La Revue Générale des Chemins de Fer ou RGCF: 140 ans d’excellence et de référence ferroviaire.

La RGCF n’a jamais parlé d’elle dans ses propres colonnes. Plus d’un siècle de modestie, de refus de l’autosatisfaction, de discrétion, de dévouement au monde en mouvement perpétuel des idées du chemin de fer, à l’univers infini de ses réalisations techniques, et à la richesse humaine de son vécu professionnel. Mais sur le mouvement, l’infini et la richesse de la RGCF : pas une ligne, pas un mot. Et pourtant, on pourrait en parler, ceci sous le signe des trois quinze : un patrimoine de plus de 150.000 pages accumulé avec plus de 15.000 articles parus dans plus de 1500 numéros correspondant à un ensemble d’articles ayant suivi l’actualité ferroviaire mois pas mois depuis 1878. Car la RGCF n’est pas une revue historique, mais bien une revue technique collant à l’actualité ferroviaire, et même la précédant par son haut niveau de réflexion, mais un tel fonds finit par constituer la plus précieuse et la plus précise des fonds documentaires historiques par la force des choses. Collaborateur de la RGCF pour sa rubrique historique “Passé-Présent”, je propose de revenir sur le passé exceptionnel et très long de la revue de référence du monde ferroviaire.

En guise d’introduction: quel est le statut de la RGCF ?

Il est difficile de percevoir, pour le grand public, le statut de cette publication. La RGCF est bien, d’abord, l’affaire d’un éditeur (Dunod, puis d’autres depuis) qui a un contrat renouvelable avec la SNCF, qui, comme les anciennes compagnies, consacre un budget de soutien à la RGCF. Disons donc que la RGCF n’est pas un “journal” ou une “revue” comme les autres, et elle ne dépend d’aucun enjeu commercial. Elle est et reste libre de ses prises de positions et de ses opinions. Elle pourrait apparaître beaucoup plus comme un groupe d’études et d’échanges (évitons le mot anglais de “think tank”) sur le chemin de fer, dans tous ses domaines : actualités, techniques, innovations, et dans le monde entier. Ce n’est donc pas une “revue sur les chemins de fer” comme les autres qui, elles, sont des entreprises liées et limitées par des intérêts et des enjeux commerciaux. C’est ce qui fait toute la valeur de la RGCF.

Donc, non, la RGCF n’est pas écrite par des “journalistes”, comme on pourrait le croire, mais bien par des gens compétents qui prennent la plume pour écrire et réfléchir sur leur travail dans un monde passionnant et complexe qu’est le chemin de fer. Les nombreux documents, photographies, plans, schémas illustrant les articles proviennent soit du fonds SNCF ou bien des anciennes compagnies antérieurement, ou sont des documents et des photos personnelles des auteurs.

La RGCF n’est pas une revue historique, mais une collection complète devient un fonds historique.

L’année 1878 est celle de la création de la Revue Générale des Chemins de Fer, et ceci lui confère certes une importance de tout premier plan dans l’histoire de la littérature ferroviaire, donc dans celle de l’évolution des idées dans ce domaine technologique qui révolutionne l’histoire de l’humanité. Ces trois dernières décennies du XIXe siècle sont celles d’un grand mouvement de vulgarisation scientifique, les sciences et les techniques étant l’objet d’un grand engouement populaire, et entre 1870 et 1890 se créent de nombreuses revues du même genre consacrées à l’électricité, la médecine, du thermique, des routes, ou de divers domaines du droit.

Mais cette année 1878 est au cœur d’une époque de transition entre le chemin de fer des débuts et celui de la maturité technique et économique, évolution marquée par la pérennisation du très long débat parlementaire sur la nationalisation des chemins de fer qui durera plus d’un demi-siècle et mènera à la création de la Société Nationale des Chemins de fer Français en 1938. Les événements ponctuels de 1878 qui entourent le berceau de la RGCF sont la création du réseau de l’État, le démarrage des travaux menant au Plan Freycinet (rapports adressés au président de la République les 2 et 15 janvier 1878), la présentation, à l’exposition de 1878, des appareils Saxby qui joueront un rôle essentiel en matière de signalisation et de sécurité, la présentation de la première locomotive compound due à l’ingénieur Mallet et destinée au chemin de fer de Bayonne à Biarritz, une technique qui donnera une dimension enfin performante à la traction vapeur.

Ces dernières années 1870 et la décennie des années 1880 sont celles de la mise en place définitive d’une « science ferroviaire », selon le terme de l’historien François Caron, issue de l’expérience technique accumulée et de sa remise en question à la lumière des données scientifiques les plus avancées. Les locomotives passent de leur « Moyen âge » à leurs « Temps modernes » selon le mot de Herdner, directeur du Matériel de la compagnie du Midi, et la Revue générale des chemins de fer se fera le reflet fidèle et précis de cette évolution technologique.

Essayons de voir plus clair devant un tel monument.

Une collection complète de la RGCF, à tous les sens du terme, est un monument historique et en avoir une chez soi permet, au quotidien, d’en mesurer l’ampleur et l’intérêt comme source de documentation incomparable en matière d’histoire des chemins de fer. Il est à noter que le niveau scientifique et technique, et « l’esprit RGCF » sont restées de la même qualité depuis la création. Il y a donc une grande unité, et si l’on veut, par commodité de classement, voir des « périodes » dans la RGCF, elles seraient plutôt liées à la présentation, la mise en page, la typographie et les techniques d’illustration.

On pourrait, mais cela n’engage que l’auteur, voir cinq grandes périodes de la RGCF, et ses cinq « visages » correspondant à la présentation de la revue.

  1. Avant la Première Guerre mondiale (1878-1913): c’est la période de la couverture sans illustration, de la quasi-absence de photographies, mais de l’abondance de planches, de plans superbes qui, souvent, se déplient sur deux, trois, ou quatre pages. Les auteurs sont de très grands noms du chemin de fer, de grands concepteurs de systèmes ou de techniques qui ont fait date.
  2. De la Première Guerre mondiale à l’âge d’or de la SNCF des années (1914-1958): couverture toujours sans illustration, en noir et blanc, mais apparition de photographies dans les articles. La présence de plans est maintenue, mais se raréfie. La complexité des sujets traités demande de nombreux dessins techniques détaillés. Les statistiques apparaissent avec des courbes. La génération des grands auteurs a changé, avec, désormais des signatures comme celle d’André Chapelon, Marc De Caso ou de Georges Chan pour la vapeur, ou Charles Tourneur pour la traction Diesel, ou Marcel Garreau et autres grands « électriciens » de la maison comme Fernand Nouvion (pour les « expériences de Morcenx » à 331 km/h) ou Yves Machefert-Tassin pour le monophasé.
  3. L’époque des couvertures vertes illustrées en noir et blanc (1959-1980 ) C’est l’apparition des pleines pages illustrées, notamment publicitaires pour les grandes firmes constructrices de matériel ferroviaire, et la qualité typographique est excellente. Les grandes planches et plans n’existent plus, mais les « chroniques » perdurent sous deux rubriques « En France » et « A l’étranger ». La traction électrique continue son règne, avec quelques miettes pour le diesel.
  4. L’époque des couvertures « dos carré » illustrées en couleurs sur fond gris clair puis bleu marine (1981-1997). La révolution du TGV de 1981 est aussi celle de la RGCF qui passe à la couleur, tout en conservant une mise en page traditionnelle, et des contenus toujours présentés avec la même rigueur. L’époque Dupuy arrive avec ses grandes signatures dans la RGCF, notamment celles des dirigeants de la SNCF ou de ses ingénieurs les plus reconnus, comme ceux de Jean-Philippe Bernard, Roger Forray, Paul Gentil, Roger Guibert, ou Daniel Brun, André Cossié, Jean Dupuy, Jean-Marie Metzler, Marcel Tessier, et, pour ce qui est de l’iconographie, Jean-Jacques d’Angelo signe (déjà) ses photos.
  5. L’époque « post-Dunod » et de transition vers la RGCF actuelle (1998-….), dos carré et pages en couleurs magnifiques, et des couvertures très remarquées souvent signées par le photographe Christophe Recoura. Les contenus montent encore en niveau, deviennent très « high tech » avec une plus forte prise en compte des données économiques, environnementales, et aussi une plus grande ouverture sur les problèmes internationaux. Les signatures deviennent beaucoup plus nombreuses, car la science ferroviaire a grandement évolué en annexant d’autres domaines de connaissances et demande des spécialisations très fortes comme le marketing, le management.

La RGCF, de Madame Dunod à aujourd’hui.

N’oublions pas que la RGCF est publiée pendant un bon siècle par les Éditions Dunod. Elle est souhaitée, initiée et mise en place par d’éminents ingénieurs ou dirigeants des chemins de fer de l’époque comme Émile Heurteau, directeur général du réseau Paris-Orléans ou Albert Sartiaux, directeur de l’exploitation du Nord. Le choix de Dunod n’est pas dû au hasard, car, pour cette remarquable maison d’édition, on remonte très loin dans l’histoire : tout commence en…1791 quand Jean-Louis Goery crée, au n° 41 du quai des Grands Augustins, la Librairie pour les Mathématiques et l’Architecture qui évoluera en Librairie des Ingénieurs et de l’École des Ponts et Chaussées. En 1858, Charles Dunod, diplômé de pharmacie, entre dans la Librairie pour en devenir le Directeur deux ans plus tard. Il le restera jusqu’à sa mort en 1881. Madame Charles Dunod reprend le flambeau. L’adresse de la grande maison est au 49 quai des Grands Augustins, et c’est celle portée sur les premiers numéros de la RGCF.

Un siècle plus tard, dans les années 1990, un grand et complexe ballet de fusions et de reventes se fait avec la création du Groupe de la Cité (Bordas, Larousse, Nathan, Presses de la Cité, puis Dalloz et Robert Laffont), les anciens fonds sont progressivement abandonnés, mais en 1991, c’est la renaissance de Dunod Editeur, filiale de Bordas : la marque Dunod est choisie pour fédérer les fonds professionnels récemment intégrés, et, avec Masson et Dalloz, Dunod fait partie de la SESJM, Société des Éditions scientifiques, juridiques et médicales. C’est alors qu’à partir de janvier 1998, la RGCF commence une période sinon sans domicile fixe, du moins assez… mobile, puisqu’elle paraît chez l’éditeur scientifique Elsevier, puis à partir de janvier 2000, c’est l’éditeur Delville, avant que Hervé Chopin (éditions HC) ne reprenne la publication de la RGCF à partir de janvier 2010, puis la Revue générale des routes et de l’aménagement (RGRA) à partir de 2019, puis un retour chez HC actuel.

La RGCF aujourd’hui. L’avancée la plus récente des techniques ferroviaires est toujours le thème fort des couvertures.

De 1898 à 1924 : une certaine RGCFT.

La RGCFT ? En 1898, la Revue Générale des Chemins de Fer frappe un grand coup médiatique et décide non de changer de titre, heureusement, mais de l’allonger : elle sera désormais la « Revue Générale des Chemins de fer et des Tramways ». Le tramway est alors à son apogée en France, et dans le monde, et ce qui peut expliquer cet allongement du titre qui dure plus d’un quart de siècle. Mais dans le courant de 1924, la RGCFT redevient la RGCF tout court. Ce qui ne veut pas dire que la RGCF oubliera les tramways. De nombreux et passionnants articles seront consacrés au tramway et aujourd’hui toujours le tramway a sa place dans la RGCF qui lui consacre même un important numéro spécial en mars 2008, marquant le grand et salutaire retour du tramway en France.

Un numéro de la RGCF à la fin du XIXe siècle.

L’année 1895, prise comme exemple de l’état de la RGCF à la fin du XIXe siècle, comprend deux tomes reliés (si l’on a la rare chance de consulter une collection complète et reliée) l’un pour janvier à juin, l’autre pour juillet à décembre, et totalise 380 pages, plus 62 planches, toutes des chefs-d’œuvre de gravure, et se dépliant sur deux, trois, ou quatre pages chacune. Donc chaque numéro comprend environ 63 pages, sans compter les planches qui sont, en moyenne, au nombre d’une dizaine par numéro.

Prenons le numéro de janvier 1895. Le premier article est signé d’Ernest Polonceau, un des grands noms de l’histoire des chemins de fer en France, alors ingénieur en chef du Matériel et de la Traction du Paris-Orléans, une des sept grandes compagnies de l’époque d’avant la SNCF. Jusqu’à la page 17, il décrit, avec force planches et schémas à faire pâlir d’envie un collectionneur actuel, l’ensemble des nouvelles voitures à bogies mises en service par la compagnie. Ensuite, des pages 18 à 56, c’est la description du chantier de la nouvelle ligne de d’Argenteuil à Mantes, de la compagnie de l’Ouest, avec plans détaillés des bâtiments, ouvrages d’art, cabines d’aiguillage, avec la même générosité en matière d’illustrations, de gravures, et de tableaux de chiffres et de données techniques, jusqu’aux prix de revient de chaque bâtiment. L’exploitation de la ligne, son personnel (gare par gare) est décrite par le détail, ainsi que tous les chiffres de l’année 1893 au voyageur près. Page 57 on passe à un « solide » (à tous points de vue) article, très technique, sur l’emploi de l’acier dans les chemins de fer qui se termine page 67. Sur quatre pages vient ensuite le tableau habituel et mensuel traitant des statistiques d’un réseau mondial pour l’année précédente : ici ce sont ceux de l’Algérie.

Les dernières pages ne sont pas les moins intéressantes : ce sont les fameuses « Chroniques » de la RGCF traitant, sur une page ou deux, de sujets d’actualité très techniques ou géographiques, humains, juridiques, etc. Ici, c’est le remplacement des ponts du PLM sur le canal de Bourgogne, puis on passe aux questions juridiques avec des compte-rendus de décisions des tribunaux sur des questions de salubrité publique (qui est responsable des immondices déposées dans les rues avoisinant les installations ferroviaires, etc.), de jurisprudence (responsabilité des compagnies en cas de retard du transport des marchandises), de tarifs et de leur critères d’application, etc.

Un numéro de la RGCF à la veille de la Première Guerre mondiale.

Nous avons choisi le numéro de décembre parce que, ironie du sort, il ouvre, pages 285 à 305 (soit 20 pages très denses) sur le Tunnel sous la Manche qui, cette fois, doit entrer en chantier : les atermoiements ont assez duré depuis le premier projet présenté en 1856, depuis les galeries d’exploration de deux kilomètres creusées en 1874, et la RGCF estime que, en 1913, les temps sont venus pour se mettre sérieusement au travail et pour commencer à creuser pour de bon. Enfin… disons pour que le tunnel soit mis en service en 1994…

Les sujets purement techniques sont toujours à l’honneur et celui des postes à leviers d’itinéraires est déjà, avant la guerre, posé dans ses fondements logiques et techniques, et celui de décembre 1913, pages 306 à 310, est signé de l’un des plus grands noms de ce domaine toujours très « fermé » et point : Descubes, ingénieur en chef de la voie et des travaux de la compagnie de l’Est pour laquelle il concevra un système de commande des itinéraires et des appareils de voie emblématique pour ce réseau. Un autre article sur les heurtoirs glissants et les voies ensablées, pages 311 à 317. Les statistiques des chemins de fer suisses pour 1911 occupent plusieurs pages pleines d’excédents financiers et de recettes en progression constante : dès l’année suivante, les temps commenceront à changer ! (Mais ce n’est pas dit dans la RGCF).

La « Chronique » de ce numéro est consacrée à un grave conflit social sur le réseau de l’État italien, au programme d’extension des chemins de fer espagnols (avec une carte d’époque magnifique), aux très intéressants chemins de fer d’Alsace-Lorraine pour lesquels il est rare, pour l’historien actuel, de trouver une description détaillée de leur situation à la veille de leur retour à la France (ici aussi avec une carte exemplaire comprenant le réseau du Luxembourg qui en faisait partie), l’installation de laminoirs dans les ateliers des chemins de fer aux États-Unis, la description des locomotives Gölsdorf de l’île de Java.

Les notes de la rubrique « Législation et Jurisprudence » qui terminent, encore à l’époque, tous les numéros de la RGCF traitent de décisions des tribunaux concernant les transports des chevaux et les blessures reçues par les animaux, ou de leur irritabilité (il n’est pas question de celles des humains et de la hiérarchie), d’innombrables questions d’indemnités en cas de retard dans le transport des marchandises et des procès interminables en cours, de questions (prémonitoires ?) d’organisation militaire des chemins de fer, de questions posées par les grèves (celles de 1910 ne sont pas encore réglées).

Le numéro de la RGCF qui décrit, par le détail, la création de la SNCF.

Le numéro d’octobre 1937 est celui que nous avons choisi pour la période d’entre les deux guerres, mais le choix a été difficile, car tous les numéros de la RGCF des années 1920 et 1930 sont passionnants. Le « palais des chemins de fer » de l’exposition internationale de 1937 est visité par le détail, pays par pays, avec une étonnante abondance de photographies et de données techniques. Mais le plat de résistance est, des pages 225 à 275, soit sur 50 pages, la totalité des textes, accords, conventions, chiffres qui créent la SNCF, assortis de notes historiques ou statistiques. Ce n’est que dans la RGCF de 1937 que la SNCF d’aujourd’hui, si elle se pose des questions, peut trouver l’intégralité de son acte de naissance…  Les dernières statistiques des grands réseaux français, des notes sur le métropolitain de Paris, la signalisation britannique, la publicité de la Reichsbahn, quelques pages de documentation comme les extraits du Journal officiel, la présentation des ouvrages ferroviaires parus (excellente tradition qui ne s’est pas perdue).

La première couverture couleurs de la RGCF en 1937.

Un numéro de la RGCF de l’âge d’or de la SNCF : les essais de 1955.

Les années 1950 sont difficiles pour le chemin de fer en France qui lutte pour sa survie économique et même politique, mais elles sont aussi un « âge d’or » pour une SNCF alors en grande mutation technique, et dont les ingénieurs, avec la plus grande motivation, innovent avec une force et une volonté rarement atteintes jusque-là.

Le numéro de mai 1955 de la RGCF est entièrement consacré, sous la signature de Fernand Nouvion, à ce qu’il est convenu d’appeler non des « records » mais des « essais », avec la vitesse de 331 km/h atteinte deux fois de suite en mars 1955 avec deux locomotives, les CC-7107 et BB-9004 sur la ligne des Landes. C’est très complet, très impressionnant, par l’abondance et la précision des informations données sur 60 pages de textes, de photos, de schémas, de courbes, avec rappel des expériences de 1954, les modifications et la préparation des locomotives et du matériel remorqué et des installations d’alimentation, les essais, les résultats, les commentaires, et même les instructions données au personnel dont détaillés, ou les constatations après les essais concernant la partie mécanique ou électrique des locomotives, l’état des voies. Ces soixante pages valent de l’or et leur lecture seule permet de connaître ces essais, leur raison d’être et leur portée. L’âge des grandes signatures des « électriciens » est arrivé : Garreau, Machefert-Tassin, Nouvion, Cossié…

La RGCF en mai 1956
L’époque des fameuses couvertures vertes de la RGCF, ici en Janvier 1959.

Comment connaître, année par année depuis 1878, les grands dirigeants des anciennes compagnies et de la SNCF jusqu’à aujourd’hui ?

Cette question se pose souvent à tous ceux que le chemin de fer et la SNCF intéressent, souvent à titre professionnel, d’ailleurs. La réponse se trouve en tête de chaque numéro de la RGCF pour l’année ou le moins considéré, puisque la liste des membres du comité de rédaction, avec leurs fonctions, est en tête de chaque numéro. On peut ainsi, d’année en année, souvent au mois près, savoir très rapidement, et sans faire de longues et difficiles recherches, qui remplissait d’importantes fonctions, et lesquelles à la tête des anciennes compagnies ou de la SNCF.

La situation de la RGCF en temps de guerre.

Créée en 1878, donc quelques années à peine après la guerre Franco-Prussienne de 1870, la RGCF devra traverser sinon trois guerres, du moins deux, et pas des moindres, puisqu’il s’agit des deux guerres mondiales.

En particulier, de 1941 à 1944 : la RGCF est réduite au « politiquement prudent». Les numéros des années de guerre sont non seulement émouvants par leur papier jaunâtre et le nombre de pages réduit à un strict minimum, mais aussi par les thèmes choisis. Pour un lecteur d’aujourd’hui, ce silence sur la guerre pourrait passer pour choquant, mais, d’une part, la RGCF n’était pas et n’est pas un organe de presse d’actualité générale, et, d’autre part et surtout, une rigoureuse censure régnait sans partage dans la France occupée et la moindre allusion qui pouvait passer pour déplacée du point de vue de l’occupant se traduisait par la fermeture immédiate de la publication, et l’emprisonnement sinon la déportation des responsables ou des jugés comme tels. Il faut se replacer dans ce passé, déjà si lointain, déjà si peu présent, pour comprendre qu’il est prudent, pour ne pas dire vital, de choisir de ne traiter que de sujets très « techniques » qui ne fâcheront pas l’occupant…

Avec une parution réduite au rythme d’un numéro tous les deux mois (bimensuel, donc, et pas bimestriel…) et réduit à une soixantaine de pages, la RGCF de 1941, par exemple, consacre ses principaux thèmes aux nouvelles locomotives de la SNCF dont la recherche est menée très activement pendant la guerre en vue d’une paix que l’on espère prochaine, des reportages sur les réseaux étrangers, des articles sur des progrès techniques comme la recherche de l’allègement du matériel roulant, des plans et des études de nouveaux types de wagons à marchandises, sans compter les données statistiques et légales habituelles. Pour l’année 1941 il y a un article faisant état de l’actualité : en novembre-décembre, il est question du service des colis pour les prisonniers de guerre, assuré dans la gare des marchandises de « La Chapelle intérieure », un article très long, très fourni, amplement illustré, avec 30 à 40 wagons par jour destinés aux  « stalag » et aux  « oflag » de sinistre mémoire aujourd’hui encore et dont le nombre dépassera la centaine à la fin de 1941.

La RGCF un patrimoine national ?

Il est difficile de qualifier la RGCF, qui est une revue ferroviaire actuelle du plus haut niveau scientifique et technique, comme étant un élément du patrimoine. Ce n’est pas son rôle, ce n’est pas son but, ce n’est pas la raison de son utilité.

Mais, de même que les châteaux forts, les cathédrales, les grandes œuvres d’art ou de littérature n’ont jamais été créés dans le but d’être des éléments de patrimoine ou des Monuments Historiques, de même la RGCF n’a pas été créée dans ce but. Elle se retrouve, malgré elle, et par la richesse de son passé, dans cette situation et doit être reconnue comme telle.

C’est pourquoi nous souhaiterons que toutes les personnes travaillant à la SNCF prennent conscience de ce fait et entreprennent de localiser des collections de la RGCF, peut-être toujours présentes dans des établissements de la « grande maison », et prennent sur eux de signaler leur existence auprès de la RGCF ou de la SNCF, ou de son centre d’archives du Mans afin qu’elle soit protégée. Les collections complètes, depuis 1878 à ce jour, sont très rares, pour ne pas dire qu’il n’en existe plus, tellement on en a détruit depuis les années 1960 « pour faire de la place ». 

Pensez que, quelle qu’en soit l’approche, un fait incontournable est l’immensité des trésors qui risquent de disparaitre quand on détruit une collection de la RGCF. Depuis 1878, c’est environ 15.000 articles de fond, sans compter les innombrables notes, rapports, tableaux de référence, notes de voyage d’ingénieurs, extraits de revues étrangères, et toutes les annexes en fin de numéro dont certains comportent encore des indications statistiques, juridiques, politiques très précieuses. 

La RGCF c’est 140 années de parution, même pendant les deux guerres mondiales (les numéros sont alors parfois à pagination réduite ou à parution bimensuelle) donnant un total d’environ 1500 numéros parus (les mois de juillet et d’août ayant un numéro commun), chaque numéro ayant en moyenne de 50 à 120 de pages de contenus réels (hors pages de publicité ou autres) sous la forme d’articles de haut niveau technique et scientifique, soit environ 100.000 à 150.000 pages réelles. La bibliothèque d’Alexandrie en comportait peut-être autant, peut-être plus, mais elle a disparu, comme beaucoup de bibliothèques, par inadvertance ou par ignorance.


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