Le wagon de l’armistice: un rapport avec l’Orient-Express ?

Aucun, pour dire les choses franchement… sinon une appartenance au parc du matériel roulant de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits. Mais il y a une habitude fortement ancrée dans les médias actuels, celle de confondre l'”Orient-Express”, qui est un train, et la CIWL, qui est une compagnie. Or la CIWL a fait rouler, au cours de sa brillante histoire, plus d’une centaine de trains dont un seul, parmi tant d’autres, l'”Orient-Express” en l’occurrence, a attiré sur lui un mythe créé par la littérature et le cinéma. Le wagon-restaurant 2419-D, dans lequel l’armistice a été signé, n’a jamais entré dans la composition de l'”Orient-Express”, car, durant sa brève carrière active, il s’est parfois promené en Normandie et en Bretagne, vers Saint-Brieuc, Granville peut-être, certainement Le Mans ou Deauville, mais jamais… Istanbul !

La signature de l’Armistice, le 11 novembre 1918 à 5 h 15 du matin, dans la clairière de Rethondes au cœur de la forêt de Compiègne, se fait donc dans la voiture-restaurant N°2419-D de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits. Le choix d’une voiture[1] de cette compagnie est bien un vrai choix, décidé et assumé, lors de la préparation d’une cérémonie dans laquelle chaque détail est lourdement porteur de sens.

La CIWL est un symbole de réussite économique, politique et culturelle, un signe d’ouverture et d’universalité que les pays de l’Ouest de l’Europe, la Belgique et la France surtout, ont pu accomplir à la fin d’un XIXe siècle où les nationalismes et les frontières, les drapeaux et les uniformes, sont bien loin d’avoir dit leur dernier mot. Humiliés par une présence imposée dans ce wagon d’une CIWL qu’ils détestent en 1918, les Allemands ne manqueront pas, dès la Seconde Guerre mondiale en 1940, d’en faire un trophée majeur et de le faire rouler jusqu’à Berlin, retrouvant, dans sa destruction, leur honneur.

La gare de Granville dans les premières années 1920: au premier plan une rame d’un train Paris-Granville stationne, et, au tout premier plan, on voit son wagon-restaurant, identique au 2419-D. Si ce n’est lui, c’est donc son frère. Rêve-t-il d’Istanbul alors Constantinople ? Il n’y mettra jamais les pieds… pardon, les roues.

Le wagon de l’armistice: choisi pour ce qu’il incarne.

La CIWL est fondée en 1876 par un homme d’affaires belge, Georges Nagelmackers, et cette compagnie est une œuvre de paix, de relations internationales bénéfiques, d’intérêts communs qui lieront des pays européens encore frileusement blottis derrière leurs frontières, mais, en tant que telle, les guerres feront son malheur et son matériel roulant, éparpillé dans toute l’Europe lorsque les deux guerres mondiales éclatent, sera « emprunté » par les pays ennemis et jamais rendu sinon sous la forme d’épaves. George Nagelmackers n’est donc pas un guerrier.

C’est un homme qui, dans une vision très saint-simonienne qui est celle de beaucoup de grands fondateurs des compagnies de chemins de fer et des réseaux ferrés, veut la paix et la prospérité par les échanges d’idées et de biens. La CIWL a pour seul but de faciliter, par la création de trains internationaux directs ignorant les frontières et offrant un service d’hôtellerie comparable à celui des paquebots.

Chose certainement non voulue et pas même soupçonnée par son créateur, la CIWL sera, malgré elle il faut le dire, l’emblème du triomphe du mode de vie des alliés, Britanniques et Américains au premier chef, d’une certaine vision du monde que les « Empires centraux » sont loin de partager. Lorsque la CIWL lance son fameux train « Simplon Orient-Express » en 1919, créant un nouvel Orient-Express pour contourner l’Allemagne et l’Autriche par la Suisse et l’Italie, les Allemands l’appelleront, avec amertume et ironie : « der Zug der Sieger » – le train des vainqueurs.

La carte de l’ “empire” de la CIWL en 1910. L’Europe entière, de Lisbonne à Constantinople, est desservie par les trains de luxe de la CIWL qui, pour un temps, vont jusqu’à Vladivostok.

Une certaine vision du monde et des chemins de fer.

Vers 1869, Georges Nagelmackers écrit à ses actionnaires :

« Frappé des résultats avantageux que présentent aux États-Unis les services de Wagons-Lits[2], tant au point de vue des facilités qu’ils offrent aux voyageurs qu’à celui des bénéfices qu’ils procurent aux Compagnies qui les ont installés, je me préoccupai, dès mon retour d’Amérique, de l’idée de les appliquer aux Chemins de Fer de l’Europe. Je fis une étude approfondie de la question, après m’être entouré des plans et des documents nécessaires, que je fis revenir des États-Unis, et des statistiques établissant la circulation moyenne des voyageurs de 1ʳᵉ et de 2ᵉ classe sur les grandes lignes ferrées de notre continent.

J’acquis la conviction qu’ici, comme en Amérique, l’établissement des wagons-lits serait une entreprise utile et fructueuse. Malheureusement des difficultés d’application inhérentes à la division de nos grandes lignes entre plusieurs compagnies surgirent. Les petites rivalités et les jalousies qui toujours existent entre les différentes directions et administrations de ces Compagnies, qu’il est cependant indispensable de mettre d’accord et de réunir, parce que les wagons-lits ne peuvent utilement circuler que sur de grands parcours, les efforts qu’il fallut faire dans les différentes conférences où je fus admis à faire valoir les avantages de mon système, pour faire comprendre aux administrations de Chemins de Fer qu’aucune d’elles n’avait intérêt à entreprendre pour son seul et propre compte l’exploitation des wagons-lits, que celle-ci, au contraire, ne pouvait être fructueusement établie que par une Compagnie spéciale, ayant un grand nombre de ces voitures roulant sur plusieurs lignes. Enfin, bien d’autres complications encore rendirent longues et laborieuses, firent même parfois échouer, les négociations que je tentai dans la plupart des pays de l’Europe, tant avec les gouvernements qu’avec les Compagnies de Chemins de Fer ».

La guerre de 1870 est déjà la cause de la rupture non seulement de toutes les négociations, mais même des conventions adoptées, et il faut tout recommencer, tout renégocier. Les guerres seront toujours des catastrophes pour la CIWL. « Une petite société », selon les termes de Nagelmackers, se constitue le 10 octobre 1872, pour 12 années, avec 500.000 francs belges souscrits entre amis, elle s’intitule «Compagnie Internationale de Wagons-Lits ».

Vers la fin de l’année 1872, des voitures-lits construites spécialement à Vienne firent leurs premiers voyages effectifs sur Berlin-Ostende, Paris-Cologne, Vienne-Munich, et, quelque temps après, un service spécial Vienne-Paris est créé pour l’exposition de Vienne. Ces contrats d’exploitation sont consentis « à titre d’essai », et « révocables à tous moments » au gré des Compagnies intéressées, et de ce fait ne présentaient aucune garantie pour les capitaux investis. Mais Georges Nagelmackers est de ces hommes que de tel futilités n’effrayent pas[3].

La guerre des “Orient-Express”.

L’”Orient-Express”[4], crée dès 1883, est le plus ancien et le plus mythique grand train international, reliant Paris (puis Calais) à Istanbul en passant par l’ensemble des plus grandes villes européennes qui comptent dans le monde diplomatique, financier, politique. Ce train, au luxe étonnant, est un défi, mais aussi un symbole de la réussite de l’Europe de l’ouest, du centre et du sud. L’Allemagne joue le jeu avant 1914, mais l’”Orient-Express passe” par le sud du pays et ignore Berlin, desservie par le Nord-Express.

Avant 1914, en effet, l’Allemagne joue loyalement le jeu et construit, pour la CIWL, de magnifiques voitures-restaurant (et autres) en bois de teck posées sur des bogies à trois essieux qui procurent une douceur de roulement et une stabilité incomparables, comme Pullman l’a prouvé aux USA à l’époque.

Dès la Première Guerre mondiale, l’”Orient-Express”, comme l’ensemble des trains de la CIWL, cesse tout service. Mais les besoins sont tels que les puissances alliées feront rouler des trains militaires équivalents, comme le « Train de luxe militaire » qui remplace, pour un temps et sous une forme réservée aux militaires et à certaines personnes dument autorisées, les trains de la CIWL.

Le Train de Luxe Militaire, pendant la Première Guerre mondiale et les années d’après-guerre, est réservé aux militaires et aux personnes autorisées. Le “Simplon-Orient-Express” vient d’être créé, grâce à l’ouverture du tunnel du Simplon, et permet d’éviter l’Allemagne sur la route de l’Orient.

Mais aussi, pour compliquer les choses, en 1916 l’Allemagne crée sa propre concurrente de la CIWL qu’est la “Mitropa”[5] qui, évidemment, est une catastrophe pour une CIWL désormais privée du cœur de son système gravitant autour de l’Allemagne, l’Europe centrale, l’Europe de l’est. Georges Nagelmackers, décédé en 1905, ne la vivra pas. La carte de l’Europe presque entièrement occupée en 1943 (ci-dessous) montre que l’Allemagne a pris le monopole des relations ferroviaires internationales européennes et que Hitler a son Orient-Express, pour ne pas dire ses Orient-Express.

La carte de l’Europe occupée par l’armée allemande durant les premières années 1940. Berlin est reliée directement à Istanbul.

L’histoire peu ordinaire de la voiture 2419-D.

Cette voiture est une voiture-restaurant comme des centaines d’autres que la CIWL possède et fait rouler non seulement dans ses propres trains, mais aussi, comme voiture restaurant isolée dans des trains ordinaires. La voiture-restaurant 2419-D est livrée en mai 1914 par les ateliers de Saint-Denis d’une CIWL qui la destine très modestement aux trains desservant les grandes villes touristiques normandes au départ de Paris, comme nous le savons.

Ce que l’on sait d’une manière prouvée est que, le 4 juin 1914, cette voiture-restaurant 2419 D reçoit l’autorisation de circuler et est affectée à la desserte des trains au départ de la gare Montparnasse pour Saint-Brieuc (1914), pour Le Mans (1915-1916) puis au départ de la gare Saint-Lazare pour Deauville-Trouville (1918). Il est possible que les roulements et les nécessités quotidiennes du service, notamment en cas de défaut d’une autre voiture-restaurant, lui aient valu de connaître d’autres horizons normands sur des relations comportant un service de restauration.

Mais elle est réquisitionnée par l’armée en septembre 1918 et elle revient aux ateliers de la CIWL pour être transformée en une “voiture-salon-bureau” – une appellation curieuse qui, on s’en doute, n’existe pas du tout à la CIWL !… Elle sera alors incorporée au train du Grand Quartier général qui est stationné à Senlis.

Le plan de la voiture-restaurant 2419-D. En bas, le plan de la voiture alors devenue une curieuse “voiture-salon-bureau” pour le compte de l’Etat-Major. La grande table est au centre, recevant les plénipotentaires, et elle est entourée de tables plus petites pour le personnel d’assistance. A gauche, la cuisine est devenue un secrétariat.

Elle est bien aux normes de la CIWL, à ceci près qu’elle est construite selon le gabarit restreint des réseaux de l’Ouest (et de l’État qui en a repris l’exploitation en 1909), ces réseaux ayant été construits par des ingénieurs britanniques qui ont donc appliqué leurs propres principes avec un gabarit plus étroit et moins haut que celui des autres réseaux français et surtout européens. Notre voiture est donc un peu plus étroite et plus basse que ses consœurs à gabarit européen de la CIWL.

Toujours est-il que rien ne permet de penser que cette voiture ait pu rouler en étant incorporée dans l’Orient-Express, bien au contraire, car elle n’a guère eu le temps, pendant les quelques mois qui précèdent la guerre de 1914-1918, de quitter les lignes de Normandie avant d’être immobilisée par… son “service militaire”. C’est ainsi que son sort a été décidé, celui de rester une voiture roulant dans l’ouest de la France, avant de se retrouver dans le rôle d’un monument historique militaire qu’elle n’attendait pas et pour lequel elle n’avait pas été prévue – n’en déplaise aux auteurs ou aux journalistes qui s’improvisent “historiens du chemin de fer” dans un parcours souvent riche en diversité…

Hélas cette voiture n’aura donc eu aucune carrière internationale, car, comme l’ensemble du parc de la CIWL, construit peu avant la Première Guerre mondiale, elle roulera, mais un peu seulement, et peut-être encore pendant la guerre, continuera à assurer son service à titre de voiture isolée placée dans des trains des compagnies françaises qui étaient encore en service, au lieu de se retrouver dans les grands trains internationaux uniquement composés de matériel CIWL.

La scène est prise vers 1912 sur le “Calais-Méditerranée-Express” devant une voiture-restaurant à caisse en bois de teck proche de notre 2419-D. La brigade prend la pose… et montre un épluchage de vraies pommes de terre, chose salutaire et excellente que, aujourd’hui, on aurait bien du mal à mettre en scène pour une publicité “bio” !…

Le 29 octobre 1918[6], cette voiture est mise à la disposition du Maréchal Foch qui l’intègre dans son train d’état-major et, au début du mois de novembre, le 7 exactement, ce train est “dégaré” et roule jusque dans une clairière de la forêt de Compiègne équipée de deux voies (ou “épis”) distantes d’une centaine de mètres et reliées à la ligne de Compiègne et servant de voies de tir de canons à très longue portée orientés, on s’en doute, vers l’Allemagne. Notons que le train du Maréchal Foch n’est pas le seul: un second train analogue est amené sur l’autre voie de l’épis pour la délégation allemande.

Un choix loin d’être anodin.

C’est là que le choix d’une voiture de chemin de fer pour la signature d’un traité de paix devient intéressant. Car pour la signature d’un armistice, le choix habituel, comme la tradition et la commodité font que de traités de paix ont été signés dans de grands lieux d’importance nationale, ou des grands hôtels ou autres lieux vastes et prestigieux, et tout simplement plus commodes pour recevoir des délégations et un nombre impressionnant de personnes. Un train d’état-major n’offre pas de telles commodités et reste rarement choisi pour d’aussi grands événements : c’est pourquoi le choix effectué par le maréchal Foch est bien, d’abord, celui des symboles, et directement en relation avec un symbole fort que les trains de la CIWL ont porté dans l’Europe entière.

Une très rare photographie de l’intérieur de la “voitreu-salon-bureau” prise sans doute par un cheminot ou un sous-officier malgré l’interdiction de photographier… L’armistice vient juste d’être signé. Noter le téléphone à manivelle sur la gauche: la voiture est raccordée par une ligne provisoire posée par les “transmissions”.

Après la Première Guerre mondiale, la 2419-D perdra son bureau, retrouvera son destin de voiture restaurant sur les lignes de l’ouest, et poursuivra une carrière discrète pendant quelques mois dans le train du Président de la République.

Mais le gouvernement dirigé de Georges Clemenceau demande à la CIWL le don de cette voiture pour l’exposer aux Invalides à Paris, et une convention est signée en ce sens entre la CIWL et le gouvernement le 1ᵉʳ octobre 1919. Elle est exposée dans la cour d’honneur des Invalides à partir du 27 avril 1921 et jusqu’au 8 avril 1927.

Les aventures de la 2419-D ne sont pas finies: le wagon est restauré et se retrouve dans la fameuse clairière du bois de Compiègne qui a pris le nom de clairière de Rethondes, garée dans un bâtiment spécialement construit pour son exposition Le 11 novembre 1927, en présence du maréchal Foch et de tous les officiers alliés présents lors de la signature de l’armistice, la voiture-restaurant 2419-D commence alors ce que l’on pouvait espérer pour elle: une retraite paisible et entourée d’honneurs…

Une paisible et glorieuse retraite, sans doute un peu excessivement protégée par une artillerie abondante et arrogante, attend la 2419-D dans la cour d’honneur des Invalides. L’Allemagne en décidera autrement…

Mais le 22 juin 1940, les Allemands, avec qui nous sommes hélas en guerre une fois encore, et qui n’ont pas oublié que cette voiture est le symbole-même de leur humiliation de 1918, refont à leur manière le film de l’armistice en reprenant la même mise en scène, les mêmes lieux de tournage : l’armistice de 1940 est signé dans la 2419-D. Hitler n’assiste qu’à la lecture du préambule et, dès le lendemain, la voiture est acheminée jusqu’à Berlin, exhibée comme un trophée devant la porte de Brandebourg, puis dans le parc du Lustgarten.

Le vent de l’histoire s’emballe, et la 2419-D est évacuée de Berlin devant l’avancée des alliés, et elle est détruite par explosifs en 1944 à Crawinckel, en Thuringe, par des SS et sur l’ordre de Hitler, afin d’éviter qu’elle ne retrouve son lieu de gloire en France puisque la fin de l’Allemagne nazie est proche. Une petite anecdote de fin d’histoire: des pièces de la voiture comme le macaron de la CIWL, ou des lettres en laiton de la voiture, n’ont pu brûler et ont été plus tard récupérés par des habitants dont les descendants, en 1992, les font parvenir au mémorial de la forêt de Compiègne.

Alors quel est ce “wagon de l’armistice” que l’on voit actuellement à Rethondes ?

Aujourd’hui, dans la clairière de Rethondes, on peut toujours voir une voiture-restaurant de la CIWL exposée dans son petit bâtiment protecteur. Mais, malgré les apparences, ce n’est pas la 2419-D. Loin de là… et nous le savons.

Il s’agit effectivement de la 2439-D, certes presque identique, construite en même temps que la 2419-D, elle aussi au gabarit restreint des réseaux de l’Ouest et de l’État. Il a suffi d’en retirer les tables et les chaises et d’y installer une grande table en se conformant aux clichés d’époque, heureusement préservés et véridiques.

Comme la 2419-D, le wagon-restaurant 2439-D a été, lui aussi, construit pour être utilisé sur le réseau de l’Ouest en France, et donc n’avait nullement une vocation internationale a priori, ayant vécu sa vie sur les paisibles lignes de Normandie, de Bretagne ou de Vendée.

Alors: 2419-D ou 2439-D ? Soyons bons princes… et fermons les yeux sur la présence d’un chiffre 1 qui a remplacé un 3. Le cas n’est – aussi surprenant que cela paraisse pour ce qui est de la vérité historique – pas très rare et bien des musées réputés, par la force des choses, pourrait-on dire pour les excuser, n’ont pas échappé à cette manipulation, y compris dans les musées des chemins de fer les plus réputés. « The show must go on… »

La CIWL : un système de numérotation assez désarmant.

Le N°2419-D ou 2439-D qui nous intéresse n’est pas à lire comme on le ferait pour un marquage SNCF ou UIC: le compagnies de chemin de fer ont, en général, numéroté leur matériel roulant en utilisant des numéros “à tranches” dont, par exemple, certains chiffres indiquent une série, et d’autres le numéro individuel du véhicule dans la série, et d’autres, parfois séparés par un espace, peuvent indiquer le réseau ou le pays.

La CIWL n’a pas procédé ainsi, et elle a simplement commencé à numéroter son matériel roulant dans l’ordre d’arrivée depuis les ateliers de construction, en commençant par 1 en 1872 et en allant jusqu’à l’infini, soit 6463 pour les toutes dernières voitures T2 produites en 1975.

Qu’il s’agisse de voitures-lits, restaurant, salon, fourgons, tout est numéroté simplement à la suite, sans aucune indication de type, de provenance, de caractéristiques techniques. Dès les années 1880, c’est déjà ingérable et, pour « reconnaître les siens », la CIWL ajoute des « suffixes » (terme officiel) pour s’y retrouver : A, B, C  (voitures-lits selon les classes), D (voitures-restaurant, ce qui nous concerne ici), E (voitures-lits salon, voitures-salon sans cuisine), DE (voitures-salon avec cuisine), M (fourgons), MP (fourgons-postes). Comme quoi, cette normalisation que tout le monde déteste, est parfois utile, surtout dans le domaine ferroviaire.


[1] Voiture ou wagon ? Si, depuis une cinquantaine d’années et notamment depuis le lancement très médiatisé de la voiture Corail, le terme de wagon n’est plus utilisé pour désigner le matériel roulant voyageurs, au XIXe siècle, et comme on peut le constater chez les plus grands auteurs comme Proust (« nous montâmes en wagon »), c’est bien dans des wagons que les voyageurs voyagent quand ils songent à « prendre le chemin de fer ». La CIWL ne s’y est pas trompée, et le terme de wagon-lits ou de wagon-restaurant est bien le bon, même si, aujourd’hui, certains historiens pensent que ce terme est dû au fait que la CIWL soit belge. Les Belges ont souvent parlé un meilleur français que celui des… Français, et le fameux Grevisse, dictionnaire de référence de l’Académie française, est bien l’œuvre d’un Belge…

[2] Il s’agit des fameuses voitures-lits Pullman, un homme dont Nagelmackers admire et transpose les ideés en Europe.

[3] On pourra se reporter au livre « L’Orient-Express » paru en 2017 chez Hachette-EPA, écrit par l’auteur de ces articles. Beaucoup de détails techniques et économiques, peu connus, sont donnés et viennent enrichir ou plutôt recentrer la vision trop romanesque et mondaine de ce train.

[4] Rappelons que l’”Orient-Express”, comme la centaine de trains internationaux que la CIWL fera circuler, est un train privé et que, dès la création des chemins de fer et dans le monde entier, le privé a apporté des idées, des moyens, des solutions techniques, des hommes de grande valeur, mais que, nécessairement et dans le monde entier, le chemin de fer ne pouvait pas fonctionner sans les États et les pouvoirs publics qui devaient fixer les règles et apporter les garanties. Parler de « public » ou de « privé » n’a de sens que comme des butées extrêmes : tous les réseaux du monde sont situés avec des « curseurs » qui les positionnent, tous, dans des positions plus ou moins nuancées et intermédiaires. L’Orient-Express, privé, roule et arrive à l’heure, en passant d’un réseau à un autre, plus ou moins privé ou public, et même la dite nationalisation du réseau suisse, dès 1898, ne sera qu’un déplacement de curseur qui assurera à ce train emblématique de rouler comme il le fera pendant plus d’un siècle, c’est-dire avec ponctualité et sécurité.

[5] “Mitropa” pour „Mitteleuropäische Schlafwagen und Speisewagen Aktiengesellschaft“, créée le 24 novembre 1916. La compagnie existe toujours, devenue en 2006 la Select Service Partners 

[6] La Revue Générale des Chemins de Fer d’Avril 1970 comporte, page 291, une présentation du livre que Roger Commault consacre à l’histoire de cette voiture. Roger Commault a passé toute sa vie à la CIWL et il connaît parfaitement l’histoire de la CIWL et de son matériel roulant.

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