On ne le sait que trop : l’« Orient-Express », le « vrai », celui de 1883 à 2009, n’était pas un express et n’allait pas en Orient ! Il terminait sa longue course à la pointe extrême de l’Europe, dans la gare bien européenne de Sirkeci à Istanbul, et n’allait pas plus loin. Il n’y avait aucun tunnel ferroviaire pour traverser le détroit et atteindre l’Asie, juste en face. Le voyageur désireux de continuer son voyage et d’atteindre l’Orient devait prendre ses valises et traverser le Bosphore sur un bac et aller prendre le « Taurus-Express » dont les deux voitures-lits (et la voiture-restaurant jusqu’à Alep) attendent en gare de Haydarpasa. De là, il pouvait gagner tout le Moyen Orient par le mystérieux Bagdadbahn et même l’Égypte, s’il avait du temps et la foi.


Le « Bagdadbahn » : le rêve passe.
C’est la grande aventure allemande, mais qui se perd dans les sables, à l’instar de bien d’autres grands rêves de beaucoup de pays européens en quête d’empires coloniaux ou de zones d’influence, y compris, plus récemment encore et plus cruellement, pour les États-Unis… Ce fascinant « Bagdadbahn », aujourd’hui encore, fait rêver par la simple magie de son nom, et évoque une antique Mésopotamie, berceau de toutes les civilisations, subitement envahie par la nôtre, l’industrielle. Mais : qu’allions-nous, les Occidentaux, faire là-bas ?
L’idée de relier l’Europe au Golfe Persique par voie ferrée est ancienne, et les Anglais voulaient déjà atteindre leur protectorat du Koweït de cette manière, tandis que les Russes visaient déjà et comme toujours) une percée sur le Golfe. Mais, pour une fois, dans ce « poker » colonial, ce sont les Allemands qui vont rafler la mise, en fin de compte, ce qui est plutôt exceptionnel pour eux et ne se reproduira pas de sitôt… Ils n’envisagent, avec le projet Pressel, qu’un sage prolongement jusqu’au Koweït de la ligne Scutari-Izmit, qu’ils ont construite en 1888 et qui est déjà en exploitation. Ce sera le « Berlin-Bagdadbahn ».
Il faut dire que l’Allemagne est très présente en ce temps-là dans la région. Les navires de la Hamburg-Amerika Linie montrent les couleurs nationales partout dans le Golfe Persique. La diplomatie allemande fait ce qu’elle peut pour contenir les velléités britanniques et russes, et installer au plus vite, en sa propre faveur, une zone d’influence.
Le Royaume-Uni craint que la construction de la ligne ne fasse péricliter ses routes maritimes par Suez et nuise à son monopole de fait dans l’Océan Indien, et les Britanniques savent astucieusement réveiller le nationalisme arabe pour entraver la domination turque et gêner les allemands et les russes.
Et les Français ? Certainement, il n’y a pas de lieu au monde où ils ne soient absents quand il est question de coloniser et, bien sûr, ils sont là, mais, pour une fois, plus discrètement que d’habitude : pas de drapeaux tricolores, pas de canonnière, pas de corps d’armée, ni de splendide ambassade, et toute l’action habituelle se passe sous la forme de capitaux discrètement investis et avec la volonté diplomatique de ne pas nuire aux « amis » anglais ou russes.

Le projet allemand en 1903.
Le terme de « Bagdadbahn » cache mal, par sa modestie et l’allusion à la seule ville de Bagdad, l’immensité de l’entreprise et pourrait faire croire à un pur chemin de fer en territoire irakien. Or cette ligne intéresse l’ensemble du Moyen-Orient et permet un accès direct entre l’Europe et le Golfe Persique. C’est bien un projet d’une ligne très longue devant rejoindre le Bosphore au Golfe Persique, en prolongement d’une ligne Constantinople – Konia déjà existante au départ de Haydarpasa sur la rive asiatique du Bosphore, et desservant Bagdad et Bassora au passage ou par embranchements.
En 1903, cette idée est entrée dans une phase pratique qui peut faire prévoir sa réalisation complète dans un délai plus ou moins éloigné, à la suite de la concession définitivement octroyée, par convention du 5 mars 1903, par le Gouvernement Ottoman à la « Société du chemin de fer Ottoman d’Anatolie », de la construction et de l’exploitation, pour une durée de 99 ans, d’une ligne reliant Konia à Adana, puis à Mossoul et Bagdad, puis Zobéir et se terminant à Bassorah, avec divers embranchements dont l’un de Zobéir à un point du golfe Persique qui reste à déterminer.
Le tracé prévu.
Konia étant le terminus d’une ligne en exploitation qui, par Eskichéhir, aboutit à Haidarpasa, sur la rive Asiatique du Bosphore en face de Constantinople, il ne s’agit donc pas d’aller à Bagdad, ce qui n’aurait d’intérêt que pour l’empire Ottoman, et principalement celui de mettre le Gouvernement en communication rapide avec des provinces dont la dépendance est plus ou moins nominale, mais bien de traverser en diagonale toute la Turquie d’Asie et de relier par rail la ville que l’on appelle à l’époque Constantinople, avec le golfe Persique, c’est-à-dire de fournir à l’Europe une nouvelle voie directe et rapide pour l’Extrême-Orient.
La ligne de Haidarpasa à Konia, dont la ligne de Bagdad est en réalité le prolongement, est exploitée par la Société d’Anatolie qui en est le concessionnaire, ce qui indique que cette Société se trouve dans une situation particulièrement favorable pour poursuivre et obtenir la nouvelle concession. Le tracé d’avant-projet est étudié par une mission spécialement envoyée sur place à cet effet, et qui est ensuite approuvé par le Gouvernement.
A partir de Konia le tracé projeté se dirige tout d’abord vers le sud pour traverser la plaine fertile de Karaman et se poursuit ensuite à l’est vers le Taurus, dont il atteint le pied après un parcours de 200 kilomètres environ. Celte première partie peut être considérée en 1903 comme en exécution. La ligne traverse alors le Taurus par un col situé à une altitude de1465 mètres et redescend sur Adana. Cette traversée de 130 km environ est, au point de vue du terrain, la plus difficile de la ligne.
A partir d’Adana, la ligne remonte dans une direction est-nord pour aller franchir I’Amanus par un col situé à 970 mètres d’altitude, et redescend au sud jusqu’à la plaine d’où elle se dirige à l’est, passant à 50 km au nord d’Alep (Cette ville importante sera jointe à la ligne principale au moyen d’un embranchement). Elle traverse l’Euphrate à 20 km environ au sud de Biredjick, parcourt à leur extrémité nord les plaines de Mésopotamie et aboutit à Mossoul sur le Tigre, dont elle suit la rive droite jusqu’à Bagdad.
Un peu avant Bagdad un embranchement de 120 km se détache pour aller desservir Hanikin, un grand marché sur la frontière Persane. Après Bagdad, le tracé s’infléchit vers l’ouest pour traverser l’ « entre fleuves » (Tigre-Euphrate) et franchir l’Euphrate. Il se développe alors sur la rive droite pour passer à Nedjef et arriver à Zobéir, qu’un embranchement de 20 kilomètres relie à Bassorah. Ensuite il se dirige directement vers le sud jusqu’à un point du golfe Persique : le projet actuel estime que c’est Kasima, mais ce point pourrait être placé soit à Koweït, soit à un autre port.

Le développement prévu de la ligne
Il présentera les longueurs suivantes :
De Konia au pied du Taurus : 200 km
Traversée du Taurus jusqu’à Adana :165 km
D’Adana à l’Euphrate en traversant l’Amanus :335 km
De l’Euphrate à Mossoul :565 km
De Mossoul à Bagdad :370 km
De Bagdad à Nedjef : 170 km
De Nedjef à Zobéir :375 km
De Zobéir à Kasima :110 km
Le total de la ligne, telle qu’elle est prévue, sera donc de 2290 km. Mais il s’y ajoute les embranchements d’Alep avec 50 km, d’Hanikin avec 110 km, et de Bassorah avec 20 km, portant le total à construire jusqu’à 2470 km. On voit donc que l’établissement d’une pareille ligne est une œuvre de grande importance et en raison de sa longueur et à cause des difficultés sérieuses que l’on rencontre.







Les points délicats à affronter.
Le passage du Taurus par une ligne internationale à voie normale est des plus difficiles, on y trouve des terrassements considérables, des ouvrages importants et de nombreux tunnels dont l’ensemble atteint environ 5.000 mètres. Le passage de l’Amanus, certes à un degré moindre que le précédent, présente des difficultés du même genre. La traversée de la Mésopotamie, facile au point de vue du terrain, présente les difficultés inhérentes à des contrées désertes n’offrant aucune ressource pour la vie des travailleurs du chantier, et de communication difficile. Le passage du Tigre à l’Euphrate au-dessous de Bagdad, dans un terrain qui subit les inondations des deux fleuves, coûtera très cher en raison de l’élévation des remblais pour se mettre à l’abri des eaux, en raison aussi du nombre et de l’importance des ouvrages nécessaires à leur écoulement, et des travaux de défenses importants contre les actions des eaux. Les deux grands ouvrages d’art sur l’Euphrate seront des plus importants et exigeront des dépenses considérables.
Aussi le devis dressé par la mission citée plus haut arrive-t-il à la dépense assez élevée de 269 000 francs d’époque par kilomètre, soit plusieurs fois la moyenne européenne, et qui a servi de hase à la convention du 5 mars 1903, par laquelle le Gouvernement garantit un intérêt de 4% soit 11 000 francs par kilomètre. Il garantit en outre une somme forfaitaire de 4 500 francs par an et par kilomètre exploité, pour frais d’exploitation.
La ligne entière doit être construite en huit années par section de 200 km au moins. Toutefois, chacun de ces tronçons ne sera attaqué que lorsque les affectations spéciales auront été déterminées d’accord avec le Gouvernement Ottoman pour la garantie de 11 000 francs, et qu’une convention sera également intervenue pour la garantie de la somme de 4 500 francs pour frais d’exploitation, et les retards qui résulteraient de l’entente sur les points ci-dessus seront ajoutés au délai d’exécution de huit années.

Conformément aux termes de la convention, la Société d’Anatolie a rétrocédé sa concession à une société spéciale constituée sous le nom de « Société Impériale Ottomane du Chemin de fer de Bagdad » laquelle assume l’exécution de la convention. Dès 1903 l’exécution de 200 km, entre Konia et le pied du Taurus, partie très facile, est définitivement décidée, et on procède à l’établissement du projet d’exécution à soumettre à l’approbation du Gouvernement. Les choses en sont là en 1903, et n’ont guère avancé à la veille de la Première Guerre mondiale devant l’ampleur des travaux et les difficultés que se sont ajoutées les unes aux autres d’une manière imprévisible. En outre les convictions et l’enthousiasme semblent manquer…

Une partie de poker risquée.
En effet, au prix moyen exorbitant de plus de 200 000 Frs par km, la ligne sera-t-elle rentable ? Elle fera certes gagner quatre jours, sur les quatorze par mer demandés entre Londres et Bombay pour ce qui est des voyageurs pressés, mais le trafic marchandises, lui, reste difficile à estimer devant les frais de transbordement dans les ports. On comprend, d’ailleurs – et c’est ce qui se passera – que les armateurs préfèrent les laisser à bord des navires pour continuer leur route, plutôt que d’affronter une double rupture de charge. Le trafic local reste incertain pour ne pas dire que l’on peut le prévoir comme nul, puisque traversant des régions peu habitées, peu agricoles ou industrialisées. Mais les richesses naturelles de l’Asie Mineure existent et ne demandent qu’à être exploitées comme le zinc, le cuivre, le manganèse, le plomb argentifère, le mercure, mais qui investira pour les exploiter ?
Toutefois, les Allemands sont optimistes et croient en l’avenir de l’Asie Mineure. Ils rachètent même la ligne déjà existante d’Adana à Mersin, donnant ainsi un débouché sur la Méditerranée sur la future ligne qui passera à Adana. Ils commencent les travaux et la ligne est en exploitation jusqu’à Raz-El-Rain, en Irak, quand la Première Guerre mondiale éclate, laissant ensuite le traité d’Angora céder l’exploitation à la France le 20 octobre 1920. Les Allemands doivent donc quitter la table de jeu, mais cela ne veut pas dire que les Français, qui poursuivent la partie, vont gagner quoi que ce soit…

L’opinion du consultant Olivier Cazier.
Olivier Cazier, en historien avisé et documenté, nous fait remarquer que, dès 1878, les choses sont plutôt mal engagées….
« Une convention (signée en juillet 1878 en plein milieu du congrès de Berlin, va imposer à la
pauvre Serbie de construire dans des délais impossibles (sous trois ans) les lignes
Belgrade-Nis, Nis-Belovo, et Nis-Mitrovica, alors que l’Autriche s’engageait à raccorder
Belgrade au réseau Autrichien. Une seconde convention impose les mêmes choses, toujours sous pression autrichienne en 1883 à l’empire Ottoman, à la Serbie et à la Bulgarie. Finalement, en 1888 le premier « express d’Orient » direct entre Paris et Constantinople va
arriver à sa destination en 67h 30 mn… On était encore loin de Bagdad et de Bassora…
Coté Asie, les projets vont se multiplier, sans réalisation, le premier projet de 1837 (Suedijeh-Alep-Bagdad) du colonel Chesney étant suivi de projets en 1852, 1868, 1872 et 1882.
Mais tous ces projets (plus quelques projets français analogues) relient des ports
méditerranéens à des ports de l’Océan Indien, et n’intéressent guère que les puissances
maritimes occidentales.
La Porte (ou « Sublime Porte », c’est-à-dire le siège du gouvernement de l’empire ottoman) serait, en ce qui la concerne, beaucoup plus intéressée par un réseau Asie /Istanbul qui renforcerait son influence sur les tribus Arabes, et elle a d’ailleurs publié un projet en ce sens le 1er aout 1875. Faute d’argent, ce projet, de même qu’un projet analogue de 1880, ne verra jamais le jour.
La situation va changer lorsque les banques allemandes vont s’intéresser au projet. Certes,
depuis les années 80, il y a un ingénieur autrichien (Von Pressel), ancien collaborateur de Von
Hirsch tombé amoureux de l’Orient, et qui rêve de créer un chemin de fer entre Vienne et
Bassorah, mais c’est un idéaliste, une survivance du XIXe siècle, et personne ne l’écoute…
et le projet n’avancera pas rapidement, malgré une option en 1893 et une convention pour les études en 1899.
La première décision à prendre est le tracé et ce n‘est pas si simple : les tracés sud déplaisent à la Porte, qui craint une attaque maritime, les tracés trop au Nord sont considérés, par les russes, comme des « cas de guerre », car ils permettraient aux Turcs de renforcer rapidement leurs troupes en cas de conflit avec la Russie. Restent les deux tracés centraux, celui par Konia-Adana-Biredjik-Mardin-Mossoul et Bagdad proposés parle colonel Hildebrandt et défendus par la compagnie Allemande des chemins de fer d’Anatolie, et celui défendu par l’ingénieur Von Pressel, passant par Boli, Amassia, Diarbekir et Mossoul.
Après le décès de Von Siemens en 1901, son successeur aura moins de poids, les pressions politiques et militaires vont s’accentuer…Et en 1903, le tracé d’Hildebrandt est adopté…
Mais ce qui était en jeu était bien plus qu’un choix technique. Le projet de Von Pressel visait
à désenclaver l’Anatolie et le Kurdistan, à faire rentrer l’empire ottoman dans l’économie
mondiale, avec une desserte de toutes les zones économiques, un choix de la voie étroite pour
une meilleure insertion en montagne, pour réduire le nombre de tunnels quitte à devoir, en deuxième phase, tout reconstruire.
Celui du Colonel Hildebrandt ressemblait davantage à une route romaine, un projet « militaire » pour amener le plus rapidement possible les légions du cœur de l’empire jusqu’aux extrémités, écraser les dissidences ou combattre un envahisseur, et conçu sans souci de pertinence économique, et en voie normale avec beaucoup de tunnels…
Mais pour atteindre Adana, distant à vol d’oiseau de 100 kilomètres seulement, il faudra
franchir le Taurus « impraticable aux corneilles et inaccessible aux chiens », comme disent
les pèlerins qui descendent de Constantinople à la Mecque. Et après le Taurus, il fallait aussi traverser les chaines de l’Antitaurus et de l’Amanus, presque aussi sauvages Et c’est comme cela que le drame va se nouer…
Cette ligne, qui aurait pu ressouder l’empire, le lier à l’économie mondiale, et faire reculer l’obscurantisme mettra des années et des années à être construite… Elle ne sera finie qu’à l’aube de la seconde guerre Mondiale, et le trafic Europe du nord-Mitteleuropa-Asie mineure-Mésopotamie ne se concrétisera jamais.
Mais Von Siemens meurt en 1901… les Français fuiront le projet, visiblement non rentable,
et avec les Anglais l’interpréteront, avec raison, comme un pas vers Suez et vers la
Guerre. Ce qui renforcera la paranoïa d’Abdul Hamid et du Kaiser… Le Kaiser, pour chasser les Anglais d’Orient, lâchera ses agents d’influence, soutiendra les premiers « fous de Dieu » qui prêcheront la guerre sainte contre les Anglais, les Français, les Arméniens, les Juifs, les Chrétiens d’Orient et même les Ottomans…La section d’Adana imposera une rupture de charge qui affaiblira considérablement la puissance des armées ottomanes, et entre frustrations turques et craintes de rébellions, l’on massacrera les populations arméniennes….qui fournissaient la plupart des ouvriers et des cadres du projet. À partir de ce moment, il n’y aura plus aucune chance de mettre en service la ligne avant la fin du conflit… Malgré l’héroïsme de leurs soldats, et la compétence de certains de leurs généraux, les armées ottomanes, mourant de faim et à court de munitions seront battues…et le traité de Sèvres entérinera la disparition de l’empire Ottoman ». Voilà ce qu’écrit Olivier Cazier.
Un réseau irakien incertain.
L’extension du réseau irakien, au lendemain de la Première Guerre mondiale, est difficile à préciser car un certain nombre de lignes militaires en voie métrique sont construites par les armées anglaises ou turques et servent uniquement pour les opérations militaires, et sont démontées dans les premières années 1920, notamment celle, construite par l’armée britannique qui remontait le Tigre de Kassorah à Amara et celles qui reliaient également ce fleuve de Bagdad à Kut-el-Amara et de, Ess Sinn à Sheikh Sand.
Quoiqu’il en soit, vers 1930 l’ensemble des lignes de l’Irak a une étendue de 1200 km environ, dont un peu plus de 800 sont en voie métrique. Bagdad a plusieurs gares. Seule la ligne de Bagdad à Shargat est établie à voie normale. Sa longueur est de 300 km et son trafic concerne les deux grands centres de pèlerinage musulmans de Kazimaïn et de Sarnarah, ainsi que le transit qui se dirige de Shargat vers Mossoul, situé à 100 km plus au nord,
Quant aux voies métriques elles justifient pleinement la présence de plusieurs gares à Bagdad. Ces lignes métriques comprennent essentiellement la ligne de Bagdad-Ouest à Bassorah sur le golfe Persique avec divers embranchements vers les villes du golfe, et aussi la ligne de Bagdad-Nord à Kirkuk avec les embranchements de Bagdad-Est à Diyala et de Caragan à Khanaqin vers la Perse. Cette dernière localité est en quelque sorte le dépôt naturel pour les marchandises allant de Bassora en Perse et vice-versa et sont expédiées directement avec transbordement par le ferry-boat à Bagdad. A Bagdad-Ouest se trouve la jonction du rail venant de Bassora avec celui qui relie Bagdad à Shargat dans la direction de Mossoul. D’autre part, la gare de Bagdad-Ouest communique avec celle de Bagdad-Nord, qui est de l’autre côté du Tigre, par un ferry-boat qui peut assurer quotidiennement le transfert de 71 véhicules dans chaque sens.
Le trajet jusqu’au Golfe Persique ne sera possible qu’à partir de 1940, et par une succession de lignes en écartement métrique ou normal ne donnant pas une artère cohérente et performante. Enfin reconstruite en voie normale, après la Seconde Guerre mondiale, la grande ligne desservant le golfe connaît un trafic considérable: le pétrole, bien sûr ! »
Enfin, le « Taurus-Express » : un train de trois voitures.
La montagne accouche d’une souris : un train à trois voitures. Ce train circule pour la première fois le 15 février 1930, mais les voyageurs doivent emprunter un autocar affrété par la CIWL pour parcourir la section entre Nusaybin et Kirkuk dont les voies n’existent pas encore. De là, le trajet s’effectue de nouveau en chemin de fer jusqu’à Bagdad. En 1939, le service fonctionne trois fois par semaine d’Istanbul à Bagdad, avec des correspondances vers Téhéran et Le Caire. Après l’achèvement de la voie vers Bagdad, le premier trajet sans transfert du « Taurus-Express » a pu être effectué depuis la gare de Haydarpaşa (située à Istanbul sur la rive asiatique du Bosphore) le 17 juillet 1940 avec une arrivée à Bagdad le 20 juillet 1940. Mais ce n’est que le début d’une aventure bien incertaine qui se prolongera difficilement pendant les années d’après guerre.
D’après Jean-Marc Dupuy, grand spécialiste de la CIWL et auteur de nombreux ouvrages sur les voitures à voyageurs, les horaires peu performants des trains des années 1920 et 1930 vers le Moyen-Orient découlent du refus des Chemins de fer turcs d’autoriser les circulations nocturnes sur leur réseau. Des stationnements de nuit étaient ainsi réalisés, notamment à Istanbul ou Haydarpasa, puis à Tripoli ou Haïfa. À la Conférence Européenne des Horaires (CEH) qui s’étant tenue à Vienne en octobre 1928, la CIWL avait demandé la suppression de cette contrainte. Avec la levée de cette interdiction, elle prétendait réduire la durée du voyage de près de trente-six heures entre Paris et Le Caire.
Toujours avec Jean-Marc Dupuy, nous apprenons que la CIWL était aussi intéressée par la perspective de prolonger ses services de voitures-lits en direction de l’Irak et du golfe persique. À compter du mois d’octobre 1929, la CIWL met en circulation une voiture-lits au départ d’Alep pour Nissibine et organise un service routier à destination de Mossoul et de Kirkuk. Une communication intercontinentale entre Londres, Paris et Istanbul, Bagdad et Bassorah était établie grâce au « Simplon-Orient-Express » et ses prolongements asiatiques. Les plans d’avenir de la CIWL laissaient même prévoir le lancement d’une antenne vers l’Iran et sa capitale Téhéran.
Ce schéma des dessertes pouvait encore être amélioré. De nouvelles négociations se déroulèrent dans le cadre des Conférences internationales se tenant à Istanbul en avril 1929, puis à Varsovie en octobre suivant. Le gouvernement turc avait enfin autorisé les circulations nocturnes sur son territoire.
À compter du 15 mai 1930, le « Simplon-Orient-Express » devint ainsi un des rares exemples de convoi intercontinental grâce au lancement du « Taurus-Express », train qui proposait ses services depuis la rive asiatique du Bosphore en correspondance sur l’Irak et la Syrie. Se composant d’une voiture-lits en teck ancienne et dépassée, du type R à destination de Rayak (près de Damas) et d’une seconde voiture sans doute identique pour Alep ou Nissibine à la frontière Turque et d’une voiture-restaurant jusqu’à Alep et au-delà est-ce le sandwich ? Non : un « fourgon-cuisine » CIWL prépare des repas légers servis à la place. Ce train offrait des correspondances routières pour Beyrouth, Haïfa et La Caire, ainsi que vers Bagdad via Mossoul. Des constructions de nouvelles liaisons ferroviaires permirent même de prolonger des voitures-lits en direction de Bagdad après le 1ᵉʳ juillet 1940 en générant un gain de vingt-quatre heures pour les voyageurs.
En raison des horaires de départ adoptés pour le « Taurus-Express » (voir l’horaire illustrant le début de cet article), la marche européenne du « Simplon-Orient-Express » a dû être remaniée ; il s’en suivait une avance de l’arrivée à Istanbul obtenue par des accélérations effectuées sur le réseau Yougoslave. Parcourant près de 7 000 km et n’ayant donc rien à envier à ses homologues soviétique ou américain, cette liaison transcontinentale traversait pas moins de seize réseaux européens, ainsi que cinq autres en Asie. Au 15 mai 1930, le train observait en Europe une marche ponctuée de très nombreux arrêts.
Notons, en ajoutant un commentaire à ce qu’écrit Jean-Marc Dupuy, que l’ensemble de ces services survivront difficilement dans les années 1950 à 1980, notamment du fait de la concurrence aérienne et de la situation explosive au Moyen-Orient, et que tout est suspendu en 2003, lors de la guerre en Irak. En 2012, les chemins de fer de l’État auraient renouvelé le service entre Eskişehir et Adana et qui atteindra à nouveau Istanbul lorsque les travaux à la voie seront terminés. Il y a une faible possibilité d’un prolongement jusqu’à Bagdad. Ce train fonctionnait encore jusqu’à Alep en 2006.







Le « Bagdadbahn » aujourd’hui, du moins le peu qu’il en reste…
Aujourd’hui, l’Irak sort d’une longue guerre, et le réseau irakien des IRR (l’Iraqi Republic Railways Establishment), qui existait du temps de Saddam Hussein et fonctionnait à peu près, est détruit. Il comprend environ 2.500 km en totalité, en très mauvais état ou abandonnés. Cependant, les lignes sont parfois parcourues par des trains dans des conditions très aléatoires et dangereuses : on peut espérer rouler de Bagdad à Basra et Umm Qasr, de Bagdad à Mosul et jusqu’à la Syrie, de Bagdad à Al Ramadj et à Al Qaim et à Akashat, et enfin de Kirkuk à Baïji et Haditha. Le réseau ne dispose aujourd’hui que de cent cinquante locomotives, autant de voitures, et de quelques milliers de wagons.
En 2003 des journalistes américains font état d’une reprise du service voyageurs entre Bagdad et Basra, organisé par la compagnie nationale iraquienne IRR. Le trajet demanderait entre dix et douze heures, le billet coûterait 1000 dinars – somme dérisoire, surtout comparée au trajet en bus coûtant 5000 dinars. Une locomotive diesel remorquerait quelques voitures aux vitres et aux sièges absents ou cassés. L’armée américaine serait en train d’aider à la reconstruction du réseau ferré.
En l’état actuel des choses, des trains de fret, notamment de wagons citernes pétroliers, roulent puisque l’on a signalé un accident mortel sur un passage à niveau le 24 décembre 2007. Par ailleurs, on parle bien de reconstruction du réseau avec une priorité pour la remise en service de la ligne de Bagdad à Umm Qasr, notamment jusqu’à l’importante bifurcation de Shuiaba Junction située près de la capitale. On envisage une reconstruction intégrale avec mise aux normes européennes. Plus de deux cents millions de dollars ont été programmés au titre du budget de 2004. Le 28 janvier 2006, la construction d’une ligne reliant l’Iran à l’Irak a été officiellement annoncée, entre Khorramchahr et Basra, par Shalamsheh, chaque pays prenant à sa charge ce qui se situe de part et d’autre de cette dernière ville. Depuis… c’est le silence.
Quand on allait jusqu’en Égypte par le train.
Revenons aux belles années 1930. Si la CIWL se soucie de relations pour l’Égypte dès les années 1900, elle se borne à des trains restant en Europe et reliant, par exemple, Berlin à Naples où l’on prenait le bateau pour l’Égypte : c’est l’« Egypt-Express » qui roule dès 1907 et qui, en somme, ne va pas plus en Égypte que le « New-York-Express » n’allait aux Etats-Unis !
Il ne restait, pour assurer une véritable liaison ferroviaire, qu’à prolonger l’« Orient-Express ». On pouvait, nous l’avons vu, une fois arrivé à Istanbul par ce train, traverser le Bosphore et continuer, en contournant la Méditerranée, jusqu’en Égypte. Enfin, presque, et en perdant peu de temps…
Dans les années 1930, rappelons-le, le « Taurus-Express » permettait de poursuivre le voyage en Asie Mineure, et une fois le réseau turc parcouru, on pouvait passer en Syrie, pour abandonner le rail à Rayan, au sud d’Alep, et prendre un transfert routier jusqu’à Maïka, en Palestine, au nord de Jérusalem. Là, on pouvait prendre un train jusqu’au Caire. Le « Louxor-Express » a été mis en service en 1921, et ne circule qu’en hiver, saison touristique par excellence pour le tourisme de luxe, à l’abri des chaleurs estivales. Ce train prend le joli nom de « Pullman Sunshine Express” en 1929. Enfin le très luxueux train « Star of Egypt » assure la relation Le Caire-Louxor-Assouan-Shellal à partir de 1929, lui aussi.
L’expansion du réseau Égyptien.
La première ligne égyptienne, projetée dès 1834, est ouverte en 1856 entre Alexandrie, Le Caire et Suez. L’ouverture du canal en 1869 met fin à l’exploitation de la ligne jusqu’à Suez, mais de nombreuses autres lignes sont construites pour la desserte de la partie fertile du pays, notamment le delta du Nil.
Le réseau, en voie normale, s’étend ensuite en direction du sud, atteignant Louxor en 1878, puis El Shellal à 800 km du Caire en 1926. Il est de haut niveau technique, et il est parcouru par des trains de haute qualité destinés à une élite de touristes, comprenant même des voitures de la CIWL, spécialement peintes en blanc et équipées d’une isolation renforcée contre la chaleur. Le réseau touche, pour des raisons militaires, la Libye et la Palestine pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les locomotives et le matériel remorqué sont initialement de construction anglaise. Une série de Pacific françaises est construite en 1955, une des dernières séries jamais construites dans l’histoire de la traction vapeur. Le réseau est entièrement diésélisé à partir de 1964. La banlieue du Caire est électrifiée sur une quarantaine de kilomètres en courant 1500 volts continu pendant les années 1980. Aujourd’hui, le réseau s’étend sur environ 4 500 km.




La gare de Haydarpasa à Istanbul : sa renaissance actuelle.
Comme dans les tragédies wagnériennes, les héros renaissent de leurs cendres au dernier acte. Le « Daily News » (presse turque) fait paraître un article le 16 février 2018. La teneur en est que, fermée en 2013 à tout trafic ferroviaire, la gare de Haydarpasa reverra des trains en 2019, après que l’on ait envisagé sa fermeture définitive et une reconversion en grand hôtel ou centre commercial. Ouverte en 1909, chef-d’œuvre de deux architectes allemands, la gare est le symbole de l’amitié entre le sultan ottoman Abdulhamid II et l’empereur allemand Guillaume II, et, surtout, du rêve allemand du fameux Bagdadbahn que les Allemands veulent construire. Elle a survécu à la chute de l’empire ottoman, la Première Guerre mondiale, la déportation des Arméniens, un incendie qui a brûlé les toitures en 2010. Elle a longtemps été la gare des services de la banlieue est d’Istanbul avec de nombreuses motrices électriques très modernes (construction française), et aussi de relations grandes lignes vers Kars ou Van en Turquie, mais aussi vers Téhéran, la Syrie, l’Irak, ainsi que du fameux train « Taurus Express » qui était l’éphémère prolongement, au-delà du Bosphore, du mythique « Orient-Express ». L’avenir de la gare sera d’être un terminus raccordé à la ligne à grande vitesse de 553 km reliant Ankara à Istanbul depuis 2014 et déjà traversant le Bosphore sur un immense viaduc.

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