Si la construction de la ligne dite “Impériale” de Paris à la Méditerranée, fleuron du glorieux PLM, semble avoir monopolisé toutes les possibilités créatrices d’une France d’avant-garde et dynamique d’un XIXe siècle florissant, la création de la ligne de Paris à Brest fut, elle aussi, une aventure toute aussi remarquable et menée, en dépit que ce que l’on croit, avec le même zèle et c’est à quelques mois près, en 1864 et 1865, que Nice et Brest sont reliées par Paris par de nombreux et excellents trains. Si le “Paris-Brest” est un gâteau crée en 1909 par le pâtissier Louis Durand en hommage à la course cycliste du même nom, la ligne de chemin de fer est un monument d’une tout autre dimension avec sa longueur de 624 km et son quart de siècle de travaux gigantesques.

Avant l’industrialisation de la France qui se fait sous le Second empire, la partie la plus riche de France se situe dans l’ouest du pays, de la Touraine à l’Aquitaine, porté par une économie surtout agricole. L’industrialisation et la naissance du chemin de fer qui la permettra déplacera la richesse pour la positionner sur un axe Lille-Paris-Lyon-Marseille. Il suffit de regarder la fameuse carte Vidal-Lablache de 1929, donnant l’importance du trafic ferroviaire en représentant des lignes aux couleurs vives et dont la largeur, sur la carte, est proportionnelle à l’importance du trafic : c’est bien Le Havre, Lille et la frontière belge, Paris-Lyon-Marseille qui l’emportent, et de très loin.

C’est sans doute ce qui explique pourquoi, dès la création du réseau ferré national, les premières lignes se déploient depuis Paris en direction de l’ouest, notamment avec les lignes de Versailles, puis de Chartres, et cette poussée vers l’ouest fait que Brest est atteinte en 1865 au prix d’un trajet de 18 heures. Brest est desservie une année à peine après Nice : l’ouest compte donc au moins autant que le sud…
La “façade atlantique”, comme l’appellent les technocrates actuels, n’a, pour autant, pas tout perdu au XIXe siècle, et de nombreux et importants ports créent autant de centres économiques d’une importance nationale, comme Bordeaux, Nantes, La Rochelle, ou Brest qui nous intéresse ici, qui, avec les ports de la Manche et de la Mer du Nord, et avec ceux de la Méditerranée, donnent à la France toute son importance maritime. Les lignes de l’ouest de la France, comme d’ailleurs celles de l’Est, sont donc très actives et prospères à leurs extrémités, mais en cours de chemin, les régions traversées n’ont pas de grandes villes industrielles ni de grands bassins miniers : c’est la longue traversée d’une France paisible et douce, deux qualités qui, certainement, n’attirent ni les compagnies de chemin de fer ni les grands investisseurs.
Le TGV Atlantique, crée immédiatement après le Paris-Sud-Est, montre que, cependant, les choses ont changé et vient rappeler l’importance de l’enjeu représenté par l’océan et le désormais “Grand Ouest” pour la France. Mais la LGV n’atteindra Rennes qu’en 2017, et sans doute n’atteindra-t-elle jamais Brest vu le peu de trafic au-delà de Rennes.
Ce qui reste très intéressant, pour l’historien, est que la création du réseau desservant l’océan a été l’objet d’une partie d’échecs entre les compagnies de l’Ouest, du PO, et de l’État. Cette lutte est telle que la conséquence des déplacements des pions sur l’échiquier a valu, par exemple, à la Bretagne de la fin des années 1930, d’être en partie sur le réseau d’une compagnie qui se souciait surtout de conquérir le sud de la Garonne et englobait Bordeaux, Toulouse, et les Pyrénées !
Le Second Empire part à la conquête de l’Ouest.
Malgré ce titre, cette conquête n’a rien d’un « Western » puisqu’elle ne fit pas de morts, mais son intensité et ses rivalités politiques n’ont rien à envier à l’aventure américaine qui lui est contemporaine. Tout se passe non au colt et à cheval, mais dans les grands salons dorés du monde financier et politique parisien, et, pour commencer, entre le groupe des concessionnaires anglais qui ont financé la ligne de Paris-Rouen et qui veulent remettre le couvert, plus le groupe français des frères Pereire.
En 1849, la construction de la ligne de Versailles à Rennes, une des premières grandes lignes nationales entreprises avec celle du Havre, est en cours d’exécution par l’État lui-même. La partie de ligne reliant Versailles à Chartres est ouverte en mars de cette année-là, quittant Paris par la ligne de Versailles-Rive gauche. Les frères Pereire, qui contrôlaient déjà la ligne de Versailles par la Rive droite, font des soumissions pour parvenir à exploiter cette nouvelle ligne de Versailles à Rennes qui est prometteuse en bénéfices bien gras, mais ils sont évincés. Toutefois, les dépassements de devis de la construction de la nouvelle ligne ont déjà porté les dépenses à 17 millions de francs au lieu de 6, et se trouvent en position de faiblesse que les frères Pereire parviendront bien à utiliser et ils parviennent à monter un traité pour la construction d’un raccordement de la nouvelle ligne avec leur grande gare qu’est Saint-Lazare. Paris est donc ouverte sur la direction de l’ouest, non seulement en direction de la Normandie, mais aussi de cette lointaine Bretagne qui apparaît comme un Eldorado à conquérir. En particulier, il faut un accès rapide à Brest, qui a une position stratégique importante, et dont on craint toujours que les Britanniques, avec leur bateaux rapides, soient les premiers sur place en cas de conflit.



Le Second empire met en place les premiers projets d’un réseau breton et envoie, sur le terrain, des missions d’études réalisées par des ingénieurs qui finissent par mettre en doute la rentabilité commerciale des lignes à construire en Bretagne vu l’état d’arriération et d’éloignement du pays. Que les Bretons ne soient pas vexés, aujourd’hui et rétrospectivement : les Corses ont traité exactement à la même enseigne, tan en arriération qu’en éloignement, avec un réseau corse en voie métrique, tout comme le réseau breton, celui de l’intérieur.
Tandis que la France commence à s’équiper avec de grandes lignes radiales désormais exploitées par de puissantes compagnies en direction du nord, de l’est, du sud, il se trouve que l’ouest, desservi par de petites compagnies (comme celle de l’Ouest d’alors) reste un point cardinal relativement limité à la Normandie.

Le ministre Pierre Magne répartit les cartes et sait où sont les atouts.
Mais Pierre Magne (1765-1836), ministre des Finances de Napoléon III, hésite entre confier les lignes bretonnes à la petite compagnie de l’Ouest qui dessert partiellement la Normandie ou à la puissante compagnie du Paris-Orléans qui, elle, dessert plus efficacement tout le sud-ouest. Toutefois, si l’Ouest est une toute petite compagnie, elle grandit par fusion avec la Compagnie de Cherbourg et celle du Paris-Rouen pour donner une compagnie de l’Ouest enfin assez puissante pour se permettre d’entrer dans la « cour des grands » et jouer un rôle national.
Pour résumer (et tenter de rendre plus claire) cette naissance du chemin de fer breton, on pourrait dire que l’histoire ferroviaire de la Bretagne commence beaucoup plus par son immersion passive dans un vaste ensemble ferroviaire non breton et cumulant la Normandie, le Maine, l’Anjou, la Vendée, l’Aunis, la Saintonge et les Charentes, toutes ces provinces étant agricoles, faiblement industrielles et presque toutes maritimes. La Bretagne proprement dite est donc « en bout de ligne » et en auront les chutes de tension comme disent les ingénieurs EDF, et, lors du début de son aventure ferroviaire, on peut dire que de grands intérêts financiers et de grandes compagnies tiennent chacun à « marquer son territoire », sans avoir d’autre projet tenant compte de la spécificité bretonne.
Plusieurs lignes de cet ensemble desservant l’ouest de la France sont d’importance nationale ou même internationale, et aboutissent à de grands ports maritimes ou fluviaux, de voyageurs, de commerce ou de guerre. Les villes les plus importantes du réseau sont ces ports et quelques capitales provinciales dont la population dépasse 50.000 habitants dès les années 1880 comme Rennes, Le Mans et Angers. Le réseau ouest assure, du fait de sa physionomie, un important service de trains de voyageurs : son activité dans le domaine des marchandises est conditionnée par le mouvement de ses ports et celui, saisonnier, des produits agricoles. La Bretagne est donc intégrée à un ensemble assez dynamique, mais elle n’est que seulement intégrée : il lui reste à prouver sa spécificité et son dynamisme. Tout au plus, elle bénéficiera, par « ricochet », de retombées bénéfiques de second rang comme le développement du tourisme puisqu’elle est dans le prolongement de lignes desservant déjà des stations balnéaires qui ont une renommée internationale comme Deauville, Dinard, La Baule, Royan. C’est ainsi que, vers la Belle époque, naît une Bretagne « folklorique », romantique et maritime, forcément celtique, sur fond de légendes et de mystères : c’est un peu ainsi que le chemin de fer a lancé l’Écosse au Royaume-Uni. Le parallèle est intéressant.
Magne ne veut pas mettre tout l’ouest dans le même panier.
Toutefois, ce projet de création d’une grande compagnie de l’Ouest ne plaît pas du tout aux dirigeants du Paris-Orléans dans la mesure où une ligne de Paris en Bretagne pouvait leur ravir le contrôle la zone assez active située entre Le Mans et la Loire. Et ils commencent à « marquer leur territoire » et avancent leurs pions sur l’échiquier en demandant une concession d’une ligne Tours-Le Mans, Tours étant déjà dans leur réseau. Pierre Magne, le 17 août 1853, leur concède la ligne Tours-Le Mans en même temps que la ligne de Nantes à Saint-Nazaire : une fois le PO satisfait, Magne peut s’occuper de la fusion des petites compagnies de l’Ouest et de Normande, et passer aux choses sérieuses : une grande ligne vers la Bretagne, mais qui ne sera donc pas une ligne par la Normandie, puisque la Bretagne ne sera desservie que par une ligne faisant un détour au sud par Le Mans.
Notons que le détour par Le Mans mérite une explication : à l’époque, Alençon est une ville importante, et, contrairement à une légende persistante, cette ville n’est nullement opposée au chemin de fer et ses habitants veulent même verser une très importante somme d’argent (de l’ordre du million de francs) à la compagnie de l’Ouest pour qu’elle choisisse, pour sa grande ligne Paris-Brest, le tracé le plus court et le plus direct par Alençon au lieu de faire un détour par Le Mans qui, à l’époque, est une petite ville d’importance très moyenne et moins peuplée qu’Alençon. Mais la compagnie de l’Ouest veut occuper le terrain le plus au sud possible pour empêcher le PO de grignoter du terrain et elle préfère passer par Le Mans qui, avec le chemin de fer, deviendra une ville prospère dont l’importance actuelle est de 145.000 habitants, alors qu’Alençon n’en compte que 26.000 et ne sera reliée à la grande ligne Paris-Brest que par un embranchement.
Une “Centrale Est-Ouest”, promise par Napoléon III et toujours attendue.
Et pourtant le Second empire avait formellement promis aux élus de la Basse-Normandie, en 1844, une « centrale est-ouest » par l’Eure, de l’Eure-et-Loir et l’Orne desservant la Basse-Normandie par Dreux, Verneuil, L’Aigle Argentan. Cette « fusion normande » (d’après les termes de l’historien François Caron) est faite en 1855 et réunit en un seul ensemble les compagnies du Havre, de Cherbourg, de Rouen, de Dieppe et de Saint-Germain.
Si la ligne de Bretagne desservira donc La Mans, et, évidemment, Rennes, il reste le délicat problème de l’itinéraire en Bretagne même. Une solution d’une grande ligne centrale bretonne est rejetée par le Conseil général des Ponts et Chaussées en 1855, en raison de l’insuffisance du trafic prévisible, et le choix de fait en faveur de deux lignes côtière, et qui ne seront donc, par la force des enjeux politiques et financiers, pas confiées à une seule et même compagnie.
Au nord, la Compagnie de l’Ouest recevra les lignes de Rennes à Brest, de Rennes à Saint-Malo et Rennes à Redon. Au sud, la compagnie concurrente, celle du Paris-Orléans, obtient la ligne de Savenay à Lorient (avec prolongation éventuelle vers Quimper) et embranchement vers Pontivy.
Magne se refuse donc à remettre le sort de la Bretagne entre les mains d’une seule compagnie. La compagnie de l’Ouest, qui a enfin le poids nécessaire, reçoit 820 km de lignes à construire (Rennes-Brest, Brest-Redon, Le Mans-Angers) et plusieurs embranchements normands et touche une subvention de 28 millions de francs. De son côté, le Paris-Orléans est, du coup, obligé d’accepter la construction dispendieuse d’une ligne de 285 km, reliant Nantes à Châteaulin, avec son embranchement sur Pontivy, et commence à se demander s’il n’est pas le dindon de la farce…

Une concurrence compagnies dont les Bretons n’ont cure.
Le Parlement approuve ce projet d’une Bretagne dont la desserte est répartie entre deux réseaux concurrents. La compagnie du PO se soumet sans enthousiasme à une situation qu’elle a contribué à créer, en se disant que, pour le moins, elle a acheté la paix. L’Ouest, pour sa part, a désormais le terrain d’actions qui lui ouvre un avenir, mais dont le maque d’ampleur lui sera fatal en 1909. En attendant, elle obtient aussi la ligne de Paris à Granville tant réclamée par les élus de Basse-Normandie. En 1858, l’Ouest obtient la concession de la ligne Paris à Dieppe, passant par Argenteuil, et faisant même un crochet, au départ, par le réseau du Nord jusqu’à Pontoise, avant de trouver son itinéraire par Gisors et Gournay. Bref, aucun n’y trouve vraiment son compte, et fera bon cœur contre mauvaise fortune…
La ligne de Paris à Brest est mise en service par tronçons successifs de Paris à Versailles en 1840, puis jusqu’à Chartres en juillet 1849, ensuite jusqu’à Rennes en mai 1857. En un deuxième temps, sous la forme d’une ligne à voie unique, elle atteint Guingamp en septembre 1863, puis Brest en 1865, et la Bretagne ne « méritera » sa double voie intégrale Paris-Brest que pendant les années 1890 ! Pendant ce temps, le sud de la Bretagne devra se contenter d’une ligne de Savenay à Landerneau, ouverte en 1862, et qui dessert Vannes, Auray, Lorient et Quimper. La liaison avec Paris se fera donc par Rennes (réseau Ouest) ou Nantes (réseau PO) par Redon.

Le premier est constitué en 1855 par la fusion des trois compagnies dites de Normandie, de Saint-Germain et de Bretagne, qui exploitaient les lignes de Paris à Rouen (1843), Le Havre (1843), Dieppe (1848); Saint- Germain (1837), Versailles (R.D. et R.G.) (1839 et 1840); Chartres (1829), le réseau atteint Le Mans en 1854, Laval et Caen en 1855, Alençon en 1856, Rennes en 1857, Trouville, Guingamp et Angers en 1863, Saint-Malo et Dreux en 1864, Brest en 1865, Pontivy en 1872-1873 : à cette époque, les lignes principales du réseau sont en service et, comme dans le reste de la France, la décade suivante, celle des années 1880, est l’ère des lignes secondaires.
À la même époque, le « PO » complètement à part des deux autres, exploitait les lignes de Poitiers à La Rochelle et à Rochefort et d’Angers à Niort : sur le terrain, il se trouve imbriqué dans celui de l’ « État », et directement en concurrence avec lui sur certaines relations.
Le troisième réseau, composé des premières lignes exploitées par l’état en France, avait été constitué en 1878, devenant le réseau de l’ « Etat » par le rachat de Compagnies exploitant des lignes d’intérêt régional déficitaires et, principalement, dans le Sud-Ouest, des réseaux de la Vendée, des Charentes et des « Chemins de fer Nantais ».
En 1880, l’ « État » exploite dans cette zone les lignes de Nantes à Pornic et à Bordeaux, de Saintes à Limoges par Angoulême et leurs embranchements, ainsi que la ligne de Tours à Châteauroux.
Pour remédier à une situation financière déficiente, le réseau de l’Etat fut amené, en 1909, à reprendre en mains l’exploitation du réseau de l’Ouest qui, fusionné avec le réseau de l’ « Etat », devint l’ « Ouest-Etat », réseau s’étendent sur l’ensemble des lignes au nord et au sud de la Loire, à l’ouest des lignes Paris – Le Tréport (Cie du Nord) et Paris – Bordeaux (Cie du P.O.), mais à l’exception de deux lignes : Paris – Tours – Nantes – Quimper – Brest et embranchements, qui restent entre les mains du « P.O. » qui lutte et intrigue pour conserver son empire.
Tout ce qui intéresse le réseau de l’ « État », dans cette affaire, n’est nullement ce qui intéresse la Bretagne : c’est à l’autre bout du réseau que tout se passe, avec, enfin, pour l’ « Etat », une entrée à Paris qui lui manquait jusque-là, puisque les gares parisiennes de St-Lazare, de Montparnasse et des Invalides tombent dans sa sébile. Enfin, l’ « Etat » devient un vrai grand réseau, avec ses gares à Paris. Quant à la Bretagne….
Raoul Dautry: l’homme qui a vu loin, mais pas toujours aussi loin que la Bretagne.
Crée le 25 mai 1878, le réseau de l’État naît dans l’urgence de maintenir un service public dans les Charentes ou la Vendée dont les réseaux sont en faillite. Sans aucune « tête » à Paris, le réseau de l’Etat est une enclave prise entre ceux de l’Ouest et du PO. Une dizaine de petites compagnies régionales, certes très attachantes par leur matériel roulant et leurs gares, par les villes desservies et les pays traversés, constitue un ensemble très hétérogène dont le seul point commun est… la pauvreté.
La Cie des Charentes est la plus grande, avec ses lignes des étoiles de La Rochelle, La Roche-sur-Yon, Saintes, Angoulême, Niort, dont beaucoup, en 1878, sont en construction avec des financements aléatoires. Celle de la Vendée relie Les Sables d’Olonne à Tours, à Montluçon. Les suivantes ont une seule ligne et quelques embranchements : Bressuire à Poitiers, St-Nazaire au Croisic, Orléans à Châlons-sur-Marne avec quand même une ligne de 293 km et une curieuse orientation transversale, tout comme celle d’Orléans à Rouen, une autre ligne longue donnant, avec de nombreux embranchements, un total de 351 km. Les autres compagnies sont plus anecdotiques, mais pas moins intéressantes sur le plan ferroviaire, avec Tulle à Clermont, Poitiers à Saumur, ou la Cie du Maine-et-Loire et Nantes (sic) ou des Chemins de fer Nantais. Tout cela forme environ 1042 km de lignes qui n’ont pas de quoi enthousiasmer un spéculateur, ni d’ailleurs un fonctionnaire de l’État– mais ce dernier, lui, n’a pas le choix et devra assumer de transformer ces ensembles en un réseau cohérent et rentable. La cohérence seule sera à peu près obtenue, et la rentabilité : jamais.
Le rachat de l’Ouest en 1909 fait du réseau de l’État un grand réseau avec les gares parisiennes de St-Lazare, des Invalides et de Montparnasse. Si la gare Montparnasse reste par excellence celle du départ pour la Bretagne, et aussi, pour des millions de Bretons, un point d’arrivée à Paris, il n’en reste pas moins vrai que la gare des Invalides est aussi mise à contribution pour les trains grandes lignes se dirigeant vers la Bretagne quand celle de Montparnasse est saturée, ce qui, d’ailleurs, est très fréquent vu son exiguïté.
Voyant enfin les choses en grand, l’État (il s’agit du réseau !) modernise son parc de locomotives, d’automotrices, et de voitures durant les années 1930, en mettant à la retraite des véhicules archaïques et dépassés des anciens réseaux, et il sait admirablement créer le réseau de la banlieue ouest qui sera un modèle du genre par les performances des trains, leur modernité, et leurs horaires serrés.



L’électrification de la ligne de Paris au Mans est faite en 1937, dans le cadre du plan Marquet de lutte contre le chômage. Très remarquée à l’époque, élevée au rang de grand événement national par une “com” parfaitement orchestrée, cette électrification est exemplaire, tant par le matériel moteur engagé avec les fameuses 2D2 État ou les automotrices rapides en acier inoxydable, que par la conception novatrice de l’exploitation et des horaires ou par l’architecture des BV et des sous-stations. Enfin, le réseau de l’Etat développe le tourisme des côtes de la Manche et de l’Atlantique, faisant de lui « le réseau de la mer ».

Et la Bretagne ? Elle fera partie de cette notion de “mer”, certainement, mais plutôt comme la cousine de province invitée et placée au bout de la table, puisque ne comportant pas de stations mondaines et ultra-chic comme Deauville, La Baule, ou Biarritz… Et si le réseau de l’Etat fait rouler de magnifiques voitures Pullman peintes en vert deux tons et surpassant même les voitures-salon de la Compagnie Internationale des Wagons-Lits, c’est pour les trains paquebot de Cherbourg, ou les trains des élégances suprêmes de Deauville, pas pour St-Quai-Portrieux ou Quimperlé.
Sous l’impulsion d’un grand homme énergique, Raoul Dautry qui dirige le réseau de l’Etat à partir de 1931, beaucoup de choses vont changer. Les locomotives type Pacific sont reconstruites, tandis que de puissantes locomotives type 241 ou type Mountain sont mises en tête de trains express lourds. Un matériel roulant nouveau est construit, notamment les voitures allégées de 1938 avec leur fenêtres ovales et leur style très à la mode. Raoul Dautry est un grand « patron » craint et respecté, qui a l’art de partir à l’improviste sur le réseau, à bord d’une voiture remorquée par une puissante Mountain, et de débarquer dans une petite gare dans laquelle une jeune fille joue à la marelle seule sur le quai : « Ton Papa est le chef de gare ? Où est-il ? »… Et Dautry, guidé par la petite fille, retrouve le chef, son sous-chef et les hommes d’équipe à la terrasse du “Café du Chemin de fer”. Le réseau est atteint d’une curieuse maladie, une sorte de peur endémique, surnommée « la dautrite » qui fera que les gares seront soignées, propres, avec des guichetiers disponibles et serviables.

Mais surtout, le réseau joue la carte de l’image de marque par l’architecture des bâtiments-voyageurs des gares et entreprend de profondes modifications des anciennes et mesquines gares aux espaces pingres, reconstruisant les bâtiments en faisant appel à d’excellents architectes très « modernistes » : les gares de Versailles-Chantiers, de Chartres ou Chaville, ou Caen ou du Havre, de Cherbourg, de Deauville et… enfin celles de Brest de St-Brieuc témoignent toujours aujourd’hui de cette action salutaire.







Raoul Dautry n’a pas choisi ces villes au hasard ou en fonction de la vétusté du bâtiment-voyageurs prêt à s’écrouler, il choisit les villes dans lesquelles l’on fait l’opinion, où de redoutables notables (pas encore des “leaders d’opinion”) au bras long savent tirer les sonnettes des ministères parisiens, où passent le plus grand nombre de voyageurs et de touristes huppés et exigeants. Le jour de l’inauguration, Dautry est présent, avec des personnalités d’importance nationale, et la « grande » presse est convoquée. Il sait que sans la publicité et la communication, appelées à l’époque « la réclame » ou « la propagande », aucune belle et bonne action n’est utile et reconnue.
Cette tragédie antique d’une Bretagne lointaine et oubliée ne finit qu’avec la création de la SNCF en 1938 qui place la Bretagne, enfin, dans une région Ouest unifiée. Avec ses 9.400 km. de lignes, dont 6.200 ouverts au service voyageurs, la région Ouest de la SNCF est, dans les années 1950, la troisième de France par la longueur, avec une densité de lignes inférieure à celles de l’Est et du Nord, mais supérieure à celles du Sud-Est et du Sud-Ouest, cependant, la densité moyenne de la population desservie et l’absence de très grandes villes ont entraîné la « coordination » (= fermeture au profit des transports routiers) de toutes les lignes secondaires autres que les grands axes de circulation. La Bretagne reste toujours « en bout de ligne », et le trajet Paris-Brest, en traction vapeur à partir du Mans, reste le symbole même du trajet interminable avec des durées pouvant dépasser huit heures. La venue du TGV Atlantique en 1992 et surtout de la LGV Le-Mans-Rennes en 2017 feront que, d’un seul bond dans le temps et la vitesse, Brest n’est plus qu’à 3 h 57 de Paris : c’est presque aussi proche que Marseille. En fin quasiment… à trois minutes près, on est dans la tranche horaire des “trois heures et quelques”, comme Marseille.







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