La locomotive type 220, avant d’être la “Coupe-vent” française, est d’abord célèbre sous la forme de la disposition d’essieux dite “American” : elle fait la grandeur de l’Amérique… et le succès de son cinéma. C’est, sans nul doute et aujourd’hui toujours, la locomotive la plus célèbre du monde, la plus emblématique, celle que l’on trouve, par excellence, reproduite dans tous les symboles voulant représenter un chemin de fer. Rendue très célèbre par le film « Le mécano de la Général » de Buster Keaton, ce type de locomotive a régné sur la conquête de l’Ouest américain, comme depuis, elle a régné sur les écrans du cinéma et de la télévision. Pas de « western » sans elle, sans son sifflement rauque et grave qui se répercute de canyon en canyon, sans ses coups d’échappement secs et rapprochés, sans son chasse-buffle qui lui fait un chemin parfois difficilement ouvert quand il s’agit de hors la loi, d’Indiens, ou d’immenses troupeaux de bisons lui barrant la route.

Le chef-d’œuvre de Rogers.
La locomotive dénommée « American » a été conçue par le fabricant Rogers, de la ville de Paterson, dans le New-Jersey, aux USA, en 1855. Il répond à un besoin très précis : celui de locomotives à la fois légères pour ne pas fatiguer les mauvaises voies américaines de l’époque, et à la fois assez puissantes et rapides pour remorquer, sur de très longues distances, des trains de voyageurs en un temps assez court pour éviter des voyages interminables. Capables de rouler à 60 km/h, elles ont pu atteindre 100 km/h en vitesse de pointe sans problème.
La machine est disposée de manière que ses organes soient bien éloignés les uns des autres. Les cylindres sont disposés loin des roues motrices, très à l’avant de la locomotive, pour bien dégager leur mécanisme de commande intérieur et en faciliter l’entretien. Le bogie a des essieux très espacés et des ressorts très souples pour assurer une bonne stabilité sur des voies très inégales. Le foyer est disposé à la verticale entre les essieux moteurs pour assurer aussi une bonne stabilité là où la locomotive repose directement sur ses quatre grandes roues, et le foyer, qui descend entre les roues, donne un centre de gravité très bas. La suspension a un bon débattement et crée une assise en trois points indispensable pour la tenue sur voies déformées : un point pour le centre du bogie avant qui pivote librement sur une rotule, et deux points à l’arrière, situés de chaque côté entre les roues motrices qui sont suspendues. Le châssis est léger et souple. La cabine de conduite, haute et vitrée, offre une vue vraiment dégagée pour la conduite de trains en un pays encore neuf et souvent hostile et où l’imprévu guette après la prochaine courbe de la voie… Jesse James, entouré de ses collaborateurs dévoués et non syndiqués, n’est jamais loin et le tronc d’arbre est déjà posé sur la voie.
Tirée à plus de 25 000 exemplaires.
Très rapidement, ce type de locomotive est imité par d’autres constructeurs américains comme Baldwin, Grant, Danforth et Hinkley, etc. et les directeurs des compagnies de chemin de fer n’ont, pour constituer leur parc de matériel roulant, rien d’autre à faire que de passer commande auprès de ces firmes, catalogue en mains, exactement, comme aujourd’hui quand on commande une automobile. Plus de 25 000 locomotives «American» furent ainsi vendues entre 1855 et les années 1880, où elles furent remplacées par des machines à 3 essieux moteurs plus puissantes, de type 230. Ce chiffre de 25 000 exemplaires est considérable dans le monde des chemins de fer où les séries de locomotives les plus nombreuses se comptent seulement par centaines au maximum, et représente, de très loin, un record jamais battu.


Le « chariot américain » : peu désiré en Europe.
Plus que le chasse-buffle ou la cheminée à entonnoir, le bogie avant de ces locomotives « American » est très caractéristique, et le chemin de fer américain ne l’abandonnera plus jamais pour ses locomotives à vapeur de vitesse.
Dans l’esprit des ingénieurs des réseaux européens des années 1850 à 1870, le bogie est l’image même, l’emblème du chemin de fer américain. On l’appelle d’ailleurs « train américain » ou « chariot américain ». Et pourtant, on a oublié que le bogie a été breveté par un Anglais, William Chapman, dès 1812 et que Stephenson lui-même le conseille aux Américains pour qui il construit des locomotives à bogie entre 1833 et 1835. Le bogie fera son aller et retour, avec le fabricant américain Norris qui construira des locomotives à bogie et en exportera même en Europe où les premières locomotives à bogie sont appelées « locomotives américaines ». Nul n’est prophète dans son pays, et ceci dans les deux sens !
Ce bogie avant est perçu comme le produit de la voie de qualité médiocre, posée en hâte et à moindre coût. Contrairement à l’Europe où les capitaux permettent d’investir dans le durable et la qualité, la voie américaine des débuts, notamment dans l’ouest, est inégale, et les traverses, en bois à peine équarri, sont posées sur un maigre ballast. Le bogie, seul, est capable de rouler sur une telle voie, à condition que les vitesses restent modérées.
A l’instabilité à grande vitesse s’ajoute, pour certains ingénieurs européens, l’insuffisance de l’adhérence à petite vitesse : « On aurait de la peine à se faire, en France, à l’idée d’une machine à grande vitesse, avec avant-train articulé » écrit l’un d’eux, le très respecté Charles Couche, auteur de nombre d’ouvrages ferroviaires de référence, à la fin du Second Empire… Et quelques lignes plus loin, il conclut que le réseau de Londres à Douvres par Chatham a du quelque peu renoncer à ses locomotives à bogie avant : « Leur instabilité, trop bien prouvée par de nombreux déraillements, était telle qu’on a dû y renoncer pour les trains rapides. » Ce qui est vrai : on ne peut pas dire que l’adoption du bogie avant se soit passé sans problème grave pour les locomotives de vitesse, mais, pourtant, dès les années 1880, le bogie avant des locomotives américaines se généralisera en Europe.

Les 121 série 111 à 400 du P.L.M. : l’élégance, mais pas encore l’accomplissement des 220.
Par refus du bogie avant, la disposition d’essieux type 121 est assez courante, durant la deuxième moitié du XIXe siècle, pour les locomotives de vitesse des réseaux, ce qui est le cas de ceux du Paris-Orléans (PO) et du Paris, Lyon et Méditerranée (PLM) en France, par exemple. Cette disposition, toutefois, n’apporta pas de grandes satisfactions, surtout dans le domaine de la stabilité. Mais, au sein de cette famille de machines par ailleurs très élégantes, celles du PLM apporteront une certaine dynamique, celle préparant le réseau aux locomotives de grande vitesse type 220.
C’est bien à l’ingénieur Forquenot, du réseau du Paris-Orléans (qui dessert malgré son nom tout le Sud-Ouest de la France) que l’on doit le développement du type 121 à partir du type 120, ceci a une grande échelle en France. Le réseau du PLM utilise des plans fournis par le PO pour la construction, en 1868, d’une première série de locomotives type 120 dans les ateliers mêmes de la compagnie, puis, en 1873, transforme ces locomotives en type 121 sur les indications de Forquenot qui l’a déjà fait pour les locomotives du PO. Le type 121 est obtenu par l’allongement vers l’arrière du foyer de la locomotive pour obtenir une plus grande production de vapeur par un meilleur dimensionnement du foyer. Plus de vapeur égale plus de performances, et il en faut, à l’époque, devant l’accroissement du poids des trains et la demande d’une vitesse accrue : « time is money », déjà, pour la bourgeoisie entreprenante de ce XIXe siècle.

Les séries successives du type 121 sur le PLM.
Ces locomotives type 121 sont engagées sur les relations rapides de la ligne Impériale, affectées aux dépôts de Paris, Dijon, Lyon-Vaise, et aussi de la ligne du Bourbonnais, affectées au dépôt de Nevers. À partir de 1877, on les trouve jusque dans les dépôts de Nîmes, Tarascon. Mais le Paris, Lyon et Méditerranée présente à l’Exposition de 1878 une 121 encore plus puissante avec foyer Belpaire, cylindres de fort volume, distribution Gooch, timbre de la chaudière de 9 kg/cm². Construites à partir de 1879, ces machines remplacent peu à peu les précédentes sur les grandes relations du PLM, et se font connaître sous le nom de « série 111-400 ». Le timbre de la chaudière est peu à peu porté à 11 kg/cm² et elles remorquent de lourds trains express de 250 tonnes à plus de 80 km/h sans difficulté, ceci jusque durant les années 1910.
La genèse des 111-400.
Cette importante série de machines est construite, pour une bonne part, dans les ateliers de la Compagnie. Les 111 à 141 sortent des ateliers de Paris et d’Oullins en 1879-1880, tandis que les 142 à 240 sortent des ateliers de Paris en 1880-1883, les 282 à 350 des ateliers d’Oullins à Lyon en 1882-1884 et enfin les 351 à 400 des ateliers de Paris en 1882-1 884. Seules les 241 à 281 sont construites par l’entreprise Sharp-Steward en Angleterre en 1883 et 1884.
Elles sont techniquement très proches des 121 des séries précédentes, mais elles sont plus puissantes et présentent quelques différences, notamment le diamètre de leurs roues motrices, réduit à 2 mètres au lieu des 2,10 mètres d’origine.
La chaudière, dont l’axe a été relevé de 1,94 à 2,10 m, a des dimensions légèrement supérieures. Le foyer, toujours du système Belpaire est un peu plus long, tandis que le corps cylindrique, comportant 185 tubes au lieu de 164, est composé de quatre viroles, avec le dôme installé sur l’avant-dernière virole. Les soupapes sont du type à balances, très caractéristique pour les locomotives de l’époque. Les cylindres extérieurs et horizontaux sont d’un volume un peu plus réduit, les boîtes à vapeur ont été reportées à l’intérieur du châssis, avec distribution du système Allan à barres croisées. L’échappement à double valve est positionné dans I’embase de cheminée. La suspension est identique à celle des 121 précédentes, mais présente une plus grande flexibilité en ce qui concerne les essieux porteurs. Les machines du type 121 s’inscrivant naturellement assez mal en courbe, certaines sont dotées de boîtes radiales permettant l’orientation des essieux porteurs vers le centre de la courbe. La pression de la chaudière qui est primitivement de 10 kg/cm² est augmentée d’un kg/cm² à partir de 1889. Le tender accompagnant normalement ces machines est à trois essieux, et emporte 16 tonnes d’eau, 3 tonnes de charbon, et pèse 36,6 t en charge.


Premières déceptions, et grandes transformations ensuite.
Quand elles sortent des ateliers du PLM, les machines de la série 111 à 400 sont théoriquement les plus puissantes locomotives d’express françaises, tant par la capacité de leur chaudière à grande grille et de grande longueur que par leurs volumineux cylindres. Les premières machines livrées ne donnent guère satisfaction. Les ingénieurs incriminent un volume des cylindres trop élevé par rapport à l’appareil producteur de vapeur, ils sont dotés de chemises intérieures réduisant le diamètre à 420 mm au lieu de 500 mm – modification toutefois abandonnée puisque donnant les résultats pires encore…
Ces machines, par suite de leurs cylindres en porte-à-faux à l’avant, ont des mouvements parasites et les ingénieurs pensent qu’elles déforment les voies. Noblemaire, le directeur général du PLM, organise, sur la ligne de Paris à Laroche, des essais avec lesquels les diverses locomotives de vitesse des grands réseaux français sont soumis à des tests comparatifs. Les réseaux du Nord et de l’Ouest y envoient leurs toutes dernières 220.
Après de longs essais en 1889 et 1890, un ensemble de 96 machines de la série est transformé, à partir de 1892, en locomotives type 220 à bogie et elles forment la série B 111 à 400. Entre 1914 et 1922, soixante locomotives sont même transformées en type 130, tout en conservant la même chaudière et les mêmes cylindres, et forment la série 1 à 60.
En 1922, un lot de 50 autres locomotives est “tendérisé” pour donner des machines de manœuvres, la chaudière étant montée sur un châssis de 040, pour former la série 7701 à 7750, et, enfin, en 1924-1925, les 84 dernières locomotives ont la même transformation en type 040, formant la série 4 BM, munie avec frein à air comprimé. Le PLM les aura “mangées à toutes les sauces”, ceci étant bien dans la tradition de pingrerie de la compagnie en matière de recherches.

La carrière des 111-400.
Pendant la première dizaine d’années de leur existence, de 1879 à 1889, ces machines sont les plus utilisées par le Paris, Lyon et Méditerranée pour la remorque des trains express, mais à partir du milieu de la décennie des années 1890, leur règne prend fin par suite de l’apparition des locomotives compound et des machines de la même série passées au type 220. Elles sont mises en tête, bien sûr, des rapides desservant la Côte d’Azur, parfois en double traction.
Les trente premières machines sont affectées en 1879-1860 aux dépôts de Paris et de Lyon Vaise pour la remorque des trains express sur la grande ligne de Paris à Lyon. En 1882, les dépôts de Laroche, Dijon, Nevers, Ambérieu, Vaise ont un important parc de locomotives de ce type pour les services des trains express entre Paris, Lyon et Marseille, ou Paris et Clermont-Ferrand, Paris – Vichy, Paris – Dijon et Belfort, Mâcon à Genève, Culoz à Saint Jean-de-Maurienne, Marseille à Vintimille.
On les verra jusqu’à Ambérieu, Nîmes, Avignon et Nice, Arvant, Roanne, Saint-Etienne, Pontarlier, Tarascon, Sète, tant sur des trains express et omnibus de grand parcours. En 1900, quelques-unes furent mutées à Montargis. Vers 1910, elles sont encore dans la plupart des grands dépôts du Paris, Lyon et Méditerranée, mais pour le service voyageurs autres que celui des trains que l’on appelle désormais rapides. Au début des années 1920, par suite de la transformation en type 040 ou 130, il ne reste plus qu’une soixantaine de locomotives de type 121, mais les 040 iront, pour certaines, jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Le déclin des 121.
Jusque vers 1900, elles sont en tête des plus beaux trains, y compris ceux de la Côte d’Azur, mais l’arrivée de locomotives du type 220 à bogie avant aura rapidement sonné, pour elles, le glas de leur gloire. Les avantages de la locomotive à bogie avant sont finalement reconnus et indéniables, et un tiers de siècle après les réseaux américains, le PLM adopte le type 220 qui, très rapidement, chasse le type 121 des grands trains de la ligne Impériale Paris-Lyon-Marseille.
Les caractéristiques techniques des 121 PLM:
Type: 121 (série 111-400)
Date de construction : 1879
Moteur: 2 cylindres simple expansion
Cylindres: 500 x 620 mm
Diamètre des roues motrices: 2000 mm
Surface de la grille du foyer: 2,32 m2
Pression de la chaudière: 11 kg/cm2
Contenance du tender en eau: 16 t
Contenance du tender en charbon: 3 t
Masse: 52,4 t
Vitesse: 90 km/h
Les “C” du PLM : prestigieuses, efficaces.
La disposition d’essieux type 220 connaîtra enfin un grand succès en Europe, notamment dans trois pays : le Royaume-Uni, l’Allemagne, et la France. Cette très belle locomotive française telle que le PLM la conçoit à la suite d’une longue évolution depuis les types 120 et 121 est la plus connue de la Belle époque. Elle est l’objet d’un véritable engouement parce qu’elle remorque les trains les plus prestigieux de la compagnie du PLM en direction de la Côte d’Azur, et ces trains emportent dans des voitures de luxe les têtes couronnées et les milliardaires d’une époque qui était certes « belle » pour certains…
Reproduite sous la forme de beaux grands jouets par les firmes allemandes les plus connues comme Märklin, elle devient donc un objet de rêve pour les petits garçons et les adultes des années 1900 à 1914, avant d’être, aujourd’hui, une pièce de collection très recherchée.
La fascination exercée par cette locomotive vient, sans nul doute, de son esthétique très spéciale dite « coupe-vent » et comportant, à l’avant, un carénage en forme d’étrave de navire et destiné à réduire les effets du Mistral quand les trains devaient le remonter de face dans la vallée du Rhône. La porte de boîte à fumée, la cheminée et l’avant de la cabine sont ainsi dotés d’un carénage à deux pans destinés à, littéralement, « fendre » le Mistral qui était capable d’arrêter les trains en marche.


Les premières « C » du PLM.
Les premières séries « C » du PLM sont des 121 : un essieu porteur avant et un essieu porteur arrière encadrant les deux essieux moteurs. Cette disposition était donc une simple amélioration du type 120 par allongement du châssis vers l’arrière pour le logement d’un foyer plus grand donnant une locomotive plus puissante. Construites à partir de 1885, ces premières « C » furent les premières locomotives compound de vitesse, c’est-à-dire des locomotives utilisant le principe de la détente de la vapeur dans des cylindres haute pression puis basse pression successivement.
Elles assurèrent jusqu’en 1914 un bon service, capables de rouler à 90 Km/h en tête de trains de 300 tonnes. Toutefois, leur stabilité sur la voie laissait quelque peu à désirer et le PLM essaya alors à partir de 1891 des locomotives type 220 à bogie avant, obtenues par transformation de types 121. Ces machines transformées se révèlent beaucoup plus stables et leur vitesse limite en service courant fut autorisée à 115 Km/h.

De la «Petite C» à la «Grosse C» PLM.
En 1894, l’ingénieur en chef Baudry lance les locomotives type 220 série C21 à C60. Ce sont elles qui inaugurent le carénage avant en forme de proue, leur valant le surnom de « Coupe-vent » ou de « Compound à bec ». Elles sont les premières locomotives à inaugurer ce qui sera, dès lors, une tradition du PLM et une marque caractéristique de ce grand réseau : la cabine avec un avant en pointe, contribuant à la moindre résistance au vent de la locomotive. Ce genre de cabine sera même généralisé par la SNCF sur ses doutes dernières locomotives, comme les 141P et 241P des années 1940. Ces nouvelles locomotives sont capables de remorquer des trains de plus de 200 tonnes à 90 km/h, développant une puissance de plus de 1.000 chevaux au crochet de traction. Elles restent en service jusqu’en 1929.


Mais en 1898, de nouvelles « C » furent mises en service, les « Grosses C », formant la série C61 à C180. Elles laissent alors à leurs devancières de porter le surnom de « Petites C ». Ces nouvelles locomotives sont les premières locomotives françaises vraiment très puissantes, capables d’assurer un service Paris-Marseille à la vitesse commerciale de 87 Km/h avec des trains de 200 à 300 t, l’étape Valence – Avignon étant même franchie à 91 Km/h du fait du profil facile de la voie. À partir de février 1904, elles remorquent le fameux train « Côte d’Azur Rapide », qui est le plus rapide du monde à l’époque sur la distance parcourue. L’une des « Grosses C » est capable de remorquer le « Rome Express », pesant 170 tonnes, à 118 Km/h de moyenne entre Tonnerre et Laroche, atteignant des pointes de 130 Km/h. Ces locomotives restent en service jusqu’en 1936, et l’une d’elles, la C115, a été conservée pour le Musée français du chemin de fer de Mulhouse où elle est actuellement exposée.



Au service d’un grand réseau.
Le grand réseau du Paris, Lyon et Méditerranée comprend plus de 10.000 km de lignes et, de Paris, il dessert tout le Sud-Est de la France jusqu’aux frontières avec l’Italie, la Suisse, jusqu’à la côte méditerranéenne, englobant de grandes villes comme Lyon, Marseille, Nice, de grandes régions touristiques comme les Alpes et la Côte d’Azur.
Si le réseau naît dans la région minière de St-Etienne, le berceau du chemin de fer français, il est rapidement étendu jusqu’à Lyon, puis réalise, en 1843, la jonction entre Rhône et Loire. Dans le Midi s’ouvrent les lignes de Beaucaire à Nîmes, de Nîmes à Montpellier. Mais c’est surtout la création de la ligne de Paris à Lyon en 1854, puis des embranchements de Dijon à Besançon et Belfort qui commencent à constituer la grande artère du PLM, tandis que les lignes Marseille-Toulon et Marseille-Aix sont ouvertes en 1858 et 1856. Le réseau a sa structure définitive au début de notre siècle, quand l’ensemble des lignes difficiles du Jura, des Alpes, du Massif-Central sont ouvertes. Sa création aura duré plus d’un demi-siècle.
Le Paris, Lyon et Méditerranée jouit, de tout temps, d’une position prestigieuse avec les régions touristiques desservies comme les Alpes ou la Côte d’Azur. Et pourtant il dessert aussi des régions plates et agricoles comme le Bassin Parisien, les vallées de la Seine, de la Saône et du Rhône, la Bresse. Le réseau est riche des régions à forte densité de population constituant son territoire, et beaucoup sont industrielles si l’on songe à Lyon, Grenoble, St-Etienne, Marseille qui, en plus, occasionne un important trafic maritime avec l’Afrique et l’Orient. Le trafic voyageurs est toujours très important, et les trains les plus prestigieux circulent sur le réseau comme le Calais-Méditerranée Express ou le Train Bleu.


Les débuts d’une légende.
La « Coupe-vent » crée, avec elle, la légende du fameux « Calais-Méditerranée-Express », qui sera plus connu sous le nom de « Train bleu ». Les luxueuses voitures en bois de teck de ce train, avec leurs lettres en laiton doré « Compagnie internationale des wagons-lits et des grands express européens » transportent les têtes couronnées de ce monde, les milliardaires, les vedettes de cinéma, les grands industriels, se retrouvent en bonne compagnie dans ce train puis dans les « garden-party » de la Côte: Victoria puis Edward VII d’Angleterre, Churchill, Hemingway, Pagnol, Louise de Vilmorin, Toscanini, Rachmaninov, Milhaud, Coco Chanel, André Citroën, Gaston Vuitton, La belle Otero, Peggy Guggenheim, Gary Cooper, Sacha Guitry, Raimu, Gabin, Grace de Monaco….
Mais ces locomotives ne participeront pas à la grande époque du Train Bleu qui est incontestablement celle des années 1930, avec des voitures bleu marine à filets jaunes de la CIWL. Il marque l’évolution des trains de luxe dans la mesure où il est composé, à partir de 1922, du nouveau matériel entièrement métallique de la CIWL, un matériel peint en bleu – ce qui vaut au Calais-Méditerranée-Express de porter, dorénavant, le nom de Train Bleu, du moins parmi les habitués, car la SNCF ne reconnaît l’appellation officiellement qu’en 1949.
Si la compagnie du PLM met en tête de ce train ses meilleures locomotives : le type 220 « Coupe-Vent » avant 1910, ces machines légères et rapides sont vite dépassées par le poids du train, et cèdent, dans les années 1910, leur place au type 231 « Pacific » permettant à ce train pesant désormais plus de 300 tonnes, de rouler à 115 km/h. Puis, à la fin des années 1920, le type 241 « Mountain » est capable d’arracher des trains de 800 tonnes à plus de 100 km/h de moyenne, malgré les sévères rampes du Seuil de Bourgogne.

Les caractéristiques techniques de la « Grosse C » :
Type: 220 compound.
Année de construction: 1898-1901.
Année d’amortissement: 1936.
Vitesse en service: 115 Km/h.
Surface de la grille du foyer : 2, 48 m2
Surface de chauffe : 189, 5 m2
Pression de la chaudière: 15 kg/cm2.
Diamètre des cylindres haute pression: 340 mm.
Diamètre des cylindres basse pression: 540 mm.
Course des pistons: 620 mm.
Diamètre des roues motrices: 2.000 mm.
Diamètre des roues porteuses : 1.000 mm.
Longueur totale: 19, 14 m.
Longueur de la locomotive : 10, 24 m.
Longueur du tender : 8, 90
Contenance du tender en eau : 20 t.
Contenance du tender en charbon : 5 t.
Masse totale : 102 t.
Masse de la locomotive : 57 t.
Masse du tender : 45 t.
A chacun sa “Coupe-Vent” : le réseau de l’Etat, c’est avec Ricour.
A voir cette locomotive, on pourrait la prendre pour une copie de la “Coupe-Vent” du PLM, mais il n’en est rien, parce que techniquement, c’est une locomotive très différente. Le directeur du matériel et de la traction, un ingénieur nommé Desdouits, fait construire une petite série de quatre machines, N°2751 à 2754 (plus tard 220.011 à 220.014), de type 220, et à simple expansion, afin de faire des comparaisons avec des locomotives type 220 compound que le réseau utilise et qui sont du type Nord.
Construites au Creusot, livrées en 1898, ces locomotives ont ce que l’on appelle des “surfaces de moindre résistance”, avec un carénage devant la porte de boîte à fumée et une cabine de conduite en “coupe-vent”, surfaces dessinées par l’ingénieur Ricour qui a aussi doté cette série de tiroirs Ricour commandés par une distribution Walschaërts des plus classiques à l’époque. D’après l’auteur de référence qu’est Lucien-Maurice Vilain dans son ouvrage consacré au matériel roulant Ouest et Etat, elles sont engagées sur la ligne de Paris-Bordeaux (celle de l’Etat, pas celle du PO, voie notre article déjà paru à ce sujet), ces locomotives font un bon service en tête de trains Paris-Royan, battant même le record de l’étape la plus longue effectuée par une locomotive à vapeur, effectuant un Paris-Thouars (326 km) avec un arrêt à Chartres, et continuant jusqu’à Royan (238 km) sans arrêt. Des essais sont aussi faits en tête du fameux “Sud-Express” entre Paris et Bordeaux avec des pointes à 125 km/h. Elles seront retirées du service entre 1926 et 1932.


Sur le réseau du Nord, la 220 oui, mais pas la “Coupe-Vent”.
Présentée à l’exposition de 1889, la locomotive N° 701 du Nord montre le savoir-faire d’une compagnie qui s’intéresse à la vitesse et aux hautes performances. Avec cette locomotive, la technique du compoundage fait son entrée sur le réseau sous l’impulsion de l’ingénieur De Glehn de la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques. Une longue et glorieuse épopée commence.
Ingénieur et administrateur de la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques, une firme qui sera partie constituante du futur groupe Alstom et accumulera donc un immense savoir-faire ferroviaire, Alfred-Georges De Glehn est un pionnier du compoundage, et ce rôle lui est reconnu sur le plan mondial. Il sait que cette pratique, qui consiste à détendre la vapeur d’abord dans des cylindres haute pression, puis dans des cylindres basse pression, si elle excelle déjà dans le domaine de la marine, a un avenir dans le monde ferroviaire, dans la mesure où de hautes performances seront exigées, avec l’accroissement du poids des trains et une demande de vitesse toujours accrue. Mais, aussi, la situation toujours de plus en plus difficile des compagnies de chemin de fer attendra des dépenses moindres, donc, au tout premier chef, des consommations moindres : le compoundage permettra ces économies d’une manière décisive. Enfin, la place est très mesurée à bord d’une locomotive – contrairement au cas de la marine où la coque offre tout l’espace nécessaire pour la mise en place de salles des machines spacieuses – et cela impliquera toujours des mécanismes moteurs de dimensions modestes, et des réserves de combustible restreintes.
Voilà pourquoi, au sein d’un chemin de fer mondial qui vit sa grande querelle historique, des anciens et des modernes, et où des réseaux entiers deviennent de farouches partisans qui de la simple expansion qui du compoundage, l’ingénieur De Glehn choisit courageusement son camp et lance le réseau du Nord dans la grande aventure du compoundage à laquelle ce réseau restera fidèle pour l’ensemble de ses locomotives à vapeur de vitesse jusqu’à la fin de l’ère de ce mode de traction.
Vers 1880, la fin prochaine se fait sentir pour les fameuses locomotives surnommées Outrance qui ont remplacé depuis plus d’une dizaine d’années les fameuses Crampton en tête des grands rapides Nord. Elles sont du type 120, mais en 1877, l’essieu porteur avant est remplacé par un bogie à deux essieux, faisant passer la locomotive du type 120 au type 220. La locomotive est plus stable et s’inscrit parfaitement en courbe, dépassant 110 km/h avec aisance.
Proposée par De Glehn en 1885, la locomotive 701 est construite et essayée sur le réseau du Nord en 1886, puis présentée à l’exposition de 1889 – où, on le suppose, la tour Eiffel doit lui faire de l’ombre…
Les dimensions principales sont proches de celles des « Outrance », mais il s’agit d’une 120 avec quatre cylindres, deux placés à l’intérieur des longerons du châssis, travaillant sous le régime de la haute pression, et attaquant le premier essieu moteur, et deux autres cylindres placés à l’extérieur des longerons, travaillant en basse pression, attaquant le deuxième essieu moteur.
Une autre particularité est que les deux essieux ne sont pas accouplés, ceci d’une manière analogue aux locomotives Webb anglaises. Cette absence de liaison entre essieux moteurs lui vaut, d’ailleurs, les mêmes défauts que ceux des locomotives Webb avec des patinages au démarrage. Elle manque de stabilité, bien que son essieu porteur avant soit doté de boîtes radiales, ce qui lui vaut de recevoir un bogie avant en 1892, donc de passer au type 220, et de prendre un aspect définitif beaucoup plus conforme à l’idée que l’on se fait, à l’époque, de la locomotive de vitesse.
Un volant de réglage et de changement de sens de marche commande les deux distributions des deux groupes de cylindres, haute et basse pression, mais un système de crans permet de faire varier d’une manière indépendante les marches basse pression, d’une part, et haute pression, d’autre part. Une commande par régulateur permet de faciliter les démarrages en envoyant de la vapeur dans un réservoir intermédiaire avec pression limitée à 5,7 kg/cm².
La chaudière, à quelques détails près, est celle des « Outrance », avec une boîte à fumée Belpaire. Toutefois, le régulateur est placé dans le dôme, et la locomotive reçoit des soupapes de sûreté à charge directe. La boîte à fumée est allongée en 1899.
Soumise à des essais de consommation sur la ligne de Paris à Lille, la locomotive, désormais connue sous le nom de Compound 701, prouve une consommation de 7,81 kg de charbon au kilomètre contre 9,6 kg pour une moyenne relevée parmi six locomotives du type Outrance. Elle développe une puissance estimée à 700 ch, les “Outrance” dépassant de peu 400 ch.
La locomotive est affectée aux roulements rapides du dépôt de La Chapelle et réalise, en service courant, une économie de combustible de 19 % par rapport à la moyenne des “Outrance”, et de 8 % par rapport à la plus économique d’entre elles. Toutefois, sa position de locomotive d’essais ne peut la destinée à une existence prolongée. Surpassée par les fameuses “Atlantic” Nord, elle est garée dès 1918 à Chantilly. Elle est radiée en 1928, mais est conservée et elle est présentée actuellement au musée de Mulhouse « La Cité du Train ». Elle est la première compound Nord, et elle ouvre une grande tradition de vitesse et de performances qui se poursuivra avec les “Atlantic” et surtout avec les Pacific.


Sur le réseau de l’Ouest, la 220, mais à l’anglaise, seulement.
Le réseau de l’Ouest, qui dessert la Normandie et la Bretagne principalement, reste un réseau pauvre, rural, avec beaucoup de petites lignes déficitaires, sauf pour les deux belles grandes lignes Paris-Le Havre et Paris-Brest. Très dépendant, à sa création, de l’influence anglaise parce que ce réseau est un des plus anciens grands réseaux de France (constitué dès 1856), il achète en Angleterre beaucoup de locomotives, ou les construit sur plans anglais. Une de ses 220, premières locomotives de vitesse à deux essieux moteurs, sont manifestement “so british” et font sensation auprès des esthètes de l’époque qui la remarquent à l’Exposition Universelle de Paris en 1889. Elles sont à mouvement intérieur (conception peu prisée en France) et forment la série 951 à 962, puis 220.302 à 220.311. Pour les 951 à 962, la boîte à feu Belpaire est la seule concession à la modernité du jour, mais ce ne sera pas le cas pour les 963 à 998 suivantes : on n’hésite pas, sur l’Ouest, à réformer à l’envers et en marche arrière.
Elles vont briller sur la ligne du Havre, en tête de trains de 110 tonnes, faisant passer la vitesse moyenne commerciale qui était de 60 km/h en 1889 à 72 km/h en 1897 : ce n’est pas le TGV, mais, à l’époque, cela se remarque et c’est apprécié. En 1903, on en est à 84 km/h, et les trains atteignent 140 tonnes.
En 1908, c’est déjà leur déclin, en face des 230 et surtout des 231 qui les chassent vers les petites lignes normandes et bretonnes. En 1930, les rangs se sont éclaircis et en 1938 les 14 dernières survivantes disparaissent.


Ailleurs qu’en France: au Royaume-Uni, la 220 règne et règnera longtemps.
Chef-d’œuvre de l’ingénieur Johnson, puis de Deeley qui lui donna sa forme définitive, la “Midland Compound” est l’objet d’un véritable culte au Royaume-Uni, et comme toutes les reines de ce pays, elle persiste et dure. Sans doute l’une des plus fines et des plus élégantes locomotives anglaises, la “Midland Compound” fut aussi très reproduite en jouet ou en modèle réduit.
Dotée d’un bogie avant et de deux essieux moteurs, la locomotive type 220 est, aux USA puis en Europe, le type même de la locomotive de vitesse à la fin du XIXe siècle. Mais les ingénieurs anglais poursuivent le perfectionnement de ce type de locomotive jusque durant les années 30, dans la mesure où beaucoup de compagnies britanniques ont une politique de petites locomotives en matière de traction.
Le London, Midland & Scottish Railway (LMS) choisira, d’une manière peut-être surprenante, ce type comme locomotive standard pour ses trains rapides, alors que bien des réseaux en sont déjà au type 230 et 231 dont les 3 essieux moteurs garantissent un effort de traction supérieur. Mais les 220 du Midland sont des compound, c’est-à-dire dotées de cylindres haute puis basse pression assurant d’excellences performances pour une consommation moindre.
Elles sont la seule série de locomotives compound au Royaume-Uni ayant atteint une grande importance numérique, avec 240 exemplaires construits, et cette durée dans le temps, avec plus d’un demi-siècle de service, entre 1902 et 1961. En effet, les ingénieurs britanniques ont préféré le moteur à simple expansion, devant les risques que représentaient la complexité de conduite et d’entretien des compound par un personnel souvent peu qualifié. Pour les chemins de fer britanniques, cette “Midland Compound” est la compound par excellence, pratiquement la seule série ayant roulé sur le sol anglais.
Occupant les tranches de numéros de 900 à 939, et de 1000 à 1199 tant au Midland Railway qu’au LMS ultérieurement, ces locomotives ont pour particularité d’avoir un cylindre haute pression intérieur et deux cylindres basse pression extérieurs. Ce sont donc des machines à trois cylindres.
Au démarrage, la vapeur ne peut être admise que dans les cylindres basse pression, donnant une marche à simple expansion assurant des démarrages plus faciles. Puis, au fur et à mesure que le conducteur ouvre le régulateur, la vapeur est aussi admise dans le cylindre haute pression, ceci donnant progressivement une marche compound. Ce fait gênait les conducteurs qui avaient de la peine à comprendre que l’on avait plus de vapeur et de puissance avec un régulateur partiellement ouvert qu’avec un régulateur ouvert à fond…
Aujourd’hui il est possible d’admirer des “Midland Compound” sur des réseaux d’amateurs, ou, plus particulièrement, au Musée de York où la N° 1000 est exposée dans la superbe livrée rouge LMS à filets jaunes, bien sûr.


La dernière et la plus moderne des 220 : anglaise, bien sûr.
Cette série britannique est très vénérée outre-Manche. Sans nul doute la plus élégante et la plus perfectionnée des 220, la locomotive de la « schools class» porte le nom d’une grande école du sud de l’Angleterre, ce qui, déjà, concourt à leur célébrité. Mais elle marque l’ultime développement de la locomotive à deux essieux moteurs à laquelle les ingénieurs britanniques restent fidèles longtemps après que les autres pays soient déjà passés aux « Pacific » ou aux « Mountain ». Un retard ? Nullement : la conséquence d’une logique.
Les locomotives pour trains rapides sont, avant 1840, à un seul essieu moteur. Cela suffit pour remorquer, sans risque de patinage au démarrage, des trains d’une centaine de tonnes à peine et à une vitesse de 40 à 60 Km/h. Après 1840, l’accroissement du poids des trains conduit à ajouter un deuxième essieu moteur couplé par des bielles. C’est la disposition 120 ou 121. Puis, vers 1860-70, l’introduction du bogie avant, lui-même une invention américaine, donne le type 220 dit « American » qui se répand très vite aux États-Unis. Les ingénieurs européens sont réticents vis-à-vis du bogie, qu’ils considèrent comme un pis aller tout juste bon à rouler sur les mauvaises voies, et comme un danger du fait de son risque d’instabilité. Les locomotives européennes restent donc des 120 ou des 121 jusqu’à ce que le bogie s’impose vers 1880. Le type 220 européen restera, jusque vers 1910, la machine européenne pour trains rapides par excellence.
Mais les 220 ne perdent leur souffle en tête de trains de plus en plus lourds, et l’introduction, tant pour des raisons de sécurité que de confort, de voitures à voyageurs métalliques, condamne ces locomotives. Le type 230 apparaît vers 1900 et le type 231 ou « Pacific » se généralise en Europe à partir de 1910 et surtout entre les deux guerres. La locomotive de vitesse des années 30 et bien la «Pacific » et elle le restera jusqu’à la fin de la vapeur européenne.
Le réseau britannique : fidèle au type 220 malgré tout.
Les ingénieurs britanniques ont, certes, construit des 230 et de 231, mais sans abandonner pour autant le type 220, car ils tiennent à adapter exactement les locomotives aux poids des trains, estimant qu’une locomotive puissante et lourde, tirant un train léger, gaspille son charbon. Ils conservent donc leur préférence pour les petites locomotives, quitte à pratiquer la double traction quand des trains plus lourds doivent être composés. Le spectacle des trains anglais lourds et longs des années 1900 à 1950, remorqués par deux petites locomotives, est unique, et ne se retrouve sur aucun autre réseau au monde.
Le réseau anglais du Southern est un petit réseau confiné entre Londres et la côte sud. Il est constitué d’un maillage très serré de nombreuses lignes de banlieue. Les trains lourds à longue distance ne sont pas dans ses traditions. Son problème est tout autre : il lui faut des machines nerveuses pour les démarrages énergiques et fréquents sur ces lignes au trafic très dense, et il lui faut aussi des machines rapides pour les trains express assurant la desserte directe des ports de la Manche, les fameux « boat trains » qui doivent faire l’heure coûte que coûte. Le réseau du Southern dispose, pour cela, d’un bon parc de 230 et se lance même dans la construction de Pacific Bulleid.
Mais le type 220 reste un archaïsme absolument indétrônable (la monarchie du palais de Buckingham n’est donc pas seule) et assure la traction de « boat trains » jusque durant les années 1960.
Cette série de locomotives est dessinée par l’ingénieur R.E.L. Maunsell, responsable de la conception des locomotives du Southern Railway. La construction est confiée aux ateliers que le réseau a installés à Eastleigh. Maunsell utilise un maximum de parties existant déjà sur d’autres machines, pratiquant en cela une standardisation qui est déjà très à la mode sur le réseau américain ou allemand. Le bogie avant, les cylindres, le mouvement proviennent des fameuses 230 « Lord Nelson », tandis que la chaudière est celle des non moins fameux 230 « King Arthur » du même réseau, mais raccourcies, mais dont on conserve le foyer : du coup la 220 est surpuissante en matière de feu, et la petite chaudière vaporise vite et fort. La puissance des « Schools » est équivalente au moins aux trois quarts de celle des « Lord Nelson », et peut atteindre des valeurs équivalentes.
Dotée de 3 cylindres (simple expansion) pour limiter les effets de lacet affectant les locomotives courtes, la 220 est, de ce fait, très « motorisée » dirait un ingénieur de l’automobile actuel, et elle donne, à la surprise des ingénieurs de l’époque, une machine très performante, surpassant bien des 230 ou des 231 pourtant plus puissantes et plus rapides… sur le papier !
La « Schools Class » doit aussi obéir à des contraintes de poids et de gabarit très restrictifs pour pouvoir circuler sur les petites lignes du Southern, interdites aux grosses locomotives du type 230 et 231. : le haut du gabarit Southern est très étroit, du fait des voûtes, des ponts et des tunnels, et du fait de son ancienneté, en particulier pour la ligne de Hastings.
Il faut donc donner à la cabine des « Schools », comme à leur tender, une forme très arrondie. De ce fait, un foyer rectangulaire, du type Belpaire, ne pouvait être logé sur la locomotive, ce qui explique le recours à un foyer arrondi classique : l’équipe de conduite conserve ainsi, malgré l’étroitesse du haut de la cabine, un champ de vision suffisamment dégagé vers l’avant.
La ligne de Londres à Bournemouth est le théâtre principal des exploits de la série. Mises en tête du train « Bournemouth Limited », ces petites 220 montrent leurs aptitudes en respectant le graphique de marche tracé pour un parcours de 186 Km en 120 minutes sans arrêt. Elles font, en fait, tout aussi bien que des Pacific, remorquant ce train à des pointes de 145 Km/h même avec un poids de plus de 300 tonnes. Certaines compositions atteignent même 510 tonnes.
Ces exploits attirent sur ces locomotives l’attention des ingénieurs du monde entier qui se demandent ce qui se passe dans la tête de leurs collègues britanniques qui mettent au point la meilleure série des locomotives « rétro » dont certaines roulant allègrement à 145 Km/h ! La série termina sa carrière vers 1962 et trois « Schools » sont conservées : la « Cheltenham » (N°925), la « Stowe » (N°928) et la « Repton » (N°926), cette dernière étant loin du sol natal, aux États-Unis, au musée de Steamtown, dans le Vermont.
Portant fièrement leurs noms d’écoles qui sont souvent aussi des noms de villes de la région sud de l’Angleterre où se trouvent ces écoles, les « Schools » sont remarqués des voyageurs qui croient lire sur la locomotive la destination du train !


Une 220 très célèbre en Belgique.
À la voir, on la croirait d’outre Manche, cette très fine 220 à la ligne nette et dépouillée. Et, en fait, elle est de conception écossaise et on pourrait se demander ce qu’elle fait sur le réseau belge au début de notre siècle et soupçonner quelque mystérieuse « scottish connection » présente sur le territoire wallon et flamand et influençant les ingénieurs du réseau belge… C’est à peu près cela, aussi invraisemblable que cela paraisse.
S’il est vrai que les Britanniques ont su exporter des façons de vivre, des modèles politiques, des voitures, des vêtements, des souliers, des banques et des assurances, sans compter mille jeux sportifs et hobbies, en matière de locomotives, le continent est resté isolé… selon la célèbre formule. Et pourtant, lors des débuts du chemin de fer, l’industrie anglaise fournit le monde entier en locomotives pour la simple raison qu’elle est la seule du genre, et les innombrables « Patentee » de Stephenson, par exemple, prolifèrent sur l’ensemble des réseaux européens des années 1830 à 1850.
Mais, peu à peu, ce que les ingénieurs britanniques savent si bien faire est copié, puis dépassé : prisonniers du petit gabarit anglais qui impose des petites locomotives, les ingénieurs anglais voient se développer sur le continent ou aux USA des engins bien plus grands, donc bien plus performants. Et la tentative du génial Isambard Kingdom Brunel d’ordonner, en Angleterre, une voie large de 2100 mm et un gabarit très grand se solde par un échec : il est trop tard, l’ensemble du réseau britannique est déjà construit et ne peut être transformé aussi profondément.
La locomotive britannique reste donc, à partir de la deuxième moitié du XIXᵉ siècle, un produit « home made » qui se consomme sur place, et seules sont exportées les très nombreuses séries conçues et construites pour les réseaux de l’Empire Britannique, et quelques rares séries de conception étrangère, mais réalisées par l’industrie britannique et livrées directement aux réseaux concernés.
En 1897 se tient à Bruxelles une grande exposition internationale et, pourquoi pas, le “Caledonian Railway” écossais expose sa dernière locomotive, une élégante 220 signée de l’ingénieur Mac Intosh. Il s’agit d’une locomotive de la série dite des « Dunalastair » et, il faut le dire, sa livrée bleu clair la rend resplendissante. Le succès est total, tant auprès du public que des dirigeants du réseau belge de l’époque et une série de 5 locomotives est immédiatement commandée auprès de la firme Nelson Reid & C°.
Ces cinq locomotives donnent satisfaction en tête de trains légers à courte distance -les distances écossaises et belges sont comparables – et 40 autres sont construites en Belgique en 1900, et forment le type 17. Puis 140 autres locomotives sont ajoutées, mais forment la série 18 parce que différentes par des dimensions et une puissance accrue. Enfin, une version « tenderisée » type 15 est faite avec 115 autres locomotives-tender identiques, mais comportant un essieu porteur complémentaire à l’arrière du fait de la présence d’une soute à charbon, donnant donc des 221T qui ont roulé jusque durant les années 1960.

En Allemagne, les belles Badoises.
Avec leur châssis à longerons extérieurs et leur bogie avant à faible empattement, ces locomotives sont caractéristiques du style de toute une époque, celle de la locomotive type 220 pour trains rapides de l’ensemble des pays du centre de l’Europe durant la deuxième moitié du XIXe siècle. Elles sont intéressantes, car elles marquent un tournant dans l’évolution de la locomotive de vitesse et sont, certainement, les plus anciennes du type 220 en Europe continentale.
Elles naissent du croisement des idées de Norris et de Forrester. Le bogie avant de l’américain Norris est, aux États-Unis, une réponse à la médiocre qualité des voies hâtivement posées à même le sol, souvent, dans un but de profit immédiat. Les locomotives type 111, donc à essieu porteur unique avant, déraillent : le bogie, plus souple, permet un meilleur guidage sur des voies inégales et une meilleure inscription en courbe. Le succès des locomotives Norris est tel aux États-Unis que l’Autriche, l’Allemagne et même le Royaume-Uni (pourtant habitué à exporter des locomotives) passeront commande de locomotives Norris entre 1839 et 1842.
L’anglais Forrester tente de remédier au défaut des « Planet » de Stephenson: un essieu coudé fragile. L’idéal est d’avoir un essieu moteur non coudé, mais ceci impose un report des cylindres à l’extérieur du châssis et des roues motrices, ce qui crée un porte-à-faux, l’effort moteur intense venant prendre appui sur des manivelles situées loin des paliers intérieurs aux roues. Pour diminuer ce porte-à-faux, Forrester rapproche les paliers des manivelles en reportant les longerons du châssis à l’extérieur des roues motrices. Il livre des machines à la ligne Liverpool-Manchester en 1834, mais l’expérience en reste là : la locomotive a une marche trop irrégulière, parce que mal équilibrée.
Les 220 centre-européennes sont issues de ce processus. En Europe centrale, la demande de vitesse et de performances s’accroît durant la deuxième moitié du XIXe siècle, mais l’on conserve la locomotive à deux essieux moteurs le plus longtemps possible, car les voies sont de qualité médiocre et n’accepteraient pas des locomotives plus lourdes. On construit de nouvelles 220, toujours dotées du bogie Norris à faible empattement, mais plus puissantes, demandant donc de renoncer à l’essieu coudé qui ne tiendrait pas en service.
Les ingénieurs autrichiens et allemands reprennent les idées de Forrester et conçoivent des locomotives à mouvement entièrement extérieur dont les manivelles des roues peuvent accepter de fortes puissances. C’est le cas de locomotives 220 construites en 1854 chez Maffei, à Munich, par exemple.
En 1869, la Maschinenbaugesellschaft de Karlsruhe construit une très élégante 220 qui deviendra, jusque durant les années 1880-1890, le type même de la locomotive pour trains de vitesse de certains réseaux du centre de l’Allemagne, comme celui du pays de Bade, mais qui sera aussi exportée en Hongrie ou en Bulgarie.
Le bogie avant à faible empattement rapprochant à se toucher les deux roues porteuses de chaque côté, le châssis extérieur masquant les roues motrices, la distribution à double excentrique, sont très caractéristiques de ces locomotives, tout comme une élégante cabine de conduite se prolongeant par sa réplique symétrique sur le tender, une ligne générale nette et dépouillée.




En Italie, une 220 pour la “Valiglia delle Indie” ?
Entreprise avec détermination pendant les années 1860 à 1890, la construction du réseau italien se fait dans un esprit enthousiaste, celui d’un pays enfin unifié et plein d’espoir. Les ingénieurs italiens veulent s’affranchir de la dépendance des constructeurs étrangers et se mettent avec ardeur à leurs planches à dessin pour créer la locomotive pour trains rapides qui, bientôt, reliera entre elles les provinces unifiées. A Turin, l’ “Ufficio d’Arte” du réseau Rete Mediterranea, comme à Florence, l’”Ufficio Studi Locomotive” du réseau Rete Adriatica dessinent de prestigieuses 220, l’une la 170, l’autre la 180 bis, des locomotives qui devront donner la réplique aux 220 du Paris, Lyon et Méditerranée français et assurer, sur le sol italien, les mêmes performances en tête des grands trains internationaux passant d’un pays à un autre, comme la “Valiglia delle Indie” : mais oui, la “Malle des Indes” !
Cette série de 36 locomotives est construite entre 1890 et 1901, avec une commande de 24 locomotives pour la firme Breda de Milan, et 12 pour sa concurrente Ansaldo de Gênes. Capables de fournir une puissance estimée à plus de 650 ch, elles peuvent rouler à 100 km/h en tête de trains de plus de 200 tonnes. De lignes très pures, très finement dessinée avec ses roues bien dégagées, la 180 bis est certainement une des plus jolies locomotives du type 220, ceci dans une catégorie où, justement, les prix de beauté abondent.
Mais si, pour des 220, elles sont puissantes et endurantes, leurs 650 ch se trouvent un peu justes devant l’accroissement des longs trains lourds qui roulent le long de la côte adriatique, et sur des voies qui ne facilitent pas la traction, et avec des voitures de plus en plus lourdes. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elles sont dépassées, non techniquement, mais par leurs performances limitées et ces belles machines cèderont leur place à des machines à trois essieux accouplés. Elles finiront leur carrière sur des trains omnibus légers, retrouvant d’ailleurs les mêmes voitures pour trains rapides du siècle précédent qu’elles remorquaient pendant leur âge d’or, ces voitures étant déclassées dans le service des trains omnibus. Les années 1930, avec la forte volonté de modernisation du réseau d’État de l’époque, et avec la venue d’autorails légers et rapides, verront la fin de ces locomotives et de leurs attachants trains désormais d’un autre âge.



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