La “Chagall” : mystérieuse ligne fantôme de l’Etat.

Rien à voir avec Marc Chagall, le peintre du plafond de l’Opéra de Paris… et encore moins avec une ligne budgétaire fantôme des comptes publics. La ligne de chemin de fer de Paris à Chartres par Gallardon, souvent surnommée “Chagall”, fut construite par l’administration des chemins de fer de l’État au début du XXe siècle pour donner une « tête » parisienne à ce réseau qui ne touchait pas Paris.

Le BV de la gare de Villebon-État, photographié par Olivier Berger, est, peut-être à l’insu de son propriétaire qui en a fait une “coquette villa de banlieue”, sans doute un des tout derniers restes de cette ligne mystérieuse et oubliée. On retrouve le même type de bâtiment à Palaiseau, par exemple.

Les réseaux du Nord, de l’Est, du PLM, du PO avaient bien leur ligne de pénétration dans Paris et une belle gare terminus, mais pas celui du Midi, « enclavé » au sud de la Garonne, et surtout celui de l’État, « enclavé » en Vendée et ne dépassant pas, en direction de Paris, la modeste et rurale gare d’Auneau, une petite bourgade proche de Chartres qui n’en demandait pas tant.

La très modeste gare d’Auneau, humiliant terminus imposé au grand réseau de l’État à qui ses concurrents interdisent toute arrivée triomphale à Paris pendant des décennies.
Les réseaux français, d’après une carte de 1878. Le réseau de l’État, qui nous intéresse ici, est surligné par nos soins avec un trait rouge vif épais. Il possède des lignes dispersées en Vendée, d’autres autour de Chartres, et d’autres, comme encore de Chartres à Orléans jusqu’à Chalons. Rien de bien cohérent ni de rentable.
Sur cette carte de 1910, le réseau de l’État est toujours “enclavé” en Vendée, sans compter quelques lignes isolées dans le reste de la France (voir la carte ci-dessus). Pour atteindre Paris, il ne peut que glisser une longue ligne isolée et peu rentable entre les réseaux de l’Ouest et du PO qui lui coupe déjà l’accès au sud de la Bretagne. Mais, en 1909 (cette carte n’est pas à jour), le réseau de l’État a racheté celui de l’Ouest et prend possession de trois gares parisiennes : Saint-Lazare, les Invalides, et Montparnasse. En 1933, le réseau du PO échangera sa ligne bretonne avec le réseau de l’État, alors solidement implanté en Bretagne, et recevra quelques lignes État situées dans l’ouest de la France. Le personnel breton du PO aura le choix entre rester en poste sans changer de réseau, ou changer de réseau pour une gare PO.

L’État va donc construire donc « sa » ligne, mais avant même de la terminer, il jette le gant et abandonne ce chantier qui perd tout son sens dans la mesure où, en 1909, le rachat de la compagnie de l’Ouest au profit de celle de l’État permet enfin aux trains de l’État d’arriver jusqu’à Paris tout en roulant sur leur propre territoire.

“Abandonne ce chantier” dites-vous ? Pas totalement. Tout continue, mais lentement, soit par inertie administrative et effet de la vitesse acquise (un fréquent et efficace facteur de l’action administrative) soit par manque de compétence et de “connectivité à la réalité du terrain” (comme on se doit de le dire aujourd’hui). Les travaux se poursuivent plus ou moins, au ralenti, et continuent dans la durée, à défaut du durable, sur pas moins de vingt-quatre années au total.

Cette ligne, devenue 553 000 du réseau national, ne voit circuler des trains que de 1931 à 1939 et la section finale vers Paris ne fut jamais construite.

Cette intéressante carte “Mappy” actuelle comporte, sans le savoir, le tracé de la plateforme toujours existante de la ligne de Chartres à Gallardon que l’autoroute A11 suit parallèlement. Nous avons surligné en rouge vif cette plateforme.

Commençons par les restes actuellement encore visibles de cette aventure.

Aujourd’hui, pour les amateurs d’archéologie ferroviaire, la plateforme de la voie ferrée est encore en place de Chartres à Ymeray, près de Gallardon, en Eure-et-Loir et montre que la ligne était donc, en grande partie, parallèle au futur itinéraire de l’autoroute A11. Au-delà de Ymeray, le reste de la plateforme a été soit abandonné à la nature, soit reconverti (comme il se doit et puisque l’on achève bien les chevaux) en “Vélorail”, en “Voie verte” ou bien en “infrastructures routières” ou autres délices de la dite “mobilité” actuelle.

Cerise sur le gâteau et lot de consolation : entre Massy-Palaiseau et Paris, les emprises sont utilisées lors de la construction de la LGV Atlantique. Donc, si on met bout à bout l’autoroute A11 et la LGV Atlantique, on peut avoir une idée approximative de ce que fut et aurait été cette ligne “Chagall” si elle avait été entièrement construite et mise en service.

Chartres-Gallardon : bien sûr, née du plan Freycinet.

Comment commence cette curieuse aventure ? L’historien des chemins de fer français n’a pas besoin de réfléchir longtemps avant de lever le bras pour répondre à la question : le tout tient, comme l’ensemble de ces centaines de lignes incroyables, mystérieuses et mort-nées, en un seul mot : Freycinet. “Mais…. cré bon sang, c’est bien sûr !” comme disaient les inspecteurs de police des films des années 1920 à 1950.

Tout se passe en janvier 1878, Charles de Freycinet, un ministre des Travaux publics proche de Gambetta, organise entre celui-ci et Léon Say, ministre des Finances, une réunion afin de préparer une loi qui est votée le 18 mai 1878, créant un réseau d’État à travers le rachat de plusieurs compagnies déficitaires. Le 8 juin, un rapport est rendu public : il est question de permettre à tous les Français de prendre le train, donc de trouver une gare et un train jusque dans le moindre village, ce qui est officialisé par la loi du 17 juillet 1879 promulguant la construction d’un réseau de voies ferrées de 8700 km de lignes d’intérêt local. Voilà qui va changer l’existence quotidienne des habitants de quelque 16.000 km² de France profonde.

Donc, à peine créée, l’Administration des chemins de fer de l’État reçoit une concession (savamment provoquée, on s’en doute) pour la construction de cette ligne de Chartres à Paris par Gallardon, le 17 juillet 1879, dans le cadre du plan Freycinet, afin de donner une gare à Paris pour le réseau de l’État, gare qui sera située au Trocadéro dans le XVIe arrondissement et, on le devine, guère appréciée par les habitants lorsqu’ils apprirent l’existence du projet (voir notre article déjà paru sur ce site : tapez “Lamming Trocadéro” sur Google ou autre moteur de recherche).

La gare future du Trocadéro, d’après la revue “Le Génie Civil”de 1885. Le quartier, comme nous le verrons ci-dessous, est très encombré et cette gare aurait été très difficile à loger.
Le quartier du Champ de Mars, déjà très encombré en 1878, et, au premier plan, le site de la gare du Trocadéro, tout aussi peu dégagé.
Le même lieu, à la même date, mais en regardant dans l’autre sens, depuis le Champ de Mars : le peu de place pris déjà par le palais du Trocadéro ne laisse aucun espoir pour l’installation d’une grande gare avec ses quais, ses faisceaux de voies, et ses voies d’accès.

Cette belle gare, très chic, aurait été reliée à la ligne de Chartres à Orléans de la Compagnie du chemin de fer d’Orléans à Rouen, reprise par celle de l’État au point le plus proche de Paris de ce nouveau réseau, à proximité d’Auneau. Si l’on part de Paris, après avoir longé la Seine à l’emplacement de l’actuelle avenue du Président-Kennedy, on aurait commencé le parcours de la ligne en passant par Boulogne-Billancourt où aurait été établie une gare de marchandises. Les 30 kilomètres de Boulogne à Orsay auraient nécessité la construction d’importants ouvrages dans des terrains accidentés : viaduc de 1050 mètres sur la Seine, tunnel de 6040 mètres sous les hauteurs de Meudon, viaduc de 1000 mètres sur la vallée de la Bièvre, autre tunnel de 2040 mètres entre Bièvres et Orsay, un troisième viaduc de 1400 mètres sur la vallée de l’Yvette. Ce projet trop coûteux resta sans suite : n’y aura jamais rien de construit dans cette perspective et la bourgeoisie du XVIe arrondissement continuera à apprécier sa paisible existence haussmannienne et ses trottoirs bien fréquentés, ceci pour les générations à venir.

En 1903 : “Messieurs, (re) faites vos jeux !”

Après plusieurs modifications et de longs débats, un tout autre tracé, moins surréaliste, sans gare monumentale ni ouvrages d’art dispendieux, fut reconnu d’utilité publique par une loi en date du 21 juillet 1903. Bien qu’économiquement inintéressante et doublant fâcheusement une autre ligne du réseau de l’Ouest passant déjà par Rambouillet, la construction de cette peu utile ligne sur seulement 85 km se justifiait surtout pour des raisons politiques et de commodité de déplacements pour les élus de l’ouest de la France voulant arriver jusqu’à Paris sur “leur” réseau préféré et n’acceptant pas que la ligne du réseau de l’État, venant de Niort, Saumur et Château-du-Loir, et se dirigeant vers Paris, se terminât à Chartres.

Autour du berceau : des intérêts très particuliers aussi.

Les voyageurs du réseau de l’État à destination de Paris font pression sur les parlementaires, eux-aussi concernés personnellement, avec l’espoir de poursuivre leur “montée à Paris” sans utiliser ni la ligne, ni les voitures, ni les locomotives de la compagnie de l’Ouest. Les hommes politiques de la Vendée et du Poitou souhaitent voir « leur » compagnie, l’État, les transporter jusqu’à Paris-Montparnasse. Na !…

La création de cette ligne est donc décidée, ce qui est assez surprenant, car, peu avant son rachat, la compagnie de l’Ouest, mal en point financièrement, avait accepté très gentiment et tout à fait pour la bonne cause, et contre l’encaissement d’un péage, le passage direct des trains du réseau de l’État et jusqu’à Montparnasse.

Malgré cet arrangement qui sauvait les apparences, le réseau de l’État, bien géré et entre de bonnes mains, persiste dans sa volonté de prestige et d’indépendance et les travaux démarrent à partir de Chartres en direction de Paris. Mais la débâcle financière de la compagnie de l’Ouest accélère les choses et la très humiliante cohabitation des deux compagnies cesse le 1er janvier 1909 quand le petit réseau de l’État gobe le grand réseau de l’Ouest.

Néanmoins, la construction de cette ligne, économiquement non viable, se poursuit, avec lenteur, mais n’atteindra jamais Paris. Après une première vague d’expropriations, la construction commence en 1907 et en double voie, s’il vous plaît… La section de Chartres à Gallardon est achevée en 1913, celle de Gallardon à Saint-Arnoult-en-Yvelines en 1917. Entre Paris et Saint-Arnoult, la construction ne démarre qu’en 1911, retardée par des difficultés de détermination du tracé.

La ligne de Chartes à Gallardon-Pont, d’après les bien connus “Carnets de plans et schémas” de la SNCF des années 1950 et 1960.
La bien modeste gare de Gallardon-Pont peu après sa mise en service, d’après une carte-postale de piètre qualité. Sur les quais, et même sur les voies, on prend la pose pour le photographe et l’édification des générations montantes.

Rétrogradée de la double voie à la voie unique.

À la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918, la pénurie en acier est telle qu’il faut déposer l’une des deux voies entre Chartres et Saint-Arnoult-en-Yvelines. Cependant, la construction de la dernière section prévue n’est pas abandonnée, mais elle se fera en voie unique. La gare de Rochefort-en-Yvelines est ouverte en 1921 et celle de Limours-État l’est en 1922 : notons qu’il ne s’agit pas de la très belle et élégante gare de Limours-PO qui est le terminus d’alors de la ligne de Sceaux, mais d’une tout autre, modeste et assez triste, gare État dont le modèle de BV se retrouve aujourd’hui encore à Villebon, par exemple.

Extrait (fortement agrandi) d’une carte d’un guide de poche Chaix de 1921 : nous avons découvert et surligné en rouge la ligne reliant Chartres à Limours et touchant la ligne de Sceaux au-delà. Ce plan est un des rares, sinon le seul à notre connaissance, à mentionner cette ligne.
Les excellentes cartes Pouey de 1933 ne mentionnent nullement la ligne de Chartres à Gallardon et à Limours, et ne reconnaissent que les lignes Etat (en vert) passant finissant à Auneau ou gagnant Paris par Rambouillet, ainsi que les lignes PO (en violet) gagnant Paris par Dourdan ou Etampes.

La voie est ensuite prolongée, et, même, elle “pousse” jusqu’à Châtenay-Malabry en 1931 au prix de la construction d’ouvrages d’art, notamment les ponts pour le franchissement des voies de la ligne de Sceaux et de la grande ceinture à Massy, mais tout s’arrête là. Nous pensons que l’arrivée, en 1931, de Raoul Dautry à la tête du réseau de l’État, avec la ferme décision de mettre de l’ordre dans les tiroirs et les tiroirs-caisse de cette “administration” assez prodige et prodigue en dépenses peu rentables, voilà qui y est pour beaucoup dans cet arrêt brusque de ce chantier kafkaïen. Triste fin et triste consolation, la ligne finit par ouvrir, partiellement, et seulement entre Chartres et Massy-Palaiseau le 15 mai 1930.

La gare État de Massy-Palaiseau en 1930, au premier plan à gauche. Le BV est du même type que celui de Villebon que nous connaissons déjà. Le BV de la gare PO est au deuxième plan, au centre.

Aucun train express ne circula jamais entre Paris et Gallardon et, faute de grives, on mange des merles, seuls deux trains aller-retour quotidiens sont mis en service entre Massy et Chartres, avec des horaires peu pratiques et dissuasifs. Pour les connaisseurs “pointus”, notons que les voyageurs, en attendant leurs rares trains, assistèrent à des essais d’autorails Michelin dits “Michelines” et autres prestigieux coursiers Bugatti.

Essais d’autorails sur pneus Michelin ou “Michelines”, en gare de Gallardon dans les années 1930. Les ingénieurs des réseaux s’interrogent… Provenant d’une automobile, l’engin étroit et léger semble décontenancé par le large et haut gabarit ferroviaire qu’il se doit de remplir.
En 1937, la ligne “vers Limours-État” (en bas à gauche) est très officiellement présentée comme étant raccordée à la “Ligne de Sceaux” (devenue RER-B), privilège qu’elle partage avec sa concurrente vers “Limours-PO”. On notera que la SNCF, officiellement créée en 1938, est déjà citée et en route en 1937, constituée dès le mois d’août de cette année-là.

Mais le maigre service voyageurs est interrompu dès le mois de septembre 1939. Les Allemands découvriront la ligne et s’en serviront pour de prétendus discrets convois militaires que la Résistance suivra de très près. Les Alliés la découvrent en 1944 et bombardent généreusement les ouvrages d’art au-dessus de la Boëlle et de l’Yvette. À la Libération, la fête de la paix, de la prospérité et de l’automobile fait que l’on dépose les rails et la section de Massy à Gallardon est définitivement déclassée le 28 novembre 1953.

Le réseau de l’Etat et “sa” gare Montparnasse : pari gagnant ?

La belle gare n’est, en fait, que la deuxième du nom, puisque la dynastie des Montparnasse a commencé, dès 1840, avec une modeste gare située au même emplacement et dont on ne sait plus rien. Celle dont il est question ici, et que le réseau de l’État désire tellement, date de 1852.

Avec elle s’est créé tout un quartier, celui des Bretons débarquant à Paris à la Belle Époque (était-elle si belle pour eux ?) venant chercher du travail, attirés depuis Ploubazlanec ou Mérignac par les flonflons de la ville-lumière, lui comme homme à tout faire, elle comme la bonne des beaux quartiers – immortalisée par Bécassine, bien sûr. C’est la gare construite entre la rue du Départ où l’on rêve de repartir et la rue de l’Arrivée où, en fin de compte, on regrette d’être arrivé. C’est la gare des premières aventures parisiennes, comme celle des voleurs de valise qui posent une grande valise au fond découpé sur la petite valise en attente aux pieds de son propriétaire : ce dernier, ne la voyant plus, court paniqué à sa recherche dans la gare et abandonne son bien aux mains de son voleur…  

La gare Montparnasse, état d’origine. L’Ouest est la première grande compagnie française, historiquement avec de longues lignes desservant la province.

La gare dont rêve l’État (si tant est que l’État puisse rêver) est construite en 1852, selon les dessins de l’architecte Victor Lenoir (1805-1863). Elle n’est ni remarquablement belle, mais elle n’est pas laide : elle est, disons, d’un néoclassicisme sage et bien proportionné, neutre, économique, simple. Elle est caractéristique, en cela, des toutes premières gares construites en France. Mais bien située, elle domine Paris du haut de la rue de Rennes, au centre d’un quartier qui se fera toujours remarquer par sa créativité artistique et littéraire – à ceci près que les « intellos » des Deux Magots ou du Dôme ne lui ont guère accordé d’attention, car le chemin de fer et les techniques, vraiment, ce n’était pas leur tasse de thé pour cause de non-reconnaissance à titre de problème philosophique et de société. Et la gare Montparnasse a pu disparaître dans l’indifférence générale, sauf pour Dutronc à qui elle fournit une rime, et pour Marie-Paul Belle qui chante :

« On a démoli Montparnasse,

Mais nous n’y allions déjà plus.

La fumée bleue des trains qui passent

Emporte mes amours perdues »  

La compagnie de l’Ouest et celle de l’Etat : union de l’aveugle et du paralytique, donc ?

Formée à partir 1851 et constituée définitivement en 1856, la Compagnie de l’Ouest comprend les lignes de Viroflay à Chartres, Paris – Laval, les deux lignes de Versailles, Paris-Rouen-Dieppe, Rouen-Le Havre, Paris-Caen. La gare Montparnasse de la compagnie primitive du Paris-Versailles RG ne sera, pour elle, qu’une deuxième tête à Paris : elle fait de la gare Saint-Lazare sa gare principale et installe ses bureaux et sa direction générale. Donc, reléguée au rang de « autre gare de l’Ouest », Montparnasse aura toujours un trafic inférieur à sa grande concurrente, mais ce sera néanmoins un certain trafic grandes lignes en direction de la Bretagne. Dotée d’un faible nombre de voies à quai, elle sera toujours trop petite, et il n’est pas possible de l’agrandir tellement son site est urbanisé.  

Train du réseau de l’État au départ de Montparnasse vers 1900, rendu possible par la vente de “sillons” concédée par le réseau de l’Ouest qui a besoin d’argent. La locomotive, dernier cri pour le réseau de l’État, est une 221 américaine surnommée “Chicago” par les cheminots, tout comme les 220 américaines du même réseau. L’État boudait-il les productions nationales et importait-il de l’étranger ? (Déjà ?)…
Toujours dans la gare Montparnasse : une locomotive État type 221 (série 2961 à 2960 puis 221.101 à 221.110) vue en 1905. Au moins, c’est une locomotive de type français, mais achetée chez le concurrent qu’est le PO. Sur la gauche : une antique machine Ouest, bien chez elle, mais plus pour longtemps puisqu’en 1909 elle devra rejoindre l’ancien Ouest devenu Ouest-État : il s’agit, vraisemblablement, d’une “Mammouth” type 030 série 030.601 à 030.656 ex-1601 à 1656, datant de 1867 et pas encore à la retraite.

Le rachat de la compagnie de l’Ouest, en 1909, par le réseau de l’État apporte à la gare Montparnasse une nouvelle zone d’action s’étendant sur le Sud-Ouest avec Tours, Nantes, Bordeaux, Saintes, La Rochelle, et fait d’elle une des deux têtes parisiennes du réseau le plus étendu de France à l’époque. Le réseau de l’État songe alors à dédoubler la gare en la dotant d’une annexe située en avant-gare, sur l’avenue du Maine : c’est l’opération Maine-Montparnasse qui sera entreprise au lendemain de la Première Guerre mondiale et qui sera terminée pour 1934. La ligne sera électrifiée jusqu’au Mans en 1937, et les locomotives type 2D2 assurent un brillant service de trains rapides au départ du Maine. La vieille gare de Montparnasse est condamnée, mais reste en service en prolongement de celle du Maine qui lui a ravi le premier rôle, et la gare reste en sursis jusqu’en 1966.  

En 1892, pour le réseau de l’Ouest, le “must” et “the place to be seen” (comme on dit dire aujourd’hui quand on est distingué), ce sont les ” saines et vivifiantes” plages glacées de la Normandie, donc : pas de discussion, c’est à Saint-Lazare que cela se passe. Et Marcel Proust le sait, et ne se trompe pas de gare. Tant pis pour Montparnasse.
En 1936, les plages “saines et vivifiantes” option Bretagne, c’est toujours le réseau du PO, donc la gare d’Austerlitz. Ce réseau, qui, sous le Second empire, a mis le sud de la Bretagne dans sa gibecière par un magistral échec et mat, “ne lâchera rien” (comme on dit aujourd’hui entre les places de la République et de la Nation). Tant pis pour Montparnasse (bis).
En 1937, enfin “les lignes bougent” (comme on doit dire aujourd’hui) pour Montparnasse, car le réseau de l’État, avec l’électrification, fait du Mans sa plaque tournante nouvelle, donc Montparnasse est censé prendre le pas sur St-Lazare et effacer Austerlitz.

La LGV Atlantique vient jouer la dernière partie du concert interrompu.

Comme dans les tragédies de Shakespeare, ou de Corneille, ou de Racine, ou comme dans les opéras de Wagner, le héros annonce sa mort d’acte en acte, mais ne meurt jamais, ou pas souvent. La dernière section de deux kilomètres qui devait relier la malheureuse ligne mort-née au reste du réseau de l’État, celle de Châtenay à Bagneux comprenant un tunnel sous Sceaux et Fontenay-aux-Roses, ne fut donc pas construite à l’époque. Mais, sur cette section, un tunnel fut creusé en 1990-1991 pour le TGV Atlantique qui, ainsi, vient réveiller la Belle au Bois dormant. Suite de ce coup de billard à trois bandes : le dépôt de locomotives de Montrouge-Châtillon créé en 1926, et initialement pour cette ligne mort-née, reprendra vie en étant utilisé en remplacement du dépôt de Paris-Vaugirard.

“En même temps” (terme à la mode élyséenne) section entre Chartres et Gallardon renaît durant les années 1970 et 1980 grâce aux trains de matériaux destinés aux chantiers autoroutiers. Deux embranchements (sablier et céréalier) furent actifs jusqu’en 2000 à Gallardon. La section de Chartres à Coltainville fut la dernière exploitée par la SNCF pour desservir l’embranchement Primagaz. Cette desserte s’est arrêtée vers la fin de 2007.  

Aérotrain, tunnels routiers, et autres divertissements peu ferroviaires.

Revenons un peu en arrière et sortons du domaine ferroviaire. À la fin de 1965, entre Gometz-le-Châtel et Limours, la section fut équipée pour être la première ligne expérimentale de l’Aérotrain. À la suite de l’abandon des projets d’aérotrain en 1978, une partie du tracé devient une route pour le compte de la déviation de Gometz-la-Ville, avec, comme lot de consolation, un tunnel ultra-moderne à l’entrée duquel (côté Limours), une sculpture de Georges Saulterre représente l’aérotrain. De l’autre côté, au grand giratoire de l’ingénieur Jean Bertin, un morceau du rail en T inversé rappelle cette invention.

On pensa même que l’autoroute A10 atteindrait le boulevard périphérique de Paris en utilisant les emprises inutilisées de la ligne entre Massy et Paris. Le projet fut finalement abandonné, à l’exception d’un court tronçon de Villebon-sur-Yvette à Palaiseau. Dans les années 1970, une bretelle routière fut construite pour relier la ville nouvelle des Ulis à l’A10, la N 188. Elle utilise la plate-forme de la ligne entre Villebon-sur-Yvette et Bures-sur-Yvette en passant par le viaduc d’Orsay.

Après cet abandon, l’extrémité nord du tracé fut utilisée dans les années 1980 pour la LGV Atlantique entre la cuvette de Palaiseau et Malakoff, où commence l’embranchement avec la ligne de Paris-Montparnasse à Brest. L’opération fut facilitée par le fait que les terrains achetés pour la ligne Paris-Chartres restaient vierges de toute construction et appartenaient encore à la SNCF. Le croisement avec la ligne de Sceaux, à Fontenay-aux-Roses, nécessita la déviation temporaire du RER-B. Pour répondre aux exigences des communes traversées, la ligne à grande vitesse fut construite à ciel ouvert puis couverte afin de limiter les nuisances sonores et deux tunnels furent percés, à Fontenay-aux-Roses et à Sceaux.

La “Coulée verte”, notion chère aux écologistes les moins éclairés intellectuellement, métamorphosa le chemin de Paris à Massy, et a été aménagée sur 12 kilomètres en surplomb de la ligne de TGV ou en parallèle. Le viaduc des Fauvettes entre Bures-sur-Yvette et Gometz-le-Châtel fut rénové en 2004, pour éviter un éventuel effondrement consécutif à la destruction partielle d’une arche lors du bombardement de 1944, pour un site d’escalade et pour un passage de la “véloroute Véloscénie”. Une voie verte dite de l’Aérotrain a été aménagée le long de cette voie expérimentale et un peu au-delà, de ce giratoire à Bonnelles par Limours. La Route départementale 988 de l’Essonne emprunte également la plate-forme de la voie, d’abord la D988 (déviation de Gometz-la-Ville et son tunnel de 740 m de long inauguré en juillet 2003), puis à nouveau sur une courte distance à proximité de Rochefort-en-Yvelines. Depuis 2008, la section entre Gallardon et Senainville est exploitée à des fins touristiques et peut être parcourue en Vélorail.

La réouverture de la ligne pour un tram-train sur la section de Chartres à Gallardon a été envisagée en 2010, dans le cadre du plan de déplacements urbains de la communauté d’agglomération Chartres Métropole. La ligne de Chartres à Gallardon serait devenue ainsi l’une des six branches d’une étoile ferroviaire centrée sur Chartres. Les habitants de Chartres rêvent toujours de cette bonne et belle étoile.

Dernière minute : la ligne “Chagall” est immortelle…

D’après l’ingénieur Nassim SEBBOUH, il y a d’importants travaux, actuellement en 2023, sur “CHAGALL” avec le ripage de la voie entre Massy et Verrières, et, sur le saut de mouton, la réalisation des appuis ainsi que la pose des nouveaux ponts de Chartres et Gallardon qui se feront les 8 et 9 août ! Consultez le site de l’ingénieur Nassim SEBBOUH sur “Linkedin”.

Dernière dernière minute : Luc Fournier, Président du GEHF (Groupe d’Etudes Historiques Ferroviaires) nous apporte de précieuses et rares révélations sur la ligne “Chagall” :

Laissons la parole à Luc Fournier que nous remercions et que nous retrouverons dans la revue “Histoire Ferroviaire” (HF) du GEHF.

Une petite remarque sur les gares : seules les quatre premières à partir de Massy (Massy, Villebon, Orsay et Gometz) ont été dotées de bâtiments en béton. Les autres, y compris Limours, ont eu droit à des bâtiments provisoires en bois, très sommaires. Le dernier survivant était celui de la gare de Coltainville que j’ai eu le plaisir de prendre en photo le 15 août 1981 grâce à une copine possédant une voiture et qui était très compréhensive à l’égard de ma folie ferroviaire… Ma pensée à propos de cette ligne est qu’elle avait perdu toute raison d’être dès le rachat de l’Ouest de 1908. Le problème est que les riverains ne comprenaient pas non plus qu’on ait réalisé tous ces travaux pour, au bout du compte, ne pas bénéficier de la liaison ferroviaire promise. Ceux qui ont relancé l’affaire, dans les années 1920, ce sont Henri Grivot, exploitant d’un parc d’attractions à Saint-Arnoult-en-Yvelines et Raymond Patenôtre, député de Seine-et-Oise, canton de Rambouillet. Ils ont négocié avec Raoul Dautry l’ouverture de la ligne jusqu’à Massy. Dautry a accepté en contrepartie d’une exploitation squelettique et d’installations réduites au strict minimum.   Le même phénomène s’est passé à l’autre bout de la ligne où les riverains n’ont pas compris pourquoi ils n’auraient pu bénéficier d’un service voyageurs alors que la voie ferrée, destinée à desservir le dépôt de Montrouge, leur passait sous le nez. Il a été envisagé, un temps, la mise en place d’un service entre Fontenay-aux-Roses et Paris-Montparnasse, électrifié en 3 rail et exploité avec des rames « Standard ». Raoul Dautry a, bien entendu, refusé, arguant que “la gare Montparnasse était assez encombrée comme ça” (ce qui était, d’ailleurs, exact), bien que les voies réservées à la ligne de Gallardon aient été posées à Montparnasse…Par ailleurs, la correspondance avec la branche Robinson de la ligne de Sceaux n’aurait pas été commode…

Deux photos : d’abord, un cliché de Gometz-la-Ville : le bâtiment est en béton, mais réduit à un simple rez-de-chaussée… Je crois qu’il a été réutilisé comme bâtiment de service par la société Bertin pour la base « Aérotrain ».  Ensuite un cliché du BV de Coltainville.

Carte postale ancienne représentant le modeste BV de Gometz-la-Ville.
Le plus que modeste BV de Coltainville, photographié par Luc Fournier.
Carte postale ancienne : un train État composé de voitures “armistice” ex-prussiennes et remorqué par une locomotive-tender 030T État dite “Boer” vu dans les années 1920.

Une photo légendée « premier train à Orsay-État ». Une « Boer » des années 1890 et des voitures « Armistice » ex-Prusse et ex-Saxe. Pas franchement « bling-bling »… Mais, à l’époque, la ligne de Sceaux est exploitée, elle aussi, en traction-vapeur, avec du matériel à peine plus moderne. En revanche, en 1937-38, le contraste va être douloureux entre les petits omnibus désuets de la « Chagall » et les rutilantes automotrices électriques de la ligne de Sceaux… D’autant plus qu’à Massy les trains « État » n’entrent pas en gare de Massy-Palaiseau et qu’un cheminement à pied assez pénible d’environ 500 mètres est nécessaire pour rejoindre ceux de la ligne de Sceaux-RATP qui ne tiennent, par ailleurs, aucun compte des horaires de la ligne de l’État… Ayant habité Orsay un temps, je m’étais amusé à refaire le parcours entre la belle gare d’Orsay-Ville et l’emplacement supposé de la gare d’Orsay-État. Le moins qu’on puisse dire est que si la gare d’Orsay-Ville dessert plutôt bien la localité, il fallait grimper le coteau pour atteindre Orsay-État bien plus excentrée… Cela étant, et de manière paradoxale, de nos jours et quand on voit la saturation du RER B, on se dit qu’une revitalisation de la « Chagall » entre Massy et Saint-Arnoult aurait toute sa justification… Mais il est trop tard… Même le projet des années 1980, de doubler les voies TGV par des voies banlieue entre Paris et Massy puisque la plate-forme était à quatre voies sur cette section, a été remplacé par la fameuse « coulée verte »…

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