Si Ouigo va exceller en Espagne, ce train va rouler sur un réseau qui a un passé lourd, parce qu’isolé de l’Europe par son écartement qui n’est pas celui dit “normal” avec ses bons 1435 mm entre faces internes des rails, mais qui a été construit dans un bien curieux écartement de 1668 mm, dit de “Six pieds castillans”. Ainsi isolée au-delà des Pyrénées qui séparent toujours deux vérités, l’Espagne, mais aussi le Portugal, a connu bien des difficultés pour faire pleinement partie de l’Europe ferroviaire, et même des systèmes complexes comme le changement des essieux aux frontières ou des essieux à écartement variable n’ont pu briser la solitude ibérique. Il fallait oser construire, sur le sol de la péninsule, des lignes en voie normale.
Le réseau espagnol historique est à la mesure du pays : grand, beau, rude, attachant, et sans concession à la médiocrité. Sa construction est une immense fresque humaine et technique, et son écartement, volontairement choisi plus large pour permettre un dimensionnement plus généreux des locomotives pour des questions de puissance et d’autonomie, fera de lui un monde à part, une autre vérité technique et ferroviaire, au-delà des Pyrénées. La passion, aujourd’hui, d’une Espagne pour l’Europe à laquelle elle est fortement ancrée fait de ce réseau, il faut le dire, un lourd boulet venu du passé.

Les chemins de fer de l’Espagne doivent leur existence à des entreprises privées, qui les exploitent encore à la veille de la Première Guerre mondiale. L’État ne possède en effet que très temporairement une seule ligne, celle de Madrid à Aranjuez. En 1830, on accorde la première concession pour une ligne de Jerez à Rota à laquelle d’ailleurs, il ne fut donné aucune suite. Plus tard, un décret royal du 31 décembre 1844 pose des hases générales pour l’octroi de concessions, pendant que de son côté le Conseil général des Ingénieurs recommandait de ne concéder et de subventionner seulement les lignes dont les projets de construction et d’exploitation avaient été entièrement déposés ainsi que le 1/10e des dépenses d’établissement comme caution. Cependant, le gouvernement accorde à tout demandeur qui, dans l’espace de 12 à 18 mois, dépose la caution de son projet, une promesse de concession. Il s’ensuit que les demandeurs n’ont plus guère qu’un but, celui de s’assurer un droit de priorité pour le revendre ensuite.
Mettre un peu d’ordre dans l’émulation et la compétition.
Une loi de 1848 vient mettre fin à ces abus, en abolissant ce système et en y substituant celui de la garantie d’intérêt. On garantit aux entreprises un intérêt de 6 % du capital et l’affranchissement d’impôt. Cette loi n’eut aucune application pratique, pas plus que le projet de 1850 qui exigeait une loi pour l’octroi de chaque concession.
C’est seulement en 1855 qu’une loi des chemins de fer donne des bases sérieuses aux concessions, elle demande une caution de 1 % du total des frais d’établissement, fixe la durée de la concession à 99 ans, demande une subvention ou une garantie d’intérêt variable suivant les cas, plus la franchise de douane pendant la durée des travaux et les 10 années suivantes, fixe la largeur de la voie à 1668 mm, la révision des tarifs tous les cinq ans et réglemente l’émission du capital.
Une loi du 2 juillet 1870 vient plus tard apporter quelques modifications aux principes établis en spécifiant entre autres, comme aide de l’État, une subvention de 60.000 francs par kilomètre de ligne. Une loi du 30 mai 1876 vient ensuite limiter cette subvention au quart des frais d’établissement avec un maximum pour ceux-ci de 240.000 francs par kilomètre. Puis la loi du 23 novembre 1877 revient par contre aux principes généraux de la loi de 1855.
Au moment où le gouvernement s’occupe de l’élaboration d’une loi complète des chemins de fer, il n’existe guère que la ligne de Barcelone à Mataro ouverte au trafic en Octobre 1848 sur une distance de 29 km, et la ligne de Madrid à Aranjuez ouverte en Février 1851, auxquelles font suite quelques petits parcours tels que Valence-Grao, Valence-Silla, etc… Après de longs travaux préparatoires on publie en 1854 un plan général du réseau ferré qui englobe 7.798 kilomètres de lignes avec une prévision de dépenses de 1296 millions de pesetas, dans lesquelles l’Etat s’engage à participer sous forme de subventions de diverse natures jusqu’à concurrence de 42 %.
La situation vers le milieu du XIXe siècle.
En 1852, l’Espagne n’a encore que 102 km de voies ferrées en exploitation. L’étendue actuelle représente une moyenne de 3 km. de lignes par 100 km² de superficie et de 8,3 km. de lignes par 10.000 habitants. Ce sont tout d’abord des capitaux anglais, puis français, qui s’engagent dans la construction des chemins de fer espagnols. L’État, de son côté, octroie des franchises, de plus en plus larges, d’impôts et de douanes surtout, car les matériaux de construction aussi bien que le matériel roulant viennent presque tous de l’étranger. Une loi de 1891 vient même, entre autres, réglementer les faveurs de douane pour l’importation du matériel de chemin de fer.
Beaucoup de concessions sont malheureusement accordées, surtout dans les premiers temps, sans un examen approfondi des circonstances particulières à chaque espèce. Le manque presque absolu de voies d’accès, les difficultés résultant du caractère accidenté du pays retardent la construction plus que dans tout autre pays, tout en la rendant très coûteuse.
La Société qui, par exemple, a obtenu en 1852 la concession de la ligne de Barcelone à Saragosse (366 km.), n’avait encore construit que 33 km en 1859. Plusieurs concessions restent en suspens et sont, plus tard, soit renouvelées, soit confiées à d’autres entreprises. En juillet 1893, les concessionnaires de 28 lignes ferrées sont ainsi forcés de se retirer pour n’avoir pas, jusqu’alors, rempli leurs engagements.
Un fait à remarquer est que, pour la plupart des chemins de fer espagnols, la concession n’est pas demandée et accordée que par sections, et que, par suite, la construction n’est également effectuée que par sections, suivant toujours les parcours les plus faciles en vue d’obtenir les meilleurs rendements financiers.
Somme toute, si la construction des chemins de fer en Espagne a quelque peu, parfois, manqué d’organisation, de programme bien définie, et a été retardée, il faut reconnaitre que la situation générale du pays aux points de vue financier et économique présente lin état d’infériorité par rapport aux nations voisines et que le progrès des voies ferrées devait en souffrir. Leur situation s’est cependant beaucoup améliorée dans les dernières années du XIXe siècle.
Mais, pour tous les motifs mentionnés, et par suite surtout des pertes subies par les capitaux, certains ingénieurs considèrent, vers 1880, que le réseau grandes lignes espagnol est à peu près terminé et l’on songe en effet beaucoup plus en Espagne à créer un réseau complet de lignes à voie étroite devant servir d’affluents de trafic aux grandes lignes et, en raccourcissant les distances, corriger les erreurs des tracés primitifs. Une loi a été votée en 1908 pour faciliter le développement du réseau secondaire espagnol : elle repose sur le principe de la garantie d’intérêt. Mais il semble alors que la politique à suivre pour le réseau secondaire ne soit pas encore bien arrêtée.











Les six grandes lignes du programme d’extension de 1912.
Le 25 décembre 1912, le Parlement espagnol approuve un programme d’extension du réseau des lignes principales. Au point de vue de la législation sous laquelle il s’est constitué, le réseau ferré se subdivise dans ce pays en lignes principales, en lignes privées non ouvertes au trafic public, en lignes sur routes et tramways, en lignes secondaires et petits chemins de fer, et en lignes stratégiques.
Depuis l’origine, des lois successives ont délimité et protégé le champ des subventions que l’État accorde en les limitant à des lignes figurant dans un plan national. Le but de la loi du 25 décembre 1912 a été d’élargir ce champ pour accélérer la construction des lignes, et en facilitant l’établissement des lignes les plus nécessaires au trafic, celles qui constituent des raccourcissements appréciables sur les communications existantes, ou qui sont susceptibles de relier entre eux des ports importants ou ces ports avec des centres intérieurs. Certaines lignes sont enfin prévues dans un but purement stratégique.
En général, contrairement à ce qu’on avait fait jusqu’ici, on attache désormais moins d’importance à la question de la situation géographique par rapport à la capitale, qu’à l’intérêt commercial des lignes à entreprendre. L’ensemble de ce programme constitue le plan spécial d’extension du réseau principal. Ce plan est divisé en plusieurs groupes de lignes et le premier de ces groupes comporte les lignes qui doivent être exécutées en premier.
Il s’agit d’abord de la ligne de Zamora, ville située à 40 km. de la frontière portugaise, jusqu’à Orense sur le Minho. Cette ligne passe par La Gudina et, par ses deux points terminus, forme un raccordement avec les lignes du réseau du Norte. La capitale, Madrid, acquiert par cette ligne une communication très raccourcie avec le port commercial important de Vigo et le riche centre industriel de Pontevedra sur la côte de l’Atlantique.
En deuxième lieu, il s’agit de la ligne de Ségovie à Burgos par Aranda sur le Duero. Les communications par le rail depuis Bilbao, San Sébastien et du sud de la France avec Madrid seront très raccourcies par cette ligne, par rapport à la voie existante via Valladolid, Médina del Campo et Avila. À Ségovie et Burgos la ligne se rattache au réseau du Norte espagnol, auquel elle est appelée à faire concurrence si elle n’est pas entreprise par lui.
Ensuite, on a la ligne de Médina del Campo, point d’embranchements des plus importants à Benavante, formant une jonction avec la ligne Astorga-Zamora et, par Astorga avec la ligne Palencia-Orense et Vigo, si importante pour le trafic marchandises.
En quatrième lieu, on trouve la ligne partant de Cuenca, dernière station de la ligne d’Aranjuez vers le nord-est, à Utiel, point terminus d’une ligne venant de Valence, raccordant ainsi ces deux lignes existantes et formant une communication directe entre Madrid et Valence évitant le très long détour actuel par Chinchilla et La Encina.
Une cinquième ligne ira de Soria à Castejon, section d’une ligne Soria-Sanguesa déjà approuvée depuis 1911, mais dont l’exécution avait été différée jusqu’ici. A Castejon, situé dans la vallée de l’Ebre, se rencontrent les lignes venant de Bilbao et de Pampelune vers Saragosse.
En sixième et dernière position, on a une ligne de Lérida à St-Girons, station du réseau français du Midi. Lérida est relié par voie ferrée vers l’ouest avec Barcelone et vers l’est avec Saragosse. Une convention est intervenue en 1907 entre les gouvernements espagnol et français pour la construction de ce transpyrénéen, comportant un tunnel international et une station internationale à la passe de Salau. La partie de cette ligne située en territoire espagnol passera par Tremp et Sort traversant la vallée de Noguera-Pallaresa.
Pour les cinq premières de ces lignes, le gouvernement espagnol a été autorisé à ouvrir un concours d’avant-projets et à procéder d’office à l’inscription publique de ceux jugés les meilleurs. Tout projet agréé doit être accompagné du dépôt d’une caution de 1 % des dépenses d’établissement. La concession sera accordée pour 99 ans et la subvention de l’État pourra s’élever jusqu’à 60.000 pesetas par kilomètre de ligne. En ce qui concerne la dernière et sixième ligne, l’État a accordé à l’entreprise de la section espagnole une garantie d’intérêt de 5 °/ du capital d’établissement. Un délai de huit années à compter du jour de l’approbation a été accordé pour la construction de la ligne entière de Lérida en tunnel, avec cette restriction toutefois que la section Lérida Sort soit terminée pour le 28 janvier 1917, conformément aux conventions franco- espagnoles.
La volonté, enfin affichée, de construire des Transpyrénéens.
Dès la fin du XIXe siècle, les Espagnols désirent manifestement que leur réseau ferré soit raccordé à celui de la France et de l’Europe. Et c’est bien pourquoi le premier acte de réalisation des transpyrénéens a été accompli par l’Espagne. Sans accord préalable avec la France – aussi surprenant que cela paraisse – le gouvernement espagnol amorce le transpyrénéen du Somport et le roi Alphonse XII inaugure officiellement, en octobre 1882, le début des travaux de ce transpyrénéen. Mais il semble bien que ce soit un pur geste politique et interne, car le gouvernement espagnol tient, en effet, à récompenser l’Aragon de sa fidélité pendant la guerre carliste. Ainsi l’Espagne prend le risque, faute d’accord avec la France, de construire une ligne qui resterait en cul-de-sac, en a-t-elle cependant l’intention ?
Quant à la ligne de Toulouse à Lerida, l’Espagne persiste à ne vouloir l’admettre que par le Val d’Aran, alors que la France la veut par la vallée du Salat et Saint-Girons. Une conférence est décidée entre les deux pays. On a attribué les dispositions conciliantes du Gouvernement Français à son vif désir d’atténuer l’impression fâcheuse causée en Espagne par l’accueil houleux fait par la population parisienne, en septembre 1883, au roi Alphonse XII, arrivant de Strasbourg, après une entrevue avec l’Empereur d’Allemagne, qui lui avait conféré le titre de colonel d’un régiment allemand.
Les conférences débutent en 1883 et se poursuivent en 1884 et 1885. Les délégués français renoncent à leur préférence pour le tracé de Mauléon à Roncal et acceptent le tracé d’Oloron à Jaca par les vallées d’Aspe et d’Aragon et passant sous le col du Somport. De leur côté, les délégués espagnols abandonnent le tracé par le val d’Aran et acceptent celui par St-Girons, la vallée du Salat et le port de Salau. En France, la loi du 17 juillet 1886 concède à la Compagnie du Midi la ligne de St-Girons à Oust à titre définitif, et celle d’Oloron à Bedous à titre éventuel, mais ce n’étaient encore là que des amorces des transpyrénéens.
En 1893 s’ouvre une nouvelle conférence sans résultat. Mais l’ambiance n’est pas favorable, et la dénonciation récente, en 1892, du traité de commerce franco-espagnol n’est pas de nature à hâter la solution. En 1903, rien n’est encore résolu au sujet des transpyrénéens. Il ne reste toutefois que deux lignes envisagées : celles des vallées d’Aspe et d’Aragon réunies par le passage sous le col du Somport, ou celle de St-Girons à Lérida, en passant sous le port de Salau.
A ce moment, un véritable coup de théâtre précipite la solution. Le 7 mars 1908, par une lettre de l’Ambassadeur de France à Madrid, adressée au Ministre des Affaires Étrangères d’Espagne, le Gouvernement français prend l’initiative de proposer au gouvernement espagnol la « substitution provisoire » de la ligne d’Ax-les-Thermes à Ripoll à la ligne de Saint-Girons à Lerida, la ligne d’Ax-les-Thermes à RipolI étant une « ligne d’attente», avant la construction de celle de Saint-Girons à Lérida.
Ainsi un troisième transpyrénéen fait son apparition. Le 18 août 1904, une convention est signée par l’Ambassadeur d’Espagne à Paris et le Ministre des Affaires étrangères en France, fixant un délai de dix années à partir de la ratification de la Convention pour la construction de la ligne du Somport et de celle d’Ax-les-Thermes à Ripoll. Quant à la ligne de Saint-Girons à Lérida, le délai de dix ans doit courir à partir du jour de la notification par le Gouvernement espagnol de l’achèvement du tronçon de Lérida à Sort. Un protocole additionnel fixe à dix ans le délai pour l’achèvement de ce tronçon.
La Chambre vote la Convention le 25 mai 1903, quatre jours avant le voyage à Paris du Roi d’Espagne. C’est le 27 janvier 1907 que les deux Gouvernements font l’échange des ratifications.
Le 2 août 1907, une loi déclare d’utilité publique et concède définitivement à la Compagnie du Midi la ligne d’Ax-les-Thermes à la Frontière et celle de Bedous à la Frontière (Canfranc), et concède, à titre éventuel, la ligne d’Oust à la frontière. Le 18 juillet 1928, le transpyrénéen du Somport est inauguré, et, le 21 juillet 1929, c’est au tour de celui d’Ax-les-Thermes à RipolI.
Le 17 juillet 1928, la veille même de l’inauguration à Canfranc du premier transpyrénéen, le Roi d’Espagne prescrit le rétrécissement de la voie espagnole entre la frontière et Barcelone, permettant, sans transbordement, la pénétration en Espagne des trains à écartement européen.

L’Espagne victime de son écartement: comment cela a commencé.
L’Espagne se trouve, seule en Europe avec la Russie, à avoir, pour ses chemins de fer d’intérêt général, une voie d’un écartement différent de l’écartement européen de 1435 mm. Au début de la construction des chemins de ter, à un moment où les relations internationales par voies ferrées n’étaient point envisagées, il paraît préférable, pour des raisons d’ordres divers, d’adopter en Espagne un écartement supérieur à celui déjà adopté dans d’autres pays d’Europe. L’Espagne construit son réseau dans un écartement de 1674 mm et le Portugal en 1664 mm, puis les deux pays ont converti leurs réseaux à 1 668 mm dans un souci de compatibilité.
On attribue au célèbre ingénieur anglais Isambard Kingdom Brunel, fils d’un émigré français (donc nous avons, en France, une certaine responsabilité en ce qui concerne l’écartement espagnol !), un des principaux promoteurs de la création des chemins de fer, le conseil donné aux ingénieurs espagnols de l’adoption d’une voie plus large que celle de 1435 mm. Le même Brunel a milité au Royaume-Uni pour faire triompher la voie de 7 pieds, ou 2130 mm, et a pu faire établir une grande partie du réseau du Great Western Railway dans cet écartement avant la reconversion en voie normale achevée en 1892. La voie espagnole de 1670 mm correspond à six pieds castillans et si les ingénieurs espagnols ont accepté une voie plus large, cela se serait justifié par la nécessité de dimensionner les locomotives de manière à ce qu’elles soient plus puissantes et à ce que leurs tenders puissent emporter de plus grandes quantités d’eau dans un pays où les points d’eau sont rares.
Mais la création, puis le développement des relations internationales par voies ferrées entre l’Espagne et le restant de l’Europe montrent très rapidement l’inconvénient de cet état de choses, créant aux frontières un obstacle infranchissable pour le matériel roulant. Sans doute, des moyens tels que les dispositifs de changement d’essieux ont été proposés et sont employés, mais dans ces années 1920, ils ne sont pas encore au point.
Alors : construire en Espagne des lignes à écartement normal ?
On y pense à l’époque. Cette situation gênante des différences d’écartements conduit à envisager le prolongement en Espagne jusqu’à St-Sébastien de la voie en écartement normal, et, par réciprocité, en France, le prolongement, jusqu’à Perpignan, de la voie espagnole. Mais on doit surtout citer le projet d’une voie à écartement européen, avec tracé entièrement nouveau allant directement de France, en prolongement de la ligne de Pau, jusqu’à Madrid et même Algésiras. Le tracé est prévu sous une forme la plus rectiligne possible, et s’éloigne des lignes de chemins de fer existantes, à écartement de voie espagnol, en évitant le contact avec d’autres lignes, pour ne pas avoir à souffrir d’un transbordement des marchandises ou des voyageurs entre deux voies d’écartements différents.
Mais la perspective de l’ouverture du transpyrénéen Toulouse-Barcelone par Puigcerda, offrant un raccourcissement de trajet de 107 km entre Paris et Barcelone, et offrant surtout la liaison directe de Barcelone, ville d’un million d’habitants, avec toute l’Europe, voilà ce qui apparaît comme étant la chose à faire d’urgence.
En 1926, un projet fut dressé par M. José Puig Bado. Cet ingénieur, qui est directeur des études des chemins de fer secondaires de Barcelone, respectant la voie à écartement espagnol déjà posée entre Puigcerda et Barcelone, prévoit un troisième rail permettant le passage sur la même ligne des trains de matériel à écartement espagnol et des trains de matériel à écartement européen. Ce troisième rail ne touchera pas Barcelone, du fait des complications techniques qu’aurait entrainées des installations supplémentaires aux abords de Barcelone et à l’arrivée dans cette ville, et s’arrête à Ripoll, à 9 km de Barcelone. Une ligne complémentaire de 9 km aurait été construite à écartement européen, raccordant les chemins de fer du Norte avec le réseau des chemins de fer de Catalogne, qui se trouvent être précisément à écartement européen. Le passage par ce réseau permettait au matériel à écartement européen d’arriver à Barcelone, en plein cœur de cette ville, sous la Place de Catalogne, à la station existante des chemins de fer de Catalogue. Il était même prévu un raccordement avec le port franc dont la construction est projetée à Barcelone. Mais cette solution empruntait trois réseaux différents, exigeait la coexistence de la circulation entre Puigcerda et Ripoll de trains à écartement européen et de trains à écartement espagnol, et demandait le dédoublement des installations de chaque station, pour chacun des deux écartements. Le 17 juillet 1928, le Roi d’Espagne prend un décret créant cette ligne à voie normale entre Puigcerdá, Barcelone, Ripoll, et St-Juan-de-les-Abadesas, redistribuant les lignes entre les compagnies espagnoles pour que seule la compagnie du Norte fasse cette ligne et la gère.
La réalité : peu de trafic entre les deux pays.
Toutefois, ce projet ne sera guère encouragé par la réalité qui fait suite à l’ouverture des transpyrénéens, et qui avoue un trafic très faible. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, il faut reconnaitre que le transpyrénéen du Somport n’a pas donné tous les bons résultats escomptés, car cette ligne transpyrénéenne Pau-Saragosse relie deux régions peu industrielles, tant en France qu’en Espagne, et des pays de montagne ne donnant guère lieu à des échanges de produits.
Il n’en est pas de même du transpyrénéen de Toulouse à Barcelone par Puigcerdá qui réunit directement, avec une réduction de trajet de 107 km, Paris et le Centre de la Fiance à une région espagnole particulièrement peuplée, très industrielle et très productive, comprenant Barcelone et son million d’habitants. Mais il faut aussi savoir que, à l’époque, les deux tiers du trafic total franco-espagnol se font par mer : le chemin de fer n’est donc pas, traditionnellement, un gros transporteur entre l’Espagne et l’Europe. Ce n’est qu’avec la grande vitesse et le TGV actuel que, finalement, l’Espagne entreprend de construire sur son sol des voies à l’écartement européen, soit plus d’un siècle après les premiers projets.


Les solutions provisoires face au problème de l’écartement espagnol n’ot fait que masquer la difficulté.
Deux solutions au niveau du matériel roulant ont été trouvées pour résoudre, tant bien que mal, ce problème.
La solution du train Talgo, conçu par l’ingénieur Goicoechae et le financier Oriolet, essayé en pleine guerre dès 1940, utilise un principe de remorques à un essieu arrière et reposant, par leur avant, sur l’arrière de la remorque précédente. Construit aux États-Unis et circulant en Espagne au début des années 1950, le train définitif comporte 16 remorques de 7,15 m tractées par une locomotive diesel type BB, et il montre de réelles qualités de stabilité et de vitesse. D’autres rames de conception très moderne circulent actuellement. Ces remorques ont des essieux de type automobile avec des roues indépendantes dites « folles » tournant sur un essieu fixe, et c’est justement cette conception qui permet le montage d’un système de glissement des roues sur l’essieu d’environ 117 mm lors du passage sur une installation spéciale. Cette qualité a fait du Talgo le premier train de voyageurs direct reliant le réseau européen au réseau espagnol.





Les wagons Transfesa sont aussi une solution répondant à l’important trafic de fruits et légumes entre l’Espagne et l’Europe : ces wagons couverts sont dotés d’un système de verrouillage des roues sur les essieux. Parvenus à la gare frontière, ces wagons sont l’objet d’un déverrouillage des roues et de leur glissement sur l’essieu, suivi d’un re-verrouillage en place une fois la différence d’écartement compensée. Cette opération se fait lors du passage sur un banc spécial comportant une portion de voie dont les rails sont posés non parallèlement mais avec un écartement de 1435 mm à une extrémité et 1670 mm à l’autre.
Ces solutions n’ont fait que souligner la nécessité de reconstruire le réseau espagnol en voie normale. Mus par un courage exemplaire et un vrai désir d’Europe, les Espagnols y parviendront-ils ?

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