Lorsque, en Allemagne, en 1903, la vitesse de 210 km/h est atteinte par une automotrice roulant sur cette ligne militaire des environs de Berlin, ce n’est pas l’enthousiasme qui prévalut, mais plutôt l’indifférence… Certes, les ingénieurs qui ont piloté l’exploit sont heureux et leurs collègues du monde entier témoignent félicitations et admiration, mais les pouvoirs publics et l’opinion allemande n’accordent qu’une attention distraite ou amusée à un événement qui, à leurs yeux, est plutôt le fait d’un tramway roulant plus vite qu’il ne devrait que la naissance de l’ICE et de la grande vitesse ferroviaire.



Il faut dire que, à l’époque, l’électricité est, pour tout ingénieur des chemins de fer qui se respecte, “un amusement de laboratoire tout juste bon à faire tinter des sonnettes des gares ou des passages à niveau” (selon un ingénieur grand partisan de la vapeur sur le PLM en France!), ou à “faire rouler des tramways et des métros”, mais nullement une force motrice capable de faire rouler rapidement des trains lourds sur des grandes lignes. Une vitesse de plus de 200 km/h atteinte par un véhicule qui a tout à fait l’aspect d’un gros tramway relève, certes, de l’exploit technique gratuit confinant à la curiosité scientifique, mais n’annonce nullement un progrès décisif pour la traction ferroviaire des grandes lignes des temps à venir.
Les ingénieurs allemands qui ont monté ces essais ne voient pas les choses de la même manière. Ils ont mené à bon terme ces essais et savent, par contre, qu’ils viennent de faire rouler le train du futur. Ils savent aussi que seule la traction électrique peut permettre les grandes vitesses de l’avenir. Mais, l’Allemagne et autour d’elle l’Europe et l’ensemble des pays industrialisés oublient ce record, et ce n’est qu’en 1954 que l’on se souviendra de son existence quand il sera battu, mais cette fois en France (statistiques et rigueur obligent, car sur les tableaux historiques, il faut mentionner les prédécesseurs).
Pas du sport, ni un tour de force, mais pourtant plus vite que les oiseaux.
Le succès des essais des trains électriques sur la ligne de Marienfelde à Zossen est connu de tous les ingénieurs se passionnant pour la traction électrique en des temps qui précèdent la Première Guerre mondiale. La presse écrit à l’époque que des vitesses allant jusqu’à 210 km/h à l’heure ont été atteintes, vitesses de beaucoup supérieures à celles des locomotives à vapeur jusqu’alors sagement limités à une vitesse commerciale deux fois moindre, et supérieures également à celle du vol des oiseaux les plus rapides.
« Ces essais n’ont pas été des exercices de sport, des tours de force, comme l’ont été quelques records de trains â vapeur à marche particulièrement rapide » écrit un ingénieur allemand qui a participé aux essais. C’est peu à peu, par vitesses régulièrement croissantes, qu’on est arrivé à ce résultat, exactement comme on l’a fait, ces dernières décennies, pour les records de vitesse des TGV ou des ICE. Ces essais menés de jour en jour ont permis d’établir les conditions techniques nécessaires à l’obtention des très hautes vitesses et ont fourni les données d’établissement des chemins de fer électriques à grande vitesse. Pour les grands fabricants comme AEG ou Siemens, qui équipent les motrices en moteurs et systèmes de commande, un nouveau champ d’activités à l’industrie électrique est en perspective. Les applaudissements enthousiastes des assistants se font entendre quand on dépasse la première fois la vitesse de 200 km/h, et cela sans accident.
On s’interroge, pourtant, dans les milieux des ingénieurs électriciens de l’époque : il est certain que l’on entrevoit déjà la possibilité de construire partout des lignes à grande vitesse et de marcher à 200 km/h. Cette perspective est enchanteresse, pour eux, mais la réalisation n’en est pas si simple. La question est de savoir dans quelle mesure ce nouveau champ d’activité sera profitable. Faute d’un grand réseau qui s’intéresse à la question, seule l’expérience faite d’abord sur quelques lignes particulières pourra apporter une réponse à cette question, car personne, pour le moment, ne sait quel est le développement du trafic qui en résultera. On notera que ce sera surtout l’Italie des années 1930 qui, la première, construira des lignes spéciales dédiées à la grande vitesse, appelées “direttissima”, parcourues par des automotrices électriques roulant à plus de 150 km/h. Dans les années 1960, le Japon reprendra cette idée. Puis ce sera au tour de la France dans les années 1970.


De curieuses installations en ce qui concerne la voie.
Ces essais allemands innovants ont lieu en Septembre et Novembre 1901, puis en 1902 et 1903, sur la voie militaire de Marienfelde à Zossen, près de Berlin, et qui est très peu active. Elle a 23 km de longueur et ne comporte que peu de rampes. Il existe deux courtes courbes de 2.000 mètres de rayon à Rangsdorf et Mahlow aux deux extrémités, et, entre elles, il y a des courbes d’un rayon de 4.000 mètres et au-dessus. La voie n’est pas merveilleuse : elle est posée en rails de 33 kg/m, et elle doit être renforcée par adjonction de nouvelles traverses. Cette opération de fortune se montre inefficace et la voie est très durement éprouvée dans le sens vertical et horizontal par les mouvements de lacet des automotrices électriques lors des premiers essais. En 1903, on remplace la voie par une voie du type normal des Chemins de fer de l’État prussien, armée en rails de 41 kg/m à 18 traverses par coupon de 12 mètres. Il est à noter que cette nouvelle voie est seulement prêtée par l’Etat prussien ! Posée par les soins de l’armée, elle restera en place et sera, plus tard, intégrée au réseau urbain “S-Bahn” de Berlin.
Durant les deux premières années, la vitesse des essais est limitée à 150 et 160 km/h. On n’imagine guère aller plus loin. On se tient en général à 140 km/h, car au-delà de cette vitesse, les mouvements de lacet des automotrices deviennent trop violents. Mais on pense à la vitesse de 200 km/h qui est présente dans tous les esprits, et les ingénieurs de la voie posent le long des rails des contre-rails spéciaux contre lesquels viendrait s’appuyer la face intérieure d’une roue d’un essieu si le boudin de l’autre roue du même essieu tend à monter sur le rail.
Des roues aux bandages badigeonnés en blanc !
Aux aiguilles et pointes de cœur de la station de Mahlow, on rapporte de même des lames formant contre-rails que l’on est obligé de visser en partie avant l’essai et de démonter ensuite. Les contre-rails sont placés à 50 mm des rails, de façon que les bandages neufs aient encore 12, 5 mm de jeu de chaque côté du boudin. Pour qu’un effleurement se produise, il faudrait donc que le bandage se déplace sur le rail de 7, 5 mm en plus des 5 mm de jeu normal. En pratique, cet effleurement se produit non seulement dans les courbes, mais aussi en ligne droite, chose détectée en badigeonnant en blanc les faces internes et externes des bandages des roues. Il semblait donc démontré que les automotrices électriques à 200 km/h seraient sorties des rails si ou n’avait pas mis les contre-rails. En examinant la chose de plus près, on s’aperçoit que l’écartement de la voie est, comme d’ordinaire en Allemagne, un peu plus large que l’écartement normal, de sorte que les roues pouvaient porter contre le contre-rail sans que pour cela les boudins ne viennent monter sur les rails. La question est donc posée de savoir si ces contre-rails sont réellement nécessaires, mais, par précaution et en dépit de l’avis contraire de certains ingénieurs, on les laisse.
Une caténaire à trois fils superposés: pourquoi ce mystère ?
Les fils de prise du courant sont au nombre de trois, peu tendus, placés en nappe verticale à un mètre les uns au-dessus des autres, et les archets de prise du courant s’appuient latéralement sur eux. Cette solution, mise au point seulement pour les essais, interdit la pose et l’utilisation d’appareils de voie. Les poteaux sont placés tous les 35 mètres, sur un côté de la voie. Par très grand vent de travers, les fils, en se balançant, produisent des mauvais contacts fréquents…
Notons que le courant traction est du triphasé, solution très intéressante, tentée à l’époque en Allemagne dès 1879 par Siemens, mais aussi en Suisse, en Italie, et que seul le réseau Italien utilisera, avec deux fils aériens et un retour par la voie, jusque dans les années 1930 sur 2700 km de lignes avant de reconvertir ces lignes en 3000v continu et caténaire à un seul fil, comme sur l’ensemble du réseau italien.

Pour revenir à nos essais allemands de 1901-1903, chaque fil fait, à chaque point de suspension, une boucle autour d’un fil de protection constamment relié à la terre. En cas de rupture du fil, sa boucle vient s’appuyer sur ce fil de protection ce qui produit un court-circuit et fait interrompre le courant. On évite ainsi tout danger. Des oiseaux sont souvent venus se percher sur cette boucle et en picorant le fil de protection ont causé beaucoup d’ennuis par les courts-circuits qui se sont produits, note un ingénieur. Le courant triphasé est fourni par l’usine d’Oherspree à la tension de 13.000 volts et à la fréquence de 45 périodes (terme d’époque remplacé par “hertz”, symbole “Hz”).
Les automotrices: innovantes, pour ne pas dire curieuses.
Elles ont été construites chez Van der Zypen et Charlier, à Deutz, qui est bien un fabricant très connu d’automotrices électriques à voyageurs pour les chemins de fer allemands. Elles sont grandes et très lourdes. Elles reposent sur deux bogies à six roues. L’automotrice électrique « A » est celle qui reçoit un équipement de traction construit par l’Allgemeine Elektrizitäts Gesellschaft (AEG). Sa caisse a une de longueur de 21 mètres, et une largeur de 2,800 mètres. Les faces d’extrémité ont des coins sont très arrondis pour diminuer l’action de l’air, et les fils de prise de courant et les archets preneurs sont au nombre de trois à chaque extrémité de la voilure, de sorte que chaque fil est en contact avec deux archets.

L’automotrice électrique « S » est équipée par Siemens et Halske. Elle a 22 mètres de long, sur 2, 880 mètres de large, et ses extrémités effilées de façon que les pans coupés occupent à peu près la demi-largeur de la caisse. Les archets sont ici placés l’un au dessus de l’autre et soutenus par deux solides mâts.


Les deux automotrices électriques pèsent chacune 93, 5 tonnes. Elles sont munies coupe-vent pour diminuer l’action de l’air. Aux deux extrémités se trouvent une cabine pour le conducteur ou « wattman » selon les termes de la presse d’époque. Au milieu un compartiment de 40 places environ peut recevoir des voyageurs.
Les bogies initialement montés ont un empattement de 3800 mm, plus des ressorts assurant seulement la suspension, et un pivot sans jeu latéral. Cet équipement sommaire montre vite ses limites. Le poids considérable qu’ils supportent agit sur le roulement du bogie et lui imprime aux vitesses de 140 km/h, et au-delà, un dangereux et impressionnant mouvement de lacet. On « bricole », on retouche, mais sans apporter aucun remède à cette situation qui, on va le découvrir, ne s’improvise pas… On doit, en 1903, construire de nouveaux bogies, conçus par l’ingénieur Von Borries qui a conçu des locomotives à vapeur rapides, et dont le pivot porte dans une crapaudine qui peut prendre un déplacement latéral de 30 mm limité par des ressorts de rappel. Les bogies peuvent également prendre de petits mouvements latéraux, et indépendamment de la caisse. La caisse repose directement sur le bogie par quatre semelles sur lesquelles le frottement est assez grand pour amortir tout mouvement relatif du bogie et de la caisse. Le système de suspension permet de relier tous les ressorts par des balanciers et par suite d’assurer la répartition uniforme en marche du poids sur les roues. Ces bogies se sont très bien comportés, même à 210 km/h, sans oscillations répétées, et sans lacet.
Naturellement, il faut que les automotrices électriques suivent les mouvements produits par les ondulations de la voie et les courbes. Les forces agissantes qui tendent à faire dérailler la automotrice électrique croissent comme le carré de la vitesse et à 200 km/h prennent une valeur considérable. Mais, le point capital est, une fois la secousse initiale donnée, de n’avoir plus aucun mouvement vibratoire, c’est précisément ce que l’on réalise. Tous ceux qui ont assisté aux essais ont naturellement prêté à ces chocs plus d’attention qu’en temps ordinaire, mais ces chocs sont restés moindres que ceux que l’on ressent dans les trains rapides ordinaires quand on passe sur une mauvaise voie ou quand on négocie des courbes raides. Il est à noter qu’un wagon-lits à deux bogies de trois essieux de type américain, remorqué par une des automotrices à la vitesse de 160 km/h sur la voie renforcée, commença subitement à prendre des mouvements de lacets considérables et montra l’ampleur des inconnues qui restait à résoudre pour la mise au point des trains à grande vitesse.
L’équipement électrique des automotrices.
L’équipement électrique des automotrices électriques comprend quatre moteurs triphasés de 750 ch. attaquant directement les essieux extrêmes de chaque bogie, sans engrenages ni système de transmission autre qu’élastique, selon les techniques du « gearless » que l’on retrouvera ultérieurement, mais rarement, en traction électrique aux États-Unis. Dans l’automotrice « A » ils sont reliés par des ressorts aux essieux et suspendus au châssis du bogie par des ressorts de suspension spéciaux de façon à diminuer le poids non suspendu et préserver le moteur des chocs. Dans l’automotrice « S » ils sont calés directement sur l’essieu et, en même temps, ils sont supportés par des ressorts. Cette disposition, plus simple, ne s’est pas, en pratique, montrée désavantageuse. L’explication en est que les chocs entre les roues et les rails ne sont supportés qu’en faible partie par les essieux montés très lourds, et, pour la plus grosse part, par les rails beaucoup plus légers, les essieux en somme reçoivent plutôt des déviations et non des chocs.
La tension du courant est abaissée sur l’automotrice électrique par des transformateurs, les moteurs sont montés en parallèle. Le réglage se fait seulement par des résistances intercalées, sous la forme de rhéostats liquides dans l’automotrice « A », et sous la forme de rhéostats en fils avec refroidissement par l’air dans l’automotrice « S ». Le rendement total des transformateurs et des moteurs s’élève à peu près à 83%. Les deux appareils de prise de courant, placés sur les toitures, posent, aux grandes vitesses, le problème de les empêcher de s’appuyer sur les fils avec trop de force. Après beaucoup d’essais on y parvient grâce à des archets à ressorts de poids minimum. Cette mise au point est due à l’ingénieur Reichel qui conduit lui-même la motrice « S » et parvient le premier aux plus hautes vitesses.
L’équipement électrique de chaque automotrice électrique pèse environ 40 tonnes et, dans l’avenir s’il y en a un, pourra être considérablement allégé. Le courant triphasé a le gros désavantage de ne fonctionner normalement que quand les moteurs ont atteint à peu près le synchronisme. Au démarrage, la moitié de l’énergie est absorbée dans les résistances, l’effort de traction au démarrage est faible. La nécessité de trois fils conducteurs crée de grandes difficultés.
Les ingénieurs pensent que tous ces ennuis seront dans l’avenir évités grâce à l’emploi du moteur monophasé. Ce moteur, à leurs yeux, fournit un grand effort au démarrage, a un bon rendement, et n’occasionne pas d’absorption d’énergie dans des résistances, bref, il a toutes les qualités du bon moteur de chemin de fer. L’emploi du courant monophasé n’exigera qu’un fil conducteur, les rails assurant le retour. Ce système est en service, à l’époque, depuis un an sur la ligne à voie étroite reliant Niederschöneweide à Splindersfeld, près de Berlin, et y fonctionne bien. Il ne reste plus maintenant qu’à mettre au point ce moteur, la ligne de prise de courant et les frotteurs pour les très grandes vitesses de l’avenir.
Les enseignements des essais.
Les résultats les plus précieux de ces essais concernent les domaines de la résistance au roulement des automotrices et à la puissance nécessaire à leur propulsion. La résistance des automotrices aux différentes vitesses est donnée par la mesure de l’effort retardateur à commande de marche fermée, la puissance par la lecture des appareils de mesure électriques, et la connaissance des couples des moteurs. La résistance de l’air est mesurée directement sur le front, les ailes et l’arrière des automotrice électriques.
La pression de l’air sur la face avant des automotrices est heureusement moindre que l’effort calculé d’après les formules. L’air est donc refoulé par le front de l’automotrice électrique et s’écoule sans choc de chaque bord. Sur les flancs des coupe-vents qu’on ajoute ensuite, et qui sont inclinés d’environ 40°, la pression de l’air se montre beaucoup plus faible, environ moitié moindre, ce qui montre que les coupe-vents sont utiles. La façon dont l’air se divise et balaye les faces du coupe-vent peut se comparer à la façon dont les filets d’eau se comportent devant l’étrave d’un navire. La dépression de l’air à l’arrière de l’automotrice électrique était si faible qu’elle est négligeable. La résistance au roulement croît d’abord légèrement avec la vitesse puis diminue. Elle ne forme aux grandes vitesses qu’une faible part de la résistance de l’air. La puissance qui lui correspond est, à 150 et 200 km/h, d’environ 770 et 1.680 ch. Cette puissance à 150 km. est à peu près celle qui correspond à la remorque d’un train rapide et à 200 km/h elle équivaut à celle de la plus puissante locomotive.
Dépenser une semblable puissance pour transporter 40 voyageurs n’est certes pas économique. Il faut donc avant tout songer à diminuer sensiblement la résistance en marche pour la ramener à un chiffre admissible par place offerte.
Le freinage pose de graves problèmes. Les longueurs d’arrêt par freinage sont si grandes que, dans les circonstances les plus favorables, il est impossible de s’arrêter à temps devant un obstacle imprévu. Cet inconvénient est dû à la diminution considérable du coefficient de frottement des sabots contre les roues à ces hautes vitesses. En construisant les nouveaux bogies on s’arrange de façon que la pression sur les roues puisse atteindre pour une pression de 8 kg. sur le piston du cylindre à frein, le double du poids à vide. A la vitesse de 170 à 180 km, et avec une pression d’air de 6 kg, les longueurs d’arrêt sont de 1300 à 1400.
Le maximum d’effet de freinage est atteint quand le frottement sur les roues devient sensiblement égal à l’adhérence des roues sur le rail. Il ne faut pas toutefois caler les roues car le mouvement sur les rails est alors peu sûr et l’effet du freinage considérablement diminué. Il faut donc que les sabots de frein, pour tenir compte des variations du coefficient de frottement, soient appliqués d’abord avec une forte pression, que cette pression s’accroisse ensuite au début du freinage, puis diminue avec la vitesse. Si ce réglage est bien fait, on peut atteindre un effort retardateur moyen égal aux 15 centièmes du poids à vide sans caler les roues. À cet effort correspond une accélération retardatrice de 1m,50 par seconde et aux vitesses de 150 et 200 km. à des longueurs d’arrêt de 580 et 9l0 mètres.
On fait aussi des observations étendues sur la visibilité des signaux aux grandes vitesses. Avec des courbes convenables, comme celles qu’il faut réaliser sur les lignes spéciales à ces grandes vitesses, les signaux actuels sont parfaitement visibles par beau temps. Quand il neige ou quand il y a du brouillard, ils sont d’autant moins visibles que la vitesse est plus grande. On essaya aussi l’appareil dit « crocodile » du Chemin de fer du Nord français. Cet appareil a toujours bien fonctionné, mais les ingénieurs allemands n’ont pas une grande confiance en lui parce que les balais métalliques peuvent se plier et, en hiver, le « crocodile » peut se recouvrir de verglas. Un moyen plus commode serait d’installer à côté des rails des électro-aimants qui par induction créeraient, dans un enroulement placé sur l’automotrice électrique, un courant actionnant un avertisseur d’alarme.
Bref, de l’ensemble de ces essais, il résulte, pour les ingénieurs, l’impression que le chemin de fer à traction électrique et à grande vitesse est arrivé à un degré d’avancement suffisant pour que l’on puisse songer à l’exploiter d’une manière généralisée. Dès le premier jour des essais, le 8 Octobre 1901, la vitesse de 95 km/h est atteinte, et dès les jours suivants la vitesse de 160 km/h est dépassée, de très loin supérieure à celle des locomotives à vapeur de l’époque. En 1903 plusieurs essais à plus de 200 km/h sont effectués et l’automotrice Siemens atteint 206,7 km/h le 23 Octobre, tandis que l’automotrice AEG roule à 210,2 km/h le 27 Octobre.


La possibilité économique de la grande vitesse, telle qu’elle apparaît en 1903.
Un des enseignements de ces essais est que la plus grande partie des frais d’exploitation sera à la force motrice. Comme la résistance de l’air est la plus grande consommatrice, il faut diminuer celle-ci le plus possible, et concevoir un matériel roulant très profilé. Pour les ingénieurs allemands de l’époque, le train à grande vitesse de l’avenir se composera donc d’automotrices électriques accolées, car la traction par locomotive électrique classique, à leurs yeux, ne permet pas facilement de réaliser ces conditions et conduirait à des poids excessifs. De plus, ce système des automotrices supprime le tournage aux extrémités des parcours, ainsi que toute manœuvre en gare.
Un train de trois automotrices électriques à six essieux de 100 places chacune, avec des fourgons dans les automotrices électriques extrêmes, semble être la solution d’avenir. Il pèsera environ 200 tonnes, et exigera, à 160 km/h, un effort de traction de 1260 kg. et une puissance effective de 750 chevaux. Chaque bogie moteur recevra un moteur de 250 chevaux, le train entier aura donc six moteurs pouvant totaliser 1.500 chevaux, ce qui permet d’obtenir un démarrage suffisamment accéléré. Les automotrices électriques seront construites le plus légèrement possible pour épargner la voie, les roues et les essieux. C’est une erreur grossière, pense l’ingénieur Von Borries, de croire que des automotrices électriques très lourdes courent mieux et plus sûrement que des automotrice électriques légères, car les efforts perturbateurs sont en raison directe du poids et de la charge par roue. Si l’expérience a quelquefois semblé prouver le contraire, c’est que les automotrice électriques lourdes se trouvaient précisément être les plus récentes et les mieux construites.
La question d’un réseau nouveau de lignes à grande vitesse spéciales, comme celles que nous connaissons aujourd’hui en Europe, se pose aussi déjà dans l’esprit des ingénieurs de l’époque : faudra-t-il faire circuler ces trains du futur sur les voies actuelles ou en créer de nouvelles, spéciales pour ces trains, voies qui coûteront naturellement plus cher et qui concurrenceront les voies actuelles ? Les ingénieurs de l’époque pensent, à juste titre, que ce sera le cas sur les relations majeures comme Berlin-Hambourg, Berlin-Cologne où les voies de l’époque sont déjà saturées.
Un ingénieur remarque : « Quand il s’agit de choses si nouvelles on s’empresse, en ce pays, de réclamer aussitôt des précautions extraordinaires pour la sécurité, précautions qui augmentent inutilement et lourdement les frais d’établissement et qu’il est ensuite très difficile de faire supprimer. C’est ainsi qu’à propos de ces chemins de fer à grande vitesse on a tout de suite proclamé qu’il était indispensable d’avoir des lignes spéciales à deux et même trois voies sans gares, sans aiguilles, sans raccordement ni voies de garage pour les autres trains ». C’est fort bien vu… et c’est, à peu de chose, ce qui se passera.
Mais, pour eux, « le train rapide électrique n’est plus un monstre qui fonce en aveugle dans le tas, mais un brave lévrier qui suit docilement la volonté de son conducteur. Le conducteur conduira prochainement un train à 150 km/h avec la même sécurité qu’il le fait aujourd’hui avec la locomotive à 90 km/h…. » Ces ingénieurs estiment, à l’époque, qu’une vitesse de 150 à 160 km. est largement suffisante, dans tous les cas, car le gain de temps en passant de 150 à 200 km. ne justifie pas l’augmentation de difficultés et de frais qui croissent comme le carré de la vitesse. A 150 km/h et 160 km/h la voie lourde du type de l’Etat Prussien, avec rails de 41kg, est tout à fait suffisante, d’autant plus que les poids par essieu de 15 et 16 tonnes des automotrice électriques d’essai seront réduits à 12 tonnes. Il faudra naturellement que ces voies soient bien posées et bien entretenues. L’amélioration de la voie sera plutôt obtenue par la multiplication des traverses et un bon ballast que par le renforcement des rails. De même les lourdes pointes de cœur en acier moulé sont à écarter et à remplacer par des pointes de cœur de rails assemblés, ou mieux, par des rails mobiles ne laissant pas de jeu dans la voie. Il reste le cas des passages à niveau : « devant les obstacles imprévus tels que des camions, des vaches, les trains de l’époque ne s’arrêtent que rarement à temps, il les tamponnent et ne déraillent pas pour cela. Ces cas particuliers se présenteront également pour les trains à grande vitesse. Seront-ils plus dangereux pour cela ? ».
Voilà que l’on pense autour des essais de Marienfelde à Zossen en 1903 : on construisait, dans les esprits sinon en réalité, déjà le réseau à grande vitesse européen, avec presque un siècle d’avance. Qui sait que, aujourd’hui, le TGV et l’ICE sont nés en 1903, quelque part dans la banlieue de Berlin ?
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