Le « Transcaucasien » Georgie-Arménie-Azerbaïdjan : une odeur de pétrole.

Encore un pays dont on va bientôt beaucoup parler : la Géorgie. Son chemin de fer n’est rien d’autre que la ligne dite du « Transcaucasien », ce qui est déjà beaucoup en soi. Cette ligne est très ancienne, et elle constitue à elle seule l’axe principal du réseau ferré de trois pays liés par le pétrole, sinon par le marxisme-léninisme le plus convaincu : la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan.  Elle a une longueur de 897 km, établie en voie large russe de 1524 mm. C’est une ligne de montagne, franchissant les monts Li Khi, avec des rampes très sévères atteignant jusqu’à 46 pour mille. Un tunnel de faîte a été percé sous le col de Surimi en 1890, long de 4 423 m. Il est, à l’époque, le plus long tunnel du réseau russe.

Le « Transcaucasien » soviétique (en rouge) en 1935, d’après un document RGCF. En vert : le « Vladikavkaz» reliant le « Transcaucasien » au réseau russe par Bakou.

La ligne est ouvent présentée comme étant une ligne stratégique des chemins de fer de l’Empire russe, et aussi comme la ligne la plus productive du réseau russe. Elle est, initialement et très modestement, présentée comme destinée à relier les différentes provinces de la vice-royauté du Caucase, pas plus, promis, juré. Cela ne durera qu’un temps, car elle sera, dans les faits, la ligne du pétrole et de son transport depuis les puits du Caucase jusqu’aux deux ports de Batoum sur la mer Noire  (Géorgie) et de Bakou sur la mer Caspienne (Azerbaïdjan).  Elle n’a pas pour vocation d’être une ligne Batoum-Bakou, même si on l’appelle parfois ainsi, mais elle aura bien pour vocation de transporter le pétrole vers l’un et l’autre des deux ports afin qu’il soit expédié à l’étranger, sur le marché mondial. Ajoutons que la ligne dite du « Vladikavkaz » (ou occasionnellement dit « Vladicaucase » sur les cartes françaises) ne doit pas être confondue avec le « Transcaucasien » : elle part de Bakou vers le nord-ouest en direction de la Russie directement et elle servira à réunir le « Transcaucasien » au réseau du grand frère russe.

Locomotive-tender allemande fournie par Hanomag au « Vladikavkaz » en 1897. La modestie des locomotives témoigne de celle du réseau russe à l’époque.
Train omnibus sur le « Transcaucasien » arrivant à Bakou en 1905. La locomotive et le matériel roulant sont manifestement russes. Doc. « The Locomotive Magazine ».
Wagon-citerne sur la « Vladikavkaz » en 1902. Le pétrole… déjà ! Le réseau russe est encore fidèle au double tamponnement et à l’attelage à vis classiques.
Modeste locomotive-tender sur le « Transcaucasien » dans les années 1890. La disposition d’essieux à bogie porteur arrière (très britannique) fait que quand le tender se vide, le poids adhérent sur les essieux moteurs est maintenu.
Ambiance pétrolière en gare de Sabunki en 1901. Doc. « The Locomotive Magazine ». Au fond : les « derricks ». À droite : s’agit-il d’eau ou de pétrole ?
Une des toutes premières petites locomotives-tenders du « Transcaucasien », ligne de Poti à Tifliss. Nous sommes en 1869.
Jumelage de locomotives-tender sur le « Transcaucasien » en 1901. Noter la dimension des lanternes russes : il s’agit vraiment de bien éclairer la voie, de nuit, et non d’une simple signalisation d’avant.
Voiture de 1ʳᵉ classe, très russe, du réseau du « Vladikavkaz ».
En prime : la voiture de Staline, toujours exposée dans son pays natal, à Gori, dans la cour du musée consacré au grand homme.

Avant l’époque du pétrole : celle des conquêtes.

Le « Transcaucasien » est amorcé en 1865 par une société privée russe qui construit une ligne partant du port de Poti, sur la mer Noire, et qui atteint Zestafoni en 1871, Tbilissi (alors nommée Tiflis) en 1872 et Koutaïssi en 1877. Les soldats russes engagés dans la guerre russo-turque de 1877-1878 emprunteront ces lignes et leurs combats apporteront à leur pays l’annexion de la province (ou « oblast ») de Kars. À partir de 1880, la ligne est reliée par ferry-boat au chemin de fer « Transcaspien » qui dessert les provinces d’Asie centrale (Turkestan russe). La liaison avec Bakou, sur la mer Caspienne, est achevée en 1883.

A la fin du XIXe siècle, on ne conquiert plus, mais on exploite. En 1887, et grâce au réseau ferré du Caucase, c’est l’ouverture à l’exploitation des mines de charbon de Tkibuli. En 1894, la bourgeoisie russe soigne ses maux en empruntant un embranchement qui relie Mikhaïlovo (Khachouri) à la station thermale de Bordjomi, avec prolongement ultérieur en voie étroite jusqu’à la station de ski de Bakouriani : une fois les problèmes gastriques résolus, on se sent mieux, et on skie.

En 1900, le « Transcaspien » est créé par une relation directe au réseau de l’empire russe avec une ligne Bakou-Makhatchkala-Astrakhan. La même année, l’Empire ottoman prévoit, avec la Russie, une ligne qui doit relier cette dernière à l’Arménie ottomane, ce qui ne sera jamais réalisé. A la veille de la Première Guerre mondiale, le « Transcaucasien » est prolongé de Kars à Sar Kamis, une ville située sur la frontière de l’Empire ottoman, ce qui tombe très bien, puisque la Première Guerre mondiale fait de la Russie et de la Turquie des adversaires. Les Russes sont victorieux à Sar Kamis en 1915, et étendent leur influence sur le Caucase par Sar Kamis.

La révolution bolchévique russe de 1917 rebat les cartes et la vice-royauté du Caucase disparaît, laissant place à une période très confuse. Un « Comité spécial de Transcaucasie » et une « Assemblée Transcaucasienne » sont créés. Une expédition allemande dans le Caucase, ainsi que l’armée ottomane et l’ « Armée islamique du Caucase » (déjà !) contrôlent le réseau ferré et le pétrole de Bakou. La bataille de Bakou en 1918 oppose cette armée aux nationalistes azerbaïdjanais et aux nationalistes arméniens, puis aux Bolcheviks et même à un corps expéditionnaire britannique qui doit se demander ce qu’il fait là…

Les Ottomans capitulent à Moudros, et le Caucase du sud se partage entre trois nouveaux États : la République Démocratique d’Arménie, la République Démocratique d’Azerbaïdjan et la République Démocratique de Géorgie. Le traité d’Alexandropol (1920) fixe la frontière entre l’Arménie et la Turquie qui dure jusqu’à aujourd’hui. Quelques mois après, en 1921, ces trois États sont inclus dans l’URSS.

Notre « Transcaucasien » passe sous l’administration des chemins de fer de l’URSS qui va faire évoluer la ligne, surtout en l’électrifiant, et en construisant de nombreuses autres lignes qui s’embranchent sur elle, desservant les puits de pétrole, la reliant au réseau russe, et même au réseau iranien.  En 1991, la chute de l’URSS partage le réseau caucasien entre trois nouveaux réseaux : ceux des chemins de fer arméniens (HYU) sur 845 km, azerbaïdjanais (ADY) sur 2932 km et géorgiens (SR) sur 1523 km.

L’ancienne gare de Tbilissi à l’époque des taxis Volga bien soviétiques.
La nouvelle gare de Tbilissi, du moins ce qui est projeté en 1979 par les architectes R. Bayramashvili, A. Dzhibladze, I. Kvalashvili, G. Shvadia, et l’Ingénieur Sh. Gazashvili. On espère que les Georgiens auront échappé à cette catastrophe architecturale pavée de bonnes intentions, mais rien n’est moins certain.

Avec la RGCF de février 1935 : la période soviétique du « Transcaucasien ».

La Revue Générale des Chemins de Fer traite de l’électrification de la ligne qu’elle appelle le « Bakou-Batoum et embranchements », travaux qui sont prévus pour être terminés en 1939 et sur une longueur de 980 km environ.  La ligne est considérée comme partant de Bakou : elle traverse la plaine de la Transcaucasie jusqu’à Evlakh où elle entre dans la vallée du Kura qu’elle remonte jusqu’aux montagnes du Suram qu’elle traverse avec le tunnel de faîte de 4423 m entre les gares de Zipa et de Licha ouvert en 1890. Elle descend ensuite par la vallée du Rion jusqu’à Santéria d’où se détache l’embranchement menant au port de Poti sur la mer Noire.  Elle poursuit sa route, orientée parallèlement à la mer, jusqu’à Batoum. La RGCF précise que la ligne « est la plus productive des chemins de fer russes avant la Première Guerre mondiale », car c’est bien « la ligne du pétrole », produit précieux qui occupe une part de 62 % du trafic de la ligne.

Les difficultés d’exploitation de la ligne entre Hachuri (future Stalinissi : n’oublions pas que Staline a des « racines » locales) et Zestafon avec des déclivités de 29 pour mille et 45 km de courbes à 150 m de rayon conduisent l’URSS à électrifier la ligne dès 1929. Les travaux sont effectivement terminés en 1932 (soit sept années d’avance sur le calendrier), menés avec une rapidité exemplaire.  Des trains de 2700 tonnes de pétrole circulent désormais à 36 km/h de moyenne contre 15 km/h du temps de la vapeur et une locomotive électrique remplace trois locomotives à vapeur. Aujourd’hui toujours, ces trois réseaux sont actifs, ont des services voyageurs sérieux avec des trains confortables et essaient sans conviction de rester encore fidèles à leur matériel roulant russe très vieillissant. Ainsi le réseau de Géorgie, osant aussi s’appeler « Georgian Railway » sur les voitures des trains, se tourne nettement vers le matériel européen et on découvrira actuellement de magnifiques rames automotrices électriques ESh2, fabriquées par Stadler, dites « Eurasia ».

Les cartes de 2010 des trois réseaux.

En rouge, les lignes ouvertes au trafic des voyageurs.

Géorgie.
Azerbaïdjan.
Arménie.

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