Le pneumatique sur le rail : fortunes diverses et aventures variées.

Le roulement, si doux et si confortable, de la roue à pneumatique sur le rail en acier a toujours été une obsession pour les innovateurs du chemin de fer, y compris, aujourd’hui, pour les promoteurs de ces “trains du futur” qui, nous l’espérons, deviendront une réalité. Cette obsession a déjà plus d’un siècle, et, d’une manière aussi remarquable que répétée et persistante, elle n’a jamais été un succès généralisé, se bornant à un rôle de curiosité un peu spéciale et marginale. Bref, un “train pas comme les autres”… avec un réseau ferré national préférant nettement “les autres” !

Un magnifique bogie à cinq essieux et pneus vu dans les réserves de la Cité du Train-Patrimoine SNCF de Mulhouse, sans doute un bogie du train sur pneus de 1949. A noter, sur un écrou d’une roue, de l’avertisseur de crevaison – accessoire essentiel évitant qu’une des innombrables crevaisons ne tourne à la catastrophe.

Nées d’une auto et d’un avion : les Michelines

Très médiatisés à l’époque, les “Michelines” montrent qu’aucun progrès technique ne peut triompher sans la publicité qui va avec, et Michelin, en précurseur, applique avec bonheur cette maxime des temps modernes.

La firme Michelin fabrique les pneumatiques pour automobiles bien connus et toujours célèbres dans le monde entier aujourd’hui, mais, à la fin des années 1920, André Michelin pense conquérir un marché nouveau, celui des autorails, alors prometteur. C’est le pneu-rail. L’idée est bonne, mais le grand problème est qu’un pneu ne peut pas supporter autant qu’une roue ferroviaire classique, et il faut alors multiplier les roues pour diminuer la charge par pneu. Tout au plus, à l’époque, un pneu accepte 700 kg, ce qui donne 1.400 kg par essieu: les essieux ferroviaires classiques acceptent 20 tonnes !

Même longtemps après la Seconde Guerre mondiale, on utilise encore souvent le terme de “Micheline” pour les autorails, alors que seule la Micheline était sur pneus, l’autorail étant sur roues acier classiques, comme aujourd’hui toujours, d’ailleurs. Grace au fabricant de pneus Michelin, la Micheline est un très intéressant essai, entre les deux guerres, de rénovation complète du confort ferroviaire. Les Michelines furent les engins les plus marquants de cette belle époque innovante, et, du coup, le nom est resté, survivant à ces autorails sur pneus qui ont disparu, et restant parfois encore utilisé pour les autorails ordinaires actuels.

Roues d’une “Micheline” type 11. Le mentonnet (ou “boudin”) de guidage est en acier et fait partie du corps de roue, pas du pneumatique.
IL n’y eut pas que Michelin et son “Pneu-Rail”: d’autres fabricants se sont essayés, mais avec moins de succès, dans des systèmes analogues comme le “Pneu-Acier” qui intégrait le pneumatique à la roue et n’était pas en contact avec le rail. Le système est complexe, car, mécaniquement, le bandage (acier) ne fait pas partie de la roue (acier) et de l’essieu monté. IL y a donc un “essieu coudé” et un “essieu droit” indépendants.
D’autres systèmes, comme le Noble essayé en Amérique du Sud, dissociaient la roue à pneumatique, d’une part, et le mentonnet de guidage, d’autre part, assuré par une roue plate disposée obliquement et prenant appui sur la face intérieure du champignon du rail. Cette dissociation, nécessaire, fera le succès du système de la RATP avec des roues de guidage horizontales indépendantes des roues de roulement.

Conducteur de Micheline : on roule sur l’air.

Que l’on nous pardonne ce jeu de mots… Merci. “Rouler sur l’erre” est un vieux terme du chemin de fer qui traduit la facilité et la durée de roulement après coupure de l’énergie traction. Ce ne fut pas le cas avec “les Michelines qui collaient à la voie”.

Conducteur de Micheline ? Certainement un peu de gloire et de prestance, celle de la nouveauté, pour les conducteurs, et devant les jolies voyageuses en robe à fleurs des années 1930, mais beaucoup de soucis et d’incertitudes quant à l’heure de l’arrivée, du moins sur les premiers modèles sortis…

Une roue de “Micheline coloniale” en voie métrique. A noter la conception très automobile du guidage en mobilité verticale de l’essieu : c’est le ressort à lames qui en est chargé.
Essieu avant d’une “Micheline” : la conception de type automobile est manifeste.
Fin et fragile pneumatique utilisé pour le prototype “Micheline” type 5 en 1931.

L’école de Dijon, pour commencer.

Le réseau du PLM. (Paris, Lyon et Méditerranée) ouvre, vers 1935, une école de conducteurs d’autorails à Dijon et y affecte deux appareils Delaunay & Belleville retirés du service et servant à faire les premières armes des volontaires sur la petite ligne de la vallée de l’Ouche. Les conducteurs des autres réseaux sont, eux aussi, en stage dans cette école. Les conducteurs sont formés, pendant un stage de deux à trois semaines, pour la conduite de l’ensemble des autorails des réseaux, le fait de rouler sur pneus n’induisant aucune différence pour les Michelines au sein du monde des autorails dont elles font intégralement partie.

Mais, dans la pratique, les Michelines se distinguent des autorails par de nombreuses différences au niveaux de la conduite. On conduit assis, et bien assis, dans un fauteuil confortable. Le freinage, du fait de l’adhérence des pneumatiques qui est nettement supérieur à celle des roues en acier, est à la fois étonnamment efficace, puissant, souple. Les conducteurs sont stupéfaits des faibles distances d’arrêt et de la réponse immédiate du freinage, comme sur une automobile, et sans le risque de déraper et d’aller dans le fossé en cas de freinage trop énergique : guidée par la voie, la Micheline s’arrête droit et immédiatement.

Les accélérations sont franches, immédiates. Mais on sent bien que la Micheline « colle » à la voie et demande de la puissance, beaucoup de puissance, pour rouler. On sent aussi la légèreté de la Micheline, avec ses tôles fines, et l’on a peu envie d’aller tâter des tampons des locomotives de plus de cent tonnes qui forment, dans les gares, l’environnement immédiat et inquiétant de ces autorails sur pneus.

La crainte de la surcharge.

Dans les années 1930, avant le temps de la domination de l’automobile, les voyageurs se pressent dans les trains qui sont surchargés. Si les voitures à voyageurs tout acier des réseaux supportent sans état d’âme des voyageurs en surnombre, et dont le poids ne correspond qu’au dixième du poids à vide de la voiture, pour les Michelines, bien au contraire, le poids des voyageurs représente jusqu’à la moitié du poids à vide de l’appareil, et toute surcharge est préjudiciable pour la tenue de voie et pour ce que peuvent supporter les pneus.

Le conducteur est donc obligé de faire descendre les voyageurs en surnombre, chose vexante pour les voyageurs et qui met le conducteur ou le contrôleur dans une position délicate. Les jours de marché, sur les petites lignes, c’était souvent le drame et la colère, et il a fallu parfois faire appel à la gendarmerie, ce qui donnait une bonne heure de retard à la Micheline… La firme Michelin ajouta des lames de ressorts aux suspensions, mais ce ne fut pas suffisant, et les Michelines restèrent toujours incapables d’assumer cette donnée fondamentale de l’exploitation ferroviaire : l’acceptation des surcharges. Il est vrai que, avec le métro sur pneus, les pneumatiques auront, entre temps, fait les progrès nécessaires pour assumer cette situation.

Des pneus « coton » aux pneus « Metallic ».

Les premiers pneus, à base de coton, s’usent à une vitesse désespérante et les crevaisons sont légion, avec obligation de lire une notice de deux pages pour pouvoir placer le cric et de remplacer la roue crevée par une des deux roues de secours placées dans le local à bagages. La roue pèse plus de 100 kg et deux hommes suffisent à peine pour la manipuler. Il arriva qu’une roue, échappant aux mains du conducteur et du contrôleur d’une belle “Micheline” type 23, roula en bas d’un talus très haut et se coucha au fond du lit d’un ruisseau, et ce fut l’enfer pour la repêcher et remonter ! Le conducteur et le contrôleur eurent droit à un bain de pieds, à la grande joie des voyageurs.

L’apparition des pneus « Metallic » donne beaucoup plus de durée en service, et les pneus parcourent jusqu’à 60.000 ou même 70.000 km. Mais, comme les pneus « coton », les crevaisons existent toujours. Deux causes redoutables les provoquent.

La première est la présence de véritables copeaux d’acier ou des échardes sont dressés sur la surface de roulement des rails par les locomotives à vapeur qui patinent au démarrage ou en cours de route sur les lignes accidentées, et les cantonniers sont chargés de vérifier et d’éliminer, lime et burin en mains, ces agressifs pièges à pneus. 

La deuxième est la présence des lames d’aiguilles, parfois un peu trop fines et coupantes (mais elles doivent l’être pour bien guider les boudins des roues quand l’appareil de voie est en position déviée) et qui, au passage des pneus, peuvent faire une entaille dans le caoutchouc avec les conséquences de que l’on devine.  Il fallut que les services VB (Voie et Bâtiments) viennent rectifier et adoucir les lames des aiguilles sur les lignes empruntées par les Michelines.

Mais Michelin trouve une solution sous la forme d’une chambre à air dite « haricot » avec un anneau plein intérieur limitant l’affaissement du pneu en cas de crevaison et permettant de rouler à faible vitesse. Souvent les deux roues de secours étaient utilisées lors d’un seul trajet. La conduite des Michelines n’était donc pas une chose aisée, et certains conducteurs ont regretté la vapeur.

Ce qui a condamné la carrière du pneumatique sur rails : les “copeaux” et autres éclats saillants créés par le patinage persistant des roues des locomotives à vapeur au démarrage, dans les gares ou sur les rampes en pleine voie.
Le système Michelin avertisseur de crevaison et son brevet, datant de 1926. Documents Chris Punnet.

Les “Michelines” : belles jusqu’au moteur.

Les grandes Michelines de 96 places, type 23, produites à partir de 1936, sont très belles, très longues avec leurs 31 mètres d’une caisse posée sur deux bogies extrêmes et comportant un tracteur central indépendant relié à la caisse par deux barres de traction et de pousse. Mais le moteur, placé sur le tracteur, est un Panhard sans soupapes à chemises mobiles commandées par biellettes et excentriques : c’est le fameux moteur qui « fume bleu » des grandes et belles automobiles Panhard de luxe de l’époque. Mais ce moteur, s’il est silencieux, est complexe et fragile, il chauffe souvent sur les longues rampes, et il tombe en panne d’une manière subite par casse des biellettes des chemises mobiles. Un conducteur de Micheline 96 places se souvient d’une panne avec arrêt sur un passage à niveau et concert de klaxons prolongé de la part des automobilistes bloqués : tout le monde, voyageurs et automobilistes compris, dut pousser la Micheline pour dégager la route…

Vu à la Cité du Train où plusieurs générations de directeurs, fins connaisseurs du chemin de fer, n’ont pas oublié les détails révélateurs : ici, sur le quai d’une “Micheline”, on voit ce qui accompagnera le conducteur et sera placé dans le compartiment à bagages, à savoir des pneus de secours.

Il n’y a pas eu que les “Michelines” à oser pratiquer le pneumatique sur les rails : la SNCF, notamment pendant et après la Seconde Guerre mondiale, est obligée de recourir à quelques solutions de fortune et la RATP a réussi à trouver, pendant quelques décennies, un certain bonheur avec ses rames “MP” avant d’abandonner le pneumatique en ce qui concerne le nouveau matériel actuel.

Il arrive, parfois et aussi, que nécessité fasse loi… et que l’on soit obligé de mettre sur des rails, faute de mieux, des engins qui, faits pour la route, n’ont nullement été conçus dans ce but. Quand, pendant la Seconde Guerre mondiale ou au lendemain de celle-ci, la SNCF maintient, à grand peine, son réseau ferré en marche, elle manque de matériel roulant. Adapter des autobus à la voie ferrée est une solution qui, d’ailleurs, a souvent été tentée dans le passé par d’autres réseaux. Le résultat n’a jamais été enthousiasmant ! Ici, c’est même nettement moins qu’enthousiasmant, mais à qui pourrait-on en faire le reproche, à une époque où le dénuement est complet, et où, par la force des choses, règne ce que l’on appelle à l’époque « le système D » ?

Le système Talon.

Ce système est basé sur le fait que l’écartement des pneus arrière, mesuré par l’intérieur, d’un autobus de série à roues jumelées est égal à l’écartement d’une voie. L’ingénieur Talon propose de faire reposer l’autobus sur des “diplorries”  – ce terme, futur de “diplorry”, désignant des petits chariots servant pour les travaux sur les voies. Les roues avant sont placées et calées sur des plateaux maintenus à quelques centimètres du rail par des “diplorries” et ne touchent pas les rails, tandis que l’essieu arrière (et non ses roues) repose sur la traverse d’un autre diplorry par l’intermédiaire de deux boîtes en saillie qui viennent s’encastrer dans un logement ménagé dans cette traverse. Une vis de réglage permet de placer les pneus intérieurs de l’essieu arrière de l’autobus en contact avec les rails, de telle façon que le poids reporté sur le rail par l’intermédiaire de ces pneus soit compris entre 1,8 tonne et 2 tonnes. Le reste de la charge est reporté sur le diplorry.

Les pneus intérieurs des roues arrière roulent bien sur le rail, tandis que les pneus extérieurs tournent dans le vide, sauf aux passages à niveau où ils entrent en contact avec le sol. Le roulement du pneu sur le rail entraîne, du fait du meilleur roulement sur rail que sur route, un excédent de puissance qui permet de tirer une remorque d’autorail SNCF d’un type léger (Decauville) faisant passer la capacité totale de 50 à 150 places. La mise en place de l’autobus sur les “diplorries” se fait sur une rampe spéciale aménagée à chaque extrémité du parcours.

Le système a été expérimenté sur la ligne de Carcassonne à Quillan durant l’été 1943 avec quatre allers et retours quotidiens, et un trajet de deux heures et de 54 km, la capacité de transport étant meilleure qu’avec huit allers et retours par la route. Cette ligne avait été fermée au service voyageurs pour être confiée à la route et en 1943, les pouvoirs publics ayant demandé à la  SNCF de reprendre l’exploitation qui s’avérait trop coûteuse en carburants, lubrifiants et pneumatiques, celle-ci propose la formule Talon, pour éviter une reprise, également trop coûteuse, d’un service de trains. Les résultats obtenus furent jugés très satisfaisants, notamment avec un autocar alimenté par gazogène dans la grande tradition de cette époque de pénurie, mais, comme pour l’autocar Floirat avec exploitation d’autocars directement montés sur des roues de chemin de fer, le véhicule se révèle trop fragile et peu adapté à une exploitation sur voies ferrées.

Trois vues, pas très convaincantes d’ailleurs, du système Talon essayé entre Carcassone et Quillan au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Un train doux et silencieux, mais qui “colle” à la voie.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale la France redémarre son économie et, sur un réseau presque totalement détruit et reconstruit rapidement, elle met en service quelques trains rapides pour les hommes d’affaires : ce sont les « Trains Drapeaux ». Le réseau de l’Est n’a d’autre recours, comme locomotive de vitesse, que celui des 230 K et, pour cela, les transforme esthétiquement pour faire meilleure figure : un carénage et une peinture bleue rehaussée par des bandeaux en aluminium, ce qui vaut à ces locomotives le surnom de « baleine bleue » et de « baleine » tout court ensuite…

Mais une autre tâche ardue et ingrate attend les vaillantes 230-K en 1949 : la remorque d’un train très curieux, formé de voitures en acier inoxydable roulant sur des bogies à cinq essieux dotés de roues à pneumatiques. Le 4 novembre 1949 le premier voyage officiel de la rame sur pneus se fait avec la 230-K-249, dans une ambiance très euphorique de paix retrouvée, d’esprit de progrès technique, et de prospérité économique espérée. Ce train préfigure celui de l’avenir, rapide, et silencieux. Son acier inoxydable, rutilant de modernité affichée, fait grande impression.

Ces nouvelles rames sont au nombre de trois, et si elles ne pèsent que 130 tonnes. Malheureusement les pneumatiques sont là et demandent, en fait, un effort de traction pour cette rame correspondant à celui d’une rame ordinaire de 350 tonnes roulant sur des roues classiques en acier. Le confort et le silence de roulement du pneumatique se fait payer cher en frais de traction ! L’expérience des inconvénients des Michelines se renouvelle…

Toutefois les 230-K parviennent à gagner 34 mn sur le parcours Paris-Strasbourg qui demande un peu plus de 5 heures, ceci en assurant une vitesse moyenne de 107 km/h. Mais le train sur pneus ne donne guère satisfaction et un déraillement d’une rame survenu sur le viaduc de Nogent, avec, par miracle, aucune chute hors de ce long ouvrage d’art, jette rapidement le discrédit sur cette rame déjà peu aimée des tractionnaires. Les rames sont rapidement retirées du service – au grand soulagement des locomotives et de leurs équipes de conduite. Ces locomotives continuent à remorquer les trains rapides de l’Est jusque durant les années 1960, quand, subitement, l’électrification des grandes lignes et l’arrivée des locomotives diesel met fin à leur carrière.

Le “Train sur pneus” de la SNCF sur la ligne 1 du réseau de l’Est, vers 1949-1950.
Les voitures du “train sur pneus” SNCF sont si légères que l’on peut les déplacer à la force du bras, mais quant à l’effort de traction à déployer pour faire rouler un train entier à 120 km/h, c’est, pour les locomotives 230-K SNCF, une toute autre affaire.

Le pneu sur rail : incursion manquée en Suisse.

Il est peu connu, même des amateurs de chemins de fer les plus érudits, que les chemins de fer suisses se sont lancés dans l’aventure du train sur pneus en 1949, mais, là aussi, ce fut éphémère.

Si la firme Michelin, entre les deux guerres, propose ses célèbres autorails et automotrices sur pneus connus sous le nom de « Michelines », les ingénieurs de certains réseaux européens, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, restent intéressés par cette technique.

Deux voitures sont construites en 1949, l’une de 2ème classe, l’autre de 3ème classe. Elles sont inspirées des voitures SNCF engagées sur la relation Paris-Bâle en traction vapeur au lendemain de la guerre, mais elles comportent des différences: le remplacement des portes d’extrémité par de larges portes centrales, la suppression des marches d’accès escamotables, la pose d’organes d’attelage et de tamponnement classiques mais de type allégé, un éclairage électrique complètement autonome.

Les caisses des voitures subissent, en usine, des essais de compression dans la mesure où elles sont très allégées et ne pèsent que le tiers à peine du poids des voitures classiques sur roues en acier. La suspension pose des problèmes, car les voitures sont légères. Il faut combiner des ressorts en hélice, des barres de torsion et des amortisseurs dans le plus pur style automobile.

Les deux voitures sont incorporées, dans le courant de l’année 1951, dans les trains classiques du réseau des CFF. Faute de constituer une rame entière, ces deux voitures, intégrées dans des trains composés de voitures acier classiques trois fois plus lourdes et au comportement en service complètement différent, sont assez rapidement retirées du service.

Une voiture dite “allégée” du réseau suisse, vue vers 1949. Apparemment, il y eut des bogies à quatre ou à cinq essieux.

La voiture sur pneus prototype de la RATP.

Depuis les années 1930, des ingénieurs des chemins de fer et de l’industrie du pneumatique cherchent à adapter le pneumatique au roulement sur des rails. Mais ils se heurtent à un important problème technique, celui de l’incapacité du pneu à supporter, sur un étroit rail en acier, des charges de type ferroviaire. Les ingénieurs de la RATP trouvent la solution en supprimant les rails pour les remplacer par de larges bandes de roulement avec des guides latéraux verticaux sur lesquels prennent appui d’autres roues à pneus horizontales. C’est peu ferroviaire, mais cela marche.

Nous sommes en 1951. Il y a plus de vingt ans que le premier autorail sur pneus Michelin, ou « Micheline » a circulé à titre d’essai sur certaines lignes de la compagnie de l’Est, mais les «Michelines » n’ont pas survécu à la Seconde Guerre mondiale, et la SNCF ne reconduit pas cette technique assez délicate en matière de fiabilité. Et c’est également Michelin qui équipe, en 1949, les voitures sur pneumatiques que la SNCF met en service entre Paris et Strasbourg, formant une rame remorquée par une locomotive à vapeur type 230. Le confort et le silence de roulement sont remarquables, mais, par rapport à un train sur roues classiques en acier, l’effort de traction et la résistance aux roulements sont considérables et enlèvent tout intérêt à ces rames, sans compter leur inaptitude à « shunter » les circuits électriques de voie pour la signalisation, les pneus ne conduisant pas le courant. Dans ces deux cas, l’étroitesse de la bande de contact entre le pneumatique et le champignon du rail a obligé à adopter un nombre élevé d’essieux porteurs. Une telle solution n’est pas applicable sur les voies du Métropolitain, en raison du faible rayon des courbes. Mais la RATP s’intéresse au roulement sur pneus pour d’évidentes qualités de silence, de confort, et, surtout, d’adhérence permettant des accélérations puissantes, ce qui augmente le débit d’une ligne.

Les progrès du pneumatique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Dans une France qui se prépare un avenir « tout pétrole » et « tout camion », les pneumatiques pour poids-lourds font des progrès considérables. En 1950, apparaissent, toujours chez Michelin, des pneumatiques capables de supporter 4 tonnes tout en étant de dimensions très acceptables. Avec deux bogies de quatre roues, soit roues en tout, on peut envisager des véhicules de 32 tonnes, sans roues jumelées à la manière des camions, ce qui serait impossible sur le réseau du métro où les courbes sont très serrées, ce qui générerait trop de frottements. La RATP pense que, avec 32 tonnes de poids limite en charge, c’est jouable, et joue le jeu…

Le bogie étudié par Renault pour la RATP.

Imaginer une voie nouvelle.

Le chemin de roulement est formé par deux pistes situées de part et d’autre des rails (que l’on garde pour les trains de travaux, ou aussi comme appui en cas de crevaison), offrant une surface d’appui beaucoup plus large et constituées, pour les premiers essais, par des Iongrines en chêne. La voiture, très allégée à 19 tonnes au lieu de 40 tonnes du matériel normal et 30 tonnes pour le matériel allégé moderne, est portée par deux bogies de quatre roues comparables à ceux des semi-remorques des camions gros-porteurs, auxquelles sont adjointes des roues acier classiques pour la sécurité en cas de crevaison, de type purement chemin de fer, mais plus légères. Le guidage de chacun des bogies est assuré par quatre roues pilotes munies de pneumatiques normaux pouvant supporter une charge de I 500 kg. Ces roues pilotes sont « couchées » à l’horizontale à chaque angle du bogie. Elles assurent le guidage en prenant appui sur des bandes de roulement verticales encadrant la voie.

En voie normale, le roulement et le guidage sont exclusivement assurés par les pneumatiques. Sur les appareils de changement de voie, les rails latéraux de guidage laissent un vide du coté de la déviation, et le guidage est assuré par les boudins des roues de sécurité, tandis que les pneumatiques porteurs continuent à jouer leur rôle. Dans le cas où un pneumatique viendrait à se dégonfler, que ce soit un pneumatique porteur ou un pneumatique pilote, les roues de sécurité interviennent avec leurs boudins et leurs tables de roulement. Il faut préciser que le boudin est toujours au minimum à 36 mm au-dessous du plan de roulement, et donc la roue en acier descend sur son rail, et la voiture peut continuer son trajet jusqu’au terminus, où l’on procède à la réparation.

Ces rails en acier servent également de conducteurs électriques positifs. Dans la solution définitive, la piste de roulement est prévue en béton armé et les rails utilisés pour le roulement de secours seront remplacés par des cornières scellées dans cette piste. Les rails de guidage seront remplacés par des murettes en béton dans lesquelles seront fixés les fers en forme de « T » servant de conducteurs positif et négatif.


Une véritable voiture de course, puissante et surmotorisée.

Tous les essieux sont moteurs. Grâce au coefficient d’adhérence du pneumatique sur le bois, le béton ou l’acier, la voiture prototype peut réaliser à vide et en charge une accélération de 1,2 m/s2 et une décélération de 1,4 m/s2. En freinage d’urgence, la décélération peut atteindre 4 m/s2 comme pour la plupart des véhicules automobiles. Les bruits du roulement sont pratiquement supprimés, ainsi que les vibrations que le classique faisait entendre dans les immeubles voisins et sur les ouvrages d’art.

L’énergie consommée par le roulement est doublée du fait de la plus grande résistance au roulement des pneumatiques, mais celle qui correspond à l’énergie cinétique de lancement des véhicules après leur arrêt dans les stations est fortement diminuée par suite de l’allègement du matériel et de l’amélioration de l’accélération et du freinage. Tous comptes faits, il y une diminution nette de consommation de l’ordre de 30%.

La voiture prototype est munie d’un freinage rhéostatique combiné avec un freinage pneumatique. Il existe, en outre un système automatique dit « frein d’homme mort » qui a pour effet de couper tout courant de traction par action, en cas de défaillance du conducteur, sur le frein pneumatique direct. Enfin le prototype comprend un frein de secours normal du type courant avec triple valve et conduite générale, et deux freins d’immobilisation (un par bogie), dont un seul est capable, en toute sécurité, de maintenir immobilisée dans une déclivité de 40 mm par mètre la voiture chargée au maximum.

Les aménagements d’un prototype prometteur.

Les huit portes de la voiture sont des portes à deux vantaux et ont un dégagement utile de 1,30 m ; elles sont fermées et libérées comme il est de règle dans l’exploitation actuelle du réseau métropolitain. L’ouverture automatique est susceptible de se produire si les trois conditions suivantes sont simultanément remplies : l’arrêt complet de la voiture, l’ouverture autorisée par le Chef de train, la sollicitation du voyageur qui a manœuvré le loquet de porte ou entr’ouvert la porte avant l’arrêt,

L’automotrice est éclairée, en éclairage normal, par des tubes fluorescents alimentés par le courant continu 600V et, en éclairage de secours, par 16 lampes montées en série deux par deux et situées de part et d’autre de chacune des portes à deux vantaux. Un relais assure automatiquement l’allumage de l’éclairage de secours, en cas de défaillance de l’éclairage normal. La voiture est munie de huit haut-parleurs (un par porte) dont le rôle est d’assurer la diffusion des annonces. Les essais ont lieu sur une voie désaffectée, la « voie navette » entre la porte des Lilas et le pré St-Gervais, longue de 770 m., et ils sont concluants. La RATP fera sa révolution culturelle.

Caractéristiques techniques.

Date de construction : 1951

Moteurs : 4×90 ch.

Poids à vide : 19,5 t

Capacité en places assises : 24

Capacité en places debout : 130

Capacité totale : 154

Hauteur totale à vide : 3,514 m

Hauteur du plancher : 1,24 m

Largeur : 2,4 m

Longueur hors-tout : 15,4 m

Rame MP73 vue à Bel-Air, sur la ligne 6 vers la fin des années 1970. La descendance est assurée, mais, dans les années 2000, ce sera le grand retour du “matériel fer” dont les progrès en matière de douceur et de silence de roulement l’ont emporté.

1 réflexion sur « Le pneumatique sur le rail : fortunes diverses et aventures variées. »

  1. Bonsoir Mr Lamming.
    Merci beaucoup pour cet article.
    Il est très bien écrit, documenté et tellement instructif.
    Et il y a toujours ces traits d’humour dans les textes. C’est très agréable à lire.
    Cordialement.
    Nicolas Hubert

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