La SNCF veut bien encore transporter du charbon, mais elle ne veut plus, depuis la Seconde Guerre mondiale, en consommer, ainsi mettant fin à la longue histoire de la locomotive à vapeur.
Le charbon ? C’est, avec l’eau, une très vieille histoire, pour le chemin de fer, car le charbon, c’est bien ce qui l’a fait exister. On pense communément que le chemin de fer est né avec la locomotive à vapeur, donc au début du XIXe siècle. Or des réseaux miniers existaient déjà dans les exploitations minières du XVe siècle, avec des wagonnets poussés à la main ou remorqués, par trains entiers, avec la force des chevaux. Des rails en bois, parfois garnis de bandes de fer pour en limiter l’usure, des plaques tournantes, des butoirs, voilà ce qui constitue ces chemins de fer primitifs. Mais s’ils existent, c’est parce que le chemin de fer a déjà quelque chose à transporter : le charbon. Et le charbon reste, au début de ce troisième millénaire, le fidèle client du rail, même s’il doit accepter, maintenant, d’être qualifié de « fret », lui qui se croyait un aristocratique créateur du transport ferroviaire.

Mécanicien d’une Pacific “Chapelon” Nord dans les années 1960. Au premier plan, dans sa vie comme dans celle du chemin de fer, le charbon, toujours le charbon… et aussi son “découcher” toujours près de lui.
Tout commence donc avec des wagonnets à charbon, et des voies.
La création de véhicules capables de rouler par trains entiers sur des rails, c’est bien ce que demande le principe même du chemin de fer, et c’est ce qui est mis au point dans les mines médiévales où l’étroitesse des galeries et l’obscurité obligent à un guidage précis et permanent, faute de quoi, les chariots de mine se heurtent à chaque instant contre les parois des galeries et, pis encore, contre les étais au risque de créer des éboulements. Le guidage permanent des chariots est nécessaire, et en les adaptant ainsi, on en fera des wagonnets.
Si le chemin de fer naît avec ces véhicules rustiques, il naît aussi et d’abord par la voie, et le fait de poser au sol des planches ou des poutres équarries est à la fois évident, et très ancien, car cet usage existait déjà pour renforcer les chaussées romaines à titre provisoire quand une détérioration survenait. Il n’est pas exclu que les mines de l’Antiquité aient ainsi bénéficié de ce système. De même, les premiers ponts en bois sont formés de deux troncs d’arbres posés par-dessus une rivière et reliés par des planches ou des petites branches : les premiers wagonnets des mines rouleront sur une voie analogue, à ceci près que, dans la mine, les traverses sont en dessous alors que sur le pont, elles forment la chaussée sur laquelle on marche. Les chariots construits pour circuler sur ces voies en bois sont munis d’ergots venant frotter sur le côté des poutres au cas où le chariot aurait tendance à dévier. La présence de ces ergots est attestée par des gravures d’époque montrant le travail dans les mines et l’utilisation de wagonnets primitifs.
La roue ferroviaire naît par usure de la table de roulement sur la surface supérieure du rail, ce qui crée une gorge qui, par elle-même, suggère de l’aménager en système de guidage à la manière (inverse, c’est vrai) des ornières sur les routes. On a pu voir, au Royaume-Uni, des chariots de mine très anciens, à roues en fonte moulée, dotées de deux boudins de guidage formant gorge, et, sans nul doute, inspirées des anciennes roues en bois des siècles passés. Ces chariots circulent sur une voie métallique grossièrement posée, et dont l’écartement n’a rien de crucial puisque les roues à gorge épousent parfaitement le rail et en suivent les variations d’écartement en coulissant librement sur l’axe fixe.

Anciens wagons de mine anglais dotés de roues à double boudin de guidage, montées “folles” sur l’essieu.
C’est ainsi que le chemin de fer est né il y a plusieurs siècles, au Moyen Âge et à la Renaissance et au fond des mines, avec des rails en bois, des appareils de voie, des plaques tournantes, et tout un système permettant la circulation de wagonnets individuellement ou en convois, poussés par des hommes, ou tractés par des chevaux.

L’impressionnante puissance industrielle britannique vient du charbon et surtout de l’organisation de son transport par le chemin de fer dès les années 1820. Ici, nous sommes dans les années 1930, à Cardiff.
Charger et décharger le charbon.
Richesse de la révolution industrielle, le charbon est la première matière que le chemin de fer transporte à ses débuts, et pour lequel il est conçu. Le problème est le chargement et le déchargement qui, à l’époque, se fait manuellement et demande une grande quantité d’hommes. La seule ressource, durant pratiquement tout le XIXe siècle, est la pelle et le biceps… Les « bougnats » auvergnats, marchands de charbon et fournisseurs des dépôts de locomotives lors des débuts du chemin de fer, arrivent à décharger un tombereau de charbon de 10 tonnes en 40 minutes avec des paniers en osier portés à dos d’homme. Vers la fin du siècle, une grue à vapeur fait le même travail en 25 minutes et pour un prix de revient moindre : déjà se pose le problème du prix de la main d’œuvre.

Chargement “au panier” d’une locomotive-tender type 031 sur le réseau de l’Est en 1903.

Lé dépôt de Creil, sur le réseau du Nord, en 1890. Le charbon est omniprésent sur la gauche, autour des bâtiments du dépôt. Les amateurs noteront, au premier plan à droite, un bien curieux poste d’aiguillage à l’air libre, sans “cabine”.
Cette époque, sur le plan du matériel roulant, est donc celle du tombereau. Venu directement de la route, le tombereau est une caisse en bois posée sur un châssis de chemin de fer, et dotée de portes latérales qui, une fois ouvertes, permettent d’accélérer la fin de l’opération de chargement ou de déchargement, en faisant glisser directement, à la pelle, le charbon sur le plancher du wagon.
L’époque des moyens mécaniques.
Le charbon, après la première guerre mondiale, devient un produit cher après avoir été abondant et bon marché par le fait d’une main d’œuvre immense qui ne demandait qu’un salaire dérisoire pour l’extraire et le transporter. Son prix est de 1930, est de 20 % supérieur à celui de 1913, et la consommation industrielle du charbon croît vertigineusement. Le réseau des chemins de fer français, par exemple, passe d’une consommation annuelle de 7.300.000 tonnes en 1913 à près de 11.000.000 tonnes en 1930. En somme : le réseau national consomme 30 % de plus d’un produit qui est 20 % plus cher. Mais le manque de charbon de qualité en France est tel que, en 1937, on importe plus de 30.000.000 de tonnes, pratiquement pour les seuls besoins du réseau ferré français, ce qui correspond à environ 40 % du charbon consommé en France, ce qui est un fait intéressant à comparer avec la part de la SNCF dans la consommation d’énergie nationale actuelle, de l’ordre de 4 %, avec une productivité et un tonnage annuel plusieurs fois supérieurs.
Il faut donc créer des aires de stockage, réaliser des charbons de type standard, et créer des moyens de manutention mécanisés actionnés électriquement : grues, grues sur portiques, convoyeurs, toboggans de déchargement. Mais les wagons de chemin de fer, eux aussi, doivent se moderniser et ils sont conçus, désormais, pour le déchargement automatique avec un système de trappes latérales ouvertes pour laisser le charbon tomber dans des zones de stockage, les wagons étant poussés sur une voie surélevée. Chaque wagon de 40 ou 50 tonnes se décharge en quelques secondes seulement : nous sommes loin des 10 tonnes en 40 minutes déchargés à la main au début du XIXe siècle…
Le toboggan à charbon : grandeur et décadence en trois temps.
Contrairement au cas de la traction électrique dans lequel le dépôt n’assure qu’une fonction d’entretien et de réparation, le dépôt vapeur assure surtout l’approvisionnement des locomotives. C’est même sa fonction principale, et qui demande de lourdes installations complexes, très complexes même, puisqu’il faut, avec des charbons de provenances et de qualités très diverses, véritablement, créer le combustible adéquat pour les locomotives. Ajoutons que tel ou tel type de locomotive, assurant tel ou tel type de train, demande un charbon différent. En fait, il s’est constitué une véritable « science du charbon » avec les progrès de la traction à vapeur, un savoir-faire appliqué au quotidien dans les dépôts durant des décennies.
Tout a commencé par une sorte d’âge d’or du charbon, correspondant à celui d’une traction vapeur triomphante au sein d’un chemin de fer ayant une situation de monopole en matière de transports terrestres. Cette période irait des débuts du chemin de fer jusque vers 1910. Ces 80 premières années sont celles de l’abondance des moyens financiers, car les frais de traction, comme les autres dépenses du chemin de fer, ne venant qu’en déduction d’un bénéfice considérable et ne posant pas de problème crucial.
Mais elle est aussi celle de l’abondance des moyens humains. Une main-d’œuvre nombreuse, mal payée, peu qualifiée, décharge le charbon arrivant dans les dépôts, le trie, le stocke, et le recharge dans les tenders, le tout à dos d’homme avec des pelles et des paniers chargés à 40 kg ! Les premières décennies (1830-1870) sont celles des « bougnats », ces marchands souvent auvergnats, venant vendre directement leur charbon dans les dépôts.
Une deuxième période arrive ensuite, celle du développement des moyens mécanisés de manutention, d’une part, et, d’autre part, l’organisation économique du charbon devenu source énergétique chère pour un chemin de fer désormais très déficitaire et perdant son monopole au sein d’une société industrielle en crise. Ce sont les années 1910 à 1950 durant lesquelles, certes, les progrès techniques sont incomparables, durant lesquelles la locomotive à vapeur fait des progrès remarquables, mais aussi durant lesquelles la consommation de charbon devient un véritable enjeu économique, pour ne pas dire un luxe que l’on ne peut plus se payer. C’est l’ère des dépôts très modernes, aux moyens de manutention performants et utilisant 1’électricité, enfin présente.
Le déchargement d’un tombereau de 10 t de charbon se fait en 25 mn avec une grue pour une dépense de 3,10 f et en 40 minutes avec des paniers à dos d’homme pour 5,20 francs. Deux fois moins chère, la grue est deux fois plus rapide. Mais avec le toboggan, le même tombereau est déchargé en une ou deux minutes à peine, et quatre wagons sont déchargés simultanément. Les tenders des locomotives, une fois les mélanges de charbon obtenus, sont chargés à la vitesse de deux tonnes à la minute. La capacité de stockage est de 90 à 150 t selon les dépôts.
Une troisième période pourrait être celle de l’extinction de la traction vapeur (1950-1970), où le charbon perd son rôle dominant dans l’économie générale et dans celle des transports ferroviaires, et où les techniques du charbon terminent discrètement leur ère. Le réseau ferré se transforme et c’est le triomphe de la traction électrique, sur les grandes lignes, et de la traction diesel sur les autres lignes. Encore de 9 millions de tonnes par an en 1950, la consommation de la SNCF est de 4 millions en 1960, et en 1970, de seulement 8000 t. Les économies sont considérables, car le chemin de fer avait besoin d’un charbon de haute qualité entièrement importé, mais d’un coût élevé.

Parc à charbon avec aires de stockage et chargement mécanisés. Ce parc est sur le réseau Est à Vaires, près de Paris. Le “retour” de l’Alsace-Lorraine en 1918 lui ouvre, à nouveau, le chemin des houillères du bassin de Lorraine bien qu’il ne retrouve pas son extension d’avant 1914.

Installation analogue pour le dépôt de Nevers, alors sur le réseau du PLM. Ce réseau restera, jusqu’à la création de la SNCF en 1938, refractaire à l’électrification et solide partisan de la traction vapeur, malgré des essais avant la Première Guerre mondiale, et aussi une électrification en 3e rail sur la ligne de la Maurienne.

Misant sur la traction vapeur, le PLM crée de nombreuses installations de chargement mécanique des tenders, comme ici à Roanne.

Dépourvu de ressources minières sur son territoire, le réseau de l’Etat, crée en 1878, devient un grand organisateur du transport des charbons en provenance du Nord et de l’Est, ou aussi, pour les excellents et chers charbons Gallois et de Pittsburg, depuis les ports.

“Toboggan” à charbon type Etat de 1931 pour le chargement rapide et automatique des tenders.
Le château d’eau : sa haute stature marque son empreinte sur le rail.
Le château d’eau est bien un bâtiment ferroviaire par excellence, même si l’alimentation en eau courante des villes en a extrait une version plus tardive et, disons, « civile »…. La consommation considérable en eau exigée par les locomotives à vapeur exige, dès les débuts du chemin de fer, un important système de captage et de distribution de l’eau, et pas n’importe quelle eau : souvent de l’eau de source !
On compte, en général, une quantité de 5 litres d’eau par mètre carré de surface de chauffe et par heure de fonctionnement. C’est ainsi que les 35 m³ d’eau d’un tender de « Pacific » sont avalés promptement en deux heures de marche et sur 250 km de trajet, soit une consommation de 17 000 litres pour une heure. Pour garder une comparaison courante, celle faite avec la consommation d’une automobile, il sera question d’environ 10 000 à 15 000 « litres au cent » selon les locomotives, le profil de la ligne, le poids du train…
Il a donc fallu, dès les premiers instants du chemin de fer au XIXe siècle, prévoir de nombreux points d’alimentation en eau, même si les consommations n’étaient pas encore celles des « Pacific » ou des « Mountain », les tenders, eux, étaient très petits, et demandaient des remplissages fréquents en cours de route. La grue hydraulique, ou « manche à eau » qui remplit les tenders, naît avec le chemin de fer et devient un équipement de base de toute gare ou point d’arrêt. D’une manière générale, au début du siècle, les normes sont fixées définitivement pour la traction vapeur. L’espacement entre les points d’alimentation en eau ne doit pas dépasser 30 km pour les lignes à profil ordinaire, et 20 km pour les lignes à profil difficile.

Château d’eau sur le réseau de l’Est, à Lerouville, en 1910

Curieux et impressionnant château à Bordeaux, années 1890.

Château d’eau sur la ligne 4 du réseau de l’Est, à Port d’Atelier, près de Vesoul. Sans doute toujours debout aujourd’hui…
Si le château d’eau et la grue hydraulique sont les deux aspects les plus visibles du système, en fait, l’alimentation en eau se compose de quatre parties : la prise d’eau (source, fleuve), la conduite de refoulement, le réservoir d’eau (ou « château d’eau » dans certains cas, mais cela peut être un bassin surélevé), et enfin la distribution d’eau (avec des grues hydrauliques, ou non).
La prise d’eau se fait dans une source (à débit régulier) ou dans un cours d’eau. L’eau doit être pure pour éviter que des dépôts, adhérents ou « incrustations » ne se produisent dans les chaudières des locomotives. On estime qu’une eau est convenable quand elle donne moins de 250 g/m3 de résidus après évaporation. Le « TIA » (ou « Traitement Intégral Armand ») mis au point par Louis Armand après la guerre a, mais hélas trop tardivement, résolu ce grand problème qui a été le cauchemar de la traction vapeur pendant plus d’un siècle. Une station de pompage, dans un petit bâtiment, puise l’eau dans le cours d’eau et l’envoie, par une conduite de refoulement, au point de distribution.
La conduite de refoulement peut avoir une longueur de plusieurs kilomètres en cas de besoin. Le diamètre peut, selon l’importance du point d’alimentation (dépôt ou simple point d’arrêt), être de 100 à 150 mm.
Le réservoir est une cuve cylindrique à fond sphérique et sa capacité est couramment de 100 m³. Placé en haut d’une construction de forme cylindrique ou octogonale ou, dans des cas plus rares, sur une charpente métallique, le réservoir sert au stockage de l’eau et permet de donner, d’un seul coup, une grande quantité d’eau avec un fort débit assurant le remplissage très rapide d’un tender de locomotive. Il est certain que le seul débit de la pompe et de la conduite de refoulement demanderait un temps de remplissage exagéré, impliquant une immobilisation trop prolongée de la locomotive.
Enfin, le point de distribution termine le parcours de l’eau avec la grue (ou les grues) dépendant du réservoir d’eau. C’est une colonne en fonte portant un bras mobile pivotant et terminé par un tuyau flexible. Les grues sont installées soit au dépôt, soit sur les voies où une demande en eau peut se produire (quais des grandes gares de passage, points d’arrêt en ligne, etc.). Le mécanicien, ou son chauffeur, positionne le bras mobile de manière que ce bras soit perpendiculaire à la voie, et engage le tuyau flexible dans l’orifice de la caisse à eau du tender. Puis, il ouvre un robinet qui est placé à hauteur, sur le bras mobile. Le débit d’une grue doit être tel que le remplissage n’excède pas trois minutes. Le diamètre de la conduite de distribution doit donc être d’au moins 150 mm, surtout quand le débit diminue au fur et à mesure que le réservoir se vide.

Ancienne grue hydraulique, encore présente sur le site des ateliers d’Oullins il y a quelques années.
La SNCF veut bien transporter du charbon, mais ne pas en consommer.
La SNCF, à sa création en 1938, cherchera par tous les moyens à s’affranchir de la traction à vapeur et du charbon qu’elle consomme. Si Louis Armand commande les 1323 locomotives à vapeur 141 R à l’industrie américaine à la fin de la guerre, « de toute façon la modernisation du parc de locomotives à vapeur n’était dans l’esprit de Louis Armand qu’une étape intermédiaire. Son objectif à long terme était d’électrifier la plus grande partie du réseau : voir le livre “Louis Armand au service des hommes” paru chez Lavauzelle à Paris, en 1986, notamment la page 52.


Les locomotives type 141-R, commandées par Louis Armand pour faire face à l’urgence de la situation, arrivent par centaines des USA et du Canada à la libération. Ensuite Louis Armand passera aux choses durables, à tous les sens du terme même actuels, avec l’électrification du réseau de la SNCF en monophasé.
En 1938, Marcel Garreau, ingénieur SNCF et futur chef du service de la Traction Électrique qui concevra les nouvelles locomotives, écrit, en 1938, un grand article de fond dans la Revue Générale des Chemins de fer. Il constate que, si toutes les ressources énergétiques naturelles sont exploitées, l’énergie hydraulique l’est insuffisamment : sur 50 milliards de kWh représentées par les réserves des cours d’eau, seuls 14 milliards sont consommés alors que, dit-il, on importe pour 6 milliards de francs de charbon pour la traction à vapeur. On pourrait brûler du mauvais charbon d’origine nationale (impropre à la traction) dans des centrales électriques, ce qui diminuerait d’autant les importations, mais à condition d’électrifier. En 1936, la consommation d’électricité pour la traction des trains des réseaux français n’est que d’un milliard de kWh, soit 7 % de la production nationale d’électricité seulement.
Mais aussi, pour Marcel Garreau, le rendement de la traction électrique est élevé : 75 % au pantographe de la locomotive, 65 % aux jantes. Les immobilisations sont minimes et permettent à une locomotive électrique de faire le travail de trois locomotives à vapeur. Les coûts d’entretien sont réduits à 50 % tout comme les coûts de conduite du fait de la banalisation des équipes (encore de deux agents à l’époque : la réduction à un agent renforcera les arguments de Marcel Garreau). Mais l’amortissement des installations fixes limite la rentabilité des électrifications aux lignes à fort trafic, et si le trafic augmente, les installations fixes peuvent le supporter sans modification jusqu’à 50 % de surcharge, ce qui créera une « bonne surprise » sur le plan financier. Écrit en janvier 1938, au moment de la naissance effective de la SNCF et dans une revue qui a toujours été dépositaire de la pensée des ingénieurs et des dirigeants reconnus des anciens réseaux et de la SNCF, cet article trace une ligne d’action nette – tout en s’appuyant plus sur des considérations d’énergie ou d’économies financières que techniques. La SNCF est bien née sous le signe des contraintes financières, et ce genre d’article de fond non seulement se fait le reflet fidèle de cette situation, mais dresse des solutions surtout à l’intention des « décideurs » nationaux et des politiques. Louis Armand, aidé de Marcel Garreau, engagera bien la SNCF dans cette voie des électrifications avec le souci de redresser une situation financière alarmante depuis l’entre deux guerres.
L’obsession du coût du charbon.
L’origine du débat est le prix du charbon chèrement importé pour les locomotives à niveau de performances et exigeant un charbon de qualité. Mais tant qu’elle est techniquement la seule possible et la seule puissante dans le gabarit restreint du chemin de fer, le problème de la comparaison avec d’autres modes de traction ne peut se poser, et laisse la locomotive à vapeur, entre 1830 et 1930, dans un état de quasi-monopole sur le réseau français.
Mais une industrialisation croissante et très consommatrice de charbon enlèvent au chemin de fer sa position de seul grand consommateur d’un produit dont les coûts d’extraction et de transport ne peuvent maintenir indéfiniment cette situation favorable. À partir du Second Empire, le chemin de fer n’est plus seul à faire les prix, et l’industrie, demandeuse de charbon, fait de ce dernier un produit qui devient cher, et les prix montent, et continuent à monter, surtout au début de notre siècle.
Ainsi le chemin de fer, grand transporteur de charbon, concourt à la cherté de cette source d’énergie dont, justement, il a grand besoin pour le transporter ! La spirale infernale commence.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la pression des pouvoirs publics se fait encore plus forte. Un véritable « seuil psychologique » est fixé aux équipes de conduite : ne pas dépasser 30 kilogrammes de charbon par kilomètre parcouru par machine (ou 30 kg/km/mne selon les « unités » d’époque) et si l’inexpérience de nombreux chauffeurs hâtivement recrutés pendant la guerre laisse ma moyenne nationale à 32,06 kg/km/mne en mars 1945, elle tombe dès avril à 28,86, puis en mai à 26,50 et en juin à 24,25. Les locomotives 141 R n’arrangent pas les choses quand elles arrivent sur le réseau français : d’une construction américaine robuste Mais peu fine, ces machines sont excellentes Mais gourmandes et en sont à 39,92 kg/km/mne à leur mise en service en 1945, mais à seulement 22,04 kg/km/mne six mois plus tard.
Mais maintenir la vapeur, c’est certes maintenir une importation de charbon qui est pour 1937, par exemple, de 30.876.000 tonnes, correspondant à une dépense de 4,850 milliards de francs, soit 40 % du charbon consommé sur le plan national : la France est le plus gros importateur de charbon du monde ! Effectivement, la France, durant les années 1930, importe en moyenne le 1/5ᵉ du charbon circulant dans le monde et les chemins de fer français consomment plus du 1/6ᵉ de cette importation, soit 820 millions de francs.
Et pourtant, la vapeur est maintenue : en 1938, elle assure 417,3 millions de kilomètres sur les 540,9 millions totalisés par les trois modes de traction sur les réseaux français et, dix ans plus tard, en 1948, elle assure entre 348,5 sur 480,2. La régression générale du trafic est nette, passant de 600 millions de kilomètres en 1930 à 540,9 en 1938 et à 480,2 en 1948 : le chiffre de 1938 ne sera retrouvé qu’en 1970 et cette régression générale ne fait qu’augmenter le coût de chaque tonne-kilomètre et pose donc, dans une « spirale » particulièrement injuste et pernicieuse, le problème de l’augmentation des coûts au fur et à mesure que le trafic diminue, étranglant le chemin de fer au prix de sa vie. À la fin des années 1970, le chemin de fer français aura terminé une longue révolution commencée durant les années 1920 avec l’apparition de la « grande » traction électrique : il n’est plus, désormais, qu’un transporteur de charbon, mais nullement un consommateur. Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France se convertit à “l’énergie atomique” (termes d’époque) et à l’électrification massive de son réseau ferré. Malgré les promesses faites aux mineurs, le charbon n’a plus de raison d’être.

Il est vrai que le rendement d’une locomotive à vapeur était purement et simplement désastreux avec 5% d’après ce document datant de la fin du XIXe siècle, et un maximum de 7% dans les années 1950.

Et pourtant, les arguments, démontrés par un progrès continuel, ne manquaient pas.

Le tender, lourd “sac à dos” à trainer pour les locomotives, lieu de souffrances pour les chauffeurs qui doivent se hasarder, pelle ou ringard en mains, sur la plateforme trépidante, glissante, oscillante du tender. Trente tonnes de poids à vide, autant en poids du charbon et plusieurs tonnes d’eau en supplément, soit souvent 70 tonnes de “poids mort” pour les locomotives.

Le tender, toujours lui et toujours là derrière la locomotive, ici en version PLM des années 1920. Les restes de charbon visibles témoignent de leur piètre qualité, presque du “poussier”, qu’il fallait aussi utiliser, au grand désespoir des mécaniciens, vu les faibles performances.
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