Les aiguilleurs : sauvés par leurs mystérieuses serrures.

La cabine du poste La Chapelle-Horloge en 1882. La Cie du Nord est très en avance en matière de signalisation automatique et, sur la droite, on voit les appareils de commande des sémaphores Lartigue assurant l’espacement des trains. Sur la gauche, les leviers de commande des aiguilles et des signaux classiques, et, derrière les leviers, la table des enclenchements. Le cor, accroché près d’une fenêtre, c’est au cas où…?

Vous est-il arrivé d’être, aux approches ou au départ d’une très grande gare, dans un train et de voir un autre train qui roule à côté ? Le train que l’on voit se rapproche, s’éloigne, revient de nouveau près du vôtre, parfois accélère ou ralentit, créant de curieuses impressions que l’on n’aimerait certes pas avoir dans une automobile, dans un bateau, et, pis encore, dans un avion : ce serait, dans ces cas, un cauchemar et la certitude de l’imminence d’une catastrophe. Pas dans un train… On sait très bien que d’innombrables automatismes « enclenchent » entre eux les lames des aiguilles, les signaux, et interdisent la possibilité d’un itinéraire incompatible avec un autre. Les itinéraires créés, à un instant donné sur le faisceau de l’entrée ou de la sortie d’une grande gare, sont tous parallèles et ne se recoupent pas. C’est un des grands secrets du chemin de fer, que ce guidage par les appareils de voie au sol, et les liaisons logiques et mécaniques qui les gouvernent.

Tout commence avec l’aiguilleur, cet homme qui est posté au bord de la voie, lors des débuts des chemins de fer. Courant, dans les emprises de la gare ou d’une bifurcation, se hâtant d’un levier d’aiguille à un autre pour les manœuvrer avant les mouvements des trains. À partir des années 1850, il est mieux installé, grâce au regroupement des leviers dans ce que l’on appelle un poste d’aiguillage, qui peut être à ciel ouvert au niveau du sol, ou à l’abri en cabine surélevée.

Souvent seul dans sa haute cabine vitrée dominant les voies de la gare ou de la bifurcation, l’aiguilleur a des responsabilités écrasantes: il doit préparer, en tirant sur certains des lourds leviers qu’il fait passer de la position “normale” à la position “renversée”, l’itinéraire de trains qu’il ne voit pas encore, et quand le train passe à toute vitesse devant la cabine, il faut qu’il ne se soit pas trompé, que tout soit bien en place, aiguilles et signaux, car il est trop tard pour rectifier une erreur.

À partir des années 1900, les sonnettes électriques des aiguilles tintent à chaque mouvement, celle du téléphone sonne en permanence, les voyants électriques de signalisation et de positionnement des trains s’allument ou s’éteignent, il faut courir rapidement d’un levier à l’autre et tirer avec force en prenant appui avec le pied: le métier est épuisant nerveusement et physiquement : voilà le rythme de vie de l’aiguilleur pendant le XIXe et une bonne partie du XXe siècle.

Mais ce métier d’aiguilleur est dramatiquement écrasant par ses responsabilités, et par l’affreuse découverte que, quand on se trompe, il est déjà trop tard… L’appareil de voie et ses aiguilles mobiles, c’est techniquement, le cœur du système de guidage ferroviaire : c’est avec lui que les trains changent de voie, donc de direction, et c’est avec lui que peut se produire la catastrophe, pour un simple geste oublié ou de trop. Les premières grandes catastrophes posent le problème crucial des « erreurs d’aiguillage » et feront que le terme tombera dans le sens commun. L’aiguilleur rejoint ou remplace le lampiste pour assumer les responsabilités qu’une hiérarchie ne manquera pas de lui coller sur le dos…

Aiguilleur en plein effort: l’action sur les leviers, avec le poids de la tringlerie rigide posée au sol parfois sur de longues distances, demande une force considérable qui doit être exercée immédiatement et rapidement.
Les gigantesques cabines britanniques marquent l’apogée du système. Noter le port du gilet qui marque le rang social et la considération accordée aux cheminots. La propreté des lieux est exemplaire.
La nouvelle cabine PLM Saxby de Moret-sur-Loing qui remplace la cabine Vignier. Question propreté, il n’y a pas de leçons à recevoir du Royaume-Uni… Noter, au sol, les nécessaires pédales d’appui pour trouver la force nécessaire à la manœuvre des leviers. Là, aucun progrès n’a été accompli : l’aiguillage reste un très pénible.

Mais avant d’aller plus loin, accordons nos violons avec les termes “aiguille” et “aiguillage”

Aiguille, aiguillage : le sens de ces termes.

Le grand public, les fabricants de trains miniatures, les amateurs de chemins de fer, et même parfois les cheminots utilisent le mot « aiguillage » pour désigner l’appareil qui est installé sur les voies et assurant le passage d’un train d’une voie à une autre. C’est inexact.

En effet, le terme «aiguillage» désigne l’action d’aiguiller un train. C’est pourquoi on parle de « poste d’aiguillage », qui est le lieu où l’on place le levier de commande des aiguilles, et de « cabine d’aiguillage » le bâtiment qui peut abriter un poste si celui-ci n’est pas à l’air libre – ce qui se produisait beaucoup à l’époque des débuts du chemin de fer. Le poste est le lieu où l’on concentre un grand nombre de leviers (cas des grandes gares, des bifurcations importantes). Le rôle de l’aiguilleur est donc d’aiguiller des trains en tirant (le verbe exact est “renversant”) les leviers des appareils de voie ou des aiguilles. C’est pour les changements de voie que l’aiguilleur intervient d’une manière prépondérante pour orienter le train sur une voie nouvelle ou pour permettre les manœuvres en gare : le conducteur du train n’est que passif en matière de direction. Les appareils de voie sont donc nécessaires pour toutes ces fonctions vitales du chemin de fer. Mais les nerfs de l’aiguilleur doivent être en acier trempé…

C’est bien un poste d’aiguillage, mais sans cabine, établi sur le quai d’une gare contre le BV, ici à Auterive (Hte Garonne). C’est un poste à commande funiculaire, et table d’enclenchement verticale, vu en service et en parfait état en 1985.

La sécurité par les appareils de voie et les signaux.

Les appareils de voie sont liés aux signaux, et le tout est commandé par des aiguilleurs agissant par les leviers des postes d’aiguillage, disposés ou non dans des cabines. L’interaction régnant dans le système est donc complète, et forme une des caractéristiques fondamentales du chemin de fer : le véhicule, uniquement dans ce mode de transport, est un élément – et seulement un des éléments – du système de guidage qui l’entoure. Dans l’ensemble des autres modes de transport, sur route, sur l’eau, dans les airs, rien de tel n’est assuré. Pour les véhicules routiers y a un volant, pour les bateaux une barre ou une barre à roue, pour les avions un “manche”, donc créant autant de postes de pilotage dans lesquels, en permanence, la sécurité repose uniquement sur la vigilance du conducteur, du capitaine, du pilote.

Le haut degré de sécurité, qui caractérise les transports ferroviaires par rapport aux autres modes qui l’entourent, est le guidage par la voie et la présence d’un souci constant de tous les spécialistes de la signalisation et des mouvements des trains pour que ce guidage soit précis, permanent et sûr. La signalisation ferroviaire a pour but essentiel de procurer le maximum de facilités pour le mouvement des trains, et d’assurer à tout moment la sécurité de la circulation,

Ceci demande de résoudre d’abord un problème d’espacement des trains, permettant d’éviter le rattrapage de deux trains circulant dans le même sens, et empruntant le même itinéraire, et ensuite un problème de protection des mouvements simultanés, visant à éliminer tout risque de collision, soit par cisaillement, sait par convergence des deux mouvements. En troisième lieu, il faut aussi résoudre le problème d’affrontement tendant à éviter la rencontre de deux trains de sens opposé circulant sur la même voie.

Pour résoudre ces problèmes le chemin de fer met en œuvre des prescriptions réglementaires visant d’une part à assurer la sécurité de la circulation des trains tant en service normal qu’en cas d’incident, et, d’autre part, des signaux et des dispositifs de sécurité mécaniques de toute nature, dont l’ensemble constitue une technique bien spéciale connue sous le nom de « signalisation ». Mais l’enclenchement vient combler les dernières failles que l’action humaine, par erreur de levier, peut créer.



La naissance de l’insécurité sur les réseaux saturés.


Au milieu du XIXe siècle les réseaux anciens ont assez grandi pour poser le problème des itinéraires qui se recoupent sur des bifurcations importantes, et des gares de plus en plus grandes accueillent, sur des quais de plus en plus longs et nombreux, des trains en grande quantité. La solution appliquée à cette époque consiste à manœuvrer sur place les aiguilles, le signal d’arrêt ainsi que le signal à distance, non seulement parce qu’on n’a pas songé à manœuvrer les appareils à distance, mais aussi parce que cette dispersion constitue un des principaux facteurs de la sécurité en rendant impossible les simultanéités dangereuses.


En cas d’impossibilité de manœuvre sur place des aiguilles, la manœuvre est prévue par transmission rigide, mais de courte distance. Lorsque cette distance dépasse 40 à 50 mètres, il devient difficile d’observer visuellement la position correcte de l’aiguille, ce qui donne naissance aux premiers appareils contrôleurs de lames d’aiguille, c’est-à-dire le contrôleur à contact de mercure de l’ingénieur Lartigue appliqué sur le réseau du Nord et le contrôleur à ressort de l’Ouest appliqué sur ce réseau.

Enfin, pour s’affranchir de l’ordonnance de 1846 qui impose une vitesse très réduite aux mécaniciens lorsqu’ils abordent une aiguille prise en pointe, en bifurcation notamment, il est créé la pédale de calage qui vise à coller, avec force et précision, les lames contre les rails lorsqu’un train y passe et les verrous qui, manœuvrés à distance comme les aiguilles, interdisent les manœuvres libérant des itinéraires incompatibles entre eux.


Vers la même époque, par suite de l’augmentation du nombre des mouvements, il apparaît nécessaire de garantir l’espacement des trains à cet effet, des gardes-signaux, placés le long des lignes, expédient un train et n’en laissent passer un autre qu’après écoulement d’un certain délai imposé par le règlement.


Les hommes commencent à être débordés par le cours des choses.

Le développement du trafic et l’augmentation de l’importance des circulations conduisent ensuite à développer les installations ferroviaires (accroissement du nombre des aiguilles et des signaux). Par suite, il devient nécessaire de manœuvrer plus fréquemment les appareils. On conçoit donc que l’an recherche alors les moyens de réduire les déplacements des aiguilleurs à travers les voies pour aller d’un levier à l’autre en concentrant, sur un même bâti, les divers leviers isolés du début. Les postes de concentration sont ainsi créés. La manœuvre des leviers est librement assurée par les aiguilleurs, en application d’une consigne dont les prescriptions bien observées rendent tout accident impossible et garantissent par suite la sécurité.


Par la suite, on cherche des dispositions qui permettent d’améliorer le rendement dans le travail des aiguilleurs sans exiger une attention à tous les instants et surtout de réduire le nombre des accidents dont la plus grande partie peut être attribuée à ce que les Anglais appellent alors « la faillibilité humaine» (erreurs d’aiguilleurs commises dans l’application des consignes).

Petite cabine sur le Great Western anglais. La présence de la bouilloire, du service à thé, servent-elles, lors des pauses incontournables du “five clock tea” de lutter contre la “faillibilité humaine” ?

Les premiers enclenchements: des cales en bois.


Pour pallier ces risques, la matérialisation des prescriptions des consignes en vigueur apparaît en 1854 et permet alors d’interdire toute manœuvre incorrecte des appareils “en campagne” comme on dit à l’époque : c’est le rôle des enclenchements inventés par Vignier, alors chef de section à la Compagnie de l’Ouest, qui a le premier l’idée de guider les aiguilleurs dans leur travail en intercalant entre les leviers juxtaposés des morceaux de bois — bientôt remplacés par du fer — ce qui donna naissance aux postes enclenchés.

Postes Vignier sur le chemin de fer de Ceinture, avec table horizontale (à gauche) et verticale (à droite). Ouvrage “Les chemins de fer” de Lefèvre & Cerbelaud, 1890.
Cabine PLM système Vignier encore en service en 1930 avec sa table d’enclenchements horizontale. Doc.PLM.

Le système primitif (perfectionné depuis) consiste à faire pénétrer des verrous cylindriques dépendant de certains leviers dans des trous pratiqués sur des tiges dépendant d’autres leviers.

Le principe de l’enclenchement, d’après la Revue Générale des Chemins de fer en 1885 : en figure 1, seul le levier “a” peut passer de la position “normale” à la position “renversée”, ce qui est représenté en figure 2. En figure 3 : quand “a” est renversé, “b” peut être “renversé” à son tour.


Un très important document publié dans la RGCF en 1885: le principe des enclenchements. Les leviers “a” et/ou “b” sont en position “normale”, mais ne peuvent être “renversés” (c’est-à-dire actionnés) qu’à condition que le levier “c” soit au préalable “renversé”: donc “c” enclenche “a” et “b” et autorise le “renversement” au choix de “a” ou “b”. On peut imaginer que “a” et “b” commandent le départ de deux voies de garage qui rejoignent pour s’embrancher ensuite sur une voie principale “c”. Ici, c’est le train sur “b” à qui l’on donne l’accès à “c”.


Enfin vint Saxby….

Les anglais Saxby et Farmer inventent en 1860 un nouveau système assurant, par un jeu de taquets et d’encoches l’enclenchement des leviers entre eux, et qui interdit, par blocage mécanique, les mouvements de leviers pouvant donner des itinéraires incompatibles avec ceux déjà établis. Le système d’enclenchement bloque ainsi les appareils de voie, mais aussi les signaux en position fermée pour protéger un itinéraire réalisé et interdire à un mécanicien d’un train de s’y engager.

Le levier Saxby, à la forme très caractéristique, et avec sa table d’enclenchement, part à la conquête des chemins de fer du monde entier à partir des années 1860-1870.

C’est donc le système de l’enclenchement qui nous intéresse ici, après avoir déjà abordé, dans de précédents articles sur ce site-web, la question de la commande des signaux et des appareils de voie. Ce nouveau système d’enclenchements consiste à rendre solidaires les organes d’enclenchements avec la manette du levier au lieu de les atteler directement au levier, ce qui permet un allègement notable de ces organes du fait qu’on ne peut agir sur la manette qu’avec la pression de la main, alors que la manœuvre du levier exige toute la force du bras, notamment pour vaincre les frottements dus aux seuls organes à manœuvrer et à leur transmission. Par la suite, la présentation des enclenchement Saxby & Farmer à l’Exposition Universelle de 1878 est à l’origine de la reconnaissance de ses qualités par les réseaux français et de son utilisation.

Le principe Saxby est que quatre leviers “A”, “B”, “C” et “D” peuvent être enclenchés par “A” soit tous ensemble, soit d’une manière séparée concernant, par exemple, “B”, “B”, et “D”, d’une part, et, d’autre part, “C” qui ne l’est qu’avec “A”. Les leviers, sur le croquis, se déplacent selon un mouvement vertical, et les taquets “T” se déplacent, sur le croquis toujours, selon un mouvement horizontal.
Exemple d’enclenchement des leviers sur une petite bifurcation, avec signalisation mécanique Verlant de 1935, vu à l’époque dans la RGCF. Le point crucial est la traversée de la voie “1” par la voie “2 bis” avec l’approche d’un train dont l’itinéraire couperait celui d’un train circulant sur la voie “1” et aussi celui d’un train circulant sur la voie “2”. Seul l’itinéraire de la voie “1” vers la voie “1 bis” ne pose aucun problème d’incompatibilité.


Il est vrai que le terrain a déjà été préparé par d’autres perfectionnements comme celui, déjà apparu vers 1867, de l’espacement par la distance ou lieu de l’espacement par le temps (voir les articles précédents sur la signalisation) et, d’outre part, vers 1870, les réseaux français commencent à installer des systèmes de répétition sur les machines des principaux signaux rencontrés en position de fermeture. Vers 1870, afin de prévenir une défaillance humaine toujours possible du fait du nombre croissant des signaux, les principaux d’entre eux sont répétés en position fermée sur la machine à l’aide d’un signal acoustique qui se déclenche électriquement, lors du franchissement du signal, par l’intermédiaire d’un appareil appelé « crocodile » imaginé par MM. Lartigue et Forest, Ingénieurs au réseau du Nord.


On a déjà expérimenté, avec l’espacement par le temps, que l’on ne peut assurer un espacement convenable entre les trains que si ceux-ci ont une vitesse identique, aussi un espacement par la distance est-il jugé préférable. Dans ce dernier cas, la ligne est divisée en cantons possédant à l’origine de chacun d’eux des signaux permettant l’arrêt des trains, En 1874, le premier block manuel enclenché est réalisé entre Saint-Denis et Creil sur l’ancien réseau du Nord avec électro-sémaphore Lartigue Tesse et Prudhomme, et toujours accompagné du fameux “crocodile” sur la voie (voir la gravure placée en introduction de cet article).

En 1899, une première application du block est réalisée entre Laroche et Cravant sur l’ancien réseau du PLM et, en 1924, à l’occasion des jeux olympiques, un nouveau système de cantonnement automatique par signaux lumineux apparait entre Bois- Colombes et Argenteuil sur l’ancien réseau de l’État, ce dernier cantonnement étant appelé “block automatique lumineux” étant le premier du genre réalisé en Europe.

Signalisation lumineuse de 1924 sur le réseau de l’État. Ce réseau, très innovant, commence la révolution qui aboutira, longtemps après, à la disparition de la signalisation mécanique avec ses leviers de commande et longs fils et contrepoids. La tâche des aiguilleurs commence enfin à s’alléger d’autant.



De la pédale Aubine à la serrure Bouré.

À partir de cette époque, les installations de sécurité vont s’améliorer progressivement avec le souci constant de réduire les risques d’erreur et d’obtenir « des instruments avec lesquels on ne puisse travailler mal volontairement ».

C’est ainsi que en 1863, pour pallier des omissions de fermeture manuelle des signaux après passage de circulation, M. Aubine imagine une pédale appelée « pédale Aubine » qui assure la fermeture automatique des signaux auxquels elle est juxtaposée une première application de ce type de pédale est faite par le réseau P.L.M. sur la ligne Paris-Corbeil.

En 1898, à la suite d’un grave accident résultant de l’absence d’enclenchement entre le disque et une aiguille d’une station donnant accès à une traversée des voies principales, la serrure « Bouré », mise au point vers 1895 par M. Bouré, Inspecteur principal adjoint au réseau PLM, est alors généralisée. Ce dispositif va permettre, dans toutes les petites gares ou stations ne disposant pas de poste d’enclenchement, de s’opposer à des mouvements de manœuvre sur voies principales tant que les signaux de protection correspondants ne sont pas mis à l’arrêt.

En 1907, à la suite d’un grave accident résultant d’une défectuosité dans le fonctionnement de la transmission d’une aiguille dont le levier a été cependant correctement manœuvré, le “contrôle impératif” est créé : ce contrôle a pour but de subordonner l’ouverture du signal de protection à la position correcte des aiguilles de l’itinéraire qu’il protège.

Aiguilleur au travail en 1910. Le “renversement” des leviers demande une force physique considérable, ce qui épuise les hommes. Les aiguilleurs ne vivent pas vieux, et rarement au-delà de leur départ en retraite.


Les limites des systèmes d’enclenchement mécaniques.

La réalisation des postes enclenchés avec manœuvres par transmissions mécaniques (rigides ou funiculaires) se trouve limitée, quant à l’étendue de sa zone d’action et l’importance de celle-ci, d’une part par les transmissions mécaniques elles-mêmes et l’effort musculaire qu’elles demandent, et, d’autre part, par la complexité plus ou moins grande des enclenchements mécaniques entre leviers.

En effet, il convient de ne pas perdre de vue que l’établissement de transmissions mécaniques sur le terrain (transmissions rigides en particulier) présente certaines difficultés pour réaliser un alignement parfait et bien au même niveau, de tous les organes qui la composent (transmissions, renvois, retours d’équerre, compensateurs, etc.). En outre. Il ne faut pas oublier que l’introduction de ces transmissions pour la manœuvre des appareils ajoute, à l’effort à appliquer au levier pour le seul renversement de l’appareil manœuvré (aiguille notamment), l’effort nécessaire pour vaincre l’inertie et les frottements de la transmission cet effort supplémentaire s’accroit rapidement avec la longueur et la complication du tracé au point de devenir l’effort le plus important dans l’effort total.

Au fur et à mesure que le tracé des voies de gares se complique, le nombre des leviers des postes enclenchés d’aiguillage augmente, la longueur des transmissions s’accroit et les enclenchements deviennent de plus en plus difficiles à étudier et à réaliser.

La limite se trouve atteinte lorsque d’une part, l’effort à déployer au levier par l’aiguilleur pour le renverser atteint une valeur inadmissible et que, d’autre part, les enclenchements exigent des études si ardues qu’il faut un temps très long pour établir un projet. Par ailleurs, une modification d’apparence simple, envisagée au tracé des voies, conduit dans certains cas à une refonte des enclenchements tellement profonde que sa réalisation matérielle oblige à « désenclencher » le poste pendant un temps notable durant lequel la sécurité ne repose plus que sur la vigilance du personnel du poste.

L’extérieur de la grande cabine de la gare du Nord datant de 1885, période apogée de la signalisation mécanique et de la commande mécanique des appareils de voie. Ces grandes cabines posent beaucoup plus de problèmes qu’elles n’en résolvent par la complexité et la lourdeur des installations au sol.

L’ouvre de Cossman : les leviers “directeurs”, “trajecteurs” et “désengageurs”.


Or, à l’origine des postes enclenchés, les enclenchements sont simples, mais, du fait de la complexité des installations, ils deviennent plus compliqués pour donner naissance à des “enclenchements conditionnels” cette complexité est résolue à l’époque par la mise en œuvre de “leviers multiples” pour la commande des signaux.

Toutefois, l’emploi de leviers multiples augmente beaucoup le nombre des leviers et des transmissions, la dépense de première installation, l’espace occupé par le poste, la durée des manœuvres à cause de la plus grande longueur de la table et même sauvent les frais de personnel par l’augmentation du nombre d’aiguilleurs dans le poste. On cherche à y remédier dans certains cas favorables par l’emploi de “leviers directeurs” enclenchés par un enclenchement simple dit « enclenchement de continuité ».

Imaginons des voies qui aboutissent à un tronc commun d’où se détachent ensuite d’autres voies, le tout parcouru dans les deux sens : on a avec l’emploi de leviers multiples autant de leviers qu’il y a de voies embranchées de part et d’autre du tronc commun, alors qu’avec des leviers directeurs il n’y en a plus que deux, ce qui permet à Cossmann de dire à l’époque que la création de leviers directeurs permet de « logarithmisation » du nombre des leviers.

Afin de réduire encore plus le nombre de leviers mis en œuvre, Cossmann crée le « levier trajecteur» basé sur la remarque suivante « lorsque les bronches situées de part et d’autre du tronc commun sont parcourues dans les deux sens, elles constituent tantôt une provenance et tantôt une destination. À chaque branche correspond dans un sens un levier de signal, dans le sens opposé un levier directeur, les deux leviers en question ayant les mêmes enclenchements à l’égard des aiguilles avec lesquelles ils sont conjugués».


Dés lors, Cossmann pense à réunir en un seul levier dit « trajecteur» les deux leviers considérés qui sont liés, pour chaque demi-itinéraire intéressé, par l’enclenchement de continuité et agissent en même temps sur le signal d’extrémité.

La seule objection qui se présente mois qui est facile à résoudre, c’est que lorsqu’on va faire pour un mouvement les deux leviers “trajecteurs” de provenance et de destination, les deux signaux d’extrémité qui leur sont respectivement reliés vont se mettre à voie libre et l’itinéraire peut être établi des deux côtés à la fois, Il faut donc ajouter un levier “désengageur” ayant pour rôle de désolidariser les transmissions des signaux, de façon que ceux-ci restent à l’arrêt lorsque le levier qui les commande joue le rôle de directeur un seul levier coupant toutes les transmissions des signaux amant ou toutes celles des signaux aval suivant qu’il est normal ou renversé, suffit à remplir entièrement le but proposé.


Les postes à “pouvoirs”.

Un nouveau progrès est réalisé dans les postes à leviers individuels en substituant au bras de l’homme dans la manœuvre des appareils les différentes sources d’énergie, ce qui donne naissance aux postes à utilisant des fluides (postes hydrauliques, postes pneumatiques, postes électropneumatiques, postes hydropneumatiques, postes électromécaniques). Ces postes à fluide permettent, en première étape, de s’affranchir de la limite imposée pour l’effort maximum à développer au levier, mais non de celle constituée par la complexité des enclenchements. Bien entendu, les enclenchements restent de type serrurerie, mais ils sont plus petits et plus légers.

En 1938, d’après Antoine Dilman (dans un brillant article de la revue “Ferrovissime” N°65) on dénombre, dans la catégorie des postes à commande individuelle, 2000 postes Vignier, 3000 postes Saxby et 700 postes AL. Environ 150 postes « à pouvoir» figurent à l’inventaire. Les postes les plus importants pour cet auteur sont:

Électropneumatiques: Les Aubrais Poste H et Rennes Poste 4. Ces postes disparaissent, pour les derniers, au début des années 1960.

Hydropneumatiques: Paris-Austerlitz poste D et Bordeaux-Saint-Jean poste 2. Leur durée de vie a été Longue car Le dernier poste a été supprimé en 1987 (Tarbes poste 2).

Électriques: totalisant souvent plus de 100 leviers, de nombreux constructeurs ont participé au développement de ces postes: Thomson-Houston, Mors, Aster, Westinghouse – et Siemens pour les postes de l’ex-AL.

Après 1945, l’électricité puis l’informatique entrent dans les postes d’aiguillages et la SNCF, lors de cette période de reconstruction du réseau, unifie et à modernise ses postes, mais 350 postes classiques resteront encore, pour un temps. avec une capacité limitée à 60 leviers.

Poste électromécanique à la gare de Lyon, vu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Les postes à leviers d’itinéraires sont abandonnés dans les décennies qui suivent la seconde guerre mondiale en faveur du poste dit tout électrique avec des enclenchements électriques et les leviers de commandes qui laissent la place à des boutons sous le nom de « poste tout relais à transit souple» (PRS). Plus de 550 postes sont mis en service dont Paris-Est est le plus important avec 650 itinéraires.

Dès le début des années 1970, l’abandon des postes à leviers individuels du fait de son coût élevé : chaque poste doit être étudié comme un cas spécifique, et aussi ce genre de poste ne peut que difficilement supporter une modification d’un plan de voies. Vers 1990, la commande des itinéraires est informatisée, mais tout l’appareillage électrique reste de type relais à commande informatique (PRCI). Pour le siècle suivant, la commande et l’appareillage sont informatisés. C’est le poste d’aiguillage informatisé (PAl). L’évolution se fait avec l’installation de “commandes centralisées du réseau” (CCR) gérant toutes les grandes lignes et les grandes gares. Il n’est plus question d’enclenchements mécaniques et de serrures bien entendu, mais le terme reste utilisé, car sa raison d’être, profondément ferroviaire, reste présente dans les esprits.



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