Le tramway électrique qui passait à Oradour-sur-Glane.

Sur les cruelles et angoissantes photographies représentant les ruines de ce village martyr, on voit toujours les rails et les poteaux des fils aériens, encore présents après la Seconde Guerre mondiale, et, sans, en aucune manière, vouloir banaliser ou minimiser les cruautés inqualifiables de l’occupant nazi, nous nous sommes souvent demandés ce qu’était ce tramway qui desservait ce petit village si calme, si paisible, et, jusque-là, vivant dans un bonheur caché. Mais, nous ne décrirons pas et ne commenterons pas ce qui s’est passé : la violence et la cruauté des idéologies, des systèmes d’endoctrinement et d’abrutissement, de destruction et d’alignement dont la raison sociale se termine toujours par “-isme” n’ont pas leur place ici, dans ce site dont l’auteur n’oublie pas qu’il a été professeur de philosophie puis formateur d’enseignants pour l’Éducation nationale et pour la SNCF.

Aucun document ne peut mieux illustrer le tramway d’Oradour-sur-Glane que cette aquarelle de Roland Moreau, sur la couverture de l’excellent ouvrage d’Henri Domengie, « Les petits trains de jadis-Sud Ouest» paru en 1986 aux Éditions du Cabri.

Oradour-sur-Glane, c’est dans le département de la Haute-Vienne.

Ce département est peu plus petit que son voisin, la Vienne, avec ses 5 520 km², mais la Haute-Vienne n’est nullement en retrait sur le plan ferroviaire puisqu’il compte, en 1933 (nous consultons l’annuaire Pouey déjà souvent cité dans ces articles), presque le même nombre de gares avec 124. La Haute-Vienne a donc une densité d’accès au réseau ferré très comparable à celui des autres départements de sa région avec un taux de 1,84 gare pour 100 km².

Carte tirée de l’ouvrage « Toutes les lignes et gares de France en cartes“, Éditions LR-Presse, 2019, écrit par votre serviteur. On y trouve, commentées, toutes les cartes ferroviaires des 90 départements français de 1933, d’après l’annuaire Pouey de l’époque.

La comparaison s’arrête là, car le département ne dépend que d’une compagnie, le PO, et le chef-lieu, Limoges, une ville bien placée au centre géographique, a une importante «étoile» (terme SNCF) qui rayonne sur la totalité du département.

La très connue et magnifique gare de Limoges, dont le bâtiment-voyageurs est le préféré des Français pour sa beauté, est au cœur d’une “étoile” à huit rayons avec la ligne de Paris à Toulouse (544 km, plus exactement des Aubrais à Montauban) ouverte par sections entre 1840 et 1893, la ligne de Limoges à Angoulême 117 km) ouverte par la Compagnie des Charentes en 1875 et devenue une ligne du PO en 1883, celle de Limoges à Poitiers (138 km) ouverte en 1867, de Montluçon à Saint-Sulpice-Laurière (122 km) ouverte en 1864, celle de Limoges au Dorat (55 km) ouverte en 1881 et qui dessert le centre du département. La ligne de Mignaloux (Vienne) à Bersac (67 km) est ouverte en 1867 et traverse le nord du département. La ligne du Palais à Meymac (Corrèze) par Eymoutiers (122 km) est ouverte en 1883. La ligne de Nexon à Brive-la-Gaillarde (81 km) est ouverte en 1875. La ligne de Nexon à Brive-la-Gaillarde (45 km) par Rochechouart et Saint-Yrieix est ouverte en 1880. La courte ligne du Dorat à Magnac-Laval (12 km) est ouverte en 1908.

On ne présente plus la gare de Limoges…
… mais on peut présenter la très jolie gare de St-Junien, en Haute-Vienne, par exemple, datant de 1875 et vue en 1933.
Le réseau du PO, en 1908.

Une rareté : un réseau d’intérêt local, mais électrifié, comme en Suisse.

Un remarquable réseau d’intérêt local, en voie métrique et à traction électrique monophasé 25 Hz 10.000 v, s’il vous plaît, est établi par la Compagnie des Chemins de fer Départementaux de la Haute-Vienne (CDHV) en deux ans seulement, 1911 et 1912, ce qui est sans doute un record de rapidité si l’on songe que le kilométrage total est de 330 km !

Toutefois, c’est la Compagnie des Tramways de Limoges qui initie et précède l’opération dès 1908 en créant une ligne jusqu’à Aixe.  En 1911, les Chemins de Fer Départementaux (CFD) prennent le relais et poursuivent le mouvement jusqu’à Saint-Mathieu puis à Rochechouart (56 km), ensuite créent la ligne de Limoges à Eymoutiers et Peyrat-le-Château (63 km). La ligne de Limoges à Saint-Junien (40 km) est construite avec son embranchement de La Tuilière à Bussière-Poitevine(43 km), en passant par Oradour-sur-Glane qui, en 1933, était un village encore paisible et heureux comme les autres.

Les réseaux secondaires en France, en 1939. En rouge : les quelques réseaux électrifiés, cette qualité technique ne les empêchant pas d’échapper au massacre ferroviaire qui, commencé dès 1934, n’épargnera pratiquement aucun de ces réseaux après la Libération, sauf les lignes électrifiées de Savoie, de Cerdagne, et en traction diesel de la Provence.

En passant par Arnac-la-Poste (sic).

La longue ligne de Limoges à Rançon et à Bussière-Poitevine (73 km) a un embranchement de Rançon à Saint-Sulpice-des-Feuilles (36 km) par Arnac-la-Poste (sic !). La ligne de Couseix à Razès (19 km) s’embranche sur cette ligne. Les habituelles incursions de voisinage sont faites par la Société des Tramways de la Dordogne jusqu’à Saint-Yrieix, d’une part, et Saint-Mathieu, d’autre part, mais sur seulement 6 et 2 km. L’ensemble de ce réseau métrique et électrifié disparait entre 1936 et 1949, aussi rapidement que s’il avait été à vapeur, démentant l’assertion souvent formulée que la traction électrique aurait retardé la disparition de ces réseaux avec référence à l’exemple suisse. La situation dans les deux pays n’est en rien comparable en termes de densité urbaine et de demande de transport.

Un horaire datant des années 1930. Oradour est desservie par six trains quotidiens dans chaque sens.

Aujourd’hui la grande ligne en voie double électrifiée Paris-Toulouse traverse toujours la Haute-Vienne, et trois lignes, dont deux à voie unique, relient Limoges à Angoulême, d’une part, et à Ussel, d’autre part, et une finit en voie unique entre Nexon et Saint-Yrieix. On peut aussi aller de Limoges à Poitiers en voie unique par Bellac et Montmorillon. Depuis Saint-Sulpice-Laurière la ligne atteint toujours Guéret et Montluçon. La situation ferroviaire en Haute-Vienne n’est pas désespérée, mais avec la disparition des « lignes à desserte fine du territoire », comme on dit aujourd’hui, il n’y a rien de bon à espérer.

Une carte-postale montrant la rue principale d’Oradour en 1910. La qualité n’est pas merveilleuse, mais on identifie bien le tramway et sa caisse en bois de teck vernie.
Ci-dessus : deux vues de la petite station du tramway et de sa modeste halle à marchandises à Oradour-sur-Glane, prises dans les années 1980 par Alain Stone, que nous remercions pour ce très intéressant ajout à cet article. La station, comme il était souvent d’usage pour ces petites lignes d’intérêt local, était implantée à la sortie du village, faute de place. D’après Luc Fournier, il se trouve que le village est classé Monument Historique et que, à ce titre, la caténaire du tramway a été réparée, car elle risquait de tomber sur les visiteurs… et pourtant, aucun tramway jamais ne reviendra.
Belle et angoissante photographie prise à Oradour aujourd’hui par Thierry Zoccolan, agence AFP. Nous ne ferons pas d’autre commentaire.

Nous tenons à ajouter à cet article que Daniel Vauvillier (rédacteur en chef de la revue « Histoire Ferroviaire » publiée par le Groupement d’Études d’Histoire Ferroviaire) montre, sur « LinkedIn », une très belle carte postale sur laquelle on voit, par le détail, une motrice du tramway, carte postale qui a certainement inspiré l’auteur de l’aquarelle, Roland Moreau, illustrant cet article. Daniel Vauvillier nous fait remarquer qu’à l’époque les pylônes étaient en pin. Le béton est arrivé plus tard. Il joint un commentaire sur l’exploitation de ce réseau tout à fait particulière pour l’époque et pour un tramway rural, dont il a publié une étude dans la revue « Voie Libre » (éditions LR-Presse) en 2008.

« La direction de l’exploitation «à l’américaine» est située au dépôt de l’Aurence et reste en contact permanent avec tout le personnel à l’aide d’un réseau téléphonique complet couvrant la totalité du vaste réseau. Les temps perdus en cas d’incident quelconque sont réduits au minimum. C’est le principe du dispatching des réseaux américains. Un agent, le circulateur, règle la marche du réseau qu’il connaît à fond. Il jouit d’une grande initiative pour prendre les décisions appropriées selon les incidents. Toute l’information remonte vers lui : retard d’un convoi, rupture de ligne électrique, emplacement d’un train en détresse. Il ordonne notamment les changements de lieu de croisement en cas de retard. Quatre lignes téléphoniques correspondent aux quatre lignes de traction.

À son poste, il dispose d’une sorte de « Tableau de contrôle optique» lumineux ou TCO. Des postes téléphoniques sont installés dans chaque gare en dérivation sur la ligne téléphonique principale. En cas d’incident, l’agent de conduite doit se porter au poste voisin et avertir l’exploitation. La marche des trains est suivie par le fait que l’équipe du train doit systématiquement appeler l’exploitation à partir de certains postes dits « de contrôle ». De son côté le circulateur peut appeler tout poste en émettant un signal conventionnel tiré de l’alphabet Morse.
En raison de la proximité de la ligne de force 10,000 volts et des feeders, les postes téléphoniques sont particulièrement isolés : double boîtage en bois sur isolateurs pour les microphones, tube caoutchouc de 1 mètre de long et pavillon en ébonite pour les récepteurs acoustiques, crochet commutateur et magnéto d’appel manœuvrés par de longues tiges d’ébonite. L’opérateur, enfin, monte sur un tabouret isolé pour utiliser l’appareil !!!
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