La “Cab Forward” : la cabine de Monsieur est avancée.

Une locomotive à l’envers ! C’est bien l’impression que l’on a en voyant ces curieuses machines, et l’on croirait volontiers que le mécanicien s’est trompé et a attelé son tender à l’avant de sa locomotive au lieu de l’atteler à l’arrière… Et quand on vous explique que le tender est parfaitement à sa place, à l’arrière, on s’y perd : où est donc l’avant, et où est l’arrière ? La cabine est donc à l’avant, et la cheminée à l’arrière, et le tender suit le tout. Et pourtant, il y a une raison précise à ce qu’il soit ainsi: les poumons des équipes de conduite.

Une “Cab-Forward” do Southern Pacific américain en 1943. C’est une “Big-Boy” inversée, restant du type 2-4-4-2, la locomotive étant symétrique avec un bogie à chaque extrémité. L’avant de la cabine bénéficie d’un certain “design” hérité des locomotives électriques. L’avenir, c’est (déjà) de ressembler le moins possible à une locomotive à vapeur…

D’abord trouver la place du mécanicien et du chauffeur : une longue valse-hésitation.

La “Cab Forward” américaine du Southern Pacific de 1915. On a de la difficuté à situer l’avant et l’arrière, et le tender, lui, avoue discrètement la chauffe au fuel.

Le rôle du mécanicien ne change pas durant 150 années de traction vapeur. Personnage important, né avec le chemin de fer et issu du corps des mécaniciens des mines ou des ajusteurs et des outilleurs des usines du début du XIXe siècle, quand roulent les premières locomotives, il est tout d’abord « mécanicien embarqué » et pas réellement conducteur : son rôle, en effet, est beaucoup plus de se pencher sur le fonctionnement de la locomotive, de guetter les fuites ou les échauffements, les incidents mécaniques, et de prévenir les caprices de ces machines fragiles et rudimentaires au fonctionnement médiocre et laborieux. Tournant même le dos, parfois, à la voie (voir l’illustration de la locomotive de Hedley, ci-dessous), il se penche, outil et torchon en main, pour serrer tel ou tel joint, ou pour régler le jeu de telle ou telle bielle. Les mouvements de la locomotive sont lents, on peut en suivre les dérèglements éventuels d’un simple coup d’œil. La modestie des vitesses, qui ne dépassent guère celles d’un homme au pas, ne demande pas vraiment que l’on surveille la voie qui, elle, prend en charge le guidage du train: elle est d’ailleurs là pour cela, et on attend d’elle cette sécurité qu’aucun autre moyen de transport n’assure et n’assurera jamais.

Un coup d’œil de temps en temps vers l’avant du train, peut-être surtout pour juger de la vitesse et éviter, en pente, un emballement ou avertir un piéton égaré ou chasser un animal, voilà ce qui constitue la partie conduite du rôle du mécanicien à l’époque de ces premiers trains de mines, de ces premiers embranchements industriels. Des gardes, postés le long de la voie aux endroits sensibles, surveillent le train au passage, et, avec leurs bras et une trompe, peuvent attirer l’attention du mécanicien en cas de danger. Le mécanicien, à cette époque des débuts, est donc bien un “mécanicien” et assume pleinement ce rôle de vigilance et de surveillance de la machine.

Les premières locomotives anglaises des années 1810 à 1930, comme la “William Dilly” de Hedley de 1913: manifestement la place du mécanicien n’est pas celle d’un “conducteur”: il semble qu’il doit se poster à l’avant, à droite sur le cliché, face au foyer et le dos tourné à la marche, pour s’occuper de la machine et de son capricieux mécanisme. Une plateforme située sur l’avant du tender peut constituer un autre poste de travail.
Une locomotive Stephenson des mines de Hetton circulant presque un siècle après sa mise en service, puisque retirée en 1912, après avoir été quelque peu remise, de décennie en décennie, au goût du jour. Sa plateforme latérale a reçu une sommaire cabine de conduite, le “conducteur” pouvant se retrouver là pour actionner le frein. Le chauffeur est à son poste définitif, devant le foyer et avant le tender.

L’évolution du rôle du mécanicien qui ajoute à son métier celui de conducteur.

Mais, assez rapidement, vers 1840, il faudra bien implanter des signaux pour avertir, à plus grande distance, les mécaniciens de la nécessité de s’arrêter : on plante des mats très élevés sur lesquels on peut hisser, à la manière d’un drapeau, des boules de bois peintes en rouge vif ou en blanc, ou au sommet desquels on installe des disques pivotants solidaires d’une longue tige verticale que l’on actionne au sol. Les mécaniciens anglais deviennent rapidement des habitués du signal dit « disc and cross bar » qui se compose d’un disque et d’une aile qui pivotent simultanément, le disque indiquant la voie libre et l’aile l’arrêt – ces deux formes pouvant bien se distinguer dans le brouillard. Le disque, pour le moins, sera importé en France seul, et indiquera l’arrêt ou l’avertissement quand il est présenté face au mécanicien. Ainsi naissent les premières contraintes de circulation, et ce que l’on peut appeler la conduite du train. Posté à côté du mécanicien sur la plate-forme de conduite, le chauffeur prendra la responsabilité de la conduite du feu et de la surveillance de la locomotive, laissant au mécanicien son nouveau et important rôle de conducteur et de responsable de la sécurité du train et de ses voyageurs ou de ses marchandises.

Titulaire de « sa » locomotive, le mécanicien est bien le chef de bord, il est responsable de la conduite de la locomotive, et il supervise son entretien au dépôt. En route, il surveille les signaux, les appareils de contrôle, prend les décisions. Dans les faits, il forme une équipe avec son chauffeur et les deux hommes se partagent les tâches à bord, le chauffeur, si la courbe est de son côté, prenant sur lui de surveiller les signaux, le mécanicien n’hésitant pas à se saisir de la pelle si besoin est, et si la pression vient à chuter. Les deux hommes et leur machine sont liés dans ce « ménage à trois » que, par exemple, Émile Zola décrit dans son fameux roman « La bête humaine », la locomotive étant la Lison.

Cette distribution des deux rôles est définitive et restera en vigueur pendant toute l’ère de la vapeur, soit pendant un siècle et demi. Puis, avec la traction électrique ou diesel, le chauffeur disparaît et le mécanicien devient un “conducteur” ainsi dénommé actuellement – et, surtout, un solitaire.

En « queue de pie et lunettes »: du moins la locomotive.

Sur la locomotive « Locomotion » du chemin de fer de Stockton à Darlington, ouvert en 1825, le poste de conduite est donc une coursive surélevée et disposée de chaque côté de la chaudière, très en hauteur, de manière à placer le mécanicien près des cylindres verticaux qui dominent la locomotive et de leurs fragiles bielles dont la silhouette se découpe sur le ciel : cette disposition confirme bien que le mécanicien doit d’abord s’occuper de la mécanique, c’est-à-dire, du fonctionnement de la locomotive, exactement comme un mécanicien de navire qui est posté dans la salle des machines, dans la coque, et qui ne pilote pas le navire. Il n’y a donc pas, à vrai dire, de rôle de conducteur dévolu à ces premiers mécaniciens de locomotives, la conduite semblant inutile en elle-même pour un véhicule entièrement guidé par la voie.

Les locomotives à vapeur des années suivantes se contentent d’une simple plate-forme découverte disposée à l’arrière, derrière le foyer de la locomotive, car les problèmes semblent désormais se déplacer en direction de la conduite du feu, les mécanismes et les bielles devenant plus sûrs, plus fiables, alors que le feu peut toujours faiblir ou s’éteindre. Et on a pris conscience du fait qu’une locomotive se conduit par son feu, c’est-à-dire que la pelle du chauffeur est bien la productrice d’énergie et aussi l’équivalent de la pédale d’accélération de l’automobile : il faut plus de feu pour plus de vitesse, et la montée en puissance du feu doit se faire rapidement pour que la locomotive démarre énergiquement. En pente, ou à l’arrêt, on peut laisser le feu « couver ».

Mais la disposition à l’arrière de la plate-forme a pour avantage de mettre l’ensemble de la locomotive devant le mécanicien, et, sur la « Fusée » de 1829, la première locomotive moderne et performante, conçue par George Stephenson, même les cylindres de la locomotive sont disposés à l’arrière et en hauteur pour être placés directement sous le regard et à portée de main du mécanicien, car ces pièces sont complexes et fragiles. Par la suite, les cylindres seront définitivement placés à l’avant, et disposés horizontalement.

La “Rocket” (“Fusée”) de Stephenson en 1829: c’est la première locomotive “moderne” avec roues motrices à l’avant, cheminée à l’avant, foyer à l’arrière, plate-forme de conduite à l’arrière. Plus rien ne changera (sauf pour les locomotives décrites dans cet article). Toutefois, les cylindres sont encore à l’arrière pour être à portée de vue et de mains du mécanicien. Cette disposition disparaîtra sous peu.

À partir des années 1860, les locomotives sont dotées d’une tôle protectrice verticale disposée devant la plate-forme, sur le foyer, et munie de deux lunettes vitrées. Puis, pendant les années 1870 et en France, le dessus de la tôle est incurvé en arrière, donnant un déflecteur qui relève le courant d’air de la marche, formant un abri sommaire par-dessus les têtes de l’équipe de conduite, prenant une forme dite « en queue de pie ». Voilà les locomotives « en queue de pie et lunettes », répondant ainsi aux critères de l’élégance vestimentaire du Second Empire !

Toutefois, cette élégance vestimentaire ne convient guère au confort des mécaniciens et des chauffeurs qui restent exposés aux intempéries. Si la queue de pie détourne bien la pluie et le vent quand la locomotive roule, exactement à la manière d’un pare-brise d’un cabriolet décapoté, dès que le train est à l’arrêt, en gare ou au pied d’un signal fermé, c’est la douche assurée. Les compagnies vont alors jusqu’à avoir la bonté de fournir une toile cirée sous laquelle l’équipe de conduite se blottit, mais elles tiennent à ce que les équipes restent exposées aux vents de la course pour maintenir en alerte leur vigilance, craignant qu’une cabine fermée et vitrée ne favorise le sommeil ! Il faut dire que nous sommes encore à une époque où les compagnies, bourgeoises, n’accordent qu’une confiance limitée à la classe ouvrière, dont les équipes de conduite sont, d’ailleurs, les représentants les plus évidents, avec leur esprit d’indépendance et un goût pour la boisson – du moins aux yeux des dirigeants.

La méfiance est telle que les équipes de conduite sont totalement responsables de leur locomotive, et en achètent le charbon et l’huile sur leurs deniers personnels – seule manière, pour les compagnies, d’éviter le gaspillage. Et s’il y a un accident, l’équipe de conduite devra rembourser les dégâts, endettée alors à vie, finissant ses jours en prison : les mécaniciens disent qu’ils conduisent un pied en prison et l’autre déjà dans la tombe…

Équipe de conduite sur une locomotive Nord vers 1860. La “queue de pie” est au-dessus des têtes des hommes, offrant une piètre protection contre la pluie à l’arrêt. Les “lunettes” sont devant leurs visages, coupant quelque peu le vent de la course, mais rapidement salies et n’offrant alors plus aucune vue: il faut conduire penché sur le côté.

Le confort au compte-gouttes.

Les premières cabines fermées et confortables apparaissent aux États-Unis dès la moitié du XIXe siècle, dans un pays où le climat est rude, et où, sans nul doute, l’esprit est différent, et où les compagnies placent leur confiance dans les hommes qu’elles recrutent, et veulent, de leur part, un rendement maximal, donc leur accordent des conditions de travail optimales.

Dès les débuts du chemin de fer américain, dès 1830, les locomotives comme la “Pionnier” ont une confortable et vaste cabine de conduite. Les conditions de travail et de conduite sont rudes, il est vrai, aux USA. Cent ans plus tard, en 1945, quand les locomotives 141-R dites à tort “du plan Marshall” (qui leur est postérieur) arriveront en France, elles étonneront (encore) par le confort de leur cabine, toujours en avance sur la pratique européenne. Elles assureront 80 % du trafic ferroviaire français, mais restent américaines jusque dans la conception de leur cabine de conduite.
Souvent la (confortable) cabine américaine commencera un déménagement plus ou moins accompli vers l’avant de la locomotive, comme c’est le cas sur ces machines surnommées “Camelback” (“Dos de chameau”) ou “Motherhubbard” (“sorcière” car bossue!). Ici, nous sommes en 1868 sur le réseau du Reading, grand champion du genre, dès les années 1860 et jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Cette manière de voir les choses traversera l’océan atlantique, et parvient en Europe vers la fin du XIXe siècle, et se généralise seulement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il est possible que la présence, en France notamment, d’un important détachement de l’armée américaine ait fait la démonstration de l’importance des conditions de travail, car cette armée installe, en 1917 et sur notre sol, son propre chemin de fer, avec ses locomotives et son matériel roulant, et ses méthodes d’exploitation.

Le mécanicien et le chauffeur travaillent à l’abri des intempéries et peuvent même s’asseoir si besoin est. Le champ de vision offert au mécanicien reste très restreint, et, même, le devient encore plus, car la masse du corps cylindrique de la locomotive est devant lui et, avec la demande de puissance accrue, les corps cylindriques des locomotives prennent de l’ampleur, augmentant leur diamètre, et étant montés plus haut sur le châssis. C’est pourquoi certains réseaux américains essaient des locomotives à cabines posées à cheval sur le corps cylindrique, dites « camelback » ou d’autres, dites « cab forward », à cabine avant. Ces dispositions, en outre, évitent l’asphyxie des équipes dans les tunnels.

Sur les locomotives européennes du XIXe siècle, la cabine domine encore la chaudière et offre de grands hublots vers l’avant, mais, peu à peu, avec l’augmentation de la puissance des chaudières, la cabine, qui ne peut s’agrandir pour rester dans le gabarit imposé, se cache de plus en plus derrière la chaudière, réduisant ses hublots, réduisant le champ de vision offert. Dès les années 1910, notamment sur les Pacific, les cabines sont, pratiquement, dans le prolongement du corps cylindrique, et ne dépassent guère que dans la dimension de la largeur.

Une hiérarchisation interne ?

Bien entendu, oui, il existe une forte hiérarchisation interne dans le monde des mécaniciens des locomotives à vapeur. Cette hiérarchisation apparaît comme liée à celle des types de locomotives, ces locomotives diffèrent en fonction des trains ou des « roulements ». Les trains de voyageurs l’emportant sur les trains de marchandises, mais aussi liée à la vitesse, les trains rapides l’emportant sur les trains lents. Les locomotives à vapeur, contrairement aux locomotives électriques ou diesel actuelles, sont très différentes et très typées en fonction de l’usage auquel elles sont destinées, et à la vitesse prévue.

Les « grandes roues », ce terme désignant aussi bien les machines que les mécaniciens, sont réservées aux trains de voyageurs rapides, avec leurs deux ou trois essieux moteurs à roues d’un diamètre se situant autour de deux mètres. Les types 220, 221 et 231 dominent, avant la Première Guerre mondiale, l’univers des trains de voyageurs rapides. Les vitesses dépassent 120 km/h. Leurs mécaniciens sont souvent surnommés les « Sénateurs », cette appellation n’ayant rien à voir avec celle du « train de sénateur » qui veut dire une marche lente (comme le train d’un cheval) et non un style de vie.

Les locomotives mixtes, des types 230 ou 141, ont des roues de diamètre moyen, aux alentours de 1500 à 1700 mm, et servent aux trains express à arrêts fréquents, aux trains de messageries. Les vitesses sont de l’ordre de 60 à 90 km/h. Les mécaniciens aspirent à faire partie de la catégorie précédente, celle des « Sénateurs » et y parviendront peut-être en fin de carrière.

Les locomotives pour trains de marchandises, des types 130, 140, 150, ont des roues de faible diamètre, inférieur à 1500 mm. Les vitesses, au XIXe siècle, sont très basses, et n’atteignent une cinquantaine de kilomètres à l’heure que vers la fin du siècle. Les locomotives-tender pour les manœuvres en gare, sur les triages, ou aussi pour les trains des petites lignes secondaires sont, on s’en doute, au bas de l’échelle et leurs équipes aussi, souvent faisant là leurs débuts, ou souvent aussi n’ayant pu accéder aux catégories supérieures.

Peu engageante cabine de conduite sur une 040T PLM des années 1880: les locomotives de manœuvres, dites “Coucou” sur ce réseau, sont ouvertes à tous les vents, Mistral compris.

Les salaires, légèrement supérieurs à ceux du monde ouvrier, sont en proportion de l’ancienneté et donc reflètent, à leur manière, la catégorie des trains et des services accomplis, mais des primes de traction tenant compte des distances parcourues et des horaires (les « découchers ») viennent compléter, d’une manière significative, ce salaire et peuvent donner à un mécanicien « grandes roues » en fin de carrière une position sociale assez enviable – mais qui, malgré tout, n’atteindra jamais celle des capitaines au long cours ou, surtout, des pilotes d’avion de ligne.

Le grand problème : voir.

Les premières locomotives, comme le montrent les illustrations d’époque, ont un corps cylindrique très bas, enfoncé entre les longerons du châssis ou posé directement sur ce dernier, mais à faible hauteur. Seul le foyer type Crampton peut créer, par la hauteur de sa voûte, une gêne très limitée pour une vision vers l’avant qui reste très dégagé. Le corps cylindrique étant très bas, le mécanicien et le chauffeur, de la droite ou de la gauche, peuvent avoir une vue très complète et très dégagée vers l’avant, portant au loin sur la voie et les signaux. L’étroitesse de la locomotive et de la plateforme de conduite rapproche les deux hommes qui sont au coude à coude, notamment avec le très étroit gabarit anglais des débuts, et ils ont, à droite comme à gauche, une vue pratiquement identique sur les signaux et la voie.

Mais, à partir des années 1870-1880, l’accroissement de volume du corps cylindrique, et surtout son établissement en hauteur avec élévation de son axe par rapport à la voie, voilà ce qui ne manque pas de changer fondamentalement les conditions de visibilité pour l’équipe de conduite.

D’autres ingénieurs essaient des nouvelles dispositions, comme une cabine à l’avant : c’est le cas de la locomotive Thuile en France, ou de la S9 en Allemagne. Mais c’est un échec, tant pour des raisons psychologiques quand l’équipage est éclaté entre deux postes de travail, que pour des raisons techniques avec la difficulté de placer un foyer à l’avant – sauf pour la chauffe au mazout permettant alors de pomper le liquide depuis un tender accroché à l’arrière de la locomotive, comme sur la « Cab Forward » américaine.

La locomotive d’essais type 223 de l’ingénieur Thuile, en France, vue en 1900. La cabine placée à l’avant doit assurer une excellente visibilité pour le mécanicien, séparé de son chauffeur qui reste devant le foyer.
Dernière tentative française de locomotive à vapeur en voie normale avec cabine à l’avant: la 230-E-93 à chaudière Vélox de la SNCF., région Sud-Est, ex 230-B-93. L’intérêt est la chaudière automatique à tubes vaporisateurs rapides et sans tirage qui procurent un gain de puissance de 30 %. Il n’y a plus besoin de chauffeur puisque la chaudière fonctionne au fuel pulvérisé et le mécanicien, seul, peut être posté à l’avant.
Toutefois, et jusqu’à la fin de leur existence dans les années 1950, quelques réseaux secondaires en voie métrique, occupant le bas côté des routes (d’où l’on rêve de les chasser, car ils gênent la liberté automobile) construisent des locomotives à cabine avant, sans tender, la seule réserve de charbon étant quelques briquettes posées sur la chaudière, ou entre les pieds de l’époque de conduite. Locomotive-tender du type 130T (et non 031T en marche arrière) type dit “Béton-Basoches” du réseau départemental de Seine-et-Marne vue en 1964.
Passons en Allemagne. La S8, à cabine avancée, type 222, est un modèle d’essais allemand construit en 1910, et utilise la même disposition que la locomotive Thuile, pour les mêmes raisons.
La 222 série S9 allemande de 1910 reprend les mêmes principes, avec séparation du mécanicien et du chauffeur, mais avec un carénage complet et très soigné. Le tender est doté d’un couloir latéral permettant le changement des équipes de conduite en cours de route.

Rien n’oblige, non plus, à placer d’un côté ou de l’autre de la locomotive les organes de réglage de la distribution et du sens de marche. Ces longues barres de commande trouvent leur place aussi bien d’un côté du corps cylindrique que de l’autre, laissant toute liberté de placer le volant à droite ou à gauche dans l’abri de conduite. Le volant commande le coulissement de la barre (ou des deux barres superposées pour certaines compound) et ce coulissement actionne un arbre de relevage transversal qui lève simultanément les coulisseaux de droite et de gauche de la locomotive, permettant alors le choix du sens de marche et le réglage de la distribution.

Dernière tentative allemande d’une locomotive à vapeur avec cabine avant: cette très puissante 242 restée à l’état de projet, en 1940.

Ambiance étouffante.

Dès les débuts des chemins de fer, les émissions de fumée de la locomotive, accompagnée de nombreux gaz toxiques, posent des problèmes lors des parcours en tunnel, en attendant, d’ailleurs, que l’on découvre qu’il y a un problème sur l’ensemble du parcours si l’on considère l’environnement. Mais le parcours en tunnel est donc, la première forme du problème et le savant français Arago, durant les années 1830, attire l’attention des pouvoirs publics sur le danger.

Si encore les voyageurs peuvent fermer les fenêtres et se blottir dans les compartiments, les équipes de conduite, elles, restent exposées à la fumée sur des plates-formes de conduite exposées à tous les vents, et souffrent. Cette souffrance devient infernale si le tunnel est long et s’il est en rampe, la locomotive alors fournissant un effort maximal et produisant un maximum de gaz.

Devant l’accroissement du nombre des malaises, certains étant très graves, les compagnies vont s’ingénier à trouver une solution. Vers la fin du XIXe siècle, on équipe les plates-formes de conduite d’appareils respirateurs, des masques reliés à des bouteilles d’oxygène, et d’autres encouragent les essais de cabines de conduite situées à l’avant de la locomotive : ce sera le cas des locomotives dites « Mucca » italiennes, ou des locomotives d’essais allemandes comme les S9, ou de la fameuse « Leader » anglaise du lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Une “Mucca” (vache) italienne de 1908, ainsi nommée parce que le tender la suit et ressemble au veau suivant sa mère. La présence d’un vrai bogie directeur à l’avant montre bien que ce n’est pas une locomotive classique roulant en marche arrière, mais une nouvelle conception.
La “Mucca” italienne. On notera l’exigüité des soutes à charbon portées par la locomotive: les parcours prévus devaient être assez courts.
La “Leader” anglaise de l’ingénieur Bulleid marque la fin, en 1949, de ces essais de locomotives nouvelles qui doivent éviter de ressembler à une locomotive à vapeur. On évite même la présence de bielles d’accouplement pour une transmission à chaîne qui n’a jamais fonctionné correctement. Le chauffeur étouffe dans une cabine complètement fermée, située entre le foyer et le tender. La cabine de conduite semble avoir été prise sur une rame du métro de Londres.
Vue en coupe de la “Leader”: le chauffeur est au centre, entre la chaudière et le tender. Il n’a pas froid, chose appréciable vu le climat britannique. Le mécanicien dispose, lui, de deux cabines avancées, une par sens de marche, comme sur les locomotives électriques ou diesel.

The right man in the right place…

Le problème, dans ces dispositions, d’une cabine à l’avant, est la conduite du feu. Sur l’ensemble des locomotives à vapeur du monde, et dès les débuts, le chauffeur est placé entre le tender et le foyer de la locomotive. Le tender est un véhicule ouvert à son avant pour mettre son chargement de charbon à la disposition du chauffeur, et la locomotive est un véhicule ouvert à son arrière pour permettre le chargement du foyer par le chauffeur par la porte à bascule dite « gueulard ». Le chauffeur est bien entre les deux parties de l’ensemble locomotive + tender qui le concernent et qui sont en vis-à-vis.

Le tender ne peut donc être ailleurs que placé à l’extrémité de la locomotive comportant le foyer. Ainsi le mécanicien, dans le cas d’une locomotive à cabine avant, est posté à l’avant de la locomotive, et se retrouve seul, laissant aussi le chauffeur seul à l’arrière. Cette disposition qui désolidarise complètement l’équipe de conduite, et empêche toute l’entraide qu’ils s’apportent mutuellement pendant la marche du train, est, on s’en doute peu populaire parmi les équipes de conduite. 

Mais, avec l’apparition de la chauffe au fuel, le problème pourra trouver une solution dans la mesure où le fuel est liquide et peut parvenir au foyer par des tuyauteries, ceci depuis un tender éloigné, situé à l’autre extrémité de la locomotive. On peut donc retourner la locomotive sur elle-même, et placer la cabine de conduite à l’avant, et laisser le tender à l’arrière.

Les tunnels de la Sierra Nevada.

La Southern Pacific exploite, aux USA, un certain nombre de lignes franchissant la barrière de la Sierra Nevada, principalement entre Sacramento et Sparks sur la grande ligne transcontinentale reliant San-Francisco à Salt Lake City et à Chicago. La section reliant Sacramento à Sparks est en pleine montagne et de nombreux tunnels se succèdent, complétés par des tunnels pare-avalanches ou pare-neige. Les rampes sont de 25 pour mille et les trains de marchandises sont immenses, interminables, pesant des milliers de tonnes.

Il faut, à partir du début de notre siècle, des locomotives encore plus puissantes et il en faut plusieurs par train. On ne peut pas grouper les locomotives en tête du train, car l’effort sur le premier wagon serait trop important: on répartit les locomotives sur toute la longueur du train, une locomotive tous les 30 wagons environ. Dans les tunnels, les équipes de conduite respirent les fumées de toutes les locomotives qui précèdent la leur. On comprend que c’est absolument intenable…

Mettre tout le monde devant.

En 1928 la Southern Pacific reçoit ses premières Cab Forward (= cabine à l’avant), construites chez Baldwin. La série de 195 machines sera construite jusqu’en 1944. La conception de ces machines repose sur deux principes: assez de puissance pour être seules en tête des trains et une équipe de conduite totalement à l’avant de la machine. Ainsi, les fumées rejetées restent en arrière dans le tunnel et ne passent plus par-dessus la cabine de conduite.

La locomotive Cab Forward est, comme nous le savons déjà, une Big Boy inversée dont le bogie avant, ici passé à l’arrière, est devenu un bissel. Entre 1928 et 1944, quelques changements techniques interviennent notamment en matière de puissance. Les premiers modèles se reconnaissent à la forme avant de la cabine qui est plate. Ces locomotives rencontrent un succès total auprès des équipes et sont excellentes.

Mais une question ne pose d’emblée : comment charger et surveiller le foyer qui est à l’avant de la locomotive dans la cabine, alors que le tender se trouve à l’autre extrémité de la locomotive, au-delà de la cheminée ? Circule-t-il acrobatiquement, en tenant une pelle de charbon pleine, tout le long de la locomotive, elle-même roulant à pleine vitesse ? La forme du tender donne immédiatement la réponse: il est rempli de fuel, et un simple pompe et un système de tuyauteries suffisent pour l’alimentation du foyer.  Ce n’est donc pas une locomotive brûlant du charbon et, par définition, la « cab forward » est donc une locomotive à fuel. La “Cab Forward” est donc techniquement liée à la chauffe au fuel, donc à ce qui la tuera inévitablement : la présence du fuel annonce, par la force des choses, celle du moteur Diesel qui sera l’exterminateur impitoyable de la traction vapeur sur l’ensemble des réseaux ferrés du monde entier, partout là où la traction électrique ne sera pas rentable. La boucle est bouclée : la “Cab Forward” creusait elle-même sa propre tombe.

Mécanicien du temps du PLM, et “”bénéficiant”, pour conduire et surtout de nuit, d’une visibilité vers l’avant quasi nulle, car il est posté à l’arrière de la locomotive. Il se penche pour guetter, dans la nuit, les signaux apparaissant à la dernière minute, notamment en courbe.
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