Pour l’homme de la rue, la plus grande marque de trains-jouets, la plus ancienne aussi, c’est Märklin. C’est vrai. Mais Märklin est loin d’avoir été la seule grande marque allemande au sein d’un pays dont la production de jouets a toujours été et est toujours la première du monde. Bing, c’est l’autre grande marque allemande. Moins connue aujourd’hui, elle est très appréciée des collectionneurs, surtout pour quelques modèles très haut de gamme d’avant 1914. Les premiers trains Bing sont le début d’une grande aventure industrielle.

Ignace et Adolphe Bing : précurseurs de l’industrie du jouet allemand.
En 1863, Ignace et Adolphe Bing ouvrent un commerce de jouets et d’objets de ménage sous la raison sociale “Gebrüder Bing Nuremberg” ou “GBN”, et dès 1879 ils commencèrent leur propre production de jouets. L’entreprise “Nurnberger Metall- und Lackiertwarenfabrik Gebrüder Bing” connaît une prospérité et une expansion très rapide avant la première guerre mondiale. En 1919, à la mort d’Ignace, son fils Stephan reprend seul la direction de la firme et s’emploie, avec énergie, à en faire une des premières firmes mondiales avec de nombreuses succursales installées en Europe et aux USA. Le nombre d’ouvriers atteint 10.000. C’est l’âge d’or de la firme, mais cet âge d’or, hélas, ne dure à peine qu’une dizaine d’années.
En effet, la crise de 1929 est fatale pour la firme et Stephan Bing doit se retirer de la direction. La production se poursuit dans des conditions difficiles, et cesse définitivement en 1932. Le concurrent Karl Bub reprend une partie de la production.
La gamme de jouets Bing était très variée, jouets en fer-blanc lithographié et peint représentant des automobiles, des bateaux et surtout une impressionnante gamme de trains en tous écartements, du « 00 » au « IV », jouets d’optique ou scientifiques, machines à vapeur, etc.





Pourquoi la firme Bing ferme-t-elle en 1932 ?
Les raisons de cette fermeture sont très simples à expliquer, mais, rarement, les auteurs spécialisés sur les jouets ne songent à le dire… Ignace et Adolphe Bing, les fondateurs, sont juifs, et font partie, à ce titre, d’une communauté non seulement très nombreuse en Allemagne depuis des siècles, mais aussi qui a su s’investir dans la production artisanale et industrielle, contribuant à la fortune de ce grand pays. Mais pendant les années 1930, c’est la montée du national-socialisme. Beaucoup de commerces et d’entreprises industrielles juives ferment subitement, certaines par elles-mêmes en choisissant de devancer une situation désormais sans issue, et d’autres sur incitation directe des pouvoirs publics. Certains fabricants de trains-jouets, comme Kraus et sa marque Fandor, iront s’établir aux États-Unis sous la marque Dorfan. Il faut dire que la crise de 1929 avait créé des conditions économiques difficiles : le découragement régnait déjà dans les esprits.
Des trains nés au XIXe siècle.
Les plus anciens catalogues de Bing que les collectionneurs connaissent sont des dernières années 1890. La production de trains sur rails commence, semble-t-il, en 1895-1898.
Les trains sont dans un style très allemand et évoquent les réseaux bavarois ou prussiens, mais les frères Bing découvrent très vite que l’Allemagne a une avance technique considérable en matière de jouets et peut exporter dans le monde entier. Ils s’y emploient activement et ils font de nombreux modèles pour le marché britannique en priorité, mais aussi français, ou américain.
Les gares Bing sont certainement parmi les plus belles et sont très recherchées actuellement. très soignées, très complexes architecturalement, elles ont le style « monumental » des gares allemandes du XIXème siècle, et interprété avec beaucoup de talent pour donner des jouets chatoyants et superbes. La firme sait aussi proposer une infinité d’accessoires entourant ces gares: grues, postes d’aiguillages, viaducs, dépôts, plaques tournantes, signaux, etc. Enfin une infinité de wagons de marchandises fonctionnels vient rehausser l’intérêt du jeu.











Les écartements de Bing et de ses concurrents.
Les écartements pratiqués par Bing sont le 35 mm, 48 mm, 54 mm, 67 mm et 75 mm, ces normes étant mesurées d’axe en axe des rails selon la pratique d’époque, et non entre les faces internes comme aujourd’hui. Elles seront plus tard dénommées « 0 » (zéro), « I », « II », « III » et « IV ». On notera que « IV » de Bing correspond à ce que Märklin a normalisé sous l’appellation « III ».
Appellations Ecartement Marques
« IV » 75 mm Bing (Allemagne)
« III » 75 mm Märklin (Allemagne)
« II-a » 67 mm Schoenner, Carette (Allemagne)
« III » 67 mm Carette et Bing anciens (Allemagne)
« II » 54 mm Märklin, Bing, etc. (Allemagne)
« Standard » 54 mm Lionel (USA)
« I » 48 mm Märklin, Bing, etc. (Allemagne)
« 0 » 35 mm Toutes marques trains-jouets anciens dans le monde
« 33 mm » 33 mm FV, CR, Jep. (France)
« 28 mm » 28 mm FV, CR, Jep. (France)
« 18 mm » 18 mm Jep. (France) Bing (Allemagne)
« 00 » 16,5 mm Märklin, Hornby, Jep, et toutes marques des années 1938 à 1950

Quelques belles anglaises dans les carnets des messieurs Bing.
C’est bien Bing qui a inventé le modélisme ferroviaire en inondant le marché britannique de modèles très exacts, ceci a une époque où l’industrie anglaise du train-jouet n’existait pas et où les Allemands régnaient en maître avec des jouets produits en grande série à Nuremberg.
Surprenante cette affirmation ? Bing, précurseur de Fournereau et de Fulgurex plutôt que de JEP et de Hornby ? Laissons parler les documents d’époque.
Les premiers catalogues Bassett-Lowke parlent en faveur de Bing.
Il suffit de consulter une collection complète de catalogues Bassett-Lowke pour comprendre l’importance du rôle de Bing : les premiers catalogues de la firme de Northampton ne comportent pas de modèles pour modélistes ferroviaires, comme on pourrait le croire, mais bien des trains-jouets allemands exclusivement. Bassett-Lowke est à la fois un magasin de vente directe et aussi un grossiste sous la forme d’une firme qui importe, pour les détaillants britanniques, des trains-jouets. Bassett-Lowke, en quelque sorte, est plus proche d’un grossiste JEP que d’un fabricant comme Fournereau, si on transpose la situation dans le contexte français.
En 1900, Wenman J. Bassett-Lowke visite l’exposition de Paris, à la recherche de fournisseurs. Il écrit ceci : « Les Allemands furent les premiers à produire des modèles à l’échelle dans le domaine des trains-jouets, et, en 1900, quand je visite l’Exposition Universelle de Paris, je fus étonné par le haut niveau scientifique atteint dans la production de leurs jouets, alors qu’au Royaume-Uni, à la même époque, on ne pouvait trouver que des jouets grossiers avec des locomotives vertes à roues en laiton, portant des cheminées démesurées, des mécanismes rustiques et des noms fantastiques comme « Zoulou » ou « Ajax », et n’ayant aucune ressemblance avec la réalité. »
Bassett-Lowke continue :
« C’est là que j’eus l’idée de persuader ces fabricants de faire des modèles réduits en grande série. Ceci donna la « Black Prince » du London & North Western Railway, maintenant reconnue comme étant le premier modèle historique commercial représentant une véritable locomotive. »
La « Black Prince » en question est une Bing en écartement IV. Presque un modèle, plutôt qu’un beau jouet, cette locomotive a été produite par Bing sous la surveillance méticuleuse de Greenly qui est un pionnier du modélisme ferroviaire et un associé de Bassett-Lowke. La locomotive, elle passe pour l’un des plus beaux modèles dont un amateur britannique puisse rêver à l’époque. Elle éclipse les autres modèles britanniques de Bing qui sont peu connus des collectionneurs français actuels : en découvrir quelques-uns est une expérience très surprenante, tant par la variété des types reproduits et leur exactitude.
Les Bing tout à fait ouverts aux demandes de Bassett-Lowke qu’ils rencontrent à l’Exposition Universelle de Paris en 1900 et le fameux modèle « Black Prince » est rapidement produit et mis en vente dès 1902 dans l’ensemble des écartements pratiqués à l’époque au Royaume-Uni. Bing va produire un grand nombre de modèles spéciaux pour le marché anglais, notamment dans l’échelle « I », appliquant avec soin les canons de la beauté ferroviaire britannique avec des lignes très pures, des cabines de conduite très bien dessinées, des formes élégantes. Les initiales des grandes compagnies britanniques sont utilisées à profusion pour donner aux modèles un aspect « glamour » et chatoyant : London & North Western Railway, Midland Railway, Great Northern Railway, London, Brighton & South Coast Railway, etc.


La « George » assure le succès de Bing.
Le plus grand succès commercial de Bing au Royaume-Uni est bien la mythique « George the fifth », qui, dans la réalité, est une 220 du London & North Western Railway qui a déjà l’aspect d’un jouet. Elle est reproduite par Bing dans toutes les échelles possibles et imaginables, y compris, en 1910, sous la forme d’un train de table miniminiature, véritable précurseur de l’échelle « N » ! Elle existe en « 0 », en « 1 », combinant les trois modes (mécanique, électrique, à vapeur vive) dans l’ensemble des écartements courants supérieurs. On verra des modèles Bing exceptionnels dans de grands écartements pour réseaux de jardin à vapeur vive. Ce modèle a été en production pendant un temps très long, de 1911 (le modèle réel date de 1910) jusqu’à la fin des années 1920, traversant la Première Guerre mondiale. Il est produit non seulement sous la livrée noire du London & North Western Railway avec le N°2663, mais aussi sous d’autres livrées plausibles après le regroupement de 1923 créant les quatre grandes compagnies nationales britanniques : le London & North Western Railway devenant alors partie intégrante du London, Midland & Scotland Railway et Bing peut produire des « George » rouges. Quant à jurer que les modèles verts en décoration Great Western Railway ou London & North Eastern Railway soient exacts… mais ils ont bien existé et on fait la joie des enfants d’alors, préfigurant une politique de décorations abusives dont Hornby, pour sa part, ne manquera pas de faire ses choux gras. Pour sa part, Märklin produira aussi son modèle en « 1», sous la réf. E/1021, entre 1913 et 1919, pour ne pas laisser à son concurrent tout le bénéfice d’une exportation réussie sur le marché britannique.
Imperturbablement le succès reste tel que Bing en sort une version bon marché, réduisant son modèle du type 220 au type 020 – autre chose dans laquelle Hornby excellera – et en le décoration au nom de toutes les compagnies britanniques possibles.

En 1905, l’ingénieur Whale du London & North Western Railway réel procède à une modification donnant une version tendérisée de la « George » sous la forme d’une 221T. Bing en fait autant en « 0 », mais sous la forme d’une 220T portant le N°420 – dommage pour le manque du bissel arrière ! Toutefois, l’erreur est évitée pour le modèle en « 1 » qui déploie, entre 1910 et 1915, ses 41 cm de longueur sur le catalogue.



Bing ose les trois essieux moteurs.
Märklin l’a fait avec les “Pacific” PLM françaises dès 1912, alors Bing le fera pour le marché anglais en 1928 en sortant une platine à trois essieux permettant de faire des 230, une disposition d’essieux intensément utilisée par les compagnies britanniques pour les services rapides, car, à l’époque, elles refusent encore les “Pacific”. Cette platine passe, à l’époque, pour celle ayant le parcours le plus long et la force de traction la plus élevée de toutes les platines en traction mécanique. Elle permet de reproduire toute une série de 230 britanniques connues comme la « Sir Sam Fay » du Great Central (reproduisant le modèle réel de 1911) en « I » et en « O » de 1915 à 1925, mais aussi de remarquables 230 du Lancashire & Yorkshire, un très intéressant réseau que Bing aura le bon goût de ne pas ignorer, sans doute bien conseillé par le grand spécialiste en modélisme ferroviaire qu’est Greenly, alors qu’il est absolument oublié par les autres grandes marques existantes ou important sur le marché anglais, y compris en écartement II donnant une longueur totale de 55 cm, ou du Southern comme la « King Arthur ».


Bien entendu, avec la 230, on a aussi des 030 pour trains de marchandises, et Bing va jusqu’à créer une adorable et craquante 031T, disposition d’essieux impensable dans ces lieux moins civilisés que sont le continent européen et par extension le reste du monde, magnifiquement peinte aux couleurs du Great Northern Railway. La locomotive réelle est conçue en 1912 par l’ingénieur Ivatt pour les trains de banlieue de la compagnie, et elle se distingue par un système de condensation que Bing reproduit avec soin, choisissant pour son modèle le N°190.

Mais, toujours pour faire très « british », Bing ose même une 231T en reproduisant la 2870 du London & North Western Railway en écartement « II », ce qui fait une belle pièce longue de 46 cm, présente sur le catalogue Bassett-Lowke de 1914 à 1920.
Les derniers modèles Bing pour le marché britannique.
Les catalogues Bassett-Lowke des dernières années 1920, comme celui de 1929, ou encore des premières années 1930, offrent les derniers modèles produits par Bing, puisque la firme ferme en 1932, la famille Bing préférant fuir l’Allemagne hitlérienne. Bien entendu, les petites 020, type jouet, sont très présentes encore, déclinées en de nombreuses compagnies et en version locomotive-tender ou à tender séparé. Elles sont en concurrence directe avec les modèles Hornby équivalents. Parmi les modèles plus élaborés, on a toujours la série des grosses 230 en « 0 » ou en « I » sous les décorations Southern (King Arthur), ou London, Midland & Scotland Railway (Royal Scot), ou Great Western Railway (Windsor Castle), etc.
Mais du coté de ce que le catalogue appelle désormais les « scale models » (modèles à l’échelle), un domaine où Bing ne pénètre pas parce que ce sont des modèles réduits de fabrication Bassett-Lowke pour des amateurs, les références se sont multipliées, notamment sous la forme d’innombrables 220, 230 et aussi des Pacific.
En 1935, par exemple, le catalogue ne comprend plus que des « scale models » et rien d’autre, et, pour la plupart d’entre eux, il est bien spécifié « british made » : l’importation allemande commence à être mal perçue et le Royaume-Uni prend ses distances avec l’Allemagne, même si des modèles Märklin comme la 220 « Merchant taylors » sont encore présents avant que la page allemande ne soit définitivement tournée.

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