Objets de peu d’engouement pour les amateurs de chemins de fer, les fourgons méritent bien quelque peu d’intérêt. Ils sont bien du matériel voyageurs, malgré un aspect et des techniques venus des wagons à marchandises. On pourrait penser que les fourgons servent uniquement pour le transport des bagages, mais leur présence, initialement, se justifie aussi par l’augmentation de la sécurité des voyageurs en cas de collision, et une règlementation draconienne exige leur présence dans les trains durant de longues décennies. La CIWL était inflexible à ce sujet, et tous ses grands trains avaient obligatoirement un fourgon de tête et un fourgon de queue – sage précaution quand on pense que l’incontournable Orient-Express faisait une grande partie de son trajet sur les incertaines voies uniques des Balkans.
Les premiers trains de voyageurs ne comportent pas de fourgon pour les premières années de l’existence du chemin de fer. L’habitude des voyages aidant, un plus grand nombre de voyageurs choisissent définitivement le chemin de fer à partir des années 1840, et, surtout, ils voyagent plus loin, plus longtemps. Les durées de trajet s’allongent avec l’extension du réseau ferré, et il faut donc bien transporter des bagages de plus en plus nombreux que les étroits compartiments des voitures d’alors ne peuvent plus accepter.
Vers 1860-1870, le fourgon fait désormais partie intégrante du moindre train de voyageurs : c’est un véhicule hybride, techniquement, car à la fois proche du couvert à marchandises, mais doté d’organes de roulement et de freinage de type voyageurs pour son intégration parfaite dans les trains de voyageurs, notamment en ce qui concerne la vitesse et le freinage. Mais s’il est là, c’est parce que l’on compte sur lui pour un tout autre rôle que le transport des bagages celui, très ingrat, de “véhicule tampon” au cas où….


Le fourgon garant d’une certaine sécurité.
Il faut dire que de très graves accidents de chemin de fer endeuillent, dès les débuts de l’aventure, ce grand progrès qu’est le train. Certes le nombre de morts sur les routes est, à l’époque, alarmant et atteignait déjà, dans la France de la Révolution par exemple, environ cinq mille morts pour une population estimée à dix-sept millions d’habitants. Ce chiffre est considérable vu le peu de gens qui voyagent.
Le chemin de fer, lui, affirme sa différence en se montrant d’emblée très sûr et il marque, à son apparition, une réelle avance de la sécurité dans les voyages. Cependant là où une diligence qui verse ou un cheval emballé ne fait que quelques victimes, un déraillement de chemin de fer, aussi rare soit-il, peut faire des dizaines et des dizaines de morts, ce qui frappe l’opinion. Les 55 victimes de la catastrophe de Meudon en 1840, parmi lesquels on déplore la mort du navigateur Dumont d’Urville, montrent, pour la première fois dans l’histoire, que le progrès technique met en œuvre des forces mécaniques que l’homme contrôle encore mal, mais, paradoxalement, démontre aussi l’efficacité des chemins de fer par le nombre de plus de 900 personnes présentes à bord d’un train.
Le type de catastrophe le plus dramatique et le plus craint des ingénieurs est le nez à nez. Cette catastrophe se produit sur les voies uniques, ou dans les gares, quand deux trains sont admis, par erreur, sur la même voie et circulent en sens contraire l’un vers l’autre. Si les locomotives résistent parfois au choc, les fragiles voitures à la caisse en bois se volatilisent, et même des collisions à faible vitesse font des dégâts immenses.
Les compagnies se voient obligées de placer systématiquement en tête des trains, derrière le tender, et aussi en queue des trains, un ou même deux fourgons pour servir de protection et, dirait-on aujourd’hui en matière de sécurité automobile, de « zone déformable » permettant d’encaisser et d’amortir le choc.
Les fourgons à caisse en bois.
L’histoire du fourgon, en France, demanderait un gros ouvrage pour elle seule, tellement elle est longue et complexe. L’ensemble des réseaux anciens en construisent une quantité incroyable et d’une grande diversité. A sa création, la SNCF hérite de plus de 6000 fourgons à deux essieux avec vigie de toiture. Ces nombreux fourgons portent soit le marquage “D” s’ils ont une vigie, soit le marquage “E” pour les fourgons sans vigie. Tous peuvent être incorporés aussi bien dans les trains de voyageurs que dans les trains de messageries. Ceci permet aux réseaux de faire face au volume très considérable du trafic bagages et colis, et à la réglementation imposant la présence d’un minimum de deux fourgons, un de tête et un de queue, dans la composition de tous les trains de voyageurs.
Ces innombrables séries de fourgons remontent, pour les plus anciens, aux années 1850, et sont construits avec des châssis en bois, ou des châssis mixtes à brancards en fer et traverses en bois. Les modèles les plus récents datent des années 1920, mais ont des châssis en métal, ce qui leur vaudra, pour certains, de recevoir une caisse métallisée après 1939, comme pour les fourgons à trois essieux du PLM, et les fourgons à deux essieux des réseaux de l’Etat et du Midi. A ces fourgons à deux essieux, s’ajoutent des fourgons à bogies, tous sur châssis métalliques, et pouvant rouler à 120 km/h. Leur nombre est de 726 exemplaires, sans compter 12 fourgons-chaudières pour le chauffage des trains.







L’union fait la force : les fourgons de l’OCEM.
Pour la conception de ses nouveaux fourgons, le réseau de l’Etat se joint à celui du Paris-Orléans pour en commander l’étude auprès de l’OCEM. L’Office Central des Etudes du Matériel est un organisme constitué en 1923 par l’ensemble des réseaux français sauf le Nord et l’Est, pour l’étude d’un matériel roulant commun. A l’époque chaque réseau possède ses propres bureaux d’études, ses propres ateliers constructeurs ou fournisseurs privés, et chacun travaille de son côté, à sa manière, tout en respectant malgré tout quelques normes de standardisation permettant la libre circulation ces voitures et wagons d’un réseau à l’autre. Mais la crise des années qui suivent la Première Guerre mondiale frappe les réseaux de chemin de fer plus que les autres moyens de transport. Comme les réseaux des autres pays industrialisés, les réseaux français doivent se regrouper pour faire des économies et entre autres actions construisent en commun un matériel roulant standard tiré à un plus grand nombre d’exemplaires. C’est le cas pour les voitures à voyageurs OCEM, qui marquent aussi un grand progrès en matière de sécurité, avec leur construction tout acier, et en matière de confort.
Les nouvelles voitures métalliques OCEM des années 1930 ont besoin d’un fourgon. Les ingénieurs de l’OCEM étudient un fourgon à deux essieux, ce qui est quelque peu surprenant quand on sait que ce genre de véhicule semble dater quelque peu, une fois intégré dans les rames de voitures à bogies des trains rapides. Mais les réseaux du Paris-Orléans et de l’Etat l’utiliseront, ainsi que les régions SNCF Ouest, Sud-ouest et Sud-est ultérieurement. Certains réseaux de l’époque, comme le Nord ou le Midi, étudieront, de leur côté, de superbes fourgons à bogies parfaitement cohérents avec leurs voitures pour trains rapides.
Mais I’OCEM, pour l’instant, propose un fourgon à deux essieux, assez rustique avec sa caisse bien carrée, mais capable néanmoins de rouler à 140 km/h. Il est construit par un certain nombre de firmes spécialisées dans la construction des voitures à voyageurs, comme Baudet-Donon, La Compagnie Française, Decauville, les Ateliers de St Denis, ou encore Westwagon en Allemagne.
Il existe en deux versions: l’une pour la compagnie du Paris-Orléans, reconnaissable, à l’époque, à sa grande vigie décentrée sur le toit, et l’autre, pour le réseau de l’État, doté, sur le toit, d’un simple système optique et à miroirs de surveillance du train dit périscope, sans doute parce que reposant sur le principe de ceux des sous-marins avec des miroirs et des systèmes optiques. Le compartiment pour le chef de train est disposé au centre du planché, désaxé sur le coté. La vigie ou le périscope le surmonte. Les habituelles niches à chiens complètent l’équipement du fourgon, conformément aux règlements de l’époque qui permettaient aux voyageurs d’un compartiment de se liguer pour obliger la dame à faire enfermer à clé son turbulent toutou dans l’une des niches du fourgon. Certains modèles du Paris-Orléans sont montés sur roulement à rouleaux SKF.
A la création de la SNCF, ou au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les fourgons sont mutés de la région ouest vers la région sud-ouest, tandis que la région sud-est en reçoit de la part des autres régions ouest et sud-ouest. Mais au lendemain de la guerre, les fourgons de la SNCF arrivent en vue de leur fin de carrière et en une vingtaine d’années ils disparaissent. En attendant, la SNCF procède à des simplifications sur ces véhicules qui commencent à dater, et elle fait démonter, en atelier, les vigies et les niches. Toutefois les ateliers installent un chauffage électrique sur les modèles de type Paris-Orléans restant sur la région Sud-ouest, puisque ces fourgons passeront la plus grande partie de leur temps sur des lignes électrifiées. Ces fourgons restent en service jusque durant les années 1970-1980, peu à peu chassés de leurs roulements par des fourgons plus modernes sur bogies et de capacité supérieure.


Caractéristiques techniques des fourgons OCEM
Type : fourgon à deux essieux
Date de construction : 1930-1931
Masse: 17,5 tonnes
Empattement : 8,2 mètres
Diamètre des roues : 1090 mm
Longueur du châssis : 12, 50 mètres
Longueur hors tampons : 13,63 mètres
Vitesse: 140 km/h
Réseau utilisateur | Constructeur | Numéros de série | Dates de construction |
Etat | Westwagon | D 27081 à 27180 | 1930 |
Etat | Baudet-Donon | D 27351 à 27500 | 1931 |
Paris-Orléans | Cie Française | Dq 25601 à 25700 | 1931 |
Paris-Orléans | Decauville | Dq 25701 à 25750 | 1931 |
Paris-Orléans | St-Denis | Dq 25751 à 25800 | 1931 |
Les apports des anciennes compagnies à la SNCF en 1938.
Le réseau de Est apporte à la SNCF un effectif de 737 fourgons à caisse en bois et principalement à deux essieux, avec des séries assez homogènes ayant une longueur moyenne de 10,300 à 10,800 m. Cependant 17 fourgons sont à trois essieux, et ont une longueur de 12,100 m. Certains fourgons ont eu, pour un temps, une intercirculation par soufflet. L’Alsace-Lorraine apporte 286 fourgons, dont 212 à 3 essieux. On trouve 50 fourgons à 3 essieux et 52 à 2 essieux ayant des longueurs de 13,800 et 14,600 m et possédant une intercirculation par passerelles, et 19 fourgons ont un local postal. Ce même réseau a construit, entre 1905 et 1913, puis entre 1922 et 1927, un total de 220 fourgons à bogies et intercirculation Dqd2yi d’une longueur de 17,47 mètres, un très intéressant modèle qui deviendra le type unifié de 1919, ce qui lui vaut d’être reproduit par le Paris-Orléans à 65 exemplaires, et à 30 exemplaires par le PLM. L’Alsace-Lorraine apporte pas moins de 142 fourgons à bogies, dont certains à intercirculation par soufflets, et 29 d’origine allemande.
Le Nord apporte 969 fourgons en 1938 dont 928 à deux essieux et 41 sont du type allemand, provenant des cessions de l’armistice de 1918. Les longueurs varient de 7,520 à 12,320 m et les plus longs ont une intercirculation, mais le nombre élevé de fourgons Nord à châssis en bois les fait écarter de la campagne de métallisation entreprise par la SNCF après la Seconde Guerre mondiale. Ce réseau a aussi fait construire 42 fourgons à châssis mixte ou tout métal , et 4 fourgons à châssis métallique à conteurs pour la Flèche d’or, d’une longueur de 17,64 mètres.
L’Etat cède environ 900 fourgons à deux essieux dont les plus anciens remontent à 1866, plus 19 fourgons allemands dont 16 sont à trois essieux. La série la plus intéressante est sur châssis en acier d’une longueur de 11,330 m avec une caisse à intercirculation. Ce réseau apporte aussi 43 fourgons à bogies à châssis acier de 20,9 ou de 17, 56 mètres, tous à intercirculation par soufflets.
Le PO-Midi apporte 249 unités d’origine Midi, et 711 fourgons d’origine Paris-Orléans dont 15 fourgons allemands à deux ou trois essieux, et 66 fourgons à bogies dont 6 d’origine Midi.
Enfin, le PLM apporte pas moins de 2390 fourgons, et se fait, dans ce domaine comme dans d’autres, le plus grand fournisseur de la SNCF. Dans le lot, on a 386 fourgons anciens à deux essieux, le reste étant à trois essieux. La série la plus remarquable comprend 1395 fourgons à passerelles et vigie semi-elliptique, construits de 1898 à 1925, longs de 1l,290m, ou 277 autres fourgons à grand empattement et avec intercirculation par soufflets, longs de 14,880 m, construits de 1910 à 1931. Ce réseau apporte 117 fourgons à bogies construits entre 1913 et 1914, puis entre 1925 et 1932, longs de 20,20 mètres et à vigie centrale.




La métallisation des fourgons : une grande œuvre de la SNCF.
La métallisation des voitures est une grande opération effectuée par les anciennes compagnies pendant les années 1930, et la SNCF envisage, peu après sa création, de prolonger cette œuvre par celle de ces innombrables fourgons à bagages dont elle pense avoir grand besoin. Plusieurs études sont menées en 1938, mais la guerre ne permet que la métallisation de deux prototypes PLM en 1939, et une première série de 40 fourgons Etat à deux essieux en 1941-1942. Les métallisations en grande série de fourgons ont pu commencer en 1951 et durent jusqu’en 1962, avec le traitement de 867 fourgons, dont 294 à deux essieux, 277 à trois essieux et 296 sur bogies, cette opération entraînant le démontage de leur vigie centrale.
La grande série des fourgons Est TP à bogies est traitée de 1951 à 1957 soit 181 fourgons dont 120 appartiennent à la région Est, 20 au Sud-Est, et 41 au Sud-Ouest. Le résultat est une reconstruction monobloc en tôles d’acier soudées, et raidies intérieurement par un dispositif d’anneaux et de longrines capables d’absorber les effets d’une collision de type nez à nez. Certains fourgons sont dotés d’un couloir latéral, d’une intercirculation par soufflets permettant la circulation des voyageurs sur toute la longueur du train si le fourgon est en position quelconque dans la composition. Mesurant 17,470 mètres, ces fourgons peuvent accepter jusqu’à 10 tonnes, ou 8 tonnes pour les unités à couloir latéral. Ils pèsent 30 tonnes pour le type le plus courant et de 31,5 à 32 tonnes pour le modèle à intercirculation.
Les fourgons Sud-Est, ex-PLM à bogies, sont traités à partir de 1950, avec un aspect rappelant les modèles Est, mais avec une caisse beaucoup plus longue et quatre portes de chargement par face au lieu de deux. Un nombre de 80 fourgons est traité, ainsi que deux exemplaires pour le parc de service, l’opération commençant en 1952 pour se terminer en 1955. La longueur est de 20,02 mètres pour un poids de 34 tonnes, la charge étant de 12 tonnes. La carrière de ces fourgons dure jusqu’en 1983 pour les tout derniers exemplaires.
Les fourgons Sud-Est ex-PLM à trois essieux commence sa métallisation par un premier prototype exécuté avant la guerre, et, en 1948, un nouveau prototype à trois essieux est réalisé; son aspect extérieur était identique à la longueur près au modèle à bogies, mais avec deux portes de chargement par face seulement. Les travaux de métallisation s’étendent des années 1952 à 1954 et portent sur 170 véhicules Dqd2i. Il s’agit ici des fourgons à trois essieux PLM du type long, pour trains express, à vigie centrale, non du type court, à vigie semi-elliptique placée en extrémité de toiture qui n’a pas été métallisé. La métallisation est étendue à des fourgons pour trains de messageries dépourvus de vigie, soit 107 véhicules, reconstruits entre 1959 et 1962, roulant à 140 km/h.
Les fourgons Sud-Ouest et Midi à deux essieux est faite entre 1953 et 1958 et concerne 201 exemplaires répartis entre le Sud-Ouest pour 190 d’entre eux et la Méditerranée pour les 11 autres. Longs de 13,70 mètres, ils pèsent 9,5 tonnes. En 1962, on transforme 15 exemplaires par le montage d’un freinage modérable au serrage et au desserrage â deux étages de puissance, leur autorisant une vitesse de 150 km/h dans les rapides Sud Express et Capitole.
En 1953, les ateliers SNCF de Saintes reprennent la métallisation des fourgons ex-Etat type 1924 dont une première tranche avait déjà été réalisée en 1941-42, et traite ainsi 93 fourgons d’une longueur de 11,342 mètres pour un poids de 15,5 tonnes, et aptes à 120 km/h. Les fourgons Ouest ex-État à bogies du type de 1909 sont métallisés tardivement en 1959, avec le concours de la société De Dietrich. Cette modernisation est réussie et des châssis de voitures ex-Etat sont utilisés pour une deuxième série de métallisations pour douze fourgons, en 1961, longs de 19,31 mètres et pesant 33 tonnes. Ce matériel circule sur les régions Nord et Sud-Est, principalement dans des relations internationales et dure jusqu’ en 1985.
Pour en savoir plus, nous recommandons la lecture de l’ouvrage de référence “Encyclopédie des voitures SNCF” de Jean-Marc Dupuy et Alain Rambaud, LVDR, 1990)

La SNCF construit ses propres fourgons.
La métallisation d’un aussi grand parc de fourgons anciens donne à la SNCF 3940 exemplaires en 1948, 2260 exemplaires en 1968 et 618 exemplaires en 1988 : c’est dire à la fois combien le parc est important, mais combien aussi les besoins diminuent très rapidement, avec la disparition des bagages pléthoriques. La SNCF n’aura qu’à construire 50 fourgons unifiés à deux essieux DEV U52 en 1952, et 180 fourgons à bogies Dd4U62 à 72 entre 1964 et 1974, aptes à rouler à 160 km/h.
Ensuite c’est le fourgon dit « Corail », plus exactement type Dd2s MC 76 (à couloir latéral) et Dd2 MC 76 (sans) qui clôt l’aventure des fourgons à la SNCF avec 80 et 160 exemplaires construits entre 1977 et 1980. D’abord vert et gris, puis parfaitement intégrés aux rames Corail par leur décoration extérieure grise deux tons, ces fourgons roulent à 160 km/h. Il est à noter que deux d’entre eux sont transformés en véhicules Dx pour le transport des chevaux de course…
Enfin, puisque ce sont bien des fourgons, la SNCF construit ses deux séries de porte-autos, les 150 exemplaires type DD DEV 66 en 1967-1968, et les 50 exemplaires type DD Standard en 1983.



La disparition progressive des fourgons pour trains de voyageurs.
Si les pauvres et le commun des mortels va à pied, au XIXe siècle, jusqu’à la gare pour prendre le train, avec pour seul bagage un baluchon soutenu par un bâton posé sur l’épaule, les habitudes de nos aïeux de condition aisée sont de s’encombrer d’une incroyable quantité de bagages quand ils voyagent et les dames, pour ne parler d’elles, trouvent normal de faire transporter plusieurs malles et une dizaine de cartons à chapeaux par une armée de porteurs relayant les domestiques !
Les compagnies de chemin de fer offrent donc tout un service de ramassage ou de livraison des bagages à domicile, tandis que les quais des gares voient des défilés de porteurs poussant des diables surchargés de valises dominant la foule de leur hauteur. Tout ceci finit dans les fourgons des trains.
Mais le fourgon a aussi des niches à chiens, peu appréciés de ces derniers, on s’en doute, dont les aboiements et les pleurs tiennent compagnie au chef de train pendant la journée et la nuit de voyage. Enfin le fourgon sert de bureau au chef de train et une guérite surélevée lui permet de surveiller le convoi et, éventuellement, de détecter les fumées indiquant une boîte d’essieu chaude ou une roue au frein bloqué.
Aujourd’hui les fourgons ont pratiquement disparu, parce que les voitures sont plus sûres en cas d’accident, et aussi parce que les services des bagages ont été très réduits, faute de rentabilité: on a appris à « voyager léger », selon l’expression consacrée par l’usage actuel.
Le cas curieux de la voiture mixte-fourgon.
Nous avons failli les oublier…. Sur les très nombreuses petites lignes qui, en France, desservent l’ensemble du territoire national à la fin du XIXe siècle, les trains, malheureusement, sont très courts: sur cet immense réseau national de lignes rurales et secondaires, aussi étendu presque que celui des grandes lignes avec plus de 30 000 km à son apogée, peu de gens circulent. Très vite, à partir des années 1910, l’automobile vide ces « tortillards » de ces voyageurs et souvent l’unique voiture à voyageurs du train doit assurer à la fois les fonctions de voiture et de fourgon, un compartiment fourgon occupant alors une partie de la caisse.
C’est la naissance de la voiture mixte-fourgon. Elle permet, pratiquement, de constituer un train entier à elle seule, et souvent les trains ruraux sont composés d’une seule voiture mixte-fourgon et de deux ou trois wagons à marchandises.
Pourtant les compagnies de chemin de fer construisent des voitures-fourgon pour les trains des grandes lignes au début de notre siècle. L’explication, ici, est tout autre. En effet le réseau est tellement dense à l’époque que beaucoup de trains de voyageurs sont formés de « tranches » de voitures directes, c’est-à-dire des sous-ensembles de une, deux ou trois voitures détachées du train dans une gare principale et continuant alors leur route sur une ligne d’embranchement.
La voiture-mixte fourgon grandes lignes est, dans ce cas, toute indiquée pour faire partie de la « tranche » dans la mesure où son compartiment fourgon est suffisant pour recevoir les bagages des voyageurs continuant leur voyage sur la ligne d’embranchement. Mais, surtout, cette solution évite le transbordement des bagages depuis le fourgon du train qui, lui, continue sa route sur la ligne principale.
Mais, avantage supplémentaire sinon essentiel, la voiture mixte-fourgon peut être intégrée n’importe où dans le train, car elle permet l’intercirculation des voyageurs par son couloir latéral et ses deux soufflets, ce que le fourgon classique refuse. C’est ainsi que la voiture mixte-fourgon peut être attelée aux voitures de sa « tranche », même si elle se trouve, de ce fait, dans le train même et non en extrémité. C’est pourquoi, aujourd’hui toujours si l’on songe aux voitures mixtes-fourgons Corail par exemple, la SNCF n’a pas abandonné cette formule qui est très souple.
Le fourgon « M » pour trains de marchandises : un « luxe » pourtant très utile.
Pourquoi des fourgons pour les trains de marchandises alors qu’il n’y a pas de bagages à transporter ? C’est sans doute la question que se pose l’homme de la rue, d’autant plus qu’il peut constater que, aujourd’hui, les trains de marchandises n’ont plus de fourgon et se contentent de feux de signalisation accrochés au dernier wagon. Mais jadis, il en était autrement: un personnel nombreux se trouvait à bord des trains, et même les trains de marchandises avaient leur chef de train. Celui-ci était dans ce fourgon et veillait à la bonne marche du convoi et remplissait une quantité de papiers incroyable sur une table vibrante l’unisson du wagon. A la demande des réseaux qui ont constitué l’OCEM, ce dernier étudie ce type de fourgon qui deviendra aussi, pour la SNCF, un élément très caractéristique des trains de marchandises des années 1950 et 1960.
Ils sont assez rudimentaires et à l’image de ce que le chemin de fer du XIXe siècle réserve non seulement aux marchandises, aux animaux, mais aussi aux cheminots des grades subalternes…Une rustique caisse en bois, grinçante et sonore, deux portes coulissantes laissant pénétrer à flots l’air glacé de la course hivernale du train, une guérite surélevée à laquelle on accède au terme d’une escalade acrobatique pour prendre place sur un siège rude, pas de chauffage, et un roulement dur généreux en crissements et en vibrations : bref ce n’est pas le confort et surtout pas du “caboose” américain ! Mais, justement, le confort n’est pas l’objet de la préoccupation des compagnies, pour ne pas dire qu’il est l’objet d’une certaine défiance quand il s’agit des agents : point trop n’en faut, car on craint l’endormissement des mécaniciens des locomotives ou du personnel d’accompagnement des trains dans les fourgons….



Les hommes, certes, sont rudes, heureux de travailler et de participer au grand progrès qu’est le chemin de fer, fiers de leur emploi et de leur uniforme, prêts à accepter ce qui aujourd’hui paraîtrait inacceptable : le froid, l’inconfort, le danger. Le chef de train est un homme de responsabilité et de devoir, et quand le train s’arrête inopinément en ligne, même par une nuit noire, froide, et hostile, il quitte son fourgon après s’être emparé des pétards réglementaires et court le long de la voie, perdant son haleine, faisant une course de plusieurs centaines de mètres en sens inverse de la marche du train pour aller poser ces pétards sur le rail pour « couvrir » son train. L’explosion de ces pétards sous les roues du train suivant en avertira le mécanicien qui serrera ses freins d’urgence. .
En 1930 l’OCEM conçoit une première série de fourgons métalliques pour trains de marchandises. La construction entièrement métallique est un facteur de sécurité pour le personnel. Le confort est en net progrès avec une disposition fonctionnelle de l’aménagement intérieur, des surfaces vitrées généreuses sur une grande guérite très large permettant une excellente observation du train, des plateformes vastes, des portes qui ferment effectivement, et surtout des toilettes, car les heures passées sont très longues dans ces trains qui roulent lentement nuit et jour.
Les entreprises Carel & Fouché, De Dietrich, entre autres, réalisent cette première série. Le poids est de 13 tonnes et la vitesse maximale acceptée est de 100 km/h. Seule survivance du passé: le poêle à charbon trônant au milieu du véhicule…. mais c’est la seule solution possible, car le chauffage à la vapeur, comme dans un train de voyageurs, exigerait une conduite spéciale, tout le long du train, pour ce seul véhicule en queue.
Le fourgon « M » et sa carrière.
Immatriculé sans la série « Mwf », le fourgon poursuit sa carrière sous la SNCF et l’ensemble des régions en est dotée. Peu à peu le fourgon évolue: il perd sa guérite, lors des révisions générales en atelier, dans la mesure où la généralisation du frein continu et l’amélioration de la sécurité sur les trains de marchandises sont désormais acquises. Il gagne, en compensation, une augmentation des surfaces vitrées.
Une nouvelle série du même modèle, dite « standard D », est construite au lendemain de la guerre et offre, outre l’absence de guérite bien sûr, des différences au niveau de l’aménagement et des surfaces vitrées de la caisse comme le montrent les deux schémas ci-contre.
La réforme de ces fourgons est intervenue durant la dernière décennie du XXe siècle, mais aujourd’hui encore on peut voir, avec un peu de chance et beaucoup de perspicacité, d’antiques fourgons « M » sur des voies de garage, en général intégrés au parc des véhicules de service.
L’utilité d’un fourgon, pour un train de marchandises, reste assez mystérieuse a priori. L’ensemble des trains européens, et surtout américains avec l’emblématique « caboose » qui terminait les trains de marchandises de la grand époque, ont eu des fourgons. Le chef de train qui y prend place trouve d’abord des moyens pour exercer une surveillance visuelle du train : un frein resté serré ou un « chauffage » de boîte d’essieu peuvent être une cause d’incendie. Un chargement mal arrimé sur un wagon plat peut être une grave cause d’accident par heurt d’un train croiseur en sens inverse ou par chute soit sur la voie, soit sur un quai de gare. Il suffit de penser à la valeur cumulée de tous les chargements d’un train de marchandise pour déjà comprendre que la surveillance en vaut la peine sur le plan financier et commercial.
Mais aussi, outre ce rôle de surveillance, le chef de train a une importante fonction administrative. En effet, dans la plupart des gares du trajet, s’il s’agit d’un train du Régime Ordinaire (dit encore « Petite Vitesse » avant le 1er Janvier 1946), il peut laisser des wagons à décharger et aussi en prendre, soit parce qu’il s’agit de retours à vide soit parce qu’il s’agit de wagons qui viennent d’être chargés. Il lui incombe de tenir à jour l’ensemble des documents concernant la composition du train, son tonnage, ainsi que les destinations et chargements des wagons. Ces documents sont remis, à l’arrivée, aux services administratifs des compagnies de chemin de fer, ou de la SNCF, selon l’époque.



Vous devez être connecté pour poster un commentaire.