Tant pis pour l’honneur corse, même celui de l’époque qui ne pouvait être aussi beau que celui d’aujourd’hui : dans les années 1880, on prévoit dans l’Hexagone, la construction à moindres frais d’un modeste chemin de fer métrique pour la Corse, car on ne croit guère en son avenir économique.
Nous tenons à faire remarquer que la Corse est loin d’être le seul département à souffrir d’une telle image: les plus ruraux des départements du Massif-central (Lozère, Corrèze, Ardèche, etc) et des Alpes (notamment de la Provence), de la Bretagne dans son ensemble, ne passent pas plus, aux yeux du pouvoir central, pour des « Eldorados » prometteurs, loin de là, mais pour eux, on saura construire des réseaux de qualité en voie métrique comme le PO-Corrèze, le Vivarais (qui est un réseau PLM), tandis que les grandes lignes en voie normale et d’intérêt général traversant la Lozère sont construites par le PLM et le PO, tout comme l’exceptionnel réseau breton en voie métrique qui est le plus grand de France dans cet écartement.
Mais en ce qui concerne la Corse, disons que ce ne sera pas, pour le moins que l’on puisse dire, l’enthousiasme. Prévu dès la fin du XIXe siècle, le réseau corse nait sous le signe d’une certaine indifférence – disons administrative – et en investissant le moins possible, car, croit-on, il n’y a rien à espérer de la part de cette île qui apparaît comme bien pauvre, et bien éloignée. La sous-commission du Ministère des Transports prévoit, pour la Corse, un réseau placé sous le signe du “sous”, absolument minimaliste et digne des départements les moins peuplés de l’hexagone, et techniquement inspiré – tout au plus – de certains réseaux métriques de la région du Nord de l’hexagone qui ont excellé par leurs qualités de pingrerie et d’économie poussées jusqu’au moindre sou.
Le réseau corse en aura pour des décennies pour essayer de se mettre au niveau des besoins de ce que l’on peut appeler une région de la France, et, fait remarquable, il y parvient au début du XXIe siècle, au prix d’une reconstruction intégrale des infrastructures et de l’engagement d’un matériel roulant performant. mais la question reste posée de savoir si le développement économique de la Corse permettra à son réseaux de rester dans la dynamique de cette situation. Certes, sur le plan touristique, c’est-à-dire de la beauté des sites traversés, il est certain que ce réseau est parmi les plus beaux du monde. Cela suffit-il pour le faire vivre et remplir son rôle économique, sachant à quel point le tourisme est aléatoire, imprévisible, et sensible à la moindre crainte ou au moindre caprice ? De quoi est fait l’avenir de la Corse ?

Le premier des Corses et des Français n’est pas vraiment le premier à aimer les chemins de fer.
L’aventure ferroviaire ne semble pas faire partie de l’ADN corse, à en croire l’attitude de Napoléon Ier. En 1801, il est, comme d’habitude, dignement posté à cheval et en train de réfléchir à la prochaine stratégie tout en regardant à la longue-vue, depuis Boulogne, la très convoitée côte britannique. Un ingénieur, Albert Mathieu-Favier, s’approche de l’Empereur et lui déroule un projet de tunnel routier sous la Manche qui ne sera, dans les faits, que le tout premier d’une longue liste de projets ferroviaires qui durera presque deux siècles, avant son ouverture en 1994. Toujours est-il que, pour l’Empereur, ce projet est le premier et le dernier du genre, et il détourne le regard tout en faisant signer à l’ingénieur qu’il peut se retirer. En 1814, un autre ingénieur, polytechnicien celui-ci, Pierre-Michel Moisson-Desroches, propose au même Napoléon un réseau de lignes de chemin de fer présenté comme “Sur la possibilité d’abréger les distances en sillonnant l’empire de sept grandes voies ferrées”. Le projet Moisson-Desroches relie la capitale aux frontières, permettant d’y concentrer les troupes en quelques heures de trajet plutôt que quelques semaines de marche. Napoléon a, certes, d’immenses qualités et il l’a prouvé, mais il ne donnera aucune suite à ce projet : c’est un homme du XVIIIe siècle, celui d’une France qui est encore la première puissance mondiale par son agriculture et son armée. Les chemins de fer, et la Révolution industrielle, commencent déjà leur fantastique épopée dans un Royaume-Uni qui, déjà sous la Révolution française, a plus de 750 machines à vapeur Newcomen dans ses usines et un réseau ferré qui essaie ses premières locomotives. Napoléon, pourtant, s’intéresse aux techniques, crée les Grandes écoles pour avoir des ingénieurs compétents et disponibles, mais surtout dans une optique militaire, avec les travaux du génie et des ponts. C’est dommage pour Moisson-Desroches, car, avec des décennies d’avance, il a exactement conçu ce qui se réalisera sur le terrain sous un autre Napoléon et un Second empire et sous la direction de Alexis Legrand dont le nom restera éternellement associé au réseau national français en tant qu’ “étoile de Legrand”.
La Corse d’il y a cent ans : la Belle époque mais pas pour une île qui n’était pas encore dite “de beauté”.
Il y a cent ans, c’est la Belle époque, mais pas pour la Corse qui est un pays très peu développé, sans industries, et vivant d’une agriculture rudimentaire. Si certains Corses ont pu réussir dans la carrière d’empereur dont les sont très places comptées, beaucoup de Corses n’ont de perspective que de s’expatrier et de trouver un travail ou passer de difficiles concours pour espérer devenir fonctionnaires sur un continent qui ne les attend guère…
L’absence d’industrialisation n’incite guère à la construction d’un réseau de chemins de fer, et, finalement, si l’on construit ce réseau c’est avec l’espoir que le chemin de fer créera ou encouragera l’industrialisation du pays. Le chemin de fer créera l’industrie, ou bien c’est l’industrie qui créera le chemin de fer. Dans la réalité des faits, l’un attendra l’autre et réciproquement, et jamais les chemins de fer corses n’auront les industries nécessaires pour les faire vivre, tandis que leur destin se bornera au transport des populations, des animaux, des marchandises légères et messageries, destin qui, sur le continent, aurait inéluctablement entraîné une fermeture rapide du réseau. Mais ce ne sera pas le cas en Corse: le réseau ferré survit d’une manière exemplaire en matière de “politique territoriale” car les Corses n’aiment pas que l’on les spolie ou que l’on vienne détruire leur bien public pour d’obscures raisons de rentabilité.
En attendant le “Tremblottant” ou “Trinichellu”.
C’est ainsi que, de décennie en décennie, comme s’accrochant à son destin avec une rare vitalité, le réseau corse subsiste et est même développé : l’attachement de la population à son chemin de fer, l’art des Corses à faire connaître les causes qui leur tiennent à cœur et à les défendre ardemment, et, enfin réveillée, voici la volonté « parisienne» de doter la Corse d’un équipement et d’y maintenir une vie économique, voilà quelques-unes des raisons les plus connues qui font que, aujourd’hui, la Corse a un réseau qui ne lui fait pas honte, loin de là. Ironiquement surnommé le “Trinichellu” (à traduire non pas par “petit train” comme on le dit à tort, mais par “le tremblotant”), il semble que, désormais, le réseau ferré corse puisse mériter une autre appellation, car il a complètement changé et, surtout, les autorails actuels, confortables et stables, ne tremblotent plus.
La Corse sur la ligne Paris – Alger ?
Revenons au début de l’aventure ferroviaire corse. Ce qui est très peu connu est que le chemin de fer corse a été envisagé dans l’optique, courante dans les années 1870-1890, de faire que les trains, qui vont plus vite que les navires, viennent les remplacer et arriver, avant les bateaux, dans les ports par voie de terre partout où c’est possible. Ici, il s’agit d’un court-circuit de la ligne maritime traversant la Méditerranée, et reliant la France à l’Algérie – alors considérée comme partie intégrante du territoire national. Il ne peut être d’un tunnel entre Nice et Bastia, certes, ni entre l’Italie ou la Sardaigne et la Tunisie. Mais le voyageur arrivé en bateau à Bastia, pourrait continuer le voyage par train jusqu’à Cagliari, au sud de la Sardaigne, où l’on est en face de Tunis atteinte par une traversée comparable à celle de Nice à Bastia. C’est bien une des raisons plaidant pour la construction du réseau corse, et, aujourd’hui, elle est complétement sortie des mémoires.
Pour cela il fallait construire un réseau en Corse, et, surtout, une ligne directe par la partie est de l’île au relief peu accentué : ce sera la future ligne Bastia – Bonifacio. Malheureusement cette ligne, effectivement commencée, n’atteindra jamais Bonifacio, le port situé à la pointe sud de l’île. Elle s’embranchera à partir de la ligne Bastia – Ajaccio à Casamozza, elle poussera difficilement jusqu’à Porto-Vecchio, atteinte pendant les années 1930, s’arrêtant à 30 km de son but. Elle ne se remettra jamais de la Seconde Guerre mondiale et sera fermée, sa remise en service étant jugée peu rentable, desservant une région côtière peu active, et on ne savait même plus, en la fermant, pourquoi elle avait été construite.
Si cette ligne avait atteint Bonifacio, elle trouvait, juste en face d’elle de l’autre coté du détroit, le port de Palau, situé au bout d’une interminable ligne en voie de 950 mm menant jusqu’à Sassari à 150 km de là, où l’on change pour la voie normale qui mène jusqu’à Calgari. On pouvait prendre aussi un bateau Bonifacio – Olbia pour trouver, dans ce dernier port plus important situé plus au sud de Palau, le réseau sarde en voie normale et gagner Calgari d’une manière plus rapide par une grande ligne. Mais la lenteur des trains en voie métrique corse ou en voie de 950 sarde, et en voie normale sarde, tunisiennne, et algérienne, suffisait pour dissuader le voyageur pourtant le plus allergique au mal de mer…Un Paris – Alger avec six transbordements portuaires, trois voyages en bateau, quatre en train sur trois écartements différents, imposant en prime le détour par Tunis, si l’on voulait faire un maximum par le rail, ne pouvait rivaliser de vitesse avec les bateaux même les plus lents de l’époque.

Le destin difficile du “Trinichellu”.
Perdant tout rôle international et réduits à un rôle départemental, les chemins de fer corses ne cesseront de passer de mains en mains : ils sont donc tout d’abord confiés, par la loi du 19 décembre 1883, à une administration, celle des Chemins de fer départementaux (CFD) qui exploitent le réseau pour le compte de l’Etat dans l’hexagone. Cet accord reste valable jusqu’en 1945, époque à laquelle le réseau corse passe en Régie jusqu’en 1965, puis est confié successivement à diverses sociétés privées sous tutelle plus ou moins forte des pouvoirs publics, dont la CFTA, avant de devenir purement et simplement une partie intégrante de la SNCF en 1983. Cette date marque la fin d’une période assez difficile, celle de 1945 à 1983, pendant laquelle il semble que personne ne veuille du réseau corse qui passe de mains en mains sous la forme, oserons-nous le dire, d’une “patate chaude” brûlante.
L’exploitation est donc assurée par la SNCF à partir de 1983, et l’on peut voir, dans cette période, une véritable volonté de remettre, si l’on peut dire, le réseau corse sur ses rails. Quelques huit années plus tard, en 1991, la question de la survie du réseau est clairement posée à la Collectivité territoriale de Corse (CTC) dans le cadre d’une désétatisation et d’une décentralisation présentées comme “modernes” et inéluctables. La CTC accepte de prendre à bras le corps le problème, car elle est l’autorité organisatrice de l’ensemble du transport corse depuis le 13 mai 1991. On progresse à pas comptés et prudents… L’infrastructure ferroviaire, qui est dans les faits la partie la plus grave du problème vu son état d’usure extrême, reste pour un temps la propriété directe de l’État français, puis revient à la CTC le 22 janvier 2002 qui se trouve “au pied du mur” avec la responsabilité de parier sur l’avenir et de refaire, en particulier, les infrastructures: les grands travaux commencent immédiatement.



Totalisant 232 km, les deux lignes des chemins de fer de la Corse ne font donc plus partie du réseau ferré national qu’est la SNCF. Etape suivante : au 1er janvier 2012, la SNCF cesse d’assurer le service commercial du réseau, car la CTC a choisi de confier l’exploitation à une société d’économie mixte (SEM) constituée à cet effet. Certes, on est entre gens courtois, et SNCF reste, avec son expertise reconnue, un conseiller technique écouté, mais la Corse est, enfin, totalement chez elle sur son réseau, et face à ses responsabilités.
Les problèmes demeurent. Les temps de trajet en train sur le réseau corse ont toujours été très longs, car le relief très montagneux de l’île impose des tracés sinueux puisque construits à l’économie, en suivant les courbes de niveau du terrain et en renonçant le plus possible aux ouvrages d’art. De Bastia à Ajaccio, la ligne maîtresse du réseau, la distance est de 158 km, tandis que de Ponte-Leccia à Calvi, ce sont 74 km d’une ligne difficile, et de Casamozza à Porto Vecchio (enfin atteinte en 1935) ce sont 129 km de ligne portant, à l’époque, le kilométrage total du réseau corse à 360,47 km de lignes à voie métrique. Les gares de Ponte-Leccia et de Casamozza sont donc les deux gares importantes de bifurcation du réseau corse que l’on peut considérer comme situées sur la ligne principale Ajaccio-Bastia, et desquelles se détachent respectivement les lignes de Calvi et de Porto-Vecchio.





La sous-commission de 1883 met la Corse sous le signe du “sous”.
Ce qui est très peu connu est que le réseau de la Corse est la transposition des lignes à voie métrique de Hermes à Beaumont ou d’Anvin à Calais, établies par la compagnie du Nord dans les années 1870 et qui servent de modèles par la réussite technique et les qualités d’économie dans les dépenses d’établissement et d’exploitation. Tout est transposé : les gares, les installations fixes, le matériel roulant, le système d’exploitation, tout… sauf, bien entendu, le relief et les lieux : on passe d’un pays plat à un véritable pays de montagne, et d’une région qui a un réseau grandes lignes à voir normale très performant à une île qui n’a pas d’autre chemin de fer, et c’est bien ces caractéristiques proprement corses qui ont été oubliées dès le départ.
La sous-commission réunie par le Ministre des Transports et présidée par Sartiaux, sous-chef de l’exploitation du réseau du Nord, est donc bien placée sous le signe du « sous » à tous points de vue et estime que « précisément il faut donc compter-que, pendant longtemps, le service devra être presque exclusivement assuré avec des trains mixtes. Il est extrêmement probable que, pour satisfaire le plus économiquement possible aux exigences du trafic des voyageurs et des marchandises, on desservira la ligne avec deux sortes de trains mixtes, les uns, ayant plus spécialement le caractère et l’allure des trains de voyageurs, ne contiendront, en général, que les wagons complets à prendre ou à laisser dans les stations; les autres; qu’on pourrait appeler marchandises-voyageurs, seront, avant tout, des trains de marchandises qui transporteront surtout les marchandises de détail et ne contiendront les voyageurs qu’ à l’état d’accessoires ». Bref, la Corse, il n’y a pas grand-chose à attendre, et les rares voyageurs feront de la figuration dans les trains destinés surtout aux marchandises.


C’est ainsi que, dans une vision aussi restrictive et pessimiste, les gares du type métrique du Nord seront établies de manière à fonctionner avec le « moins grand nombre d’agents possible » (sic) et les manœuvres devront être faites avec les locomotives des trains ce qui, on s’en doute, fera baisser sérieusement la vitesse moyenne commerciale des trains en question qui, de gare en gare, devront attendre patiemment que les manœuvres soient faites. Il n’a aura pas de signaux, sinon que des signaux pour les lignes à faible trafic : disques rouges d’arrêt, verts de ralentissement, et blancs de voie libre, manœuvrés à la main et, techniquement, ne jouant tout au plus qu’un rôle de drapeau, ou de lanterne, ou de guidon de chef de gare installé à demeure. On admet cependant la présence d’indicateurs de position d’aiguille sous la forme d’un simple disque de tôle pivotant avec le mouvement des lames.
Trains et techniques d’exploitation du réseau Corse.
Lors de son apogée d’entre les deux guerres, le réseau corse acquiert sa physionomie tant sur le plan des techniques que de l’exploitation. Mais il lui faudra encore s’adapter à partir des années 1960
Le réseau à voie métrique de la Corse est, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a son apogée géographique. Entièrement établi sur plate-forme indépendante, d’une longueur totale de 352 kilomètres, le réseau corse est exploité par les Chemins de fer départementaux en régie d’Etat. Il a nécessité, du fait de la nature montagneuse de l’île, un nombre important d’ouvrages d’art, tant en ponts qu’en souterrains, ce qui donne, certainement, une grande beauté touristique aux lignes de l’île.
Le matériel roulant est composé de petites locomotives-tender, de voitures à bogies (on préconise d’éviter les voitures à essieux indépendants, vu le faible rayon des courbes) et de wagons à marchandises courts à deux essieux, comparable à celui de bien des lignes en voie métrique d’époque.
Les locomotives à vapeur engagées sur le réseau sont de quatre types : des 031T et 130T Fives-Lille, des 020+020T Mallet de la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques ou des Batignolles, et enfin des 050T Orenstein & Koppel en provenance des métriques d’Algérie et de Tunisie, via le réseau de la Côte d’or. Numérotées sur le réseau corse de 28 à 41, les 031T sont construites à Fives-Lille en 1886-1888 et forment la toute première série utilisée. Les 130T, de conception et d’aspect très analogues, sont numérotées de 53 à 56, et ces quatre machines sont construites en 1891. Les 22 locomotives 020+020.T Mallet de la SACM sont construites en 1893, 1895, 1906, 1924, 1927, 1930 et 1932 et sont numérotées de 301 à 319, puis 351 à 353. Elles forment la plus belle série de « Mallet » françaises en voie métrique. Les quatre locomotives 020 + 020T livrées par les Batignolles en 1897 sont numérotées 251, 253, 254 et 258. Enfin les deux 050T produites par Orenstein & Koppel arrivent sur le réseau corse en 1944 sous les numéros 50 et 51.
Ce sont les 020+020.T SACM qui assurent le service le plus remarquable et le plus long sur le réseau corse. Roulant à 40 km/h, et pouvant atteindre une vitesse record de 60 km/h (pour le réseau corse), ces machines durent jusque vers les premières années 1950, deux seulement étant détruites pendant la guerre, et, après mars 1950, six d’entre elles sont encore affectées aux trains de travaux jusqu’en 1954, d’après Pascal Bejui. Par contre les 031T et les 130T ne dépassent guère les années 30, six d’entre elles survivent aux destructions de 1943, et une roule jusqu’en 1948. Elles sont donc tout à fait à leur place sur un réseau se situant durant les années 30. Les lourdes 050.T, par contre, apparues pendant la guerre, n’intéressent pas notre période de référence, et, de toute façon, ne firent qu’un bref et peu apprécié service de 1944 à 1948, vu leur état et leur inadaptation au réseau.

Les voitures remorquées par les locomotives à vapeur sur le réseau corse se subdivisent en deux groupes : les douze voitures à essieux, et les cinquante-cinq voitures à bogies dont les premières, livrées en 1888, ont des caisses en bois et des portières latérales, et les dernières, livrées en 1920, 1927 et 1932, ont des caisses en bois à panneaux métal et des plates-formes extrêmes fermées. Les transformations sont nombreuses, et neuf des dernières voitures sont affectées comme remorques d’autorail et peintes en rouge et gris clair. Les autres voitures conservent la livrée gris-bleu des origines. Quant aux wagons de marchandises, la trilogie éternelle des couverts, tombereaux et plats domine. Les châssis ont des empattements faibles, de 2,50 ou 2,57 m, et la charge utile est de 10 tonnes. Seuls des plats entièrement métalliques, livrés en 1930, représentent un matériel quelque peu évolué dans ce domaine des marchandises.

La traction diesel, pour le peu de marchandises qui reste.
Il est à noter que les trains de marchandises passent en traction diesel en 1951. Les deux puissants locotracteurs de ligne type BB de 600 ch livrés par Brissonneau & Lotz marquent, cette année-là et avec leur ligne nouvelle, leur puissance de traction inégalée, un espoir de renouveau pour les chemins de fer corses. Numérotés 401 et 402, leur haute silhouette très carrée avec les trois baies frontales et les hublots latéraux donnent un coup de vieux au matériel marchandises que ces engins remorquent le plus souvent. En 1963 une nouvelle machine du même type, numérotée 403, vient en renfort des chemins de fer de Provence, mais n’augmente pas le nombre d’engins, puisque la 401 a justement brûlé le jour précédent… En 1963 arrive un autre locotracteur, le n° 404, suivi du n° 405 en 1965 ces deux engins sont différents, avec leur cabine centrale, leur puissance moindre (414 ch), leurs bielles d’accouplement sur les bogies. Tous deux sont de type BB construits dans les ateliers de Montmirail des CFD.

Les autorails sauvent le réseau.
Ce sont bien les autorails qui vont sauver le réseau corse, et ils dominent d’une manière absolue à partir du milieu des années 1950, quand la vapeur est éliminée de la traction des trains de voyageurs. Si l’on exclut deux autorails Crochat dits « pétroléo-électriques » ayant fait une brève apparition entre 1924 et à la fin des années 1920, la grande époque des autorails avec l’apparition, en 1935, du premier autorail Billard. Numérotés de 101 à 106, ces six premiers autorails sont du type A-210-D (ou D-1) et sont tous livrés en 1935-1936.
La grande année reste 1938 avec la livraison des six autorails Billard A-150-D de 150 ch numérotés de 111 à 116, et des huit remorques du même constructeur, type R-210 numérotées de 1 à 8. Les autorails Renault ABH apparaissent en 1950 et restent, pour les cheminots corses, inégalables et sans doute les meilleurs. En 1975 les autorails X-1200 et X-2000 apparaissent, suivis en 1981-1982 par les X-5000, en attendant les autorails Soulé actuels introduits pendant les années 1990.






Un réseau bien tracé, et complet, mais qui souffrira des guerres.
La ligne principale totalise une longueur de 158 kilomètres. Elle relie Bastia à Ajaccio en traversant obliquement toute l’île du nord au sud. À Ponte-Leccia, elle donne naissance, sur sa droite, à un embranchement de 74 kilomètres desservant Calvi. Sur 22 kilomètres jusqu’à Casamozza, la ligne de Bastia à Ajaccio est, de fait, en tronc commun avec la ligne de la côte Est, longue de 152 kilomètres, qui unit Bastia à Porto-Vecchio. L’ensemble du réseau corse, à son apogée des années 1940, est donc en forme de « H » (voir la carte), la ligne principale faisant, en quelque sorte, une diagonale reliant le nord-est au sud-ouest. La Seconde Guerre mondiale supprimera la partie inférieure droite, et laissera en place ce qui correspond au réseau actuel.
Les ateliers et le dépôt sont installés traditionnellement à Bastia, tête de ligne pour les trois lignes, car Bastia est la gare la plus importante du réseau par ses installations et ses possibilités. Le service en 1948 est encore assuré par des trains à vapeur, mais des autorails « express » sont déjà en service. Sur la ligne principale circulent des trains et autorails spéciaux rapides, en correspondance à Bastia et Ajaccio avec les paquebots et la France continentale. Les 158 kilomètres du parcours sont couverts en 3 h. 45 à la vitesse moyenne de 36 km/h : c’est, pour l’époque, une vitesse satisfaisante sur un parcours extrêmement dur qui, ayant son point de départ et d’arrivée au niveau de la mer, s’élève à près de 1.000 mètres d’altitude en cours de route. Il est à noter que ces déclivités atteignent 30 pour mille sur la ligne d’Ajaccio.
Les cheminots corses : la volonté de vivre et de réussir.
Il n’est pas facile, dans les années 1950, d’être cheminot en Corse : le réseau est décrié, abandonné, mais ils persistent à croire et à exceller.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dès les années 1950, on a compris que le développement de l’automobile a rendu inutile la réalisation de projets de renouvellement du réseau ferré corse. Pis encore, pour le chemin de fer et pour la Corse qui en paie aujourd’hui toujours les conséquences, les efforts portent sur l’extension et l’amélioration du réseau routier et le chemin de fer assure encore pour un temps les transports sur les axes vitaux de l’île, la route le complétant partout en attendant de le tuer.
La Seconde Guerre mondiale a fait souffrir réseau ferré corse et, sans doute, beaucoup plus que la concurrence exercée par la route. Très vulnérable par ses multiples ouvrages d’art, le réseau a souffert non de destructions liées directement à la guerre, mais du manque d’entretien et de moyens liés à la situation de pénurie économique créée par l’époque. Si les deux lignes d’Ajaccio et de Calvi rétablies en urgence dans les années de la libération, celle de Porto-Vecchio est bien la ligne que le manque de moyens pour la remise en état a condamnée à mort : elle ne sera jamais reconstruite. On songe surtout à modernisation du matériel des lignes encore en service, et, même, à l’électrification des deux artères transversales au profil le plus dur, c’est-à-dire Bastia-Ajaccio d’abord, puis Casamozza-Calvi ensuite. Cette électrification, qui devait être envisagée avec le développement de la production d’éléctricité de l’île par l’utilisation des ressources hydrauliques, ne sera pas, non plus, entreprise. Les années 1950 sont celles d’un véritable abandon de ce réseau ferré.
Le réseau des solutions souvent improvisées.
Pour survivre, le réseau corse adopte un esprit et des techniques qui sont tout à son honneur par leur ingéniosité et leur faible coût, et qui montrent, aujourd’hui, à quel point les pouvoirs publics français ont laissé les cheminots corses se débrouiller avec les moyens du bord.
L’histoire des locotracteurs « maison » corses, déjà, mériterait un livre entier…Du côté des engins de manœuvres, la période des années 1950 ne manque pas d’attraits. Il faudrait commencer par la description de deux Jeep de l’armée américaine transformées en locotracteurs selon le principe bien connu. Mais on pourrait longuement écrire sur le locotracteur n° 114 qui, reprenant le numéro de l’autorail Billard 114 détruit accidentellement ainsi que ses bogies, est doté d’un moteur Renault et d’une caisse très… artisanale, et qui est en service à partir de 1955 entre Bastia et Calvi. Laid au possible, cet engin est surnommé avec un humour que les Corses n’abandonneront jamais le « sous-marin ». Signalons enfin un autre « bricolage », certes pour le moins plus réussi esthétiquement, avec un bogie d’autorail Billard et un moteur Man de 210 ch donnant le locotracteur à deux essieux n° 403 qui est en service entre 1957 et 1962. (A ne pas confondre avec l’autre 403 Brissonneau & Lotz qui reprend le numéro vacant.)
A ces engins, s’ajoutent trois autres locotracteurs très différents de conception, puisque consistant en des châssis de locomotives type vapeur à trois essieux transformés par le montage de moteurs Willème de 180 ch : le n° 1 transformé par les CFD en 1948 et affecté en Corse en 1966, le n° 2 transformé en 1950 par les voies ferrées du Dauphiné et affecté en Corse à la même date, et le n° 3, type 031 (ou Cl devrait-on dire?) ex-Seine-et-Marne transformé en 1951, et se retrouvant en Corse toujours à la fin des années 1960. Seul, le n° 1 dépasse le cap des années 1970, les deux autres se limitant à un service très aléatoire.
Mais aussi le réseau corse est un grand acheteur de matériel d’occasion qu’il reconstruit ou améliore, selon les cas, notamment dans le domaine des autorails Billard, déjà pittoresques à l’origine, surtout pendant cette période des années 1950 qui permet de regrouper sur le réseau presque tous les Billard possibles et imaginables… Le réseau rachète des A-150-D et des A-80-D aux réseaux du Tarn, du PO-Corrèze, et des remorques R-210 ou des remorques à messageries CFD aux réseaux du Tarn, de Seine-et-Marne ou du Vivarais. Enfin, signalons que le réseau corse transforme et modernise des caisses et aménagements intérieurs d’un certain nombre de Billard qui perdent complètement leur « look » très rustique pour prendre un aspect beaucoup plus anodin. N’oublions pas l’autorail De Dion-Bouton type OC-1, ex-Côtes-du- Nord, ex-Breton, ex-Somme que le réseau corse reçoit en 1973 mais ne semble pas avoir fait un usage triomphant.
Sans aucun doute la période des années 1980 marque, enfin, un espoir de modernisation du réseau avec l’arrivée des autorails SY conçus aussi pour le réseau des Chemins de fer de Provence, et surtout avec le très beau matériel X-97051 à 97057, avec ses remorques, construit entre 1989 et 1997 par Soulé et la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques et qui compose des rames très performantes et confortables.



L’avenir : il commence en 2007avec le nouvel autorail AMG-800.
Dans les années 1990, les chemins de fer de la Corse prennent conscience de leur rôle économique nouveau qu’ils peuvent jouer dans le cadre des politiques régionales mises en place, et parviennent à persuader les autorités qu’ils ont besoin d’un nouveau matériel plus performant et plus à la hauteur de ce que peut espérer une région française. Le chemin est long… Mais la Collectivité Territoriale Corse, autorité organisatrice des transports ferroviaires, parvient à trouver le financement et à acheter, pour 46 millions d’Euros, douze nouveaux autorails qui vont permettre de renouveler près de 70 % du matériel roulant existant. Le premier de ces autorails est livré en juin 2007. La mise en service de ce matériel s’échelonnera jusqu’en 2009. Fabriqué par les CFD dans leur usine de Bagnères-de-Bigorre, dans les Pyrénées, le nouvel autorail AMG 800 subit des essais depuis janvier 2008 en vue de son homologation.
Ce matériel représente, dans les faits, le premier qui soit réellement adapté au relief montagneux de l’île et au profils sévères des lignes sur lesquelles il peut rouler à 100 km/h. Grâce à la transparence des cloisons des cabines de conduite et au plancher incliné qui équipe les salles d’extrémité, les voyageurs disposent d’une bonne visibilité sur l’ensemble des sites offerts, bénéficiant même de ce que les amateurs britanniques et américains appellent un « drivers eye » (l’œil du conducteur) avec vue directe sur la voie, ce qui satisfera a clientèle touristique, qui compose 70 % de la clientèle totale du réseau.
Les AMG 800 sont des rames climatisées, pourvues de grandes baies vitrées panoramiques et accessibles au personnes à mobilité réduite. Cet autorail est doté d’un système informatique embarqué qui va permettre de faciliter la conduite sur un réseau dont les 232 kilomètres de voie sont en renouvellement, avec mise en service d’un poste de commandement centralisé informatisé pour rendre les mouvements des autorails plus sûrs en ligne. Ce renouvellement des voies et ce poste informatisé coûtent, d’après la Revue Générale des Chemins de fer, 263 millions d’Euros. Enfin le chemin de fer corse démarre et a réussi, au terme d’une longue et lente survie, à s’insérer dans la modernité et l’utilité.



Pour finir, une intéressante comparaison avec le réseau de l’île voisine : la Sardaigne.
La Sardaigne n’est pas la Corse, tant par son histoire, par l’approche du pouvoir public italien, par sa superficie qui est presque le double, que par la politique et la conception de son réseau ferroviaire. Voisine, cependant, de l’île française, cette île italienne semble avoir été mieux lotie, avec un réseau plus dense, desservant l’ensemble de l’île, comprenant même de la voie normale marquant une volonté, de la part du gouvernement italien, d’équiper la Sardaigne, tout comme la Sicile, avec un réseau ferré tout à fait à la hauteur, techniquement, du réseau ferré national qui est, historiquement, un des premiers réseaux européens nationalisé (1905) peu après le réseau suisse. On peut dire que le réseau national “Ferrovie dello Stato” dessert intégralement l’Italie, îles comprises, comme étant un seul état.
Cette importante île italienne de la mer Méditerranée, la deuxième par son étendue (24 000 km2) après la Sicile, attend son chemin de fer pendant la deuxième moitié du XIXe siècle. La construction de la grande ligne centrale à voie normale reliant Olbia à Cagliari par le centre de l’île, selon un axe nord – sud, longue de 287 km, est la grande affaire qui est rondement menée avant la fin du siècle. Sur cette ligne se grefferont, jusque durant les années 1930, une quantité de lignes secondaires en voie de 950 mm des « Ferrovie Complementari della Sardegna » ou encore des « Ferrovie Meridionali Sarde » pour n’en citer quelques unes, et desservant, principalement avec des autorails, un grand nombre de petites bourgades. Certaines de ces lignes pourront bénéficier de l’apport du transport des minerais du bassin de Sulcis, dans le sud de l’île : plomb, argent, zinc, lignite, et un peu de charbon.
Vers 1880, le réseau italien comprend, dans sa totalité, une densité de lignes plutôt inférieure à celle des pays européens de l’époque. Mais le réseau de Sardaigne est assez bien loti avec 414 km de lignes sur lesquelles circulent 14 locomotives à vapeur à deux essieux accouplés et 18 à trois essieux. Il y a 96 voitures à voyageurs (dont 4 voitures salon quand même !) et 400 wagons à marchandises, et la composition moyenne des trains est de 3 à 4 véhicules. Le déficit est, déjà, important avec l’équivalent de plus de 817 000 Frs de l’époque, mais l’île sera relativement épargnée par la campagne de fermetures qui suit la Seconde Guerre mondiale : particularité insulaire oblige….

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