Ce pays qui souhaite devenir membre de l’Union Européenne est peu connu, notamment sur le plan ferroviaire. Le chemin de fer moldave est, en grande partie, à écartement russe de 1524 mm (devenu 1520 mm), mais ne l’a pas toujours été puisque la Moldavie a été roumaine. Sur le plan géopolitique et économique, la Moldavie, un pays sans accès à la mer, est très dépendante du réseau ferré en 1524 mm qui lui apporte un accès direct et commode aux ports ukrainiens soit fluviaux comme Reni sur le Danube, soit maritimes comme Odessa, sur la mer Noire.

C’est un réseau initialement crée par l’empire russe, et dont la première ligne est inaugurée le 28 août 1871, reliant l’actuelle capitale moldave qu’est Chisinau à Tiraspol et à Odessa, pour exporter les grains et les vins de Bessarabie où vivent de nombreux « colons » et grands propriétaires terriens russes. Notons que la Bessarabie, rattachée à la Roumanie en 1918, sera partagée en 1940, le sud de la Bessarabie étant rattaché à l’Ukraine et le nord faisant dorénavant partie de la RSS de Moldavie.
Mais revenons à la Moldavie des origines : toujours en voie large russe, son réseau est ensuite prolongé jusqu’à la frontière roumaine à Ungheni où il rencontre, sans s’y connecter, le réseau roumain qui est en voie normale de 1435 mm. Ultérieurement une ligne reliant Ungheni à Kiev et Moscou par Bălți sera construite.
« Plus rien ne sera comme avant ».
Tout ceci date d’avant la Première Guerre mondiale. Après 1919, « plus rien ne sera comme avant » dit-on, et de grands bouleversements vont mettre à plat le « puzzle » européen et le reconstruire autrement. La Moldavie devient roumaine (voir, sur ce site, les cartes de nos articles consacrés aux réseaux des confins de l’Europe, dont la Roumanie), le réseau moldave passe à l’écartement européen : les mauvaises et spirituelles langues diront que les trous pour les tirefonds dans les traverses n’ont pas été rebouchés, et que les Russes, après la Seconde Guerre mondiale, n’auront qu’à les utiliser pour réinstaller l’écartement de 1524 mm !
Lors de cette mise moldave à l’écartement européen de 1435 mm, effectuée entre 1919 et 1922, trois nouvelles voies sont ouvertes en direction de la Moldavie occidentale (qui est roumaine), ceci avec l’aide de la mission française menée par André Berthelot qui, pour un temps, met de coté ses projets transsahariens.

Une vaine proposition de voie à trois files de rails et deux écartements.
En 1991, l’URSS disparaît, mais non la Russie, et, dans une Moldavie indépendante, le parti au pouvoir dirigé par Mircea Snegur inscrit un programme d’électrification du réseau ferré et la pose d’un troisième rail à l’intérieur de la voie russe en 1524 mm pour permettre aussi la circulation de trains en voie de 1435. Cette technique, qui demande la pose d’un rail dans un espace de 89 mm, n’est guère possible, avec des rails étroits et légers, que sur de courtes sections, et surtout dans des gares de transbordement, mais ne permet pas de loger des rails lourds permettant des trafics importants et des circulations rapides et soutenues sur de longues distances. N’oublions pas que la partie la plus large d’un rail est sa « semelle », la partie basse qui repose sur la traverse, et qui donne au rail toute sa stabilité : elle mesure 150 mm avec un rail UIC type 60. D’autres raisons, d’ordre politique, feront que ce système à trois rails n’existera pas en Moldavie, mais que l’électrification, en revanche, sera effectuée. Le rejet d’un rattachement à la Roumanie, proposé par un référendum en 1994, aggrave encore la situation.
La Moldavie aujourd’hui : encore en paix ?
Aujourd’hui, la Moldavie, avec ses 33.000 km² et ses presque 5.000.000 d’habitants, a un réseau ferroviaire dépassant à peine 1100 km. C’est un tout petit pays, bien fragile, sur lequel se projette l’ombre du « grand frère » comme au temps des Soviets. Le moindre conflit ferme les gares frontalières pour un temps indéterminé. La Transnistrie, en particulier, est attendue au tournant : cette région, formant une longue bande de territoire située entre les rivières Dniestr et Boug, apparaît lorsque le régime roumain très musclé et autonomiste du maréchal Antonescu l’occupe pendant trois ans entre 1940 et 1944. Puis, on parle de nouveau de la Transnistrie en 1992 avec la fin de l’URSS. pour désigner alors le territoire moldave situé sur la rive gauche du Dniestr.
À cette époque mouvementée, les frontières de 1940 sont revisitées avec l’annexion de la Bessarabie par l’URSS et n’ont pas tenu compte du réseau ferroviaire, tout comme le « Rideau de fer » en Allemagne. La frontière entre la Moldavie et l’Ukraine a sectionné au hasard et sans cohérence de nombreuses petites lignes dont l’existence a échappé à la grande pensée politique et mondiale des faiseurs d’empire soviétiques ou autres….
Deux décennies de « check-points » sur les routes ne sont que négligeables en comparaison avec les longs arrêts pour des contrôles des voyageurs des trains qui imposent des retards de plusieurs heures et, plus particulièrement pour le chemin de fer, en tuent l’efficacité et les performances. Le réseau ferré moldave n’a que trois points de contact avec celui de la Roumanie, dont un seul en voie de 1435 mm, et même les types de courant électrique, dans les caténaires, sont différents : 15 kV monophasé en Ukraine, 3 000 V continu en Transnistrie et surtout de la traction diesel autour de Chisinau, la capitale.
Mais, même en dehors de ces points de passage, la circulation des trains, sur un réseau quasiment totalement en voie unique, et sur deux écartements, est lente, et elle est peu performante du fait d’un manque de moyens financiers pour assurer un entretien même minimal. De laborieux changements de bogies permettent à la Transnistrie de rester reliée à l’Ukraine et au-delà en direction de l’Est, sans passer par la Moldavie. Mais la Moldavie peut rester reliée à la Roumanie sans passer par la Transnistrie… La ligne Tiraspol-Cuciurgan reste le « poumon » de la Transnistrie et la ligne Jungien-Chișinău est celui de la Moldavie (voir la carte). Rien n’est simple, et tout est explosif.
Le record ubuesque dans le royaume d’Absurdie est battu quand on veut prendre un train à Chișinau pour aller quelque part en province : il faut un passeport en règle… Quand on veut aller de Chișinau à Cahul (moyennant 16 h de trajet contre 4 h en autocar, soit dit en passant) le train doit passer, à trois reprises, en Ukraine, ce qui fait six exhibitions très dissuasives de son passeport, pas moins.

En conclusion, l’avis de Boris Chomenko sur le réseau moldave actuel.
Nous remercions Boris Chomenko pour les très intéressantes précisions qu’il veut bien apporter. Il tient à mentionner qu’il n’y a aucune électrification actuellement en Moldavie : l’électrification de la ligne Rozdil’na – Koutchourhan – Tiraspol – Bender a bien été commencée du temps de l’URSS, mais les travaux ont été arrêtés en 1991 en Transnistrie, vu les événements que tout le monde connaît. L’électrification est arrivée à Koutchourhan côté ukrainien et n’a jamais progressé au-delà. Si cette électrification avait été terminée côté moldave, elle aurait été en 25 kV 50 Hz (et pas 15 kV comme en Allemagne ou en Suisse) et pas dans le 3000 V continu russe. À noter que les portiques caténaires avaient été posés à Tiraspol.
De Chișinău à Cahul, seules deux traversées de la frontière étaient nécessaires du temps où il y avait du trafic voyageurs, entre Iserlia et Basarabeasca. Mais vu qu’il n’y a plus de moyens d’acheter du carburant, le trafic est presque inexistant de nos jours (en tout cas, on ne peut plus rejoindre Cahul).
A part à la gare frontière de Ungheni avec la Roumanie, il n’y a pas de double écartement dans tout le pays, donc on reste bien en 1520 (ex-1524) mm russe.
La carte de l’article ne montre pas la ligne Revaca – Căinari qui fut abandonnée en 1944 lors du retrait des troupes allemandes. Dans les années 1980, l’URSS entama une timide reconstruction qui n’aboutit pas. C’est l’état moldave actuel qui la reconstruite en urgence entre 2004 et 2005 pour pouvoir donner accès au sud du réseau depuis Chișinău en évitant de passer par le territoire contrôlé par la Transnistrie.
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