Dessinées pour le réseau du Nord par l’ingénieur Marc De Caso durant les dernières années 1920, ces voitures sont parmi les plus belles de leur époque, mais, incontestablement, elles sont les plus robustes. Elles sont nées dans la mouvance du renouvellement des voitures Nord après la Première Guerre mondiale. Plus particulièrement les voitures dites “Trains rapides Nord”, surnommées « Torpilles » par les cheminots, sont les plus connues du fait de leur forme tubulaire lisse, et on en voit, en effet, sur l’ensemble des trains de vitesse de ce réseau à partir de 1928-1929.
Notre préférence, surtout pour l’originalité du dessin, va à la voiture dite “Trains express Nord”. Elle est curieuse à tous points de vue, notamment sur le plan esthétique, mais cette voiture à voyageurs est le symbole du style de l’ancien réseau du Nord d’entre les deux guerres : originalité et performance. La toute première série est surnommée « Arts Déco » parce que ses prototypes furent présentés dans la grande exposition de 1925. Ce type de voiture n’est certes pas un summum en matière de confort, mais cela, le Nord ne le recherche pas toujours en priorité… Notons que ce surnom de “Arts Déco” ne concernera que les prototypes présentés à l’Exposition en question, comprenant une porte sur chaque face par compartiment. Les voitures de série, type C11, adopteront, pour des raisons d’économie et de plus grande robustesse de la caisse, une porte sur chaque face pour deux compartiments, ce qui leur donnera un aspect très particulier que l’on ne retrouvera jamais dans le monde, sauf sur le réseau du Nord-Belge qui appartient au réseau du Nord français. Donc, on reste en famille.

Ce qui est robuste rapporte.
La célébrité de Marc de Caso, ingénieur polytechnicien (1893-1985) commence par le bilan d’un déraillement qui sera, pour le moins, salutaire pour lui… Le grand ingénieur a lui-même raconté cet événement à l’auteur de ce site-web pour Loco-Revue dans les années 1980. Il entre au chemin de fer du Nord en 1921, sortant de l’Ecole Polytechnique. Son rêve est de dessiner des locomotives pour cette compagnie particulièrement intéressée par la vitesse et dont la tradition de belles locomotives est exemplaire. Mais la place est déjà prise par des ingénieurs de grande valeur et surtout bien installés, et Marc de Caso se retrouve, sans grand enthousiasme et en attendant de dessiner les fameuses Baltic Nord et SNCF, dans le département des études des voitures. Il dessine ces fameuses voitures pour trains rapides, tout comme il dessinera les voitures pour trains express.
Un jour, raconte Marc De Caso, un train entier, formé de ces voitures, est impliqué dans une grave collision, et passe entièrement par-dessus sa locomotive qui est couchée en travers de la voie. Toutes les voitures du train passent par dessus la locomotive, toutes, restant attelées et, certes, laissent derrière elles, entassées contre la locomotive couchée, un magnifique amas de bogies….. Mais les caisses des voitures n’ont aucun dommage : pas même une vitre brisée ! Marc De Caso vient de prouver, de la manière qu’il n’aurait certes pas souhaitée, son grand savoir-faire, et la compagnie, désormais, lui confiera la conception des futures locomotives type 232 ou Baltic devant remplacer les Pacific. Il reste de cette série de Baltic la fameuse 232-U-1 exposée au Musée de Mulhouse, surnommée « La Divine ». C’est dire si le nom de Marc de Caso est vénéré dans les milieux ferroviaires français.


La conception de ces voitures.
Le parc des anciennes voitures “Trains Rapides Nord” à caisse en bois, au début des années 1920, commence à dater quelque peu et à ne plus être à la hauteur des superbes Pacific qui les remorquent à des vitesses très élevées pour l’époque. De même les anciennes voitures Ty Nord, à caisse en bois, sur bogies, ont une caisse en bois qui n’est plus du tout aux normes de sécurité des années 1920.
Marc de Caso se met au travail et dessine une série de voitures entièrement métalliques, se décomposant en deux familles, l’une pour trains rapides et l’autre pour trains express. Elles ont une structure tubulaire, sans châssis, inspirée de la construction navale: la caisse, autoporteuse, est obtenue par soudure de tôles dont les bords pliés par emboutissage constituent un nervurage interne pour toute la voiture. C’est très solide, et c’est très léger, tout comme les coques des navires dont Marc De Caso a repris le principe de construction, et dont l’aspect des voitures, d’ailleurs, en évoque la forme.
Le gain de poids est effectif au niveau des cloisons transversales en tôle mince, du châssis dont les brancards sont en tôle pliée, soudée et rivetée. Les toitures, du moins pour les prototypes, sont en aluminium, mais pour la série l’acier est retenu: les toitures, alors, participent à la solidité de l’ensemble et permettent des gains de poids par ailleurs. Les planchers sont en tôle ondulée recouverte de « terrazolith », un matériau d’époque à la fois isolant et très résistant.






La disposition intérieure des voitures “Trains rapides” Nord.
Construites jusqu’en 1939, ces voitures existent dans les trois classes. Les voitures de première classe ont huit compartiments de première classe, ou sont mixtes avec trois de première plus cinq de seconde. Les voitures de seconde classe ont neuf compartiments. Les voitures de troisième classe ont dix compartiments. D’autres dispositions existent en voiture mixte-fourgon avec plusieurs compartiments soit de seconde, soit de troisième classe et un compartiment à bagages d’importance variable selon le nombre de compartiments à voyageurs. Enfin, des fourgons assortis existent, longs de 18,1 m, formant avec ces voitures des trains homogènes et élégants.
Toutes ces voitures sont à couloir latéral et à compartiments. L’accès se fait par chaque extrémité. Les toilettes des voitures des premières séries sont au centre de la voiture, selon une disposition très Nord, et aux extrémités pour les voitures de troisième classe sorties en 1938-1939. Ce parc de 270 voitures est de qualité exceptionnelle et durera très longtemps sur le réseau Nord, jusque durant les années 1980.











Les voitures pour trains express : très différentes mais tout aussi soignées.
À une époque où une grande partie du parc voyageurs des trains express ou omnibus est encore constituée de voitures à fragiles caisses en bois, la compagnie du Nord se lance dans la construction tout acier pour des raisons de solidité et de sécurité. Ces voitures, conçues pour les trains express du réseau, sont présentées à l’exposition des Arts Déco de 1925 et se caractérisent par la présence d’un châssis à éléments en acier moulé recouverts de tôle épaisse, et d’une caisse en tôle épaisse formée d’éléments soudés. De très nombreuses cloisons transversales, elles aussi lourdes et épaisses, viennent rigidifier la caisse. La toiture, enfin, est en aluminium, tout comme les revêtements intérieurs de la voiture. C’est donc massif, solide, résistant, et bien dans la philosophie des ingénieurs du chemin de fer de l’époque qui estiment qu’il ne faut pas hésiter à mettre de la matière pour faire du durable et du sûr.
L’ingénieur Marc de Caso modifie le projet initial de ces voitures conçu par Emile Javarny pour d’abord en réduire le poids, et pour en augmenter encore la solidité. Les cloisons transversales sont désormais en tôles minces posées sur des châssis métalliques légers. Les châssis sont en tôle pliée rivetée ou soudée et seules les traverses supportées par les bogies et les traverses d’extrémité sont encore en acier moulé. Les panneaux d’extrémité de caisse sont nervurés pour en augmenter la résistance aux chocs. Les toitures ne sont plus en aluminium mais en tôle d’acier, ceci pour augmenter la résistance générale de la voiture en cas de collision.
Les “Express” ? Un parc important.
Le parc se compose d’une part de 14 voitures de première et de deuxième classe avec séparation en compartiments, mais avec un couloir central, et trois portes par face, et, d’autre part et surtout, de 276 voitures de troisième classe à onze compartiments, ou type C11, et futures B11 à la SNCF après la suppression de la 3e classe en 1956.
Munies de soufflets, ces C11 sont néanmoins des voitures à portières latérales multiples, mais elles ont la particularité d’avoir cinq portes par face, c’est-à-dire que, sur onze compartiments, six n’ont pas de porte et les voyageurs bien au chaud dans un compartiment sans portes doivent gagner le compartiment voisin pour descendre en passant par un passage central aménagé dans la cloison. Ce ne sont donc pas vraiment des voitures à portières latérales multiples, mais elles en reprennent le principe partiellement, ceci pour permettre la montée et la descente rapide des voyageurs sur les relations à nombreux arrêts pour lesquelles ces voitures sont prévues. En effet le réseau du Nord est très dense et très urbanisé.






Ambiance rude, joyeuse, mais toujours très fraîche.
Les six compartiments sans porte et à accès indirect sont toujours les plus recherchés par les voyageurs, surtout en hiver, quand le vent du Nord siffle et fait voler les feuilles mortes jusque dans le train : les nombreux arrêts, l’absence de souci de refermer les portes de la part des voyageurs descendant du train, les fenêtres aux vitres baissées, voilà tout ce qui concourt à transformer ces voitures en glacières en dépit d’un bon chauffage.
D’une robustesse exemplaire, ces voitures ont toutefois un roulement dur et très sonore et un confort très limité, surtout dans les compartiments à portières… Lors des arrêts dans les gares en courbe, la voiture étant penchée, il faut se mettre à plusieurs pour fermer les lourdes portières situées du coté intérieur de la courbe et s’il faut descendre du côté extérieur, il faut être très musclé pour ouvrir la porte, surtout un jour de grand vent ! L’arrêt en gare d’Etaples, tracée en courbe prononcée avec un fort dévers et bien exposée aux vents de la Manche, reste mémorable dans les souvenirs ! Absolument « increvables », ces excellentes C11 puis B11 Nord ont été retirées du service dans le courant des années 1980, et uniquement pour des raisons d’inconfort et d’esthétique. Elles auraient pu durer encore longtemps.

Caractéristiques techniques des voitures “Trains rapides” Nord :
Type: voiture à bogies
Date de construction : 1928
Longueur: 22,35 m (23,75 pour les 3e classe)
Masse: 45 à 48 t selon les aménagements
Vitesse: 140 km/h
Caractéristiques techniques des voitures “Express” Nord :
Type: voiture à bogies
Date de construction : 1928
Capacité: 44 places
Masse: 45,5 t
Longueur: 20,85 m
Vitesse: 140 km/h

Merci pour ces merveilles sur roues.