3⁄32 in)

900 mm (2 ft 11 7⁄16 in) Swedish three foot

914 mm (3 ft)

950 mm (3 ft 1 3⁄8 in) Italian metre gauge

1000 mm (3 ft 3 3⁄8 in) metre gauge

1067 mm (3 ft 6 in/) Cape gauge

1372 mm (4 ft 6 in)

Standard gauge         

1,435 mm (4 ft 8 1⁄2 in/)

Broad gauges 

1445 mm gauge (4 ft 8 7⁄8 in)

1495 mm (4 ft 10 7⁄8 in) Toronto 5 ft​ gauge

1524 mm and 1520 mm, Russian gauge (5 ft 3 in)

1600 mm Irish gauge (5 ft 3 in)

1668 mm (5 ft 5 21⁄32 in), Iberian gauge

1676 mm (5 ft 6 in), Indian gauge

2140 mm (7 ft 1⁄4 in), Brunel gauge

3000 mm (9 ft 10 1⁄8 in), Breitspurbahn

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Après la parution de cet article sur le site « Trainconsultant », Olivier Cazier nous a envoyé un très intéressant article concernant les premiers écartements pratiqués à l’époque de George Stephenson, fruit de recherches et d’études beaucoup plus poussées que les nôtres et beaucoup plus intéressantes. Avec sa permission, voici cet article.

L’origine pas si mystérieuse de l’écartement « standard »

Une légende urbaine très séduisante fait remonter le diamètre des réservoirs de la navette
spatiale à l’écartement ferroviaire, et celui-ci à l’entraxe des chariots romains… mais une
analyse un peu sérieuse montre qu’il n’en est rien, et qu’en fait les écartements des premières
voies ferrées étaient assez variables, comme le montre ce tableau établi à partir des données
de Von Oeinhausen et Von Dechen, et d’autres sources contemporaines :

Soit les chariots romains n’étaient pas très standardisés, soit il faut réviser la légende…
C’est d’ailleurs ce que dit Cummings, le premier historien des « Railways » (et lobbyiste du
Birmingham Manchester) dans son « Illustration of the origins and progress of railways and
tram roads » de 1824 :


« Il n’y a pas de distance prescrite entre les rails : dans certains cas, l’on préfère des wagons
longs et étroits, et dans d’autres, des wagons courts et larges. En conséquence, la distance
entre rails varie entre 3 et 4 pieds et demie, d’ou l’on déduit que 9 à 12 pieds de largeur sont
suffisants pour une voie unique, et qu’il faut de 15 à 20 pieds pour une double voie »


Alors, d’où vient l’écartement standard ? . Si l’on en croit Samuel Smiles, biographe contemporain de Stephenson ( « La vie des Stephenson », édition française de 1867) :
« Plusieurs des Waggons à déblai employés pour construire la voie de Stockton à Darlington
furent amenés du chemin de fer de Hetton, et ceux que l’on construisit plus tard et qui
devaient servir à l’exploitation de la voie furent construits selon les mêmes dimensions »
Effectivement, le chemin de fer de Hetton avait bien été construit, par Georges Stephenson, à
l’écartement de 4’8’’…

Mais d’où vient cet écartement ? Apparemment, du chemin de fer de Killingworth construit par le même ingénieur (George Stephenson) à la même largeur (4’8’’)…. Apparemment, la chaine s’arrête là, puisqu’avant de travailler sur le chemin de fer de Killingworth , G Stephenson avait travaillé sur le chemin à ornières de Wylam et que celui-ci n’est pas au même écartement :


« De niveau sur tout son tracé, la « Waggonway courait le long de la rivière et à proximité de ce qi était à l’époque, la grande route de Newburn à Wylam. L’écartement était de 5 pieds ½ pouce, et les rails de bois «étaient de 3 pouces ½ de large, 4 pouces ½ de hauteur et attachés à des dés de pierre tous les 18 pouces » (source : « Tynedale heritage : where railways were born », Wylam Railway Museum)

Une découverte relativement récente peut apporter un éclairage nouveau. L’été 2013, des archéologues anglais ont découvert les restes du « Willington waggonway », sur lequel se branchait le chemin de fer de Killingworth. Et l’écartement du Willington Waggonway (voie en bois avec 2 rails superposés, dont «un rail d’usure ») était de 4’8’’ depuis… 1764.

Reste à savoir pourquoi le Willington colliery railway avait adopté les 4’8’’ ? La réponse est peut etre sur une carte montrant les anciennes voies « à ornières » du Tyneside en 1788. Autrement dit, sur une relativement petite surface, il existait déjà en 1788 une quantité de chemins à ornières interconnectés à l’écartement 4’8’’… Il y a probablement eu, sans doute entre le milieu du 17e siècle ou le début du 18e siècle, un chemin de fer qui a choisi un écartement d’à peu près 4’8’’… et de connexion en extension, « pour garder l’interopérabilité » un réseau à 4’8’’.

Le lien de Stephenson avec Killingworth et les chemins de fer du Tyneside a assuré que les premiers chemins de fer qu’il a réalisé ont été à 4’8’’… ne serait-ce que parce que cela permettait d’utiliser, pour les travaux, des wagons existants. Tant pis pour les légendes qui font remonter l’écartement ferroviaire aux romains, à Stonehenge ou aux pyramides !


Mais vous me direz, l’écartement actuel n’est pas de 4’ 8’’ mais de 4’8’’ ½… Le Stockton et Darlington, à 4’8’’, a été le premier chemin de fer à utiliser des locomotives, qui allaient un peu plus vite qu’un homme au pas, et le retour d’expérience a montré la nécessité d’un « jeu » entre le bandage de la roue et le rail : Pour le Liverpool Manchester et Canterbury Whitstable, Stephenson a ajouté ½‘’ et l’écartement « normal » était né. Comme Stephenson a eu un très grand succès en tant que constructeur, son écartement s’est retrouvé plus nombreux que celui de ses concurrents.

D’après Clive Lamming (Revue d’histoire des chemins de fer, 2002), ce serait sur le Stockton et Darlington que Stephenson aurait ajouté ½’’, mais cela ne coïncide pas avec mes sources. Mais vu la précision de certaines mesures d’époque , une pose fréquemment sur dés de pierre sans entretoises , les tolérances des wagons et l’absence de normes quant à la façon de mesurer, Clive peut avoir raison !


« Peu après l’ouverture du chemin de fer Londres Manchester, l’on s’aperçut que la largeur de l’écartement, compte tenu de la construction des machines à l’époque, n’était pas suffisante pour le nettoyage et la réparation, et une idée favorite de beaucoup de constructeurs de machines a été qu’augmenter l’écartement de quelques pouces augmenterait la puissance et améliorerait beaucoup la locomotive, tandis que d’autres, se disant que les chemins de fer devraient être interopérables un jour, travaillaient à simplifier la machine et à l’adapter à l’écartement, et même jusqu’à maintenant, la question est : soit on adapter la machine à l’écartement ou l’écartement à la machine ? » ( History and prospects of the railway system par Sir Samuel Sydney, London 1846).

Remettons cependant les choses en perspective : à part le GWR d’Isembard Kingdom Brunel, la plupart des écartements proposés par les concurrents de Stephenson, après les premiers errements, étaient voisins de l’écartement standard actuel .

Je me suis « amusé » à essayer de recenser les écartements des voies construites entre le Stockton et Darlington et 1842.

On voit aussi que l’arrivée des rails en fer associés aux premières locomotives fonctionnelles a complètement changé la donne : avant Stockton/Darlington, les écartements étaient très dispersés et plutôt de l’ordre du mètre, après les écartements étaient en général supérieurs à 1,4m… L’écartement a été standardisé par un acte du parlement de juin 1846 à la valeur de 1432 mm pour l’Angleterre et l’Ecosse, car en Irlande où Stephenson n’avait pas travaillé, l’écartement choisi a été différent.


« Comme quoi il est utile de définir l’écartement de construction auquel les chemins de fer doivent être construits :Il est donc proclamé par sa très excellente Majesté , par et avec l’avis des seigneurs temporels et spirituels, et des communes, dans ce parlement ici assemblé et par l’autorité d’iceux qu’après promulgation de cet acte, il sera illégal, sauf les stipulations d’exception ci-après, de construire un chemin de fer pour le transport de passagers à un autre écartement que quatre pieds, huit pouces et demi en Grande Bretagne, et cinq pieds trois pouces en Irlande ».

L’expansion en dehors du Royaume Uni… et l’écartement.



C’est probablement par « accident » que l’écartement Stephenson a été adopté en France : les premières lignes françaises ont été réalisées… avec un entraxe de 1,5 m mesuré d’axe en axe du rail… ce qui donnait avec les rails utilisés environ 1440 mm d’écartement, compatible, avec les tolérances de l’époque, avec l’écartement de Stephenson…ensuite standardisés à 1440 entre faces internes des rails, sauf pour quelques compagnies qui ont
adopté 1445.



Quant au restant de l’Europe et du monde, que s’est il passé ?

L’interconnexion internationale est arrivée très tôt pour certains pays, notamment entre la France, la Belgique et l’Allemagne. En France, le premier indicateur date du 4 janvier 1849. A cette époque, le réseau en France était en
gestation, avec quelques lignes déjà bien développées vers le Nord, l’Est et la Normandie, mais quelques moignons vers l’Ouest, le Sud est et le Sud Ouest. Dans l’horaire, on trouve déjà des allers retours quotidiens Paris-Berlin ou Vienne, des liaisons transfrontalières vers la Belgique, la Suisse… Entre la France, le Bénélux et le monde Germanique, dès les premières lignes , le besoin d’interopérabilité a été intégré…

En France, toutes ces lignes, à l’exception de la « ligne de Sceaux », posée à l’écartement de 1750 mm, ont été posées avec un écartement entre axes de rail de 1500 mm devenu après le Paris-Saint Germain 1440/1445 mm entre rails, compatible avec l’écartement Stephenson. En Belgique, à l’exception de Gand-Anvers, toutes les lignes ont été posées, dès le début, à l’écartement normal. De même, à l’exception du Pays de Bade, la totalité des chemins de fer des divers états Allemands et de l’Autriche-Hongrie ont été posées en l’écartement normal (sauf la voie Pionnière de Von Gestner), et un congrès des chemins de fer allemands tenu à Aachen en 1850 a imposé cette valeur aux réseaux membres. La Hollande, le Strasbourg-Bale ne l’ont pas été d’origine, mais ont été très vite remis à l’écartement normal.


En 1840, les USA avaient autant de linéaire de voie que le reste du monde…et sans doute autant d’écartements différents : une partie des voies, notamment au Nord, a été construite à l’écartement Stephenson, mais beaucoup d’autres voies à des valeurs voisines de 5 pieds, suivant la fantaisie du concepteur, ainsi que quelques largeurs plus exotiques (1,83 m pour le chemin du Lac Erié par exemple). Aux états Unis, c’est pendant la guerre de sécession, et essentiellement grâce au génie militaire, que la standardisation a vraiment démarré, mais il a fallu les années 1880 pour que l’écartement Stephenson se généralise.


Les périphéries ( Espagne, empire Russe) et de nombreux réseaux d’Afrique ou d’Asie ont été réalisés en voie large (pour les premiers), puis plus tard en écartement « métrique » ou Cap Gauge ( 1066 mm)…


En effet, pendant ces années (en gros, jusqu’en 1840/1850), les constructeurs de locomotives avaient des difficultés pour faire « tout rentrer » dans un écartement de 1435 (Cf la citation plus haut de Sir Samuel Sidney) , ce qui explique que les rivaux de Stephenson ont en général, proposé des écartements un peu plus grands (Brunel et le GWR étant un cas un peu part, Brunel étant un visionnaire qui rêvait à l’époque, de vitesses très élevées, et qui voulait faire un saut quantitatif et qualitatif important).


Certains pays, ont choisi des écartements « non standard », soit parce que l’insularité rendait moins important le besoin d’interopérabilité (Irlande, Japon) soit par manque de vision (je ne crois guère à l’explication traditionnelle « militaire », qui par contre a joué dans les années 20 sur l’électrification et la signalisation, d’autant plus que les pays a écartement large ont souvent un second réseau métrique, comme l’Espagne.)


En 1837, le monde hispanique a inauguré son premier chemin de fer à la Havane, soit la même année que la Russie (Chemin de fer de Tsarkoie Selo, écartement large, dû à l’ingénieur autrichien Von Getzner). Il a fallu attendre 1847 pour que l’Espagne « continentale » ait sa première ligne à Madrid. A l’inverse, dans les années 1840/ 1870, voire même au-delà, la mode, pour les chemins de fer secondaires, est devenue la voie étroite…


Cependant, l‘écartement « standard » avait un temps d’avance, et pour éviter les ruptures de charge, profiter de matériels sur catalogue, aller au-delà des performances limitées du métrique etc, de plus en plus de réseaux l’ont adoptés (ou l’adoptent, au moins pour les lignes nouvelles à grande vitesse : cf Japon, Afrique du Sud…) Et même s’il n’est pas facile de définir un écartement « optimum », notamment parce qu’il varierait avec la topographie, on ne gagne en fait pas grand-chose en adoptant un écartement large, en terme de vitesse, de stabilité…et comme il est dominant, il a l’avantage de l’interopérabilité. On gagnerait plus en augmentant les entraxes, au moins en France.

1 réflexion sur « Construire plus grand pour aller plus vite : la grande illusion. »

  1. « Stephenson ajoute un demi pied ou 8 pouces … » Mais un pied fait 12 pouces donc Stephenson aurait ajouté deux tiers d’un pied.

    Par contre l’explication que Stephenson voulant un écartement maximal pour la puissance de la chaudière mais que les roues coinçant en essai dans les courbes lui faisant déplacer les rails d’un demi-pouce supplémentaire est tout à fait logique.

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