L’aluminium, “métal de l’avenir” en 1920 ? Le chemin de fer n’est pas (encore) convaincu.

On pense souvent que la première entrée de l’aluminium dans la construction ferroviaire se fait avec le TGV Duplex. C’est évident que le TGV Duplex comporte un grand nombre d’innovations techniques. Le TGV Duplex a été placé sous le signe de la recherche du gain de poids et du recours à l’aluminium pour rester en dessous du poids par essieu de 17 tonnes en dépit d’une importante augmentation du volume des caisses. François Lacôte mène à bien cette opération de la manière que l’on sait et qui mérite toute notre admiration, qu’il s’agisse de la caisse ou de l’ensemble des équipements et aussi de l’aménagement intérieur. Pour moins de 10 tonnes supplémentaires, le TGV Duplex peut ainsi transporter 40 % plus de voyageurs qu’un TGV classique à un seul niveau.

Cette caractéristique technique du TGV Duplex, pour beaucoup de personnes, serait une première dans l’histoire des chemins de fer. Or le TGV Duplex ne fait que reprendre une problématique et une solution déjà posée et utilisée durant les années 1920, quand l’aluminium s’impose, y compris dans les revues techniques destinées aux ingénieurs, comme le « métal de l’avenir » sur le marché mondial, et comme la solution exemplaire pour l’économie de poids pour le matériel roulant ferroviaire moteur et remorqué de l’époque.

Entre les deux guerres, le chemin de fer est obligé de subir des « innovations de rupture » pour survivre, et d’adopter – souvent bon gré mal gré – des techniques et des matériaux qui lui viennent de la concurrence routière ou aérienne. Cette première entrée de l’aluminium dans le monde des chemins de fer reste très limitée et l’aluminium, en apparaissant sur la scène ferroviaire sous les “sunlights”, se prend les pieds dans le tapis avant de connaître un succès d’estime à la fin des années 1930 sous la forme de pièces comme des portières ou des toitures, ou des équipements intérieurs de voitures. La gloire du tout aluminium, ce sera pour le siècle suivant.

Aujourd’hui, tout est différent, et l’aluminium intervient au sein d’une palette de techniques de pointe, aussi au service d’un chemin de fer. Le chemin a été long.

Construction de voitures dites “allégées” (ou “saucisson”) Etat en 1938 : elles sont, pour une grande partie, en aluminium.

La tradition du lourd rassure… mais désole les comptables.

Le matériel roulant des chemins de fer du XIXe siècle répond d’abord à un impératif économique : la rentabilité. Les locomotives sont certes construites d’une manière lourde, atteignant 150 tonnes tender compris en Europe et approchant les 500 tonnes aux USA, et les ingénieurs n’hésitent pas à dimensionner les châssis ou les organes de roulement avec une certaine générosité, ceci dans le but d’obtenir un matériel à la fiabilité et à la longévité exemplaires. Le lourd rassure.

Les pratiques professionnelles des cheminots, tant pour les équipes de conduite que pour celles des ateliers de maintenance, demandent un matériel à toute épreuve, simple à utiliser et à entretenir. Toutefois le matériel remorqué doit répondre à d’autres critères, en particulier celui du rendement, et le gain de poids est marginalement recherché pour tirer le meilleur parti de l’effort de traction des locomotives, et pour permettre l’engagement de trains plus longs et à plus forte capacité, et pour réduire l’usure des voies.

Toutefois jusque vers 1890 la règle est que les voitures à voyageurs des réseaux européens soient très légères : elles sont montées sur deux ou trois essieux, et refusent obstinément le bogie pour des questions de gain de poids. Le bois est un matériau prépondérant : les voitures des débuts du chemin de fer sont entièrement en bois, châssis compris, et seules les pièces de renfort ou de liaison du châssis, et les organes de roulement sont en métal. Vers 1850 le châssis métallique commence à se répandre sur les voitures à voyageurs, laissant encore le châssis en bois poursuive sa carrière sur les wagons de marchandises pour une décennie ou deux.

Le bogie est introduit sur les voitures européennes à la fin du XIXe siècle, mais timidement. S’il a fait la conquête du matériel américain dès les débuts du chemin de fer dans ce pays parce qu’il permet une circulation en souplesse sur des voies hâtivement posées et de qualité médiocre, le bogie arrive en Europe avec un tiers de siècle de retard parce qu’il pèse très lourd et parce que, disent les dirigeants des réseaux, la qualité de pose et de nivellement des voies, les courbes à grand rayon, le poids élevé des rails plaident en faveur du maintien des voitures et des wagons à essieux indépendants. (Voir nos articles “Trainconsultant” sur le bogie, sur ce site-web).

Le « poids mort par voyageur », cette hantise que les comptables des compagnies ont communiquée aux ingénieurs, devient alors une donnée très problématique en matière de conception du matériel. Prenons, par exemple, l’évolution des voitures en bois du PLM pendant la deuxième moitié du XIXe siècle :

DateNombre d’essieuxCapacité en places assisesLongueurPoids total à vide
1856218 à 24 selon les classes5 à 7 m5,1 à 6,1 t
1867324 (1ère classe)7,712 t
18884 (bogies)52 (3ème classe)22,06 m38 t
1899348 (3ème classe)13,2717,8 à 18,5 t
19074 (bogies)38 à 80 selon les classes22,45 m39 t

Le « poids mort » par voyageur, dans le cas de figure le plus économique, c’est-à-dire en 3ème classe, évolue, en un demi siècle de 254 kg (1856) à 487 kg (1907), et nous sommes toujours dans le cas d’une voiture à caisse en bois.

L’exigence de sécurité naît avec une nouvelle mentalité.

A la Belle époque, les compagnies peuvent encore faire rouler des voitures qui sont très dangereuses : leurs fragiles caisses en bois se pulvérisent au moindre tamponnement, et les catastrophes ferroviaires offrent l’image désolante de châssis en métal, empilés intacts les uns sur les autres, après avoir réduit en miettes des caisses dont les débris épars les entourent. Mais on accepte encore ce risque dans un monde où le progrès technique et l’objet d’un émerveillement continuel et où il n’a pas encore montré un visage dévastateur. La guerre s’en chargera et des écrivains très populaires comme Giono mettront à mal l’image progressiste d’une vision des techniques qu’une élite intellectuelle voit toujours au service de l’humanité et de l’amélioration de la vie.

Après la Première Guerre mondiale les esprits ont changé et l’on refuse, désormais, le cynisme financier et l’exploitation à tout prix. Les compagnies sont bien obligées de céder devant une exigence qui se fait de plus en plus pressante : la sécurité.  Dès 1925 les réseaux français généralisent des voitures à voyageurs à caisse entièrement métallique, étudiées par l’OCEM, ou “Office Central d’Etudes de Matériel de chemin de fer”, organisme d’études crée par l’ensemble des grands réseaux français sauf le Nord et l’Est absents initialement.

L’acier, rien que l’acier, pour garantir la survie des voyageurs lors d’un accident.

Ici, le poids de la voiture passe à 45,8 t pour une longueur de 21,57 m et une capacité de 72 places en 3e classe. Le poids mort par voyageur est de 636 kg. En 1ère classe, la voiture pèse 48 t pour 42 places : le poids mort par voyageur dépasse la tonne. Rappelons que les célèbres voitures-lits LX tout acier de la CIWL datant de 1929, pèsent chacune environ 50 t pour 10 voyageurs : le poids mort est un record avec 5 tonnes !

La question du poids excessif du matériel roulant voyageurs est désormais posée pour les compagnies qui font leurs comptes et voient les factures traction gonfler d’année en année dans une situation économique, elle, de plus en plus désastreuse. Mais la question de ne pas mourir dans un banal accident de chemin de fer est, elle aussi, désormais posée. Le bois et la légèreté qui va avec sont, clairement, désignés comme des assassins et les compagnies comme des complices.

La catastrophe de Lagny en 1933 ;: au fond, les voitures métalliques du train qui a tamponné un train à l’arrêt dans la gare. Au premier plan, ce qui reste des voitures à caisse en bois du train arrêté en gare. Ce genre de catastrophe traumatise les ingénieurs et l’opinion publique et pousse à refuser tout ce qui n’est pas de l’acier dans la conception du matériel roulant.
La catastrophe de Saujon en 1910 : la fragilité extrême des voitures à caisse en bois commence à être perçue publiquement. Le “tout acier” s’imposera et le bois comme l’aluminium et tout autre matériel léger sera refusé a priori pendant des décennies.
Catastrophe de St-Antoine-du-Rocher en 1925 : sur la gauche, ce qui reste d’une voiture à caisse en bois écrasée par une autre voiture. Le bois sera désormais refusé, tout comme les matériaux légers. On ne se fiera qu’au “tout acier”.

Ne pas confondre allègement partiel et après construction, d’une part, et, d’autre part construction intégrale d’origine.

Les réseaux des années 1920 et 1930 commencent timidement à adopter l’aluminium ou le duralumin pour effectuer des allègements partiels du matériel roulant à la construction ou remplacement ultérieur de toitures, de cloisons intérieures, de portières, d’encadrements de fenêtres, et divers équipements intérieurs comme des banquettes, des armatures de sièges, des lits, etc…

Une période de transition peut se constater avec l’installation, à la construction, d’éléments en duralumin comme du panneautage de caisses, des éléments de toitures ou d’équipements intérieurs de “Michelines” et d’autorails classiques, d’automotrices, ceci durant les dernières années 1920 et les premières années 1930.

Une toute autre chose est la construction intégrale de matériel neuf dont il semble que les premiers exemplaires soient des rames automotrices diesel américaines de l’Union Pacific sorties en 1934.

La rame automotrice diesel M-10001 de l’Union Pacific, construite intégralement en alliage léger en 1934, roulant à plus de 170 km/h, pourrait être la première construction intégrale et d’origine en “aluminium”. Le TGV Duplex peut voir en lui un honorable ancêtre.
La revue bimestrielle “Traction nouvelle” paraît chez J.B. Baillère entre 1936 et 1939 et se consacre à l’actualité des nouvelles techniques de traction tant dans le domaine ferroviaire, que dans la motorisation aéronautique, maritime et routière. Face à la traction vapeur et l’acier, elle milite pour l’électricité et le diesel, et surtout pour l’aluminium : sa couverture en aluminium lui est “offerte” par le lobby en question. Elle reste, néanmoins, une précieuse source pour l’historien.
La revue “L’Aluminium Français” ne manque pas de faire de belles couvertures avec des autorails (alors appelés “automotrices”) imaginaires. Années 1930.

1925 : la voiture Nord de l’exposition des Arts décoratifs.

Nous avons déjà parlé, sur ce site-web, de cette voiture dans un récent article “Trainconsultant” consacré à l’ingénieur Marc de Caso et ses fameuses C11 Nord. En 1925, la compagnie du Nord expose une rame de voitures à voyageurs dans une des manifestations les plus marquantes de l’entre-deux guerres : l’Exposition des Arts décoratifs. Les voitures sont en aluminium, que cela soit sous la forme de tôles plates ou profilées, ou de pièces fondues. La toiture est réalisée en tôles d’aluminium pur de 1,5 mm rivées deux par deux, supportée par des fermettes en aluminium embouti et soudé. Les extrémités et flancs de caisse, les planchers, les cloisons des compartiments sont dans des tôles du même métal, toujours, mais les parois sont en acier. La cloison des couloirs, les voûtes, les portes sont en aluminium. L’ensemble de l’aménagement est en aluminium ou en “alpax” (un alliage d’aluminium et de silicium affiné) : cadres de baies, panneaux de remplissage, plafonniers, cadres et supports de banquettes, portes, portières extérieures, poignées de portières, etc. Certaines pièces filetées sont en duralumin. L’économie de poids est de l’ordre de 5.000 kg sur le poids total de chaque voiture.

Ce type de voiture reste sans descendance directe, mais fait figure de prototype de la série des voitures « Express » Nord à portières multiples et aussi des voitures “Trains Rapides” Nord. Toutefois les célèbres voitures qui lui ressemblent tant par le galbe de la caisse que par la disposition générale seront en acier mais reprendront un certain nombre de pièces en aluminium du prototype.

Voiture C11 Nord, descendante de la voiture dite “Arts Déco” de 1925 à caisse entièrement métallique conçue par l’ingénieur Marc de Caso et comportant des pièces en alliage léger. Doc.Philippe Mirville-Cité du Train.
Un exemple d’allègement partiel sur les C11 Nord : la “boîte à PQ” en “alpax”, ici, toujours en service très actif dans l’appartement parisien de l’auteur de ce site-web, cadeau fait par ses stagiaires SNCF de la Direction du Matériel.

Les années 1930 : enfin un souci d’allégement des locomotives.

L’aluminium fera aussi une percée assez remarquée dans les bielles des locomotives à vapeur, notamment aux Etats-Unis (Voir le milieu de la page 154 de la RGCF d’août 1930, dernières lignes de l’article cité) : la légèreté est une condition impérative pour réduire, sinon éliminer, les mouvements parasites engendrées par les bielles sur une locomotive, notamment le fameux et redouté mouvement dit de « boxing » faisant que la locomotive avance en effectuant des lacets très destructeurs de la voie.

Déjà en juillet 1928 un congrès se tient à Atlantic City, aux Etats-Unis : la “Railway Manufacters Association” débat du problème de l’allégement du matériel roulant remorqué, car, dans ce pays, le poids mort par voyageur est très élevé du fait d’une construction tout acier de voitures qui, en outre, offrent des dimensions très généreuses et un très grand confort. Il est admis que, pour les locomotives à vapeur, le poids doit rester important car il est une condition essentielle de l’adhérence, donc de la transmission de l’effort moteur généré aux cylindres.

Toutefois l’équilibrage par contrepoids des pièces en mouvement alternatif, comme les tiges, crosses de piston et les bielles, impose aux machines des mouvements parasites de lacet très destructeurs pour les voies, et dont les effets sont très pervers en matière de stabilité à certaines vitesses. Il a été possible, en augmentant de 1% le prix de la locomotive, de diminuer de 98% le facteur de martelage des essieux moteurs sur les rails, ceci en ayant recours à des crosses de piston et à des bielles en aluminium qui pèsent 50% de moins.

D’après la “Revue de l’aluminium”, N°42, mars-avril 1931, la compagnie des chemins de fer de l’Est, en France, fait l’essai de bielles en duralumin sur une locomotive-tender type 232 pour trains de banlieue. Le gain de poids est de 39% par rapport aux bielles en acier, mais une limite élastique inférieure à celle de l’acier fait renoncer à la généralisation de cette pratique.

Locomotive-tender pour trains de banlieue de la compagnie de l’Est, datant de 1905, et ayant reçu un embiellage en duralumin en 1931. C’est une des premières apparition de ce métal dans le monde ferroviaire en France

Mais il est possible de faire des gains de poids sur les caisses des locomotives électriques. Les fameuses 2D2 du PO, fabriquées à partir de 1933, accusent quelques 141 tonnes sur la bascule, et la limite de 20 t par essieu est dépassée. Il faut donc alléger et il est possible de gagner 1.750 kg en remplaçant des persiennes, des lanterneaux de toiture et diverses parties de la caisse par des modèles identiques en duralumin. Un total de 25 locomotives sera ensuite pourvu de ces pièces. Sur le cliché ci-dessous, paru dans la “Revue de l’Aluminium” en 1935, on voit une 2D2 5500 du PO en cours de montage aux ateliers de Vitry : les persiennes et les lanterneaux de toiture se distinguent très nettement des autres parties de la caisse par leur couleur très claire avant peinture.

Une 2D2 du PO en cours de montage aux ateliers de Vitry, vers 1926. En couleur claire : les pièces en duralumin. Doc.Revue de l’Aluminium.

En Août 1930 : la RGCF défend (déjà) la cause de l’aluminium.

La présence de l’aluminium est très discrète dans les chemins de fer des années d’entre les deux guerres, et il faut une connaissance en finesse du contenu d’une collection de la Revue Générale des Chemins de Fer pour trouver un premier article faisant mention de la construction, à titre d’essai, de voitures de banlieue à caisse en aluminium en 1923 aux Etats-Unis par le réseau de l’Illinois Central Railroad. Cela se découvre sous la forme d’une courte note de deux pages dans la rubrique « renseignements divers » du numéro d’août 1930, page 152. C’est dire si c’est anecdotique.

Cet essai est suivi par la mise en service d’un parc de 215 automotrices et remorques construit en 1925, mais dont seulement les toitures, portes, coffres de jonction électrique, lanternes sont dans ce métal. Ce serait le réseau américain du Pennsylvania qui se risquera, le premier, à construire une série de huit voitures entièrement en aluminium y compris le châssis et les bogies, et le mouvement gagne rapidement les autres réseaux très actifs du nord des Etats-Unis comme le Chicago North-Western qui ont un important trafic de banlieue.

Oui, mais, avec l’aluminium, cela coûte trois fois plus cher.

Le problème, d’après la RGCF, est le prix de revient de ces voitures qui est trois fois celui des voitures en acier. Mais le gain de poids, les dépenses d’entretien (on ne parle pas encore de « maintenance »), l’absence de toute corrosion, la bonne tenue des peintures, voilà autant d’avantages qui permettent d’utiliser l’aluminium pour les wagons-citernes américains. En effet, les citernes en aluminium se passent définitivement de matériaux divers et très chers d’isolement et de garnissage intérieur (verre, étain, caoutchouc, etc.) que requièrent les citernes en acier, et c’est bien dans ce domaine-là que l’aluminium va se généraliser, un wagon à citerne en aluminium ne coûtant qu’un quart de plus qu’un wagon à citerne en acier.


1931 : la « Pauline » du Midi : une première approche de l’autorail en aluminium.

Devant leur surnom à celui de Jean-Raoul Paul, directeur du réseau du Midi à l’époque, et grand innovateur. le prototype de la série des autorails « Pauline » du réseau est livré en 1931, et il sera suivi d’une trentaine d’autorails de divers types construits pour les réseaux du Midi, du PO, de l’Etat, et de l’Est, tous ayant une caisse en aluminium, de type mono poutre, reposant sur deux brancards en duralumin, métal aussi utilisé pour les battants de pavillon des toitures et les toitures elles-mêmes. La particularité de ces caisses est de ne peser que 5 t environ pour une charge utile de 10 tonnes, soit une charge pesant deux fois plus que la caisse – une pratique résolument à l’inverse de ce qui se fait, habituellement, en matière de transports voyageurs.

Ces caisses ne manquent pas de poser des problèmes techniques de corrosion provenant de deux causes différentes : d’une part la présence de colle à base de caséine utilisée dans les panneaux de contre-plaqué garnissant les autorails intérieurement, et, d’autre part, la présence d’eau fortement salée provenant du transport de colis de marée dans les autorails. La deuxième cause, tout particulièrement, a pu aller jusqu’à la destruction complète de seuils de porte ou d’éléments de plancher, ceci après un parcours de seulement 900 km pour un des autorails concernés, par exemple. Ces risques de corrosion ne manqueront pas de poser un problème et de freiner le développement des autorails en aluminium, ceci d’autant plus que le réseau du PO a recours, pour sa part, à des mélanges d’eau et d’alcool en hiver à titre d’antigel, ce qui crée des corrosions dans les conduites de chauffage en duralumin qu’il faut rapidement remplacer par des conduites en cuivre.

Les « Pauline » du Midi laissent surtout le souvenir d’un engin dont le poids mort est seulement de 133 kg par voyageur, tandis que les « Micheline » sur pneus de Michelin atteignent 141 à 225 kg selon les séries et les types. Les autorails de construction lourde, comme les “VH” Renault, font appel aux métaux légers dans une moindre mesure et atteignent un poids mort de 440 à 667 kg. Les « Pauline » épargnent donc les voies, et ont d’excellentes accélérations, mais les performances sont toutefois obérées par l’emploi de moteurs diesel (les premiers montés sur des autorails en France) trop faibles et n’autorisant que des vitesses de l’ordre de 80 km/h.

Notons que plusieurs compagnies françaises de l’époque s’intéresseront aux “Pauline” dites “type 2” ou encore surnommées “Charentaises”, ayant pour particularité d’avoir quatre essieux (mais non des bogies), et les utiliseront, pour un temps, sur des lignes secondaires. Nous reviendrons, dans un prochain article, sur ces “Charentaises” qu’il ne fallait pas confondre avec des pantoufles.

Sévérité dans le dessin et fonctionnalité dans l’aménagement : l’aspect rude et “carré” des “Paulines” du réseau du Midi surprend à l’époque.
La “Pauline” : certes, les sièges ne sont pas en aluminium, mais c’est dur, question confort, et c’est économique. La cause n’est pas entendue pour autant : l’aluminium restera encore une exception qui confirme la règle du tout acier.

1935 : le bilan de l’emploi des métaux légers sur les réseaux français.

En mars 1935, la très lobbyiste “Revue de l’aluminium” (aux magnifiques couvertures imprimées sur une feuille d’aluminium !) fait le bilan de l’emploi des métaux légers sur les réseaux français. L’action a-t-elle été couronnée de succès ? Oui, dans la mesure où l’on peut avancer des chiffres et des faits techniques marquants, non, dans la mesure où, manifestement, l’utilisation de matériaux nouveaux reste très marginale dans le chemin de fer de l’époque.

La revue de l’aluminium donne les chiffres suivants : à partir du milieu des années 1920 le réseau du PO a remplacé les tôles d’acier des toitures de 196 voitures de banlieue et automotrices par du duralumin de 15/10e. Le Nord utilise les métaux légers pour les cloisons des voitures grandes lignes et express, et a recours à l’alpax pour les portières. Le réseau de l’Etat, grâce à une politique systématique d’allégement, remplace des rames de 8 voitures par des rames de 9 voitures à poids égal, donc en conservant les mêmes locomotives : le gain est de 2.198 kg par voiture. En 1933 le même réseau de l’Etat met en service les premières voitures dites « à étage » (on dirait aujourd’hui à deux niveaux), transportant chacune 278 voyageurs, et gagnant plus de 12 tonnes de poids total par une construction faisant largement appel aux métaux légers, faute de quoi une construction en acier eut demandé des bogies à 3 essieux. Un total de 1685 voitures utilisant partiellement l’aluminium ou le duralumin circule en France en 1935, bénéficiant de gains allant de 59,5 à 64% sur les pièces ainsi réalisées dans ces métaux, et donnant des allégements totaux allant de 1 à 12 tonnes par voiture.

Mais ne nous illusionnons pas. D’après la RGCF  de décembre 1936, les réseaux français ont, en 1935, un parc de 3.237 voitures métalliques, 19.387 voitures non métalliques, 6404 voitures de banlieue, soit un total de 29.028 voitures : ces 1685 voitures Etat utilisant de l’aluminium ne représentent donc qu’un très faible pourcentage du parc national.

Les “voitures à étage” du réseau de l’Etat de 1933, ici en version SNCF dans les années 1950. Un intéressant exemple d’allégement partiel.

1936 : la rame articulée Nord, ancêtre du TGV Duplex ?

Nous avons déjà mentionné cette rame articulée Nord sur ce site-web, notamment dans un article sur le bogie d’intercaisse. Sans nul doute sur la proposition des fabricants français d’aluminium, très actifs à l’époque en matière de « propagande », le Nord se résout à aller plus loin en matière de légèreté, et a essayer une rame articulée construite intégralement et à l’origine en aluminium (donc non “allégée”), et dont deux caractéristiques essentielles se retrouvent sur le TGV Duplex d’aujourd’hui : le recours à l’aluminium et le bogie d’intercaisse. Il s’agit, ici, d’une innovation-vitrine, dirions-nous, faite sous l’incitation d’un « lobby », et n’émanant nullement de la demande du terrain.

Comportant trois caisses, la rame en tôle d’aluminium soudée repose sur une « poutre » centrale formant châssis. L’épaisseur des tôles est de 3,2 mm, et les éléments de raidissement sont en tôle de 6 mm. Dotée d’attelages automatiques Willison, de soufflets Pullman, de la commande pneumatique de fermeture des portes, la rame ne pèse que 75 t, dont 17 t de métaux légers, et accueille 274 voyageurs assis. Le poids mort par voyageur est de 275 kg, contre 440 kg pour les voitures classiques contemporaines, ce qui veut dire qu’il faudrait  120 t de matériel roulant (au lieu de 75 t) pour transporter le même nombre de voyageurs. Le gain de poids est presque de la moitié. Les essais à 140 km ont été satisfaisants et en mars 1936 la rame est en service courant. Toutefois le réseau restera fidèle aux voitures classiques en acier, le coût de fabrication restant le principal handicap de ce type de matériel.

Le chaudron en aluminium des voitures de banlieue Nord à bogies d’intercaisse. Nous sommes en 1936.

L’Etat nationalise la cause du “saucisson”.

C’est d’ailleurs ce dernier point, celui de l’allègement qui fait faire des économies en frais de traction et procure des accélérations intéressantes, qui conduira le réseau de l’Etat à mettre en service de nouvelles et fort remarquables voitures dites “allégées” (surnommées “saucissons”) qui marqueront, d’une manière durable, les trains grandes lignes de ce réseau et de la région ouest de la SNCF qui lui fait suite.

Construites en acier, elles réduisent leur poids d’une dizaine de tonnes par rapport aux voitures classiques de l’époque, pesant seulement 35,5 ou 39 t selon les types, ceci grâce à l’absence de châssis et à une construction tubulaire utilisant le principe de la caisse en forme de poutre. Le contournement de l’utilisation de l’aluminium est ainsi réalisé en faisant appel à une modification de structure au lieu d’une modification du matériau.

Les fameuses “allégées” Etat, sans doute les plus belles voitures de l’époque. Les trains-jouets en feront grand cas, mais après la Seconde Guerre mondiale.
Train-jouet Hornby “Etoile du Nord” mais avec des voitures allégées Etat, en 1954.
En 1948, JEP fait de la voiture “allégée Etat” le point fort de ses nouveaux trains en écartement “00” (qui deviendront des trains en “HO” plus tardivement) en les appelant toutefois “Voiture Pullman”. La présence d’une voiture mixte-fourgon est un “plus” apprécié.

1949 : des wagons à marchandises à caisse en aluminium.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la concurrence routière repart de plus belle dès que l’essence et les pneus sont de retour. Le chemin de fer doit lutter et chercher la rentabilité jusque-là où elle existe encore, notamment dans le « créneau » du gain de poids. En 1949 la Société de Transports et de Manutentions Industrielles (STEMI) construit, pour son propre parc, une rame de 15 wagons très allégés à grande capacité, comprenant 3 trémies s’étendant sur toute la largeur de la caisse, et présentant à chaque extrémité un orifice de vidage obturé par une fermeture dite à guillotine avec joint en caoutchouc. Le vidage s’effectue à la cadence de 7 t à la minute, par insufflation d’air sous pression qui émulsionne l’alumine.

Au nombre de 44, ces wagons donnent satisfaction: ils transportent 60 t de houille et leur caisse, en alliage dit « duralinox » type A-G5, a des caractéristiques remarquables de résistance, de légèreté et d’insensibilité totale à la rouille. La société Péchiney commande donc, pour son propre usage qu’est le transport de l’alumine entre ses usines de Salindres et de Sabart, un parc de 15 wagons semblables, et répondant au cahier des charges suivant: volume de 71 m3, charge utile de 67 t, mais, surtout, une tare à vide de 14,7 t, soit un rapport exceptionnel de 4,9. L’étude est faite par la STEMI en liaison avec les services techniques de Péchiney, et les dessins sont soumis pour approbation à la SNCF.

Wagon STEMI des années 1950.

La construction a recours à cet alliage dit “duralinox” de la Compagnie Générale du Duralumin, l’AG-5, y compris le châssis. Ce châssis est constitué de 2 longerons extérieurs en forme de C aux dimensions de 250 x 100 mm assemblés, à leur extrémités, à des traverses de tête dans le même matériau et dimensions. Ces traverses de tête portent les organes de traction et de tamponnement. La caisse est entièrement dans le même matériau, elle aussi, mais sous la forme de tôles de 3 à 5 mm d’épaisseur. Les rivets sont dans le même alliage, ou, pour le châssis, en acier. Les traverses de tête sont assemblées aux profils longitudinaux par des pièces moulées en alliage léger, l’A-U5GT, qui a une charge de rupture comprise entre 30 et 34 kg/mm2, et un allongement compris entre 20 et 22%. Cet alliage est aussi utilisé dans les traverses de pivot de bogie. Le wagon est livré sans peinture aucune et reste, pendant son service, dans cet état, ne risquant aucune corrosion.

Wagon à trémie Pechiney en aluminium non peint, années 1960.

En revanche les bogies sont en acier soudé. L’un des deux est freiné par 8 sabots, l’autre ne l’est pas. Les roues sont en acier moulé, mais les boîtes sont en alliage A-U5GT. Notons que, à l’époque, la SNCF fait des essais de roues comportant des centres en alliage léger : nous n’avons pas eu connaissance des résultats des essais.

La rame circule en composition invariable entre Salindes et Tarascon-sur-Ariège, soit 455 km. Chaque wagon est chargé à 57 t (au lieu de 65 t) pour ne pas dépasser la limite de 18 t imposée sur ce parcours. Le tonnage utile du train est de 798 t, mais ne serait que de 640 t avec des wagons classiques. Le nombre des trains est réduit de 20%. Les wagons assurent, à leur mise en service, 96 rotations par année, assurant un transport de 80.000 t.

L’aluminium renoue avec un chemin de fer devenu complètement autre aujourd’hui.

L’histoire du chemin de fer montre l’existence d’un système technique qui connaît un âge d’or, celui d’un monopole absolu sur les transports terrestres, entre sa création en 1830 et la Première Guerre mondiale. Les ingénieurs des compagnies de chemins de fer, issus des grandes écoles, ont une pratique professionnelle fondée sur la pérennité d’un certain nombre de valeurs éprouvées qui conduisent, avec l’enseignement de l’expérience, à ces choix technologiques constants et reconnus comme sûrs. Responsables de ces choix, les ingénieurs sentent peser sur leurs épaules toutes les contraintes d’un système lourd qui veut, avant tout, un fonctionnement régulier, une certitude de résultats, une continuité dans un service de type public. Le matériel roulant est fait dans des règles de l’art, mais d’un art qui évolue lentement et prudemment à l’intérieur d’une pensée technique relativement fermée sur elle-même.

La fin de cet âge d’or jette le chemin de fer, au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans une situation de concurrence très âpre avec la menace précise d’un rapide déclin, voire d’une disparition du chemin de fer. Il faut réagir, innover, chercher partout le rendement dans les dernières « niches » où il a pu se cacher. L’automobile et l’aviation, désormais victorieuses et enlevant au chemin de fer sa clientèle voyageurs et la meilleure partie de son transport de marchandises, vont fournir au chemin de fer des techniques nouvelles pour l’époque, et, avec l’aluminium, un matériau nouveau issu directement de l’aviation. L’adoption de techniques nouvelles, la création de véhicules nouveaux comme les autorails, l’adoption de matériaux nouveaux se font dans un climat de lutte pour la survie, de contraintes, et cette « innovation de rupture » ne peut se faire avec enthousiasme et optimisme. Le premier problème technique posé conduit assez rapidement à une mise à l’écart de la solution innovante, et l’on revient aux bonnes vieilles solutions connues. C’est une situation défensive.

Aujourd’hui, la situation est toute autre. Le TGV a crée un autre chemin de fer et une nouvelle donne en matière de transport. La situation est offensive. L’adoption des techniques nouvelles comme l’électronique, de matériaux nouveaux comme l’aluminium se fait dans un contexte totalement différent : il s’agit d’affiner une arme déjà redoutable et qui a gagné, et de gagner encore plus en face d’une concurrence routière et aérienne à la suprématie vacillante pour de nombreuses raisons inexistantes il y a une décennie ou deux à peine (environnement, saturation, etc.).

Bien sûr le contexte scientifique a permis de mieux maîtriser les données, de mieux explorer les possibilités, de limiter les risques liés aux inconnues : l’aluminium fait donc, depuis les années 1990, sa deuxième rentrée dans le monde du chemin de fer avec des perspectives totalement différentes que celles des années d’entre les deux guerres notamment dans le transport suburbain et les trains à grande vitesse par la prise en compte de plus en plus prioritaire des coûts d’exploitation et de la nécessité d’accroitre la capacité d’accélération.

Aujourd’hui, l’aluminium s’est imposé dans la conception des rames des métros. La RATP était réticente à l’aluminium par suite du très ancien traumatisme de la catastrophe de 1904 avec 84 victimes dans l’incendie d’une rame à la station Couronnes. Mais, très longtemps après, elle se convertira prudemment à l’aluminium d’abord sur le confidentiel matériel MF-88 dont les 8 rames circulent sur la ligne 7bis depuis 1994, et surtout elle adoptera définitivement l’aluminium sur les nombreuses rames sur pneus type MP-89 qui circulent sur les lignes 1 et 14 depuis 1997. Des tramways à caisse en aluminium circulent dans de nombreux pays, mais on en parle très peu car les feux de la rampe sont braqués sur la grande vitesse ferroviaire et peu sur les transports urbains et périurbains.

Rame à caisse en aluminium type MP-89 de la RATP.

Pour conclure : la distribution des prix de l’allègement et la liste des bons élèves.

Matériel moteur.

France. Est. 1925. Bielles de locomotives à vapeur. Gain par pièce : 40%.

Algérie. PLM Algérien. 1934. Caisse de locomotive diesel en duralumin. Gain par locomotive: 4700 kg.

France. PO. 1933. Locomotive électrique 2D2. Persiennes, toiture, portes en duralumin. Gain par locomotive : 832 kg.

USA. Illinois RR. Automotrice électrique. Gain par automotrice : 5,5 tonnes sur 42,5 tonnes

Voitures.

France. Nord. 1925. Toitures, pièces équipant les compartiments, portières. Gain par voiture : 2,939 tonnes.

Europe. CIWL. 1928. Voitures-lits LX. Cloisons intérieures, équipements. Gain par voiture : poids réduit de 57 à 48,2 tonnes.

Europe. CIWL. 1930. Voitures-salons Pullman. Toitures. Gain par pièce : 70%.

USA. Pennsylvania RR. Gain par voiture : 5,9 tonnes sur 56,5 tonnes.

France. Nord. 1931. Voitures de banlieue dites “Talbot”. Toitures. Gain par pièce : 50%

France. Etat. 1933. Voitures de banlieue : toitures, barres d’appui, châssis de glaces, encadrements de fenêtres en duralumin. Gain par voiture : 2198 kg.

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