Trains rouges et gares gothiques : le somptueux LMS.

Double traction avec des petites locomotives type 220 compound à deux essieux moteurs comme il se doit au Royaume-Uni pour les trains rapides. Nous sommes en 1932 et sur le réseau du LMS : la France, sur le PLM, par exemple, a déjà ajouté au type “Pacific” des “Mountain” ! Peinture de R Moore.

Né de mère française, mais de père anglais, l’auteur de ce site-web se souvient, parfois, de son enfance anglaise sur fond de trains rouges magnifiques, mais, que l’on se rassure, il est français à 100 %, et se passionne pour le chemin de fer français qu’il a connu et fréquenté dès l’âge de 7 ans et d’une manière définitive et absolue. Découvrant un nouveau chemin de fer impressionnant par sa grandeur, surtout avec ses immenses et belles locomotives 241-P SNCF, fascinantes avec leurs quatre essieux moteurs, il comprit le son destin était désormais d’être un Français. Mais, occasionnellement, il se lâche et retombe en enfance. Pardonnez-lui…

Voilà: le London, Midland & Scottish Railway britannique, dont les trois lettres LMS forment, sans nul doute, un des sigles les plus légendaires dans l’histoire des chemins de fer, est le réseau de ces somptueux trains rouge sombre, une couleur très exactement désignée en langue anglaise par “crimson lake” ou “laque cramoisie”. Rehaussée par des filets jaunes, cette livrée est fascinante, superbe. C’est celle de ce réseau de la course Londres – l’Écosse par la côte ouest, le réseau des “Pacific” des séries “Princess” ou “Duchess”, et celui d’une grande tradition de confort. Ce fut, par son étendue, le plus grand des réseaux britanniques. Mais les autres, eux, prétendent avoir été beaucoup plus glorieux par leurs performances, leur esprit compétitif et la beauté de leurs trains. Cela reste à démontrer dans un pays où tout est compétition, paris, et mises effrénées.

Lorsque le réseau britannique se construit, au début du XIXe siècle, il est, comme pour tout pays ancien et très centralisé, dessiné en étoile à partir de la capitale, Londres, comme il l’est à partir de Paris pour la France, Moscou pour la Russie, Buenos-Aires pour l’Argentine, et peu d’autres dans le monde. Les lignes établies en direction du nord et de l’Écosse se constituent peu à peu par une succession de rachats de lignes ou de compagnies qui sont, vers 1860, au nombre d’environ 70 !

Le “Grouping act” de 1923 met fin à 168 compagnies.

La position des pouvoirs publics britanniques est un bien libéral laissez faire, et, aussi, un refus d’aider les réseaux alors en grande difficulté au lendemain de la Première Guerre mondiale. Tout au plus le parlement intervient, au début des années 1920 en promulguant une loi regroupant les 168 petites compagnies non rentables, et ce mouvement de fusion se parachève en 1923 avec le « Grouping act » qui crée quatre grandes compagnies nationales. Un répit est donc assuré pour le chemin de fer britannique, mais pour 25 années exactement. Les quatre grandes compagnies vont ainsi faire des efforts considérables de renouvellement du matériel roulant, de restructuration de leurs réseaux, de rationalisation de leur gestion. Le gouvernement britannique compte sur les bienfaits de la concurrence pour que, par elle-même et selon ses propres lois, la prospérité revienne.

La carte schématique des “big four” (quatre grands) à leur création, en 1923. Noter que, pour compliquer les choses et restera aussi anglais que possible, il existe des lignes de pénétration et d’extension traversant, pour une compagnie, ses voisines. Par exemple, le LMS (rouge clair) a des lignes d’extension (rouge sombre) jusqu’au côtes sud et ouest de l’île qu’est la Grande-Bretagne et, d’autre part, est largement implanté en Écosse où il ne laisse au LNER qu’une portion congrue à l’est et une ligne de pénétration à l’ouest.
L’apogée et la fin des “big four” en 1948, année de la nationalisation avec la création des British Railways. L’empire du LMS est considérable et, surtout, détient tout le centre industriel de l’Angleterre.

Deux de ces quatre compagnies se trouvent en concurrence directe et frontale : le London, Midland & Scottish Railway, d’une part, et le London & North Eastern Railway, d’autre part. La raison est qu’elles assurent, depuis Londres, la desserte du centre et du nord de l’Angleterre et de l’Écosse, l’une par la côte ouest (le LMS) et l’autre par la cote est (le LNER). Héritée des anciennes compagnies du Midland Railway et du Great Northern Railway, cette situation fait qu’une âpre politique de vitesse est maintenue de part et d’autre, et quand l’une des deux met en service une nouvelle locomotive rapide par exemple, l’autre en fait autant, et quand l’une crée un nouveau train, immédiatement l’autre réplique avec un train encore plus beau.

Dans une gare du Midland Railway, avant 1923: ce réseau est bien le coeur du futur LMS dont, déjà, il a les belles couleurs et une tradition de vitesse.
Train classique sur le Midland Railway vers 1890: on notera la présence persistante des locomotives dotées de ” roues libres” avec leur unique essieu moteur (dites “single driver” en langue anglaise (le mot “driver” désignant un essieu moteur et non seulement un conducteur). On notera que le refus du bogie, pour les voitures à trois essieux, sévit encore à l’époque au Royaume-Uni.

L’époque des trains carénés des années 1930 voit l’apogée de cette lutte, mais aussi l’apogée des trains à vapeur britanniques. Le type Pacific ne sera jamais dépassé et restera, pour le Royaume-Uni, la plus performante des locomotives de vitesse, si l’on excepte la petite série des six locomotives P2 du LNER qui sont des 141, donc la seule série de vitesse britannique à quatre essieux moteurs, et encore… Car elles furent reconverties en type 231 en 1942. Il n’y aura jamais de type Mountain (241) sur le sol britannique.

L’importance du LMS.

La compagnie du London, Midland & Scottish Railway est formée donc, en 1923, avec le « Grouping act » qui lui donne de très vigoureux concurrents. Ce réseau, souvent appelé London, Midland & Scotland par cohérence géographique des noms des lieux desservis, intègre des réseaux anciens qui ont, déjà, une grande tradition d’excellence si l’on songe à celui du London & North Western Railway qui totalise 4300 km, le Midland Railway qui apporte 3490 km, et d’autres réseaux d’importance moyenne comme le Caledonian Railway avec 1790 km, le Glasgow et South Western avec 790 km, et le Highland Railway avec 810 km – ces trois derniers réseaux étant écossais. Si l’on ajoute une cinquantaine de petites compagnies possédant seulement de 6 à 100 km de lignes, on obtient, pour le London, Midland & Scottish Railway entier un total de plus de 12 000 km, ce qui fait de ce réseau le plus grand des réseaux britanniques, et quelque peu l’équivalent du PLM en France.

Les concurrents ne lui feront pas de cadeaux. Ce sont les réseaux du London & North Eastern Railway qui lui est parallèle et directement concurrent pour desservir le nord de l’île qu’est la Grande-Bretagne avec 10 000 km de lignes bien réparties et à excellent profil. Mais aussi le London, Midland & Scottish Railway se heurte au dynamique et très ancien Great Western Railway dont le réseau de 6 000 km le borde sur le flanc sud-ouest et lui interdit toute entrée dans le pays de Galles et les Cornouailles, sauf par de rares lignes de pénétration. Enfin, en direction du sud, il y a le Southern, avec peut-être seulement 3500 km de lignes, mais très stratégiquement placées pour fermer au London, Midland & Scottish Railway tout débouché direct sur la France et l’Europe ce qui condamnera le grand réseau à essayer de mettre au point une liaison par train et bateau depuis le port de Harwich sur la mer du Nord, qu’il parvient à toucher grâce à un accord avec le réseau du London & North Eastern Railway, jusqu’à celui de Hoek van Holland. Inutile de dire que cette liaison rencontrera peu de succès et que le Southern Railway jouira d’une situation de monopole avec les précieux ports de la Manche.

Ambiance LMS, d’après une des cartes postales Tucks, bien connues à l’époque. Les trains-jouets Hornby des années 1920 et 1930 sauront exploiter cet émerveillement rouge et faire rêver les enfants anglais, surtout à Noël.

Généreusement dotée en matériel roulant.

Pour ce qui est du matériel moteur, le London, Midland & Scottish Railway est généreusement doté. Le parc de locomotives à tender séparé est de 6916 exemplaires, tandis que les locomotives-tender sont au nombre de 3376. Les voitures forment un parc de 27 229 exemplaires, et les wagons de 302 550 exemplaires. C’est donc un réseau puissant, faisant figure, dans un pays aussi restreint géographiquement que le Royaume-Uni, de réseau aux dimensions dignes de celles d’un grand pays comme ceux de l’Europe centrale ou septentrionale : en effet, au départ de la gare d’Euston ou de Saint-Pancras, de Londres, certains trains du London, Midland & Scottish Railway ont devant eux un parcours pouvant atteindre le millier de kilomètres s’ils desservent le nord de l’Écosse, et ces trains au long cours comportent des voitures lits confortablement équipées pour de longs trajets.

Le mythe LMS jusque dans les trains-jouets Hornby des années 1930 avec la “Midland Compound” (à gauche) ou, surtout, la “Princess”, la plus belle et la plus chère locomotive de la marque, qui sera un rêve et jamais une réalité pour nombre d’enfants anglais …. dont l’auteur de ces lignes (qui s’est rattrapé depuis).

Plus en avance par ses voitures que par ses locomotives.

Le London, Midland & Scottish Railway  a, certes, de bonnes locomotives, mais elles sont très classiques et ne se démarquent guère, techniquement, de celles des autres compagnies – sauf, peut-être, les fameuses Midland Compound dont le réseau hérite du Midland Railway, ou encore les Pacific de la série des “Princess” et surtout celles de la série des remarquables “Duchess”.

Mais les voitures offrent un confort remarquable, car le réseau est l’héritier du London & North Western Railway qui avait inauguré en Europe des voitures-restaurant à douze roues qui sont la meilleure expression du savoir-faire en matière de luxe, avec leur aspect cossu et chic. Les autres compagnies anglaises en restent au stade de l’arrêt-buffet pour économiser les frais de traction d’une voiture supplémentaire dans le train… Le Midland Railway, lui, importe en 1875 des voitures Pullman à bogies des États-Unis, ce qui fait sensation, et le réseau, à la même époque, supprime la deuxième classe, offrant alors aux voyageurs de troisième classe un confort proche de l’ancienne deuxième classe. Grâce au Midland Railway, le London, Midland & Scottish Railway hérite d’un sens du confort et de la qualité du service exemplaires. Les performances exceptionnelles des locomotives “Duchess” sauront donner à ces trains la vitesse et l’exactitude, et mettre le London, Midland & Scottish Railway, à la veille de la Première Guerre mondiale, en tête des réseaux britanniques.

En 1948, quand sonne l’heure d’une douloureuse nationalisation, le London, Midland & Scottish Railway est certainement le grand perdant : les petits réseaux, eux, ont tout à gagner d’être intégrés dans un grand réseau géant national, alors que le London, Midland & Scottish Railway, précisément, était déjà un géant à qui l’on donne, en fin de compte, la charge de gérer des réseaux qui ont tout à gagner à être intégrés à lui.

Les British Railways conservent, pour leurs voitures comme ici les “Mark I”, les couleurs du LMS mais avec une décoration plus sobre, sans les nombreux filets jaunes.
Le confort des voitures LMS puise ses racines dans celui des voitures du London & North Western qui, en 1923, apporte au LMS ses traditions de magnifiques voitures que le LMS saura préserver et développer. Bien entendu, tout est de couleur rouge sombre.
Même les voitures(-restaurant sont tout aussi soignées. Bon… c’est de la cuisine anglaise, no comment ! Mais quand on sert le thé, avec des serviettes chaudes envoloppant l’argenterie, à on est à des années lumière d’avance si l’on compare avec ce qui se fait en France, surtout avec les goblets de thé SNCF !!! Mais, ici, il ne s’agit que du thé, voyons…

La “Pacific” LMS « Duchess »

Avec ces brillantes “Pacific” de la série « Duchess », l’art anglais en matière de locomotives à vapeur atteint son sommet à la fin des années 1939. Signées de la griffe réputée de William Stanier, racées avec leur robe rouge sang rehaussée de filets jaunes et noirs, ces machines battent facilement des records de puissance et de vitesse, dépassant même, par leur nécessaire voracité en charbon, ce que peuvent charger des chauffeurs débordés.

Willam Stanier, créateur des “Princess” et des “Duchess”, et gentleman élégant et très aimable.

William Stanier est né en 1876, et, après de brillantes études d’ingénieur, il entre au Great Western Railway. Mais le réseau concurrent qu’est le London, Midland & Scotland Railway arrive à le faire quitter son réseau d’origine et le nomme « Chief Mechanical Engineer » en 1932. Sa première tâche sur ce grand réseau centrale qu’est le LMS est de revoir complètement les locomotives type 230 « Royal Scot » qui donnent des soucis au niveau des organes de roulement. Dotant ces locomotives de meilleurs tenders, il en fait des machines de vitesse performantes.

En 1934 il dessine les 230 de la série dite « Black Five », des locomotives qui passent pour les meilleures du monde à leur époque, capables de rouler à 145 Km/h en service, et de tirer des trains de voyageurs de 550 t. Intéressé par les essais suédois de locomotives à turbines, il essaie modifie, en 1935, une “Duchess” alors en construction dans les ateliers de Crewe en la dotant de turbines Metropolitan-Vickersen. Après avoir créé les “Duchess”, qui resteront les meilleures locomotives du réseau LMS et une des plus performantes au monde, il se retire et meurt en 1965, entouré de considération.

Il est vrai que, sur le LMS comme pour l’ensemble des réseaux britanniques, c’est le type 230 (et non 231) qui a dominé en ce qui concerne la traction des trains rapides et lourds. Même Stanier a dessiné des 230 avant d’oser le type 231. Ici une “Royal Scot” que Stanier dessine très tardivement en 1927, soit deux décennies après l’introduction du type Pacific en France et en Europe.

L’Ecosse : enjeu de la concurrence la plus âpre.

Ces deux réseaux concurrents sur la relation Londres-Écosse que sont le London, Midland & Scottish Railway, d’une part, et le London & North Eastern Railway, d’autre part, se livrent une lutte sans merci. Ces deux grandes compagnies sont le produit de la fusion, en 1923, de l’ensemble des petites compagnies britanniques en quatre grandes. Le Midland Railway et le London & North Western ont donc formé le LMS, et sa ligne principale dessert le centre de l’Angleterre et l’Écosse par la côte ouest, débouchant en Écosse par Glasgow, mais ayant aussi une desserte indirecte jusqu’à Édimbourg. Né à la même époque, le LNER est le fruit du regroupement de plusieurs compagnies situées à l’est de l’Angleterre, dont, principalement le North Eastern Railway, et il pénètre naturellement en Écosse en suivant la côte est et en débouchant immédiatement à Édimbourg.

Les deux compagnies sont à couteaux tirés et se marquent réciproquement « à la culotte »  en bons et fidèles partisans du libéralisme le plus débridé : si l’une des deux sort une nouvelle Pacific, l’autre en fait autant, et quand l’une des deux lance à grand fracas publicitaire un nouveau train, l’autre en fait immédiatement autant. Les performances des trains entre Londres et Édimbourg sont comparés à la minute près, et, chaque jour, c’est à qui fera le meilleur temps qui sera, d’ailleurs, publié dans la presse. Les Anglais, grands amateurs de paris, s’en donnent à cœur joie… Les couleurs des deux camps, ou des deux écuries, oserait-on dire, sont le rouge vif pour le train entier du LMS, d’une part, et, d’autre part le vert clair pour la locomotive et le teck verni pour les voitures du LNER. Chacun reconnaîtra les couleurs et ne se trompera pas, comme sur les champs de course.

La carte du terrain de la lutte. On disait que l’aiguilleur, quand il voyait les deux trains se présenter ensemble à la jonction qui précède Édimbourg, jouait à pile ou face le train à qui il offrait la priorité pour ne pas avoir une crise de nerfs.
La lutte des titans immortalisée par une publicité restée célèbre: ce ne sont pas les compagnies qui auraient un “deal”, mais les Écossais qui essaient de rafler la mise. Les deux trains partent à h du matin, une heure restée dans les mémoires : Euston pour le “Royal Scot” du LMS et Kings Cross pour le “Flying Scots man” du LNER, qui font la course sans pudeur ni retenue. Les “bookmakers” enregistrent les paris chaque jour.

La « Duchess » : le LMS gagne sur toute la ligne.

Avec la « Duchess », le LMS sort une arme fatale à son adversaire. En 1937 cette compagnie décide de lancer un train rapide Londres-Glasgow et demande à Stanier de concevoir la « Pacific » la plus puissante et la plus rapide possible. C’est la série des « Duchess ». La première locomotive porte le nom de « Duchess Anne », suivie rapidement de 38 exemplaires produits à partir de 1939.

La Pacific “Duchesss” de Stanier qui succès à la Pacific “Princess”: pour les compagnies britanniques, les séries (ou class) déclinent des noms de rois, de duchesses, de princesses, oui de châteaux, ou de grandes batailles, etc.
La “Duchess”. L’emblématique vitesse du “100 MPH” (soit 160 km/h) n’est pas un problème et ce chiffre rond fascine les Britanniques.

Elles éclipsent tout ce qui existe en matière de locomotives de vitesse : elles peuvent tirer des trains de plus de 600 tonnes à plus de 100 Km/h, rouler à plus de 160 Km/h en tête de trains de 300 à 400 tonnes sans peiner, et même atteindre, pour l’une d’elles, 182 Km/h lors d’essais. Ces locomotives resteront en service jusque durant au milieu des années 60. Plusieurs sont heureusement conservées aujourd’hui. Une dernière tranche de 20 locomotives identiques, portant des noms de villes, sera livrée pendant et après la guerre, la dernière « Duchess » étant la « City of Salford », livrée en 1949.

En février 1939, la « Duchess of Abercorn » est testée avec un train de 20 voitures pesant 605 tonnes entre Crewe et Glasgow, faisant l’aller et le retour. Une puissance de plus de 3.300 chevaux est développée, et la rampe de Beattock est franchie à 102 Km/h. Un autre record fut battu à 182 Km/h en tête d’un train arrivant à Crewe, quelque temps plus tard, impliquant le franchissement à plus de 90 Km/h d’appareils de voie prévus pour une vitesse trois fois moindre ! Seules les voies et la vaisselle du wagon-restaurant eurent à souffrir de l’exploit, mais les journalistes à bord du train furent enchantés.

Les très rares trains carénés du LMS rompent avec le rouge traditionnel de la compagnie pour bien affirmer leur particularité. Nous sommes ici dans les années 1930, en pleine compétition avec le LNER dont les trains carénés sont… bleus, eux aussi. La lutte n’est donc guère “fairplay”. Ces “Duchess” carénées sont affectées au train Londres – Glasgow « Coronation Scot ».
La fameuse potence de Rugby, sur le LMS. Elle se présenté comme répétée sur deux niveaux du fait d’un pont qui la masque partiellement. Elle reste un modèle du genre.

Les performances du LMS sont aussi le fait de son incroyable signalisation avec des potences gigantesques formant autant de “partitions” à déchiffrer pour les équipes de conduite dont le coupe d’œil doit être rapide et sûr.

Au-delà des possibilités des chauffeurs.

Parlons-en, justement, du travail des chauffeurs sur les « Duchess ». Le problème posé par ces locomotives est leur voracité à la hauteur de leurs performances. La puissance produite est telle qu’il faut une grande quantité de charbon. Le chargement du foyer se fait à la pelle, mais la demande en charbon est telle que le chauffeur ne peut « suivre », ce qui limite les performances des machines. C’est bien un des rares cas dans l’histoire des chemins de fer où une équipe de conduite ne peut être à la hauteur des exigences de la locomotive!

C’est dommage: il aurait certainement fallu les doter de la chauffe mécanique, ou, peut-être, essayer la chauffe au fuel qui permet de fournir beaucoup plus de combustible. Des essais avec deux chauffeurs, sur la plateforme, chargeant à tour de rôle le foyer dans un ballet incessant et parfaitement réglé, montrent que la locomotive peut aller encore plus vite, mais aussi qu’elle reste encore en dessous de ses possibilités par manque de vapeur, malgré deux chauffeurs !

La gare de St-Pancras à Londres : du gothique encore ?

Du gothique, encore du gothique et toujours du gothique ! C’est le mot d’ordre des grands architectes anglais de la moitié du XIXe siècle, surtout quand il ne faut pas faire des cathédrales… Car c’est bien de gares dont il est question, et quand le vieux Midland Railway commande sa gare londonienne, ce sera une véritable cathédrale élevée à la gloire de cette compagnie, et dont la hauteur doit éclipser celle de la compagnie concurrente toute voisine, le Great Northern Railway et sa bien prétentieuse gare de Kings Cross.

Fondée en 1844, possédant un réseau de 2 141 km vers 1900, c’est la compagnie centrale du Royaume-Uni, une des plus prospères. Ses splendides trains rouge sang à filets jaunes suscitent l’enthousiasme dont le LMS sera l’héritière commerciale. Elle possède deux lignes principales, l’une de Londres en Écosse par Leicester, Leeds et Carlisle, l’autre de Bournemouth à Liverpool, ces deux lignes se raccordant par une transversale de Nottingham à Derby. Intégrée dans le groupe London Midland & Scotland Railway (ou LMS) en 1924, elle apporte à ce groupe non seulement la couleur de ses trains, mais aussi sa tradition de vitesse, de performances et de luxe. Elle sera bien l’âme du London, Midland & Scotland Railway, et son chic comme son savoir-faire assureront la prospérité du nouveau géant.

Cette compagnie est une des premières à offrir un maximum de confort, allant jusqu’à supprimer, dès 1874, la deuxième classe et à ne laisser dans ses trains que des voitures de première et de troisième, ces dernières ayant des sièges rembourrés et un confort voisin de la deuxième classe des autres compagnies. Cette mesure ne manqua pas de semer la panique parmi les actionnaires de la compagnie qui craignaient que cette politique, disons, « sociale », ne soit trop ruineuse… Elle est aussi la première à introduire en Angleterre les voitures Pullman.

Insérer une nouvelle gare dans le noeud ferroviaire londonien.

Mais surtout, dans cette atmosphère de libre concurrence acharnée et bien britannique, les compagnies luttent entre elles pour attirer les investisseurs et les clients: quittant son siège social de Derby, le Midland se doit d’avoir une gare remarquée quand, enfin en 1868, il parvient à pénétrer dans un Londres déjà saturé en chemins de fer et en gares.

À l’époque de la construction de la gare de Saint-Pancras, le nœud ferroviaire londonien est d’une complexité incroyable, car neuf grands réseaux y aboutissent donnant 13 grandes gares de tête de ligne et environ 200 gares ou stations de banlieue situées sur les lignes : en tous sens des lignes sont construites, appartenant à un nombre considérable de compagnies, et les réseaux s’interpénètrent, les trains des uns empruntant les voies des autres au prix de redevances, droits de passage, priorités complexes… Chaque réseau tient à avoir sa façade dans une belle avenue de Londres, et, ainsi, d’y afficher sa respectabilité et sa prospérité afin de rassurer les actionnaires.

Les gares de Londres à la fin du XIXe siècle. Le réseau londonien est très dense et le “Tube” (métro souterrain petit gabarit) se prépare à y ajouter ses nombreuses lignes.

Sauf celles de London Bridge (du réseau du London, Brighton & South Coast Railway) et de Waterloo (South Western), toutes les gares sont sur la rive gauche. Le South-Eastern a deux gares, l’une à Cannon Street et l’autre à Charing Cross, toutes deux en cul-de-sac avec des trains les desservant l’une puis l’autre par rebroussement… Le réseau du Chatham a trois gares, Victoria Station, Saint-Paul et Holborn. Le Great Western Railway est installé à Paddington, le Great Northern Railway à Kings Cross et le London & North Western Railway à Euston. Mais certaines compagnies envoient des trains dans les gares d’autres compagnies, comme le Great Northern Railway, le Midland, et le Chatham jusqu’aux gares de Farrington ou de Moorgate Street.

Outre les grandes lignes desservant le Royaume-Uni, un certain nombre de lignes régionales comme le Metropolitan Railway envoient des trains dans les gares des grandes compagnies, et assurent, pour ces dernières, des correspondances avec d’autres gares de Londres : nous sommes à une époque où le métro n’existe pas encore.

De très nombreuses gares de marchandises sont disséminées dans Londres, et très souvent fort loin des gares de voyageurs de la même compagnie. Par exemple, la gare de marchandises du Midland, que l’on penserait être dans les emprises de celle de Saint-Pancras, est de l’autre côté de la Tamise, dans le sud de Londres, pas très loin de Clapham Junction, à Stewarts Lane Junction.

Une véritable toile d’araignée de lignes de chemin de fer se tisse jusqu’au cœur de Londres, laissant à des compagnies aussi obscures et éphémères que le London, Tilbury & Southend avec sa gare de Fenchurch Street ou encore le Great Eastern à Liverpool Street.

Un gothique tardif, le Moyen-Age ayant cessé bien avant 1873.

L’architecte choisi par le Midland est Gilbert Scott : il a déjà à son palmarès d’avoir conçu, entre 700 autres bâtiments, le Albert Memorial, et les très célèbres Home Office et Foreign Office, ceci dans un style très particulier et fort prisé durant les années 1870. Avec l’architecte Thomas Brassey, il dessine une façade surchargée en clochetons, en toitures mouvementées, en chiens assis, tourelles, cheminées monumentales, le tout à profusion, tandis que son confrère William Henry Barlow se charge, lui, d’essayer de loger quelque chose de rationnel dans le bâtiment: bureaux, salles d’attente, restaurants et quais. Un immense hôtel de 250 chambres, avec salles de réunions et salons, est aussi présent dans le bâtiment.

Les matériaux de construction sont des pierres et des briques bien rouges, la couleur fétiche du Midland, bien sûr… Mais comme nous sommes à l’époque du triomphe de la révolution industrielle et de l’architecture métallique, une grande verrière avec armature en métal vient rappeler que, avant tout, la gare est au service du chemin de fer et que le chemin de fer, c’est d’abord du fer. Des poutrelles entrecroisées, des tirants, des boulons, se superposent et se détachent les uns des autres à perte de vue, tout formant, par-dessus les voies, une voûte élégante dont la courbe reste très harmonieuse quels que soient le point de vue et le quai choisi pour l’admirer. La verrière, à l’époque, est la plus grande du monde avec ses 80 m d’ouverture sans aucun pilier. Bref, un mélange de romantisme et de haute technologie d’époque un peu comparable à celui des châteaux de Louis II en Bavière.

Les voies sont construites à un haut niveau au-dessus du sol, ce qui permet à la ligne du Midland de quitter Londres en enjambant toutes les rues, sans passages à niveau. Sous les voûtes supportant les voies, on aménage d’innombrables caves pour le stockage de la bière: c’est un des trafics les plus importants de la compagnie.

Il a toujours été question de la fermer, de la démolir, cette magnifique gare. Déjà en 1935, le grand hôtel est fermé et les couloirs des étages deviennent poussiéreux et déserts. Dans les années 1960, les promoteurs bétonneurs regardent avec concupiscence cet immense bâtiment et son terrain pour en faire un de ces palais de verre et d’acier inoxydable dont ils ont le secret, pour le plus grand bonheur de l’humanité – ou du moins de leurs actionnaires.

La gare, heureusement, a échappé à tous les projets de démolition qui n’ont pas manqué d’affluer, et, même, pendant les années 1980, elle commence à être l’objet de travaux de restauration. Elle est donc toujours debout, à la grande joie des amateurs de chemins de fer du monde entier. Toutefois, elle est l’objet de modifications importantes, car elle est prise dans les immenses travaux qui vont bouleverser le site commun des deux gares du Midland et de Kings Cross qui sont très près l’une de l’autre, et qui formeront une gare commune pour les lignes à grande vitesse partant de Londres vers le continent (Eurostar) ou vers le nord du Royaume-Uni. Le bâtiment seul est classé et ne sera pas démoli, et, pour le moment, il se dresse fièrement, mais isolé, au cœur d’un très grand chantier.

La gare Saint-Pancras à Londres, avec sa façade néogothique et, à l’époque, ses immenses quais très larges sur lesquels évoluaient les taxis qui vous déposaient devant votre compartiment ! Chose unique au monde, question qualité de service et oubliée aujourd’hui: on court en tirant sa valise à roulettes sur des kilomètres…
Quand St-Pancras avait encore ses trains LMS, avec les (petites) locomotives à vapeur et les voitures à lanterneau..
Et, en plus, le LMS promettait des paysages très beaux. Il est vrai que ceux traversés par la ligne concurrente de la côte est n’avaient rien d’exceptionnel.

                          

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