Carnet de plans anciens : quelques premières gares françaises.
Ne confondons pas “gare” et “bâtiment-voyageurs” (BV), le BV étant une partie des installations qui constituent une gare. Si les premiers BV ont été soit laissés à l’inspiration libre des architectes intéressés par cette innovation (d’où quelques échecs et des BV à reconstruire…), les gares, elles, ont été l’objet de soins attentifs, et souvent exposées aux enseignements de l’expérience. La disposition des voies, des appareils de voie, des bâtiments comme les ateliers, les remises, les halles à marchandises et leur quai couvert, les cours de débord, a continuellement évolué entre 1840 et 1870, jusqu’à ce que, vers la fin du Second empire, l’expérience et la pratique viennent figer les choses en dispositions-types.
Notons que les plans illustrant cet article (ouvrages datant d’avant 1850 comme l’Atlas Perdonnet & Polonceau, des années 1870 comme le cours de Sévène des Ponts et Chaussés, etc) sont des documents très grands, et ils “passent” mal sur internet, vue la nécessaire compression pour une très basse définition. Si vous voulez un document en haute définition d’origine, atteignant souvent 30 ou 50 mégaoctets, faites une demande par e-mail à clive.lamming@orange.fr.
L’Alsace est une terre pionnière du chemin de fer, et la ligne de Strasbourg à Bâle est une des premières grandes lignes françaises, et internationale de surcroît. Le BV de la gare de Mulhouse est généreux: on prévoit “large” ! Mais on remarquera que l’accès à l’ensemble des autres bâtiments de la gare, sauf pour les voies principales et leurs quais qui ont des aiguilles, se fait uniquement par batteries de plaques tournantes. La “philosophie” de l’exploitation est que tout se fait wagon par wagon, que ce soit avec les ateliers, les quais couverts et halles. Souvent assurés par des chevaux ou poussés à bras d’homme, les wagons circulent individuellement dans les emprises de la gare.Ouverte en 1852-1853, la gare de l’Est à Paris (alors gare de Strasbourg) est logée à l’étroit, ce qui est une coutume parisienne! Elle aussi est sous le régime des plaques tournantes: les voitures sont garées sur les trois voies centrales, et chaque voyageur choisit son type de voiture: coupé, avec ou sans compartiment pour les domestiques, etc. Le train est composé voiture par voiture sur l’unique quai des départs. Sur le quai des arrivées, l’opération de décomposition des trains et de garage des voitures sur les voies centrales se fait aussi. Ce système lent dure jusque vers les années 1860: les trains sont alors à composition permanente. Les plaques tournantes des BV disparaîtront. Les messageries et la poste sont déjà des services publics importants assurés par le chemin de fer. La gare ne cessera de grandir, passant de 2 à 30 voies à quais.Ouverte en 1846, la gare de la ligne de Sceaux, toujours en service avec son bâtiment d’origine, est curieuse: elle est en boucle, chose permise par la technique de Arnoux qui dote son matériel roulant d’essieux pivotants et de roues libres (genre train avant de diligence) sur un écartement de 1751 mm, ce qui permet l’inscription en courbes de très faible rayon (25 m). Les train arrivent et repartent immédiatement. Le système est supprimé en 1891 au profit d’un système classique sur voie normale de 1435 mm.Le premier BV de la gare du Nord, à Paris, est complètement sorti des mémoires et de la documentation, et pourtant il était élégant. Mais, construit en 1846 par Léonce Raynaud, il est démoli dès 1864 pour être remplacé par l’actuel BV signé Hittorf. Cet échec s’explique par le plan de voies avec un seul quai des départs, un seul quai des arrivées, quatre voies de garage des voitures entre les deux, et, toujours, le règne absolu des batteries de plaques tournantes obligeant à des lents mouvements transversaux wagon par wagon pour chaque train. Noter les quatre plaques tournantes en fond de gare (quai transversal) pour le dégagement et le virage des locomotives. Le système devient rapidement ingérable.Construite en 1842, la gare de Valenciennes est en cul-de-sac, mal logée à l’étroit dans un triangle coincé entre les fortifications de la ville et l’Escaut. Une brillante et intéressante exception: l’absence de batteries de plaques tournantes et un grand nombre d’aiguilles avec un plan de voies bien tracé, voilà qui avantage cette gare, et la prépare à être une gare de passage, au-delà du dépôt qui sera déplacé, avec la ligne d’Aulnoye et de l’est de la France.Ce document montre les installations fixes de 1843 des ateliers de Sotteville (partie supérieure et à gauche) et de la gare de marchandises parisienne des Batignolles (partie inférieure et à droite). Ces établissements naissent avec le chemin de fer et, pour les gares de marchandises, n’oublions pas que le “fret” (comme in dit aujourd’hui) est la raison d’être du chemin de fer. Les Batignolles, c’est énorme, c’est le réseau Ouest qui occupe une bonne partie du XVIIe arrondissement de Paris. D’autres gares de marchandises naissent à Bercy (PLM), La Chapelle (Nord) et font du chemin de fer le plus grand propriétaire de la capitale en surface occupée.Entre sa première installation en 1837 au pont de l’Europe, et l’habillage haussmannien de 1889 donnant la gare actuelle, la gare Saint-Lazare a été en perpétuelle évolution comprenant cinq stades. Ici, il s’agit du 4e stade, en 1876, après le 3e stade des grands travaux de 1854. Le BV, qui a enfin sa salle des pas perdus (actuelle toujours) n’atteint pas encore la rue de Rome, et une étroite cour des voyageurs donne sur la rue Saint-Lazare. Un grand escalier relie ce BV à la rue de Rome. Les plaques tournantes finissent leur règne: plaques de virage des locomotives en fond de gare, plaque des mouvements transversaux à mi-longueur des quais. Les aiguilles ont conquis le faisceau de sortie. La gare Saint-Germain (bas du document) et celle de Versailles-RD (haut du document). Mises en service en 1839, une année avant Versailles RG, cette gare de Versailles-RD est une des toutes premières gares françaises après Lyon-Saint-Etienne, la gare de l’Europe. C’est elle qui lance le style dit “orangerie” avec de grandes baies vitrées et des arches, style qui magnifie le chemin de fer. Comme à Saint-Germain, il n’y a de plaques tournantes que pour les locomotives: les trains n’étaient que de voyageurs, et à composition permanente.Ici, on trouve, en haut du document, un très rare plan de la première gare Saint-Lazare, de 1837, donnant en biais sur la rue de Stockholm (à ne pas confondre avec le petit BV contemporain sur le pont de l’Europe). Cette première gare parisienne bénéficie d’un dépôt avec remise circulaire logée le long de la rue de Rome. En bas du document, il s’agit de la gare de Versailles-RG.Au début du Second empire, comme ici en 1852 à Gien, le réseau ferré national est en construction au prix d’un travail intense et monumental. Les gares de passage moyennes ou de faible importance sont, tout compte fait, nettement mieux équipées et dessinées que les grandes gares parisiennes déjà dépassées, faute d’une bonne étude des flux et des trafics. Ici, à Gien, le flux des voyageurs est nettement séparé de celui des marchandises, les plaques tournantes sont rares, les faisceaux des voies sont longs, dégagés, servis par de nombreuses aiguilles. Au début des années 1850, les gares du réseau national, ici aux Laumes ou à Tonnerre, sur le PLM, se spécialisent: Les Laumes est une gare de bifurcation pour l’embranchement d’Avallon avec un long garage pour garer les trains de marchandises passant sur la grande ligne Paris-Lyon, plus un petit relais-traction pour l’embranchement vers Avallon. Tonnerre est un important relais-traction de la grande ligne avec dépôt à grande remise et ateliers,Un autre type de gare spécialisée est la gare de transbordement entre deux mondes complémentaires: le réseau national en écartement normal (1435 mm) et le réseau des départementaux en écartement métrique 1000 mm, ou plus rarement 600 mm). Construite en 1847 sur une grande ligne Paris-Vierzon du PO, la gare de Lamotte-Beuvron reçoit la ligne en voie métrique des Tramways du Loir-et-Cher (TELC) en 1889. Chaque compagnie a sa gare, mais une petit et discret tronçon en métrique permet d’assurer le transbordement des marchandises dans la cour de débord de la gare même du PO.D’autres gares, vues en 1947 comme celle d’Etampes, semblent chercher laborieusement leur voie (c’est le cas de le dire!) en ayant de très mauvaises dispositions du plan de voies avec, comme on le constate sur la gauche du document, une remise circulaire inaccessible et très mal desservie par plaques tournantes et rebroussements. Il en est de même pour les autres bâtiments: ateliers et gares de marchandises. Seul compte, semble-t-il, le trafic grandes lignes entre Paris et Orléans.Des BV très bizarres, prisonniers dans un triangle de voies et de traversées obliques, voilà ce que l’on peut trouver à Tarascon où d’importantes lignes se recoupent dans un espace restreint. Construite dès 1847, la situation est la même en 1930, date de ce document. Quelques gares anglaises ou américaines se retrouvent avec des plans de voie analogues, notamment avec des compagnies concurrentes qui refusent tout raccordement direct entre elles.De petites gares, appelées “stations”, comme celle de Bergerac sur le réseau du PO, semblent, dès 1844, être très “modernes”, un modèle de sagesse, de réflexion, et de pertinence au niveau de la disposition des voies et des bâtiments. La remise (pour 12 voitures) est le seul point noir, desservi par plaques tournantes, mais ce gens de bâtiment, peu utile avec la composition permanente des trains, disparaît rapidement. Noter les termes précise comme “trottoir” pour les voyageurs, “quai” pour les marchandises, le “débarcadère” (terme de batellerie dont le chemin de fer est l’héritier) pour le BV, et le délicieux et pudique “lieux” pour les WC !
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.