
D’après la Revue Générale des Chemins de Fer (RGCF), si l’on ouvre son numéro de mars 1908, tout a commencé en 1907, pour les camions automobiles appartenant aux compagnies de chemin de fer, par les livraisons de charbon dans Paris avec cinq camions à vapeur (cela s’impose !) de la marque Purrey, spécialisée dans les tramways et automotrices à vapeur pour les chemins de fer. Ces camions, d’une charge utile de cinq tonnes (très respectable pour l’époque) remplacent, avec une efficacité et une rapidité spectaculaires, les anciens tombereaux à charbon tirés par des chevaux. Ces camions comportent deux bennes indépendantes contenant chacune 2,5 tonnes de houille chargées et déchargées en moins de 10 minutes. La compagnie du Nord livre ainsi, pour l’année 1907, pas moins de 182.000 tonnes de houille prises en charge dans la gare de marchandises de La Chapelle. La vitesse moyenne de ces camions dans Paris est de 8 km par heure, ce qui, aujourd’hui et 114 années plus tard et dans le Paris “hidalguesque”, serait un rêve pour tout conducteur !

Avant le chemin de fer, le transport des marchandises est lent, difficile et cher, sauf par les rares voies fluviales ou par mer. Dès le XIXe siècle, le chemin de fer change complètement la donne : il est rapide, facile à utiliser, et bon marché.
En 1918, le chemin de fer assure le redémarrage de l’économie et de l’industrie qu’il a créées au XIXe siècle, après avoir été pratiquement seul à le soutenir pendant la Première Guerre mondiale, faute de d’essence et de pneus pour les camions. Mais très rapidement, le camion reprend sa progression foudroyante, assurant, avec souplesse et efficacité, les transports que le chemin de fer assurait mal jusque-là comme les colis, les denrées périssables.
Il faut dire que les armées, et surtout celle des États-Unis, ont laissé en France plus de 90 000 camions, alors que, jusque-là, le camion était très peu utilisé dans notre pays. Les « surplus américains » les vendent pour une somme modique et beaucoup d’hommes démobilisés trouvent un travail comme transporteurs, les achetant, les recarrossant, et roulant jour et nuit à 25 ou 30 km/h dans des camions ainsi transformés soit en camions “civils” soit en autocars. L’âge d’or du camion et de l’autocar commence.
Le Conseil Economique et Social de 1934 prend des décisions.
Entre les deux guerres, l’opinion publique s’émeut du caractère anarchique de la concurrence qui est faite au rail par les autres modes de transport, et surtout de la part de la route, et, dans une moindre mesure, de la navigation fluviale. Le Conseil Économique et Social de 1934 propose de créer des licences ou des autorisations pour tous les types de transports publics, avec contrôle des tarifs. Ainsi, on cessera, espère-t-on, d’abandonner au service public ce qui ne rapporte pas.
L’expansion de la navigation intérieure et du camionnage est désormais freinée par des limitations de tonnages, l’empêchement de création de nouveaux itinéraires. L’autorité de l’État est établi dans tout ce qui est transports, attribution de parts de marché, création de lignes ou d’itinéraires. Un même itinéraire ne peut plus être desservi par deux moyens de transport différents, et si le chemin de fer ne peut assurer une desserte d’une manière satisfaisante, l’entreprise routière peut le faire, mais à un tarif imposé, empêchant « toute concurrence déloyale ».
Toutefois, le lendemain de la Seconde Guerre mondiale voit un scénario analogue à celui de 1918 : l’essence et les pneus ont cloué au garage les camions depuis 1939, laissant au chemin de fer, exsangue et à court de matériel, assurer toute la vie économique du pays, plus celle de l’occupant. Mais, dès la Libération, le trafic routier reprend de plus belle et le réseau ferré, bien que toujours aidé par des mesures officielles de coordination devant assurer une répartition des trafics, diminue inexorablement, l’ensemble de ses petites lignes rurales fermant les unes après les autres après avoir été submergées de trafic pendant la guerre. En une dizaine d’années, des milliers de kilomètres de petites lignes de chemin de fer sont fermées, laissant à la route créer la saturation et les dangers que nous connaissons aujourd’hui.



Des marchandises au fret : la part du rail de 1950 à 2020.
Les camions des années 1950 roulent à 50 km/h et peuvent porter jusqu’à douze tonnes, et une remorque éventuelle porte la charge totale à une trentaine de tonnes. Les camionneurs s’organisent dans un grand esprit d’entraide, avec, en particulier, les fameux « Relais routiers ». Mais ils conduisent jour et nuit, au mépris du danger, remontant, par exemple, les fruits et les primeurs de la Vallée du Rhône par les routes nationales 6 ou 7 jusqu’aux Halles de Paris où ils arrivent au petit jour, exténués.
La part de la route ne fera qu’augmenter durant les années 1950 à 2000. Les camions ont fait des progrès considérables, tant dans le domaine de la puissance avec des moteurs de plus de 300 ch., de la sécurité avec des systèmes de freinage performants, du confort de conduite avec les directions assistées et l’électronique embarquée, et des charges transportées qui atteignent la quarantaine de tonnes par véhicule en Europe. Ils circulent librement, nuit et jour, par tous les temps, à 90 km/h sur un excellent réseau routier construit par la collectivité – alors que le chemin de fer respecte les normes en matière de travail et de sécurité.
La route, désormais, franchit un seuil décisif dans les années 1960 en prenant pour elle plus de la moitié du transport de ce que l’on appelle désormais le fret, en Europe, cette part atteignant déjà jusqu’à 80 % dans certains pays comme le Royaume-Uni. Mais d’autres pays réagissent, notamment la Suisse qui refuse le « tout camion » et, durant les années 1980, commence à miser de nouveau sur le rail. En France et en Allemagne, comme en Suisse, on développe les techniques dites du ferroutage (transport des camions par le rail) ou des transports combinés (conteneurs, véhicules mixtes rail + route, etc.)
D’après l’Observatoire économique et statistique des transports (OEST) du ministère des Transports, et pour la période 1980-2000, la part de la route pour le transport des marchandises est passée de 46 % à plus de 65 %, laissant La part du rail reculer de 30 % à moins de 20 %, ou celle de l’oléoduc de 16 % à 12 % et celle de la voie d’eau de 5 % à 3 %. Aujourd’hui, par rapport à la route, la part du chemin de fer est inférieure à 10 % en Europe, et la route transporte donc 3 à 4 fois ce qui est confié au train, et jusqu’à 20 fois ce qui est confié à la voie d’eau, alors qu’elle est le moyen de transport le plus exigeant en énergie, et le plus dangereux. Et Geodis, filiale SNCF, est le plus grand transporteur routier français. Mais rien n’est nouveau sous le soleil.





Les gares de marchandises : lieu du contact privilégié entre le camion et le wagon.
Tout a commencé, pour ce qui est du camionnage, dans les gares de marchandises. Méconnues, pour ne pas dire peu fréquentables, vivant à l’ombre des belles gares pour voyageurs, reléguées dans les bas quartiers de la ville, les gares de marchandises sont un envers du décor du chemin de fer, la dimension utilitaire et peu raffinée qui manque de chic, là où les « gros bras » et les « forts des halles » chargent ou déchargent wagons et camions, après avoir bu un verre ou deux au « Café du chemin de fer » puis au « Café du XXe siècle », dès l’aurore et jusque tard le soir dans l’obscurité. Monde rude, mais nécessaire, la gare de marchandises est la vraie gare pure et dure, celle qui, dès les débuts du chemin de fer, incarne sa force industrielle et économique. C’est bien dans la cour de la gare de marchandises que le camion, d’abord hippomobile puis automobile, devient l’inévitable et nécessaire relais du chemin de fer.
Les gares des villes importantes ne traitent pas les trains de marchandises et se consacrent uniquement au service des voyageurs, cette disposition étant prise pour éviter un encombrement réciproque de deux dimensions du chemin de fer qui n’ont, au point de vue de l’organisation et de la « logistique », rien en commun. Dans le cas des grandes agglomérations et avant la Seconde Guerre mondiale, une gare de marchandises séparée existe, souvent à proximité de la gare de voyageurs, et elle assure à la fois le service des marchandises de la Grande Vitesse (GV) sous le nom de gare de messageries. La souplesse du camion assure un service complet de porte-à-porte, de l’expéditeur au destinataire en un seul trajet, soulignera aussi la lourdeur d’organisation et la lenteur du chemin de fer dont les marchandises perdent du temps en cours de route du fait de ces transbordements.
Dès que le trafic local d’une gare prend un certain volume, il n’est plus possible d’assurer conjointement le service des voyageurs et des marchandises dans les mêmes installations et bâtiments. On établit alors une gare de marchandises distincte qui comprend des quais surélevés pour assurer le trafic de détail, des cours de débord pour assurer le trafic des wagons complets et permettant le transbordement des marchandises et leur chargement dans des véhicules routiers ou l’inverse, et enfin des voies de service pour les échanges de wagons, la formation, la déformation (c’est le terme) des trains.
La fréquence de la desserte de la voie du quai varie suivant la nature du trafic et suivant l’importance de l’établissement. Une desserte journalière au moins est effectuée dans les gares moyennes PV, alors que, dans les grandes gares GV, les wagons sont mis en place et enlevés plusieurs fois par jour. Les dessertes sont, bien entendu, plus fréquentes dans les gares GV.
Les cours de débord des gares : de la place pour les camions.
Les cours de débord des gares de marchandises sont bordées, d’un côté, par un quai, de l’autre, par une voie de débord. La largeur des cours dépend des besoins du stationnement et de la circulation des camions. Au droit des quais, ceux-ci se placent normalement dans le sens transversal, pour faciliter le chargement ou le déchargement en bout, c’est-à-dire, selon le terme en usage, par le « cul » du camion. Cette disposition permet de ranger un plus grand nombre de camions côte à côte sur toute la longueur du quai.
La pratique du chargement dit de débord (ou débords, selon les ouvrages) consiste à placer les camions parallèlement aux wagons garés sur la voie de débord. Cette disposition fait que la cour de débord n’a pas besoin d’être très large, et peut ne pas excéder 12,50 mètres, mais en pratique et avec l’augmentation de la longueur des camions, on table sur 15 à 20 mètres.




Les « gares-marchés » ou « marchés-gares ».
Les gares-marchés constituent de vastes installations, dont on trouve de nombreux exemples dès le début du XXe siècle aux États-Unis et au Royaume-Uni, tandis que les réseaux français ne les généralisent qu’avec un certain retard et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les premières gares du genre ont été établies pour le commerce de la viande, avec les marchés et les abattoirs de Lyon, Bordeaux et Nancy, pour le lait avec les gares laitières de Paris et de Marseille, et pour le vin avec les installations parisiennes de Bercy et de la Halle aux vins – ces deux dernières ayant complètement disparu de la scène parisienne avec des rénovations importantes faites pendant les années 1960 et 1970 donnant, pour le moins, un Ministère des Finances et une université très connus.
Dans la France des années 1950 et 1960, quand le camion commence seulement à ravir au chemin de fer les transports les plus intéressants, les gares-marchés d’expédition ne paraissent guère répondre aux conditions propres au pays, et ne fonctionnent d’une manière à peu près satisfaisante que dans des points de concentration d’expéditions, comme la vallée du Rhône et le Roussillon où l’action des groupeurs permet un rendement satisfaisant. À l’époque, la SNCF et les « décideurs » en matière d’aménagement du territoire pensent que gares-marchés de transit trouveraient peut-être une application dans la région parisienne, comme activité annexe des Halles Centrales supposées reportées en banlieue – c’est ce qui se fera. On y pense aussi dans la région lyonnaise, où se centralisent des transactions importantes sur le commerce des fruits, et aussi à Marseille, où le développement de l’importation des primeurs de l’Afrique du Nord peut justifier la création d’un marché au port même… mais ce projet marseillais des années 1950 sera rayé d’un trait de plume par l’Histoire et l’indépendance de l’Algérie.
Les gares-marchés américaines installées dès les années 1910 dans les grandes villes des États-Unis comportent en général des installations pour les marchandises vendues et livrées par lots de détail, et aussi des installations pour les marchandises vendues ou livrées ou réexpédiées par wagons complets, plus des locaux commerciaux, et un entrepôt frigorifique pour la conservation des denrées, éventuellement aussi, des installations pour l’alimentation en glace des wagons gardés sous charge, enfin, bien entendu, les faisceaux de voie nécessaires au classement des wagons et à la formation des trains. Les transactions sur le détail se font sur des quais bordés de voies. Les transactions sur les wagons complets se font sur des plateformes d’inspection de faible largeur.


Les beaux et nombreux autocars touristiques et romantiques du PLM.
Cette compagnie a mis en service un réseau remarquable d’autocars, notamment sur la très emblématique “Route des Alpes” ouverte dès 1911 entre Nice et Evian, avec deux variantes entre Le Fayet et Briançon, l’une par Albertville, la Maurienne et le col du Galibier, l’autre par Annecy, Aix, Grenoble et La Chartreuse. De nombreux services d’embranchement sont ajoutés à la ligne pour la desserte du Briançonnais, du Dauphiné et du Vercors, ou de la Tarentaise. L’ensemble fonctionne entre le 1er juillet et le 15 septembre. En 1913, les autocars PLM ont un réseau de 1500 km de routes alpestres et 300.000 km sont parcourus dans l’année. En 1934, par exemple, et d’après le “Bulletin PLM”, le nombre de voyageurs transportés par les autocars PLM est de 214.000, et l’augmentation annuelle est de l’ordre de 16 % pendant les années 1930.







Les “Circuits automobiles touristiques” du réseau de l’Etat.
Se voulant à grand fracas publicitaire “Le réseau de la mer et du tourisme”, le réseau de l’État se découvre une forte vocation touristique à partir de 1909 quand il rachète le réseau de l’Ouest, alors en faillite, qui lui apporte trois gares parisiennes réputées (Montparnasse, St-Lazare, Invalides) et surtout la desserte des très longues façades maritimes bordant la Manche et l’Atlantique, soit depuis Dieppe (et presque Le Tréport) jusqu’à Bordeaux.
Le réseau, pour la “desserte fine” (comme on dirait aujourd’hui) de ces nombreux sites, ne fait pas appel au chemin de fer pour la bonne raison que beaucoup d’entre eux n’en ont pas, ou plutôt parce qu’ils sont en “bout de ligne” d’autant d’embranchements. Ces embranchements se raccordant à des lignes qui suivent les côtes à distance, desservant de préférence les grandes villes de l’intérieur des terres. Il n’est donc pas possible d’aller, par le rail, d’un site touristique du bord de mer à un autre d’une manière directe : seule la route le permet. Et puis, comme l’indique le guide touristique de l’État de 1935 consacré à ces services routiers, “La visite d’une région à l’aide des services réguliers d’autocars, qui ont pour but essentiel de relier rapidement les différentes localités de leur itinéraire, est loin de présenter l’intérêt de celle faite par les circuits touristiques qui s’arrêtent partout où il y a quelque chose à voir et dont les chauffeurs donnent tous les renseignements susceptibles d’intéresser les touristes”. Bref, pour le chauffeur, c’est “Chauffe Marcel, et commente-nous le mont St-Michel !” (On espère que Marcel s’est muni du Guide Bleu pour le lire à haute voix).
On peut acheter des billets directement dans l’autocar, ou en faisant prolonger des billets de chemin de fer déjà existant pour les villes suivantes : Versailles RG et RD, Rouen, Lisieux, Cherbourg, Dinard, St-Malo, Morlaix, Quimper, Lorient, Vannes, Niort et Royan. Ces villes sont autant de “hubs” (pour faire moderne, terme non reconnu à l’époque) dont on comprend l’intérêt puisque permettant des excursions d’une journée tout au plus comprenant des lieux aussi prestigieux et attirants comme Rambouillet, la vallée de Chevreuse, ou le mont St-Michel, ou le tour de la Bretagne par les côtes (qui demande de 4 à 6 jours selon les options), ou les îles de l’Atlantique (Oléron, Belle-Ile) ou le Marais poitevin.
Les prix ne sont pas donnés, mais la qualité est là. Seule concession : la gratuité pour les enfants de moins de cinq ans qui doivent alors se faire légers puisqu’ils voyagent sur les genoux de leurs parents… On ne doit emporter que des petits bagages légers, et il l’on se présente avec une valise, cette dernière prend son envol pour atterrir sur le toit de l’autocar, conformément aux mœurs de l’époque.


Petite galerie photographique des beaux autocars ferroviaires de jadis.





Et Geodis ?
À partir du 20 décembre 1995, on voit apparaître le nom Geodis sur des milliers de camions. C’est la bien connue Compagnie générale Calberson qui absorbe les sociétés Bourgey-Montreuil, mais aussi les très ferroviaires SCETA Transport et SCETA International. Peu de temps après, le 20 août 1996, le groupe est privatisé et, le 7 avril 2008, Geodis a fait l’objet d’une OPA lancée par la SNCF sous le nom de SNCF Participations. Geodis, donc, appartient désormais à la SNCF pour 43,07 %, part qui passera ensuite à 98,40 %.
Jean-Louis Demeulenaere, qui dirige Geodis, procède, entre 2008 et 2012, à une série d’acquisitions donnant au groupe une importante dimension internationale, notamment par la reprise de la plate-forme de pilotage des activités logistiques d’IBM. En 2012, Marie-Christine Lombard, alors à la tête du groupe de messagerie rapide néerlandais TNT Express, est nommée Directrice générale de Geodis. À la demande de Guillaume Pepy, Président de la SNCF, qui réoriente la stratégie pour les activités de transport de marchandises du groupe SNCF.
Il faut dire que, lors de son premier mandat, Guillaume Pepy voulait faire de Geodis un acteur du transport et de la logistique d’envergure mondiale, comme l’avait fait la Deutsche Bahn et sa filiale Schenker. Mais le résultat des élections présidentielles de mai 2012 oblige la SNCF à freiner sa politique d’acquisitions de Geodis, et à recentrer les efforts et les investissements de la SNCF sur ses activités multimodales et de fret ferroviaire et sur un terrain « franco-français », ce qui, en outre, ne permettra pas permis d’atteindre le report modal du transport de marchandises de la route vers le ferroviaire qui était initialement visé. En août 2015, Geodis acquiert l’entreprise américaine Ozburn-Hessey Logistics, qui possède un chiffre d’affaires de 1,2 milliard de dollars avec 8 000 salariés.
Geodis, actuellement, c’est 32.100 salariés et un géant du transport routier français, sous la forme d’un “holding” regroupant des entreprises de logistique, de messagerie, et de transport routier en charges complètes et lots partiels, et le commerce transitaire.

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