La SNCF: les hommes, les idées, les enjeux qui l’ont fait naître.
La question de la nationalisation du réseau ferré est posée à l’Assemblée dès 1878 et ceci pour soixante années de débats et d’atermoiements. La Société Nationale des Chemins de fer Français est née officiellement le 1er janvier 1938, après soixante années de débats, de commissions, d’hésitations, de reports à des jours meilleurs. En 1937, le gouvernement issu du Front Populaire frappe du poing sur la table et, pendant les mois de juillet et d’août 1937, en pleines vacances d’été, l’affaire est rondement menée et aboutit à un accord. La volonté immédiate et concrète de la SNCF est de faire fonctionner le réseau ferré français au mieux, de redistribuer le matériel roulant de l’ensemble des anciens réseaux privés pour rendre l’exploitation plus rationnelle, mais aussi de construire du matériel nouveau dont le réseau a grand besoin.
Malheureusement la Seconde Guerre mondiale, déclarée en 1939, retarde la construction de ce matériel d’une dizaine d’années, paralyse ce grand travail de rénovation envisagé, en, en prime, offre une destruction du réseau presque totale. Rappelons aussi un fait peu connu et oublié: dès la déclaration de guerre, la SNCF n’existe plus, ceci par le simple fait du processus administratif d’entrée en guerre: la SNCF devient la SMCF (Service Militaire des Chemins de Fer, c’est-à-dire un service de l’armée) et les cheminots obéissent aux généraux, français jusqu’en 1940, allemands, ensuite. L’armée commande tout, même la circulation du moindre train “civil” qui ne peut partir qu’après les trains militaires et rouler à 30 km/h. De rares trains “civils”, longs parfois de plus de 20 voitures, relient quelques grandes villes une ou deux fois par jour, bondés à 20 voyageurs debout par compartiment. Le charbon manque, l’absence totale de pétrole paralyse les autorails, et aussi les transports routiers, ce qui fait que le chemin de fer assume à lui seul la vie économique française. Les cheminots eux-mêmes ont été mobilisés et la paralysie pour les déplacements quotidiens et le trans port des marchandises est presque totale. Pourtant, quelques années à peine après la fin de la guerre, la SNCF est à la tête d’un réseau efficace et rénové, et elle peut commencer à rénover en profondeur le chemin de fer français.
La SNCF, née d’une longue histoire.
La SNCF ne s’est pas constituée subitement. De même elle n’a pas fait, dès sa constitution, table rase de l’héritage des anciennes compagnies lui apportant non seulement un matériel roulant, mais aussi des installations fixes, et des hommes surtout avec leur savoir faire professionnel et leurs habitudes de travail : bien au contraire, elle rénove dans le durable et en prenant appui sur un passé professionnel et technique remarquables et dont elle reconnaît la valeur.
A sa constitution en 1938, la SNCF hérite, avec les réseaux des anciennes compagnies, d’une expérience professionnelle et d’une organisation du travail qui a environ 80 années d’âge. Pour ne pas désorganiser une aussi lourde machine administrative et technique, l’organisation des réseaux constituant la SNCF est reconduite durant les premières années d’existence de la nouvelle société nationale, et la guerre, surprenant la SNCF durant sa deuxième année d’existence, vient figer pour un temps cet état de fait, les anciens réseaux continuant à former, chacun dans leur quasi intégralité, les nouvelles régions de la SNCF.

Toutefois à sa création la SNCF crée des divisions d’études pour le matériel moteur : d’abord la Division des Etudes de Locomotives (DEL) implantée sur la région Sud-Est, plus le banc d’essais de Vitry, et chargée des études de locomotives à vapeur nouvelles. La DEL disparaît au début des années 1950. En 1938 est aussi créée la Division des Etudes d’Autorails (DEA) implantée sur le site des Batignolles : la DEA sera intégrée à la Division des Etudes de Traction par Moteurs Thermiques (DETMT) au début des années 1950 lors de l’extension de la traction diesel. Enfin, toujours en 1938, la Division des Etudes de Traction Electrique (DETE) est créée, principalement avec des apports en hommes et en moyens de l’ex réseau du PO-Midi, implantée sur le site de Vitry. Ces divisions joueront un rôle initiateur de tout premier plan après la guerre, et pratiqueront une politique de traction des plus novatrices. Elles seront regroupées, en 1972, dans les locaux de la rue Traversière, et la fusion de la DETE et de la DETMT donnera naissance au Département de la Construction.
Décentraliser.
A sa création, la SNCF n’était pas conçue avec une arrière-pensée centralisatrice, bien au contraire : la centralisation avait montré ses limites en matière de transports, et il s’agissait bien de décentraliser beaucoup de services des anciens réseaux, notamment celui de l’Exploitation, de manière à améliorer les contacts avec la clientèle. C’est seulement en 1947 que, d’une manière marquante, cette volonté décentralisatrice aboutit à un résultat concret avec la création de la Région Méditerranée regroupant les anciens arrondissements de Valence, Marseille et Nîmes de la région Sud-Est, et Béziers de la région Sud-Ouest. On envisageait, à l’époque, de créer aussi des régions autour de Bordeaux, Lille, ou Lyon ou Strasbourg.
L’organisation administrative de la SNCF dut se faire, toutefois, avec l’idée de transformer les anciens réseaux en un seul grand réseau national – idée qui pourrait, a priori, paraître contradictoire avec celle de la décentralisation. Mais il s’agit bien de constituer un grand réseau national dont les services centraux sont installés à Paris et viennent en quelque sorte coiffer les anciens services centraux des anciens réseaux devenant alors des services régionaux capables, eux, d’assurer la décentralisation sur certains points.
Chaque Direction Régionale comprend donc ses propres services correspondant à ces services centraux, et ces directions contrôlent des Arrondissements répartis sur l’ensemble du réseau : Arrondissements Exploitation, Arrondissements Traction, Arrondissements Matériel, et Arrondissements Voie.
La création d’un nouvel esprit cheminot.
Cette question est souvent posée : en quoi la SNCF incarne-t-elle ou construit-elle un nouvel esprit cheminot ? Si l’on considère le monde cheminot des anciennes compagnies et celui des années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, sans aucun doute la SNCF a opéré un changement en profondeur, mais venu de l’extérieur même de son action. Les anciens réseaux apportent en 1938 à la SNCF de fortes particularités régionales, géographiques, techniques, professionnelles, et chacun sait très bien, à l’époque, qu’il existe un « esprit P.L.M. » ou un « esprit Nord » très fort.
Deux éléments vont cependant jouer pour venir changer fondamentalement ces données : d’une part, la mise en commun du matériel moteur, des techniques de signalisation (mouvement amorcé en 1935 sous le nom de « Code Verlant »), des techniques de gestion, et, d’autre part et surtout, la Seconde Guerre mondiale qui va crée, notamment au sein des actions de résistance, une véritable identité de l’ensemble du monde cheminot et qui sera fortement perçue par la collectivité nationale.
Si la Seconde Guerre mondiale a certainement retardé l’évolution technique que souhaitait la SNCF dès sa création, elle lui apporte, en contre partie, la création d’un véritable esprit SNCF qui continuera à agir avec force, notamment dans le cadre d’actions sociales et humaines dans les années d’après guerre.

La SNCF initiatrice d’un profond changement technique.
La création de la SNCF n’a pas seulement pour conséquence une remise à plat des techniques de gestion et d’exploitation du réseau : un grand bond en avant technique fait naître une nouvelle génération de matériel roulant. La SNCF est, certainement, héritière d’un important parc de traction venant des anciennes compagnies avec 15.235 locomotives à vapeur, 723 locomotives électriques, 455 automotrices électriques, et 671 « autres engins » que sont les autorails qui sont tous très récents, les locotracteurs de manœuvres, et quelques locomotives diesel de ligne récentes elles aussi. Le matériel roulant remorqué voyageurs est ancien, les voitures métalliques remontant aux dernières années 1920 ne représentant qu’une partie du parc et la seule qui réponde aux normes de sécurité, et le matériel marchandises, pour sa part, est encore plus vétuste. Les bureaux d’études ont donc beaucoup de travail devant eux, mais il faudra attendre une décennie avant de se retrousser les manches.
En 1948 une seconde période commence pour la SNCF qui a seulement dix années d’existence et qui vient de traverser, avec beaucoup de destructions, la Seconde Guerre mondiale. Devant elle, et jusqu’au milieu des années 1960, elle a à vivre une période tendue, mais fertile en innovations avec la construction des nouvelles locomotives électriques et diesel qu’elle vient d’étudier, de nouveaux autorails, et le renouvellement de son parc de voitures à voyageurs (matériel DEV). Mais c’est aussi l’apparition d’un nouveau système d’électrification: la monophasé 25 000 v de fréquence industrielle 50 Hz qui bouleverse ce mode de traction, sous l’initiative de du Directeur de la SNCF qu’est Louis Armand.

Ne pas laisser disparaître le chemin de fer.
La SNCF connaît, certainement, une période de très grande activité pendant cette période où le rail vit ses dernières années de domination absolue sur le monde des transports terrestres. Chaque année la SNCF transporte plus de 250 millions de tonnes de marchandises dont, principalement, des produits métallurgiques, des combustibles, des minéraux, des matériaux de construction.
Malgré les attraits de l’automobile, le train transporte encore 600 millions de voyageurs par année et des voyageurs qui, sans nul doute, rêvent tous d’acheter une voiture. Heureusement pour la SNCF, l’automobile est un produit très cher et totalement hors de portée, même pour les revenus moyens. Donc les gens prennent le train, et, dans cette époque d’avant le TGV, se contentent d’aller de Paris à Lyon à 128 km/h de moyenne, à Bordeaux à 121 km/h, à Brest à 101 km/h, Nice à 105 km/h, ceci dans ces voitures au confort que, aujourd’hui, on trouverait rude et sonore, et dans des compartiments dont les banquettes en « skaï » et aux parois en « Formica » paraîtraient d’une triste uniformité. Mais ces performances et ce confort sont insuffisants en face des progrès considérables accomplis par l’automobile et l’aviation, et la France se couvre d’autoroutes et d’aéroports.
Le renouvellement complet du matériel roulant.
En 1965, le nombre de locomotives a vapeur est, toujours, le type le plus répandu sur le réseau de la SNCF par rapport aux locomotives électriques et diesel. Le total des locomotives à vapeur est de 2.650, contre 2.010 pour les locomotives électriques, 1.130 pour les locomotives diesel et 1.110 pour les autorails. La vapeur vit ses dernières années et cède peu à peu tous les trains nobles à la traction électrique dont la caténaire gagne du terrain sur l’ensemble des grandes lignes au départ de Paris. Mais la vapeur tient bon, et la traction diesel s’impose, elle aussi. Les prévisions politiques et économiques à long terme ne sont pas encore des outils courants, et la maîtrise de l’énergie n’est pas encore une priorité : on ne sait pas encore que les temps de l’abondance énergétique sont irrémédiablement terminés.

C’est ainsi que la traction diesel connaît son âge d’or. Au milieu des années 1960 elle semble être la traction de l’avenir, et beaucoup pensent même que les grandes électrifications ne seront plus prolongées. Les prototypes BB 69000 et CC 70000 sont annonciateurs d’une traction diesel de grande puissance apte à prendre le relais des locomotives électriques en fin de parcours sous caténaire.
Et dans cette fête de la consommation de l’énergie, on se déplace de plus en plus et tous les jours : la banlieue n’a cessé de se développer depuis le début du siècle, et le nombre de voyageurs faisant quotidiennement un trajet domicile – travail par le train ne cesse de diminuer au profit de l’automobile et de ses embouteillages naissants. Mais, en contrepartie, le matériel roulant de la banlieue reste peu attractif, bruyant, inconfortable, avec un manque de place et de performances critiques. Le parc d’automotrices de banlieue comporte encore du matériel très ancien comme les quelques 200 rames Standard ex-Etat, construites entre 1924 et 1929 et toujours en service à la fin des années 1960. C’est bien l’électrification de Paris-Lyon, assurant le renouvellement du matériel de banlieue Sud-Est, qui, par la force des choses, amène l’arrivée cette fois massive d’un matériel très moderne à caisses en acier inoxydable que sont les Z 5100 mises en service à partir de 1953. La SNCF des années 1960 à 1980 investit massivement en faveur de la banlieue.

Le nouvel âge, c’est la traction électrique.
Au lendemain même de la Seconde Guerre mondiale, la SNCF instaure, sans perdre de temps, un mouvement d’idées et de recherches techniques débouchant sur la mise en service des locomotives électriques qu’elle a étudiées et qui sont à adhérence totale (types CC et BB), la mise en service de la traction diesel de ligne, et aussi des autorails unifiés SNCF formant la deuxième génération d’autorails.
C’est une période d’intense recherche en traction électrique avec l’apparition du courant monophasé, des techniques du redressement du courant à bord des machines qui connaît de nombreuses solutions successives, du bogie monomoteur, du bogie a biréduction, de la locomotive bicourant et polycourant avec des ingénieurs comme Marcel Garreau et Fernand Nouvion. La traction diesel bénéficie de ces recherches et adopte la transmission électrique, y compris sous la forme du monophasé-continu. Le bogie monomoteur et la biréduction de Fernand Nouvion sont apportés par la locomotive électrique qui en fait profiter la locomotive diesel de ligne. Cette longue et importante époque est celle de l’abandon de toutes les solutions non viables à long terme, une époque d’épuration technique en quelque sorte, durant laquelle la SNCF est en route vers une unification de sa traction avec élimination définitive de la vapeur.

Mais, surtout, c’est, avec les essais de 1955 à 331 km/h, puis les nombreux essais à grande vitesse du TGV battant successivement trois records mondiaux à 380 , 515,3 et 574,8 km/h (respectivement en 1980, 1990, et 2007) que la SNCF confie à la traction électrique la charge d’une nouvelle ère, celle de la grande vitesse qui paraissait comme utopique pour les « décideurs » et un grand nombre d’hommes politiques des années 1950 et 1960 pour qui l’avion et l’automobile seuls avaient un futur. Le TGV et le réseau à grande vitesse sont bien des créations d’ingénieurs de la SNCF.

Les hommes qui ont fait naître la SNCF.
Qui sont-ils, ces hommes qui, en deux mois de l’été 1937, ont su faire naître une SNCF pour une France qui attendait depuis 60 ans cet heureux événement ? Leur histoire est peu connue. L’affaire remonte à 1878 quand, devant le déficit croissant d’un certain nombre de petites lignes en Vendée et dans les Charentes, l’Etat prend la décision de ces racheter et de créer son propre réseau qui sera, en quelque sorte, une « vitrine » (le mot n’était pas encore employé) de son savoir faire en matière de gestion ferroviaire, et qui devra préparer les esprits à une nationalisation complète en un deuxième temps. Ce deuxième temps mettra du… temps à venir, car tant que le chemin de fer rapporte aux compagnies et à leurs actionnaires, pourquoi changerait-on ? Mais, avec la Belle Epoque et la Première Guerre mondiale, disparait d’âge d’or des compagnies de chemins de fer, l’âge d’or des actionnaires prospères et des placements de « père de famille » qui ont su « acheter du P.L.M. » ou du « Paris-Orléans ». Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’économie mondiale ira de crise en crise, et les chemins de fer subiront la concurrence routière et aérienne, et aussi feront les frais d’une politique sociale que les autres moyens de transport se garderont bien d’appliquer. La nationalisation apparaît donc comme un moindre mal, mais les actionnaires ne l’entendent pas de cette oreille.
La « gestion bureaucratique d’actionnaires irresponsables »…
L’idée d’une nationalisation inéluctable et nécessaire progresse. En mars 1920, la Fédération des cheminots désire un rachat par l’Etat, et la Compagnie du Nord répond, en effet, que le rachat « était le meilleur parti, et que le gouvernement pouvait être assuré de son concours pour sa réalisation dans les conditions prévues par les contrats qui liaient la compagnie réciproquement avec lui ». Les actionnaires du réseau constatent que « les chemins de fer étaient déjà nationalisés» et que «les compagnies n’étaient que des entrepreneurs de construction et d’exploitation à qui l’État pouvait reprendre ses chemins de fer, lorsqu’il lui plairait, en vertu du droit de rachat qu’il pouvait exercer à toute époque ». Bref, la question ne fâche pas autant que l’on pourrait le croire, et la nationalisation est perçue comme inévitable, mais chacun fait semblant de ne s’y résoudre qu’à regret, personne n’osant chiffrer la question cruciale : l’indemnisation des compagnies et de leurs actionnaires.

En effet, le coût du rachat est exorbitant. Une grande partie du monde politique, disons conservateur, n’y est pas favorable en raison de « l’expérience trop récente et trop décevante du chemin de fer de l’État » qui persiste à présenter un bilan et des performances médiocres – en attendant que Raoul Dautry ne vienne le diriger en 1931 et redresser spectaculairement la barque.
Pourtant d’autres hommes politiques affirment qu’il faut nationaliser le réseau, non seulement pour assurer un meilleur rendement, mais aussi pour ne pas « laisser subsister ces différentes compagnies qui n’avaient fait que compartimenter notre pays dans des vues étroites et intéressées ». Le ministre socialiste Albert Thomas affirme la nécessité d’exploiter les chemins de fer «dans l’intérêt de la nation » et préconise carrément de « substituer à la gestion bureaucratique et rigide d’actionnaires irresponsables la représentation des intérêts collectifs ». Ce seront aussi les positions de Léon Blum. Elles sont repoussées lors du débat du 14 décembre 1920, mais reprises par le groupe socialiste lors du débat sur la nouvelle convention, en juin 1921.

La convention de 1921 calme les esprits et repousse le grand débat à plus tard, utilisant de nombreuses concessions mutuelles entre les pouvoirs publics et les compagnies. Les compagnies oublient les litiges en cours et les réclamations concernant les indemnités de la Première Guerre mondiale. L’État, de son côté, renonce à réclamer aux compagnies les avances qu’il avait faites au cours de la guerre au titre de la garantie et rembourse les déficits de cette période. Les compagnies acceptent d’adhérer au fonds commun auquel participait aussi le réseau de l’Etat. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, donc, si toutefois, les réseaux sont en mesure de gagner de l’argent.
En 1936, rien ne va plus : faites vos jeux !
La convention de 1921 instaure, en autres, son fonds commun de répartition entre les réseaux de leurs déficits et de leurs excédents financiers. Mais cela ne résout rien, car les réseaux perdent tous de l’argent. L’effondrement du trafic se conjugue à la hausse des coûts salariaux. Calculé en unités-kilomètres, le trafic s’est réduit de 31 % de 1930 à 1936, alors que les recettes ont baissé de 36%.
Une commission parlementaire propose en mars 1935 un programme d’économie d’un milliard de francs, obtenu grâce à une accentuation du caractère autoritaire de la coordination des transports routiers et ferroviaires, et … à un abaissement des salaires – on devine le succès de cette dernière proposition…
Lorsque le Front populaire est au pouvoir, les compagnies se retrouvent en position d’accusées devant l’opinion publique, ce qui fait que leur sort est très rapidement réglé, et même en douceur, grâce à l’intervention du Sénat, et parce que les dirigeants des compagnies ont compris qu’ils ne pourraient plus faire face à la situation.
Même les intellectuels s’en mêlent…
Des déficits qui se calculent en milliards de Francs d’époque donnent le vertige et remplissent les colonnes de la presse à sensation. Un certain Pomaret, rapporteur du budget des chemins de fer de 1937, cité par l’Illustration du 11 septembre 1937, déclare : « Le déficit de nos grands réseaux, qui s’augmentait à la cadence de 10 à 12 millions par jour pendant la période 1933-1936, va croître désormais au rythme quotidien de près de 18 millions, soit 750 000 F par heure, 12 500 F par minute, 210 francs par seconde ». C’est bien dans ce climat que le débat s’instaure : la campagne d’opinion contre les compagnies est même menée par le « Comité de vigilance des intellectuels antifascistes » (c’est dire jusqu’où cela va !) qui appelle le ministre des Travaux publics à « chasser les féodaux du rail », car « les grandes compagnies avaient jusqu’à ce jour invariablement vaincu la République ».
Pendant l’été de 1937 : une SNCF faite en deux mois.
Les négociations entre l’État et les compagnies débutent le 2 juillet 1937. René Mayer, futur Président du Conseil, est désigné pour être « le fondé de pouvoir » des réseaux, et demande aux compagnies d’accepter la fusion des réseaux et de permettre ainsi au gouvernement de réaliser « une réforme spectaculaire» faisant table rase du passé. La nouvelle société doit être « l’unique patron du personnel, l’unique propriétaire du matériel, l’unique gérant des tarifs ». Le capital est à partager entre l’État et les actionnaires des compagnies. René Mayer s’inspire de la création d’Air France en 1932, et envisage la création d’une société d’économie mixte plutôt que d’un service d’État. Mais plusieurs présidents de compagnies, dont Édouard de Rothschild lui-même, ne souhaitent pas cette solution qui les engagerait encore, et, au fond d’eux-mêmes, veulent se retirer définitivement de l’aventure ferroviaire qui ne rapporte plus rien.
René Mayer présente un projet d’une « société
nationale » (le terme est de lui) où les compagnies seraient participantes
« à la condition que l’on sauvegardât les intérêts des actionnaires et
qu’on donnât une partie de ce que les conventions leur assuraient ». Le 30
juillet, le Conseil des ministres confie au radical-socialiste Henri Queuille
la mission d’inclure les négociations pour la constitution de la société
nationale le 31 août, dernier délai. Le 31juillet, le ministre fit savoir à
René Mayer, au cours d’un entretien, que le gouvernement désirait aboutir à un
accord, mais qu’il n’accepterait sans doute pas que les compagnies détiennent
la majorité au conseil d’administration .
Le 9 août, les compagnies présentent un projet comprend trois exigences : la garantie des droits des actionnaires, la majorité dans la compagnie nationale, l’autonomie de gestion de la société nationale. Mais la prépondérance de l’Etat est assurée par la convention du 31 août qui lui accorde une majorité avec 51%. Un décret en date du 31 août 1937 accorde la liberté du camionnage rural et taxe les transports à longue distance, et, selon les notes prises pendant les débats parlementaires, pour que l’on « abandonne ces formidables forteresses roulantes qu’on trouve sur les routes » (sic : le terme n’ pas pris une ride !). La SNCF existe, mais les « forteresses roulantes » (et même volantes !) veillent autour du berceau.
Louis Armand 1905-1971 Raoul Dautry 1880-1951 Marcel Garreau 1903-1982 Fernand Nouvion 1905-1999 Equipe de conduite d’une 141-R vers 1960 René Mayer 1895-1972 Ouvriers de la voie vers 1946 Ouvriers de la voie vers 1955 Autorail ABJ renault vers 1952 Voyageurs et autorail Renault VH en 1937. Locomotive à vapeur 241-P et train grandes lignes vers 1955 Lcomotiive électrique 2D2-5100 et train grandes lignes vers 1958
Les autres nationalisations dans le monde.
La France n’est pas, loin s’en faut, le premier pays à avoir donné l’exemple en matière de nationalisation de son réseau ferré, et la France, contrairement à ce que l’on pense, n’est en rien le pays champion de la nationalisation… La Suisse, entre autres, l’a précédée et de très loin … Certains pays comme le Pérou, la Suède, ou le Chili, ont un réseau public dès le milieu du XIXe siècle, et même la Suisse a nationalisé son réseau bien avant la France. Aucune nationalisation n’a ressemblé à une autre, ni dans les conditions faites aux anciennes compagnies privées, ni dans l’échelonnement dans le temps. Certains pays ont poursuivi un processus de nationalisation plus ou moins rapide jusqu’à ce qu’il soit complet (l’Australie, par exemple), d’autres ont nationalisé une partie de leur réseau (la Suisse, par exemple), d’autres enfin, ont tout nationalisé d’un seul coup, ce qui est le cas le plus général. Certains pays à structure privée ont seulement nationalisé certains services (les Etats-Unis, avec Amtrak pour les voyageurs, par exemple) ou ont aussi des réseaux d’état publics (comme les Etats-Unis avec le réseau de l’Alaska). Certains pays à structure publique ont conservé cependant des petits réseaux privés (comme la Chine, la Hongrie). Notons qu’en cas de guerre, les Etats-Unis nationalisent leur réseau et le placent sous contrôle militaire.
Voici un tableau de quelques unes des nationalisations les plus marquantes :
1851 | Pérou (à l’origine) |
1855 | Australie (N. Galles du Sud, puis autres états) |
1856 | Suède (à l’origine, partiellement) |
1863 | Chili (à l’origine) |
1873 | Mexique (à l’origine, partiellement) |
1876 | Hongrie |
1880 | Jamaïque |
1885 | Danemark |
1885 | Bulgarie (processus terminé en 1908) |
1889 | Roumanie |
1898 | Suisse (processus terminé en 1909) |
1905 | Italie |
1906 | Japon |
1910 | Afrique du Sud |
1913 | Nigéria |
1917 | Philippines |
1917 | Russie |
1919 | Pologne (lors de l’indépendance du pays) |
1920 | Canada (partiellement) |
1920 | Colombie |
1920 | Grèce |
1922 | Guyane |
1923 | Alaska |
1924 | Allemagne |
1926 | Belgique |
1938 | France |
1939 | Espagne |
1939 | Algérie |
1947 | Argentine |
1948 | Royaume-Uni |
1949 | Irlande |
1949 | Chine |
1950 | Inde |
1952 | Uruguay |
1957 | Brésil |
1960 | Cuba |
1960 | Equateur |
1970 | Guatemala |
1971 | Etats-Unis (service voyageurs Amtrak) |
1975 | Australie |
1981 | Ethiopie |
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