Les “Trains-Drapeaux” : la vitesse au milieu des ruines, à la libération.

L’idée de créer une catégorie de trains rapides et complètement distincts des trains classiques est ancienne dans l’histoire des chemins de fer, mais sa réalisation concrète se heurte à des difficultés de “sillons” et de saturation des voies. Dès le départ, les chemins de fer ne peuvent pas, techniquement, reprendre la conception routière et batelière du XVIIIe siècle qui consiste à séparer les services en fonction de la vitesse, et à faire payer des tarifs différents pour les voyageurs de la diligence, lente et lourde, pour les voyageurs de la malle-poste, rapide et légère, ou pour les marchandises des péniches rapides ou des “coches d’eau” prioritaires notamment pour le passage des écluses.

L’indicateur Chaix paraît pendant la guerre. Ici, la couverture de 1944. On a encore le courage de parler de “Grandes Relations SNCF”. Notez le terme de “Service Provisoire” ; nous sommes en octobre 1944, et la France se libère. Les prévisions sont donc très aléatoires. Mais une réalité se constate : la reprise des services d’autorails rapides à grande distance vient relancer l’économie. Le terme de “Train Drapeau” n’est pas encore utilisé.

Il est certain que, se suivant sur une ligne, les trains dépendent les uns des autres, et que l’opération de dépassement d’un train lent par un train rapide est beaucoup plus complexe que celle d’une voiture rapide dépassant une voiture lente sur une route. Là où, sur la route, le dépassement est une opération quasi permanente (et dangereuse), sur le chemin de fer, le dépassement est une opération organisée, prévue, sûre et effectuée là où les installations fixes le permettent par l’utilisation d’une voie de garage active pour le train lent qui sera arrêté temporairement.

Cette nécessité technique fera que, du moins lors des origines, l’application de tarifs différents ne pourra se faire que sur le confort offert par les voitures, du moins tant que les trains comporteront des voitures de toutes les classes : le voyageur de première classe arrivera donc en même temps que le voyageur de troisième classe, cette constatation étant très remarquée par les défenseurs du chemin de fer qui, à l’époque, vantent cette dimension très démocratique d’une vitesse équivalente pour tous. Faute de grives, on mange des merles…

Mais, au fur et à mesure des progrès effectués dans le domaine de l’exploitation, notamment en matière de signalisation et de la maîtrise des flux sur les lignes, les compagnies de la fin du XIXe siècle créent des trains rapides, composés de voitures de première classe, parfois complétées par des voitures de seconde classe. Ces trains différents des autres franchissent en vitesse toutes les gares de moindre importance pour relier directement entre elles les gares importantes : les trains omnibus, eux, sont systématiquement retenus et garés dans les petites gares dotées de voies d’évitement ou de garage, pour laisser la voie libre à l’ « express » qui, à toute vapeur, passe sur les voies principales, faisant l’admiration des foules et faisant trembler le sol avec ses 500 tonnes lancées à 120 km/h.

Notons que le terme d’époque “express” désigne jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale ce que l’on appellera ensuite les “trains rapides”. Toutefois, le terme d’”express” ne disparaîtra pas pour autant, et désignera alors une catégorie de trains intermédiaires entre l’omnibus et le rapide.

La distinction sociale et tarifaire par la vitesse, pratiquée sur les routes d’avant le chemin de fer, retrouve donc, dès les années 1870-1880, toute sa raison d’être sur les réseaux ferrés et la Compagnie des Wagons-Lits et des Grands Express Européens ne vend pas seulement du luxe et du confort, mais bien, avec le terme d’express, de la vitesse. Dans l’ “Orient-Express” les voyageurs ne rêvent pas, ne font pas que boire et dormir pour tuer le temps, et surtout regardent leur montre et s’inquiètent pour la correspondance qui les attend, y compris pour les bateaux.

Les autorails rapides des années 1930 créent la vitesse et la retrouveront après la Libération.

Dans les années 1930, un mouvement très net se fait dans le monde entier en faveur de trains rapides légers, encore plus rapides que les trains rapides classiques devenus très lourds du fait d’une demande importante, et pour lesquels on utilisera un matériel spécial : la rame automotrice, dite “auto-rail” ou “auto-motrice” (avec un tiret). C’est l’époque du « Burlington Zephyr » américain, du « Fliegender Hamburger » allemand, du « Brighton Belle » anglais (en traction électrique), et aussi des “Trains Automoteurs Rapides” ou TAR et des rames Bugatti en France. Même le Danemark, avec ses « Trains éclair » ou la Belgique, avec ses rames quadruples électriques circulant entre Bruxelles et Anvers, adoptent aussi cette conception d’un train léger, à accès limité et cher, et qui vise une clientèle d’hommes d’affaires ou supposés comme tels, et que le chemin de fer veut retenir, car l’avion les attire et commence à pratiquer une politique commerciale très agressive.

Mais ces rames ne sont pas des trains, et offrent peu de places : toutefois ils jouent un rôle économique très important, et les réseaux de chemins de fer européens, contrairement aux réseaux américains où les distances sont trop longues, tirent non seulement un bénéfice financier réel, mais aussi une « image de marque » de modernité et d’efficacité dont, à l’époque, ils ont grand besoin. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une des plus grandes urgences est bien de restaurer ces services rapides : la SNCF lance donc ses Trains Drapeaux dès la reprise du trafic à la Libération.

Autorail rapide diesel série 137 dit “type Leipzig” vu en Allemagne en 1933. Ces dessertes sont nombreuses et rapides, et des vitesses de 150 km/h sont atteintes en service.
Rame automotrice diesel “Lyntog” au Danemark en 1934.
Rame automotrice diesel rapide “Zephyr” aux Etats-Unis en 1934, sur le réseau du Burlington.
Carte des services de rames automotrices rapides diesel aux USA en 1936 : “Zephyr”, “Comet”, “Rebel”, “M-10.000” ces appellations deviennent rapidement célèbres, mais l’aviation, malheureusement, fera mieux et tuera le train de voyageurs américain. Doc.RGCF.
Le “Brighton Belle” sera, au Royaume-Uni, un exemple du succès des trains automoteurs rapides, mais ici en traction électrique par 3e rail (les traditions ne se perdent pas) et avec le confort Pullman. C’est, somme toute, le seul train de banlieue à comporter une voiture restaurant de luxe. A quand cet équipement pour le RER actuel ?
Les “Blue Pullman” britanniques ont, eux aussi, joué un rôle tardif en matière de rames automotrices rapides entre 1960 et 1973. Elles sont oubliées aujourd’hui, sauf pour les modélistes ferroviaires. Photo Bachmann.
Rame automotrice électrique italienne, type ETR 200, de 1940. Avec 400 ch, 88 places, et 135 km/h, et parcourant des lignes dites “Direttissima” en voie dédiée, c’est en Italie que la grande vitesse et son réseau de LGV sont nés. Doc. Fiat.
Paris-Le Havre en autorail Bugatti triple à 140 km/h en 1936 : le réseau de l’Etat veut dorer son blason et y parvient.
Le “Train Automoteur Rapide” (TAR) du réseau du Nord est la réplique aux “Zephyr” américains et autres “Fliegender” allemands avec un Paris-Lille en 2 h 25 dès 1937. Noter cette rare composition à quatre caisses : les TAR sont, en principe, à trois caisses.
Affiche pour le TAR Nord faite en 1937 par Raymond Savignac.

La RGCF fait le bilan de la situation du réseau ferroviaire français
au lendemain de la libération.

Sur la page 17 du numéro de janvier-février de 1946, la Revue Générale des Chemins de Fer présente un long et lourd bilan. Ainsi que l’ont déjà fait ressortir sous une forme très générale les cartes et les chiffres publiés dans le dernier numéro de 1945 de la RGCF, la situation du réseau ferroviaire français au lendemain de la Libération est la plus critique qu’on ait jamais connue. La circulation n’était plus possible que sur 18 000 km de lignes, contre 39 000 en 1939.

Aux difficultés résultant d’un tel état de choses, s’ajoute un deuxième groupe de sujétions, avec la pénurie de combustible, le manque de locomotives et de voitures (18 % des machines et 25% des voitures en état de rouler par rapport au parc de mai 1940), les prestations de voitures aux autorités militaires alliées imposées par la guerre, et, enfin, les exigences des transports militaires alliés, qui soustraient pratiquement à toute exploitation commerciale la plupart des grandes rocades Ouest-Est utilisables.

En raison de cette situation, il est nécessaire de fixer un ordre d’urgence dans la reconstitution du service voyageurs, en satisfaisant en premier lieu les besoins les plus pressants. L’effort porte sur les points suivants : le rétablissement du service des trains de la banlieue parisienne, la création d’un réseau de liaisons rapides entre Paris et les grandes villes, notamment les Préfectures régionales, au moyen d’autorails accessibles aux voyageurs porteurs d’ordres de mission ou d’ordres de service, et enfin, la reconstitution d’un service de trains express et de trains omnibus répondant à un plan d’ensemble, et se substituant aux trains mis en circulation au hasard des initiatives locales pendant la période où les communications postales et téléphoniques faisaient complètement défaut.

Le peu qui est utilisable sur le réseau SNCF quand le cauchemar prend fin. Doc. RGCF.
Les lignes prioritaires pour les alliés. Avec la toute jeune SNCF, ils remettront en urgence ces lignes stratégiquement nécessaires pour terminer rapidement la guerre, en avançant derrière la débâcle allemande. Doc. RGCF.
La reconstruction, d’une rapidité incroyable, du réseau de la SNCF après la Libération. Doc.RGCF.
Le calendrier prévisionnel 1945-1953 de la reconstruction du réseau français à la Libération: délais et promesses tenues !
Le viaduc provisoire de la Combe de Lee : un exemple parmi des centaines de l’état du réseau de la SNCF en 1944-1945.
La viaduc de Maintenon et ses étais.
Un aperçu (modeste) des méthodes de l’époque pour la remise en service des viaducs SNCF avec des “poutres”. Doc.RGCF.

Les Autorails de Liaison  : parvenir, quand même, au bout d’un voyage surréaliste. 

Il est assez paradoxal de penser que, dès la fin de la guerre et dans une France dont bien des gares et des installations ferroviaires sont encore en ruines, des trains très rapides pour hommes d’affaires soient immédiatement mis en service. Qui se souvient de ces “Autorails de Liaison” et de ces “Trains Drapeaux” de la SNCF ?

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’armée allemande vient à peine de quitter le sol national, l’heure des bilans et des perspectives vient de sonner, et elle est sombre : il est certain que la pénurie de voitures et les difficultés qui s’opposent à l’exécution de vastes programmes de construction de la SNCF ne permettront pas avant longtemps de faire face au trafic de pointe qui se manifeste normalement au moment des fêtes et des vacances et auxquels la SNCF ne pouvait répondre avant la guerre que grâce à l’existence d’importantes réserves de matériel. Mais, en ce qui concerne le trafic normal, sous réserve d’une nouvelle crise charbonnière aiguë que tout le monde craint à l’époque, des améliorations importantes vont continuer à être apportées au trafic.

C’est ainsi que l’on apprend dans la RGCF que, le 16 janvier 1945, devant la demande de transports militaires et aussi devant les grands froids qui sévissent à l’époque, le charbon manque et le Ministre des Travaux Publics prend la décision de supprimer tous les trains de voyageurs à vapeur sur l’ensemble du réseau national : seuls sont maintenus les Autorails de Liaison, les trains en traction électrique, les trains de banlieue même en traction vapeur, et les trains mixtes marchandises-voyageurs. Cette situation durera deux mois, et se terminera le 12 mars sur l’Ouest et le Sud-Est, et le 19 mars sur les autres régions.

Les “Autorails de liaison” sont donc la toute première forme de ces « Trains Intercités” de l’époque, à ceci près qu’ils sont d’un accès beaucoup plus restreint encore, puisqu’il faut être parmi les « voyageurs porteurs d’un ordre de mission ou d’ordres de service » précise la RGCF. Le premier autorail de liaison est mis en marche le 22 septembre 1944 entre Paris et Toulouse, via Orléans, Vierzon, Montluçon et Limoges, avec transbordement à Orléans pour la traversée de la Loire, puisque le pont est détruit.

D’autres relations suivent très rapidement. La RGCF fait état des plus importantes : comme, dès le 25septembre 1944, l’Autorail de Liaison Paris – Lllle, via Laon et Hirson, prolongé jusqu’a Bruxelles le 9 octobre, ou encore un Paris-Nantes et Rennes, via Auneau, Chartres, Le Mans, Sablé et Segré ! Un parcours surréaliste…

Mais l’”Autorail de Liaison” Paris-Lyon, via Nevers, Cercy-la-Tour, Gilly-sur-Loire et Paray-le-Monial, prolongé de Nevers (Pont de Loire) sur Clermont-Ferrand et St. Etienne par un train express et, à partir du 2 octobre, par un autorail jusqu’à Marseille vaut, lui aussi, son pesant de surréalisme. Le 2 octobre 1944, on peut aussi aller de Paris à Charleville, via Reims, Laon et Hirson, ce service étant prolongé jusqu’à Longuyon à partir de février 1945. On peut aussi aller de Paris au Havre en passant par Beauvais, Gournay, Serqueux et… Montérolier-Buchy précise la RGCF.

Quels types d’autorail, pour les “Autorails de liaison” ?

La SNCF n’a, à sa disposition, que les autorails d’avant-guerre, puisque ses propres modèles, dit “unifiés” et étudiés par la DEA, datent des années 1950 : donc pas de “Picasso”, si de “FNC”, et encore moins d’autorails X-2400 et autres X-2700 ou X-2800, ni de “RGP”.

En effet, à sa création, en 1938, la SNCF dispose d’un parc d’environ 800 autorails, dont 60 % est constitué par des unités de moins de 300 ch, à bogies, plus spécialement conçus pour circuler isolément ou groupés par deux, mais inaptes à prendre des remorques. Le reste du parc comprend approximativement 150 engins de faible puissance, dont l’effectif n’a guère varié depuis 1936, et environ 180 autorails puissants, aptes à prendre des remorques, construits, pour la plupart, depuis 1936. En vue de reconstituer le parc, ramené à 600 unités par la Seconde Guerre mondiale, la SNCF prévoit à la Libération, et dans son programme décennal de matériel neuf, la construction de 400 autorails de trois types différents, auxquels s’ajoutent quelques autorails de faible capacité pour les petites lignes, et aussi de 500 remorques spécialisées.

En attendant, la plupart des relations faites avec des “Autorails de liaison”, seront assurés par les 180 appareils puissants, notamment à deux ou trois caisses. Le choix de la SNCF portera sur des autorails articulés permettant un service de restauration à la place dans tout le train puisqu’il y a intercirculation entre les caisses.

Autorail Renault ABV articulé à deux caisses de 1937.
Autorail articulé à deux caisses Bugatti de 1934.
Le réseau de la SNCF en service en septembre 1944. Essayez de reconstituer l’itinéraire d’un voyage Paris-Bordeaux…Document RGCF.
En vert : les “Autorails de Liaison” et en noir les “Trains Drapeaux” de la SNCF en 1945. Les principaux ponts, notamment sur la Loire, ont été sommairement remis en service.

Même le Général pratique l’autorail de liaison, ou, disons : “de commandement”.

Ce fait historique est oublié, et, aujourd’hui les nombreux candidats à l’élection présidentielle se disant gaullistes ne pensent pas à faire leurs déplacements en autorail d’époque pour leur campagne : la Cité du Train-Patrimoine SNCF peut même leur prêter un authentique et magnifique autorail Bugatti de 1933, fort justement dénommé “type Présidentiel”, ce qui tomberait juste à point, voire “pile-poil” pour la victoire finale. Mais nous avons mieux à leur proposer : le véritable autorail du véritable général.

Le général De Gaulle, le vrai, lui utilisait, pour ses déplacements urgents et rapides dans une France à peine libérée, un bel autorail De Dietrich dit du type “pointu”, un X-2000 construit en 1937, dont voici des photographies, car il existe toujours.

L’auteur de ces photographies, Alain Stome, a eu la chance de le voir dans la zone industrielle de Laon, sur les emprises d’une entreprise de restauration de matériel ferroviaire et minier. Il apprit que cet autorail a été confié jadis à la société “Coca-Cola” qui l’avait repeint et le restitua sans le remettre dans ses couleurs d’origine. Depuis l’autorail est en place devant l’usine et sert de salon de réception lors de la signature de contrats industriels ou de visiteurs.

Autorail immatriculé État ZZy 24817, puis XD-2511 à la SNCF, puis X-42511 en 1962. Clichés Alain Stome ici et ci-dessous.
Salon de réception dans l’autorail de commandement De Dietrich.
Peut-être aussi le lit du général ? Les candidats actuels à sa succession pourront y dormir, munis de leurs 500 parrainages.

Les Trains Drapeaux : de la vitesse, même au milieu des ruines.

Six semaines après la Libération, le premier Chaix paraît et annonce un service de relations voyageurs à partir du 9 octobre 1944, mais encore très réduit. Le 7 mai 1945, c’est réellement la reprise du service normal avec des parcours journaliers totalisant 126.000 km pour la SNCF.

Les “Autorails de Liaison” sont peu à peu remplacés par des trains express lourds, et, par exemple, l’Autorail de Liaison Paris-Rennes est remplacé par un train express Paris-St-Brieuc accessible à tous, quand il y a de la place. Quelques mois plus tard, et après ce redémarrage vital, la circulation s’est étoffée, mais deux domaines restent prioritaires et ne sont pas satisfaits : le rétablissement de relations rapides sur le sol national, et le rétablissement des relations internationales.

La SNCF innove, pour ce qui est du premier domaine, avec la mise en service de “Trains Drapeaux” sur un petit nombre de relations essentielles comme Paris-Lille, Paris-Strasbourg et Paris-Rouen-Le Havre, puis Paris-Bordeaux et Paris-Lyon, « en vue de rétablir à l’usage des hommes d’affaires des liaisons rapides sensiblement comparables à celles d’avant-guerre, et pour attester aux yeux de l’étranger la vitalité des chemins de fer français et la rapidité de leur renaissance » selon les termes de la revue « Le rail et la route » en 1946.

Pour ces “Trains Drapeaux”, la vitesse limite a été augmentée et portée à 120 km/h sur la plus grande partie de leurs parcours, celle des autres trains restant encore fixée à 100 km/h, limite imposée en France depuis le début de la guerre et toujours valable en 1945. Les relations vers Lille, Strasbourg et Le Havre sont effectuées par des autorails, les deux autres vers Bordeaux et Lyon par des trains classiques, mais avec un matériel particulièrement confortable. Dès leur mise en marche, ces trains, dans lesquels on voyage obligatoirement assis, ont connu un très vif succès.

Les grands itinéraires internationaux sont rétablis, eux aussi, en priorité. Dès 1946, des relations suffisantes ont déjà été rétablies avec la Suisse (Paris-Bâle, Paris-Berne, Paris-Genève). Le Simplon-Orient-Express est rétabli en 1947, tout au moins jusqu’à Venise, avec une voiture pour Rome, via Milan. La liaison entre Paris et lnnsbruck est rétablie jusqu’à Vienne en 1946 et est prolongée jusqu’à Prague, par Linz, l’année suivante. La liaison avec l’Allemagne n’est encore assurée qu’entre Paris et Francfort pour 1945 et 1946. Mais des négociations sont en cours pour rétablir le Nord-Express vers Cologne, Berlin et Copenhague.

D’autre part, en plus de la liaison déjà rétablie en 1946 avec l’Angleterre par Dieppe-Newhaven, deux autres relations seront mises en service en 1947, l’une sur l’itinéraire Calais-Douvres, avec transbordement, l’autre sur l’itinéraire Dunkerque-Douvres par ferryboat. Enfin, le Sud-Express, vers Madrid et Lisbonne, sera rétabli « dès que l’Espagne aura surmonté la crise dans laquelle elle se trouve plongée ». Ainsi la grande trame internationale d’avant-guerre va-t-elle se tisser à nouveau peu à peu, en dépit des difficultés multiples dues aux cloisonnements laissés en Europe par les hostilités.

Après la guerre, les “Drapeaux” vont aux sports d’hiver.

Les trains des sports d’hiver ont toujours été une excellente opération pour l’ancienne compagnie du Paris, Lyon et Méditerranée, puis pour la SNCF qui, malgré les difficultés, remet en place, dès 1946, les relations pour les sports d’hiver en mettant quelques trains supplémentaires à la disposition des voyageurs aux dates propices.

Le 6 mai 1946, la SNCF met en vigueur un nouveau service qui marque une étape importante dans la reconstitution du service voyageurs. Le service des grands trains (rapides et express) est largement étoffé, ce qui permet, hors des périodes de pointes du trafic, d’offrir aux voyageurs « un confort auquel ils n’étaient plus habitués ». En pleine saison, des trains temporaires pour les principales villes d’eaux, plages, stations climatiques et thermales facilitent l’exode vers la campagne, la montagne et la mer.


La SNCF promet effort particulier sera fait pour les lignes secondaires, « jusqu’ici assez déshéritées » (déjà ?). Les trains omnibus circuleront tous les jours, même le dimanche, sur l’ensemble de ces lignes. Les services de banlieue sont renforcés.


Enfin, il sera possible, dans les limites raisonnables et moyennant certaines conditions, de reprendre les trains spéciaux de pèlerinage, de vacances. Le mois de mai 1946 est considéré comme celui du retour à la normale.

Train lourd des années 1946-1950 sur le réseau du Sud-est : la composition est entièrement du PLM d’avant-guerre. Les voitures DEV ne sont pas encore là. Doc. René Floquet.

Les “Trains Drapeaux” en 1951.

Ces trains circulent toujours au début des années 1950, mais connaissent leurs dernières circulations sous cette appellation de “Train Drapeau”. Sur la Région Nord, avec le service des relations rapides Paris-Lille, les trains sont assurés par des rames automotrices triples TAR.

Sur la Région Est, la relation Paris-Strasbourg, est assurée par des rames sur pneus remorquées par une locomotive à vapeur type 230K qui fait ce qu’elle peut en tête de cette rame qui absorbe beaucoup trop de force de traction… Pour la relation Paris-Bâle, ce sont des rames automotrices triples TAR.

“Train drapeau” Paris-Strasbourg assuré par une 230-K dite “Baleine” et une rame sur pneus. Le surnom de “Trains sur pneus” restera jusque dans les années 1960 pou désigner les trains rapides classiques sur la région Est.

Sur la Région Sud-Est, le service Paris-Marseille est assuré par le train Le Mistral avec des voitures de première et deuxièmes classes dites « du dernier modèle » (il s’agit de voitures DEV) remorquées par une locomotive à vapeur qui prend le relais d’une 2D2-9100 ou d’une CC-7100 électrique à Dijon.

Sur la Région Sud-Ouest, le train Paris-Bordeaux est composé de voitures DEV de première et deuxième classe remorquées par une locomotive électrique CC 7100.

Sur la Région Ouest, le service Paris-Le Havre est toujours assuré par un autorail Bugatti, mais du type double au lieu du mythique type triple Bugatti.

Prenons un “Train Drapeau”.

Par exemple, le train drapeau Paris-Bordeaux et vice versa est composé uniquement de voitures de première et deuxième classes. Les voyageurs qui désirent l’emprunter doivent obligatoirement louer leurs places, du moins au départ de Paris, et acquitter un supplément qui est de 4 FR. pour Paris-Poitiers, 60 FR. pour Paris-Angoulême et 80 FR. pour Paris-Bordeaux. Il n’y est accepté de voyageurs que dans la limite des places assises, et bien des voyageurs se voient refuser une réservation et un accès au train. L’esprit TGV, déjà ? Non, pas du tout, car le système TGV demande bien une réservation, mais ne refuse pas de prendre les voyageurs, et prévoit même que l’on adapte le nombre de rames à la situation : si on réserve, on a sa place.

En ce temps de pénurie de l’après-guerre et si le train est complet, la SNCF est bien obligée de « jouer à guichets fermés » et de refuser la réservation et donc l’accès au train pour les voyageurs en excédent, comme aux États-Unis ou, pour Amtrak, le manque de matériel roulant crée les mêmes situations de refus des voyageurs.

L’horaire Paris-Bordeaux, toutefois, est le suivant : on quitte Paris pour Bordeaux à 16 h. 25, et il y a deux arrêts seulement en cours de route : à Poitiers à 20 h 37 et à Angoulême à 21 h 52. On arrive à Bordeaux à 23 h 40, après un trajet qui aura quand même atteint une durée de 7 heures et 15 minutes…  Dans le sens inverse, on quitte Bordeaux pour Paris, 7 h. 35, avec les arrêts à Angoulême à 9 h 12 et à Poitiers à 10 h 36. L’arrivée à Paris se fait à 14 h 50, soit, ici aussi, avec 7 h. 15 pour le trajet entier, effectué à la vitesse commerciale de 80 km/h, et ceci malgré les huit ralentissements qu’imposent les ouvrages reconstruits « en-provisoire » et le passage sans arrêt dans les grandes gares sur des appareils de voie qui imposent des ralentissements.

Ce train d’un tonnage réduit à 450 tonnes comprend quatre voitures de deuxième classe, un wagon-restaurant, une voiture de première classe à huit compartiments, une voiture de première classe à sept compartiments. Un des compartiments de cette dernière voiture forme un petit salon avec table de bridge – parce qu’il faut quand même bien distraire ces messieurs de leurs responsabilités écrasantes. Les places autour de cette table de bridge ne sont pas louées, elles sont à la disposition des bridgeurs éventuels. Dans l’ensemble, ce train offre le même confort que les meilleurs trains d’avant-guerre. Les voyageurs l’apprécient puisque le plus souvent toutes ses places sont occupées.

Cette époque de l’immédiat après-guerre, celle d’une France sortant du tunnel et retrouvant, avec bonheur, sa liberté et sa prospérité, se terminera avec les premiers essais à grande vitesse de 1954 et 1955, avec des trains qui feront du “trois cent à l’heure” pour tous, promis, juré. Ne soyons pas mauvaise langue : cette promesse-là, elle aussi, a été tenue.

Ambiance “Front popu” ou de de l’immédiat après-guerre ? Difficile à dire : camaraderie (“Francs et Franches Camarades” ou “Scouts de France” ?), sport, air pur, culottes de golf, bérets, joie de vivre. La joie de revivre est là, même pour l’autorail Renault VH de 1933 qui n’a rien perdu de son entrain et de sa jeunesse, même si son odeur et son gros nuage noir qu’il promène au-dessus de lui ne sont pas encore politiquement incorrects.

Les mauvais souvenirs, comme ce Bugatti devenu pour un temps “Autorail de liaison sanitaire”, sont oubliés.

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