Le chemin de fer: dès sa naissance, sa raison d’être sera la vitesse.

Dès les débuts de la grande aventure du chemin de fer, la vitesse est exigée. Certes, on lui demande aussi le transport de masses dix à cent fois plus lourdes que celles transportées par les routes jusque là et que l’on trouve déjà sur les canaux que le chemin de fer est appelé à concurrencer et à supplanter.

La vitesse ? Personne ne la connaît, personne n’en fait, ni sur les routes ni sur les eaux, et encore pas dans les airs, et ce souhait sera immédiatement exaucé dès les circulations des premiers trains de voyageurs et de marchandises sur les premières lignes commerciales. Le souci de la grande vitesse est une très vieille affaire pour le chemin de fer, et, contrairement à ce qui est souvent pensé, ce souci ne date pas de l’époque du TGV, car il est aussi ancien que le chemin de fer lui-même. Depuis sa création dans les premières décennies du XIXᵉ siècle, il y a bientôt deux cents ans, le chemin de fer ne pouvait survivre que par la vitesse pour détrôner ses concurrents, se mettant à faire en une heure ce que la diligence faisait en une journée, tout en transportant autant que les canaux.

La locomotive Thuile : une des premières machines conçues pour des essais de grande vitesse en 1900. Prévue pour le 200 km/h grâce à ses roues immenses de 2,50 m, elle ne put dépasser 117 km/h, démontrant que la vitesse, sans la puissance, n’était qu’illusoire.

Nous sommes au Pays de Galles en 1804, et la première locomotive à vapeur connue roule: Richard Trevithick, son constructeur et inventeur, la conduit en marchant derrière elle ou à ses côtés, surveillant avec crainte une machine capricieuse, mais efficace qui se montrera capable de remorquer un train de 50 tonnes sur de fragiles rails en fonte.

La première locomotive à vapeur connue est celle de Richerd Trevithick qui roule au Pays de Galles en 1804 à une vitesse d’environ 4 km/h.


L’inauguration de la ligne de Stockton à Darlington, en 1825, montre que la vitesse de la locomotive « Locomotion » de George Stephenson est ce qui impressionne durablement les foules qui montent, en habits du dimanche, sur les wagons de charbon ! Cette célèbre peinture est un des chefs-d’œuvre du peintre anglais Terence Cuneo.

Le tout premier exploit est le record à 59 km/h battu par la locomotive « La Fusée » de l’Anglais George Stephenson, lors du concours qui allait donner naissance à la première ligne commerciale moderne, c’est-à-dire une ligne ouverte au public, faisant circuler des trains avec des horaires, en ayant des guichets de vente de billets, ce qui est le cas de la ligne de Liverpool à Manchester. Et puis le train découvre rapidement cette loi éternelle : la vitesse est nécessaire pour transporter plus.

Pourtant, le chemin de fer est créé pour le transport du charbon. Les premières compagnies sont obligées d’accepter des voyageurs tellement la demande est forte. George Stephenson dira: « Les voyageurs voyageront à la vitesse du charbon! »… Mais c’est le charbon qui ira à la vitesse des voyageurs.

La locomotive « La Fusée » de George Stephenson atteint 59 km/h lors du concours de Rainhill en 1829 : jamais une machine et un homme n’ont atteint une telle vitesse. La locomotive comporte déjà toutes les dispositions techniques définitives pour la puissance et la vitesse.

Pourquoi ? Parce qu’accroître le débit des lignes est la seule manière de répondre à une demande de transport en expansion continue. On peut évidemment multiplier les trains, mais la saturation est rapidement atteinte. Rien n’empêche non plus de dédoubler les lignes, à ce ceci près que cette option est hors de prix, et il faudra bien, d’ailleurs, le faire pour l’ensemble des grandes lignes des réseaux européens du XIXᵉ siècle. La solution la plus rentable s’impose d’elle-même : augmenter la vitesse des trains, pour augmenter le débit des lignes. La course à la vitesse est lancée, non sous la forme de records isolés, mais d’un accroissement de la vitesse pour l’ensemble des trains, chacun progressant dans sa catégorie, les trains de marchandises et les trains de voyageurs omnibus passant de 20 à 60 km/h entre 1830 et 1900, et les trains de voyageurs, durant la même période, approchant par paliers un bon 100 km/h atteint par certains vers les années 1890 et confirmé pour un nombre plus grand de trains à la veille de la Première Guerre mondiale. Dès la fin du XIXᵉ siècle, le 100 km/h est une règle générale européenne pour l’ensemble des trains de voyageurs des catégories supérieures. Entre les deux guerres mondiales, les vitesses courantes des meilleurs trains de voyageurs se situent entre 120 et 140 km/h, tandis que les trains les plus lents, comme les omnibus ou les trains de marchandises, roulent à 70/80 km/h. Les années 1960 à 1980 imposent le 160 à 200 km/h aux trains rapides classiques. Le TGV des années 1980 à 2000 apporte le bond jusqu’à 260/270 km/h, puis 300 km/h, puis, très récemment, cette vitesse est portée à 320 km/h avec l’inauguration, en 2007, du TGV Est.

Le 350, voire le 400 km/h, est pour bientôt, sans nul doute vers 2020-2030, car les limites du système roue/rail en acier ne sont pas atteintes et si la concurrence de l’avion demande une nouvelle augmentation des vitesses ferroviaires, ce ne sera sans doute pas le cas concrètement et immédiatement. En effet, cette augmentation de la vitesse ferroviaire se fera toujours dans les limites de la « Vitesse Optimale Économique », cette doctrine de la SNCF exprimée par son président Dupuy dans les années 1980 imposant de ne pas dépasser la vitesse nécessaire pour vider les avions de leurs passagers…

La SNCF, qui a fait rouler ses premiers trains à 200 km/h, comme le « Capitole » de Paris à Toulouse et l’« Étendard » de Paris à Bordeaux en 1967, sait parfaitement que les coûts d’investissements et d’exploitation croissent avec la vitesse et « rognent » le bénéfice commercial apporté par la réduction du temps de parcours. Rechercher des moyennes élevées plutôt que des records. Les ingénieurs des chemins de fer ne recherchent pas des records, en fait, car ces derniers n’intéressent pas les compagnies exploitantes ni leurs clients. Une fois le record établi, il intéresse certainement la presse, à titre d’événement sensationnel, puis il est oublié. Il permet certainement un apport publicitaire pour la compagnie détentrice du record, mais rien de plus.

Ce qui compte est la vitesse du train de tous les jours que tout le monde prend surtout les trains présentés sur les horaires comme « express », selon les termes de l’époque, terme remplacé par celui de rapide au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est pourquoi un certain nombre de grands réseaux de tout premier plan mondial, comme celui des États-Unis, ont pratiquement ignoré toute recherche de records, n’en ont pas fait connaître, laissant à la presse à sensation d’annoncer que tel ou tel train avait roulé exceptionnellement à telle vitesse, considérant d’ailleurs que ce genre d’exploit, qui relève plutôt du hasard avec tous les dangers que cela pouvait impliquer, ne pouvait être, tout compte fait, un élément rassurant pour les voyageurs. Il valait mieux montrer que le réseau maîtrisait parfaitement les vitesses pratiquées, maîtrisait le comportement des mécaniciens et des locomotives et respectait scrupuleusement les règlements de sécurité et n’exposait pas ses voyageurs à des grandes vitesses non sollicitées ou à des compétitions à l’anglaise. Ne cherchant donc nullement à battre des records, les réseaux américains offrent, par contre, des vitesses moyennes élevées pratiquées quotidiennement et attirent ainsi une clientèle qui a certes du temps à gagner, mais nullement des risques à prendre.

Il est vrai que, face aux réseaux américains très prudents, les réseaux britanniques du XIXᵉ siècle ont un tout autre raisonnement issu du libéralisme et de la concurrence, et se livrent, notamment pour le service de l’Écosse, à une véritable compétition entre les trains prenant l’itinéraire de la côte ouest (réseau du « London, Midland & Scottish Railway ») et de la côte est (réseau du « London & North Eastern Railway »), et là les records se suivent dans une course folle à but publicitaire jusqu’à ce qu’une catastrophe mémorable oblige le gouvernement britannique à mettre fin à ces pratiques et à règlementer la vitesse des trains en service courant.

La grande vitesse anglaise sera dominée, à la fin du XIXᵉ siècle, par la « single driver » (locomotive à un seul essieu moteur), peu puissante, mais dont la paire de grandes roues motrices permet de faire rouler un train léger à 100 km/h avec seulement 320 tours/minute pour les roues.
La compétition entre les deux réseaux britanniques desservant l’Écosse atteint son paroxysme à l’époque des Pacific des années 1930. Tous les jours des paris sont pris et les heures d’arrivée comme les vitesses de point sont l’objet d’enjeux.

La valeur des records pour l’historien. 

Par contre, les records ont, pour l’historien des chemins de fer, comme pour l’amateur, une valeur de témoignage et de mesure de la progression technique, car il est certain que la compagnie qui peut s’offrir tel ou tel record a, en général, les locomotives et les infrastructures permettant de pratiquer de bonnes vitesses en service courant. Les records vont souligner cette progression de la vitesse et se succéder naturellement, en fonction de cette recherche continue de la vitesse. La vitesse seule peut apporter au chemin de fer ses voyageurs qui sont de plus en plus pressés par le rythme de travail de la Révolution industrielle et les temps modernes, mais aussi ses marchandises qui, jusque-là, circulent trop rarement et trop lentement. Les compagnies qui aiment les records n’en démordent pas. Si l’on regarde les records qui font suite à celui de la Fusée en 1829, ils sont, dans les faits, assez rares. Ils appartiennent d’abord au Great Western Railway anglais avec une locomotive Pearson qui roule à 130 km/h en 1853, et au réseau du Second empire en France avec les fameuses locomotives Crampton dont d’entre elles une bat un record à 144 km/h.

Une locomotive type 212 du Bristol & Exeter anglais en 1854 : le 130 km/h est monnaie courante, soit une vitesse 10 fois supérieure à celle des meilleures diligences.

Une rame automotrice électrique d’essais allemande roule à 210 km/h dès 1903 entre Marienfelde et Zossen, près de Berlin, préfigurant l’expansion de la traction électrique, tandis qu’ un étrange « Zeppelin » sur rails et à hélices roule à 230 km/h en 1931.

Les deux automotrices AEG (en haut) et Siemens (en bas) qui ont roulé à 210 et 203 km en 1903.
L’automotrice Siemens, ses techniciens et ses voyageurs, le jour du record à 203 km/h.
Même le « Meccano magazine » s’enthousiasme pour l’autorail Kruckenberg à hélices qui, en 1931, atteint 230 km/h. Mais le réseau ferré allemand ne donnera pas de suite à ce projet.

La France, pour sa part, reprendra le flambeau non des records, mais de ce que la SNCF appellera toujours des « essais », et cette fois, en traction électrique et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale d’abord avec un essai à 243 km/h en 1954, puis avec un spectaculaire essai à 331 km/h en 1955, dans les Landes, préfigurant la politique de la grande vitesse sur rails qui aboutira à la création du TGV.

Les essais à grande vitesse entrepris par la SNCF entre 1954 et 1965 (doc.SNCF).
Les premiers sites concernés par les essais à grande vitesse de la SNCF

D’autres essais de vitesse se succèderont en France, plusieurs à plus de 300 km/h, puis à 482, 4 km/h, jusqu’au fameux record (le terme est bien utilisé, cette fois) à 515, 3 km/h battu par une rame TGV en 1990 sur la ligne à grande vitesse de l’Atlantique, puis, de nouveau en 2007 par une rame TGV sur la ligne à grande vitesse de l’Est avec une vitesse de 574,8 km/h. .

Le TGV, d’abord parce qu’il y a une LGV.

Un retour sur l’histoire des essais et des records du TGV s’impose, car ils ne sont nullement venus d’un esprit de compétition ou d’un goût du sensationnel que la SNCF était bien loin d’avoir. Il est vrai que le succès du TGV a fortement changé les mentalités et le management de la SNCF, et l’a fait miser sur le développement du trafic voyageurs, donnant d’ailleurs au réseau ferré français une spécificité voyageurs pratiquement unique au monde. Issu directement du projet C-03 de la Direction du Matériel, étant d’une conception purement SNCF – la Direction du Matériel ne manque pas de techniciens de valeur innovateurs et très décidés – ce train a pu changer beaucoup de choses pour le chemin de fer français et lui donner une place de tout premier plan au début d’un troisième millénaire alors que, vers le milieu du 20ᵉ siècle, le chemin de fer était unanimement condamné, jugé sans avenir.

Les origines d’une politique de vitesse plongent leurs racines dans cette difficile période du milieu des années 1960, quand le chemin de fer est donné pour définitivement perdant et battu, et quand le projet de l’aérotrain de Jacques Bertin incite les pouvoirs publics à demander à la SNCF de proposer, en réponse à l’aérotrain, une alternative pour un train nouveau, à grande vitesse, assurant des dessertes rapides et fréquentes entre grandes villes. La SNCF est mise au pied du mur et se doit de répondre à demande de ses autorités de tutelle. En 1965 la SNCF propose un projet de rame Paris-Bruxelles poussée par un extraordinaire « booster » (terme utilisé par les ingénieurs de l’époque) capable de fournir 3500 ch et de pousser la rame à un 270 km/h très rapidement atteint. Mais une idée essentielle est déjà présente : la circulation sur une ligne spéciale à grande vitesse dédiée uniquement à ce genre de train, et, à l’époque, prévue sur le terre-plein central des autoroutes.

En 1969, le cahier des charges pour deux rames expérimentales du fameux projet C-03 est élaboré. La rame A, la plus classique des deux, sera effectivement construite pour 1972, année de début de ses essais. Echangeant peu à peu son nom de Turbotrain pour celui de TGV 001, cette rame révèle des qualités d’aérodynamisme exceptionnelles (espacement des bogies optimal, carénage efficace y compris sous les caisses, etc.) et sa puissance massique de 18 kW/t lui permet de très nombreuses circulations à des vitesses record, y compris le spectaculaire record à 318 km/h du 8 décembre 1972. Elle préfigure le TGV actuel et permet sa mise au point.

En 1972, la RGCF dévoile quelques secrets concernant le TGV à turbine à gaz. C’est le chef-d’œuvre de l’ingénieur Guy Sénac pour qui l’abandon de ce mode de traction pour le TGV sera vécu comme un profond échec.

L’année 1974 est celle d’un événement majeur : l’abandon de la turbine à gaz pour la traction électrique, ceci sur fond de crise pétrolière, et aussi parce que la traction électrique semble seule pouvoir fournir les grandes puissances et l’endurance nécessaires pour le TGV qui apparaît déjà comme un nouveau chemin de fer intéressant la nation entière et non un simple train réservé à une élite de gens pressés. Sur une période de vingt années très intenses, la situation du chemin de fer en France s’est complètement retournée, et, surtout, sa perception par des pouvoirs publics et les « grands décideurs » est devenue tout autre : alors survivance archaïque du XIXe siècle, vers 1955, le train est maintenant promu au rang de moyen de transport du futur en 1975, et l’on trace dans l’enthousiasme les lignes d’un futur réseau ferroviaire à grande vitesse, et l’on voit des chantiers de constructions de voies ferrées s’ouvrir – chose qui ne s’était pas vue depuis les années 1920 quand on abandonne les derniers projets et chantiers en cours restant de la fièvre des chemins de fer d’avant la Première Guerre mondiale.

Ce qui est certain est que c’est bien la ligne à grande vitesse, ou LGV, qui permet le train à grande vitesse.

Faire circuler des trains à grande vitesse sur des lignes ordinaires, déjà occupées par des trains lents, n’a aucun sens, car il faudrait arrêter et garer les trains lents pour permettre la circulation des trains rapides. On croit souvent que ce sont les chemins de fer japonais, avec leur fameux « Shinkansen », qui ont inventé les LGV dans les années 1960. Il n’en est rien : ce sont les Italiens, avec leurs lignes « Direttissima » dédiées à la grande vitesse dès 1934, et parcourues, à partir de 1937, par des rames électriques ETR200 roulant à 160 km/h en service courant et capables de pointes à 200 km/h.

Rame automotrice italienne ETR 200 des années 1940 : ce sont elles les premiers TGV circulant sur des lignes dédiées à la grande vitesse, les fameuses lignes « Direttissima ».
La « Direttissima » Bologne-Florence (en rouge) en 1951. La ligne classique ancienne est en vert.

N’oublions pas, non plus, que quand le réseau japonais, très courageusement d’ailleurs et avec un rare sens de l’innovation, fait rouler ses premiers trains à grande vitesse, la vitesse atteinte est de 210 km/h, alors que nombre de réseaux européens dont la SNCF font rouler des trains à 200 km/h. Ce qui compte n’est guère la différence de vitesse qu’est 10 km/h, mais bien l’existence d’un réseau à grande vitesse japonais, réseau imposé par le fait que l’ensemble du réseau japonais historique était dans un écartement étroit de 1067 mm, totalement impropre à des vitesses élevées et des trains de grande contenance : il fallait au moins la voie normale de 1435 mm. Le secret de la réussite japonaise était bien dans la construction d’un réseau dédié à la grande vitesse et séparé du réseau ordinaire.

La vitesse : pourtant peu jugée nécessaire vers la fin du XIXe siècle.

Quand la « Revue Générale des Chemins de Fer » est créée en 1878, la recherche de la grande vitesse se fait, mais n’est pas jugée comme essentielle dans le monde ferroviaire. Il semble acquis et évident que le chemin de fer a apporté avec lui la vitesse. Les premiers trains reliant Paris à Marseille sous le Second Empire font le trajet en une vingtaine d’heures, alors qu’il fallait une douzaine de jours par la route.

Cette douzaine de jours en diligence et coche d’eau jusqu’à la vingtaine d’heures en train : voilà le bond, dans la vitesse, qui est de l’ordre de 24 fois plus vite à la naissance du chemin de fer, alors que le TGV actuel « ne » va « que » sept fois plus vite que les premiers trains. Le vrai bond, le vrai grand progrès se fait bien lors de l’apparition du chemin de fer moderne avec sa locomotive à vapeur. La suite ne sera qu’une amélioration d’une situation déjà amplement novatrice et qui a déjà bouleversé le monde en créant une civilisation industrielle déjà portée sur les performances et la vitesse. Une vitesse, pourtant, nullement recherchée comme une fin en soi.

En 1765, le trajet de Paris à Marseille demande 12 jours : en 1855, une fois la ligne entièrement ouverte, les trains mettront moins d’une journée. Jamais le bond en avant, dans l’histoire des vitesses, ne sera aussi fort.

La vitesse ? Pour les premiers ingénieurs des chemins de fer, c’est plutôt une nuisance, un danger, une donnée technique inhérente à la facilité de roulement sur le rail et qu’il urge non seulement de maîtriser, avant de jouer les apprentis-sorciers et d’affronter des catastrophes qui ne manqueront pas de se produire. La catastrophe de Meudon, avec son train chargé de 1000 voyageurs (les diligences étaient limitées à une quinzaine de personnes) dont 55 périssent dans les voitures reversées, entassées et brûlant comme des fagots pose la question de confiance cruelle et définitive : l’homme doit-il oser ? La réponse sera non, et la prudence dictera désormais les choix techniques. De toutes manières, les premiers grands concepteurs des chemins de fer savent ce qu’ils doivent à la batellerie dont le modèle d’organisation et d’exploitation les a inspirés. Les premières lignes de chemin de fer sont appelées des « canaux secs » et les gares (ce mot est purement d’origine fluviale) sont des « ports secs ». Les enjeux sont posés en termes de débits, et non de vitesse : on sait qu’une succession de péniches de charbon, type Freycinet des années 1880, circulant à la vitesse du pas, mais arrivant tous les quarts d’heure chacune avec ses 300 tonnes de charge, donne 1200 tonnes à l’heure, plus de 10 000 tonnes par jour : le chemin de fer, même en roulant cinq fois plus vite, seront loin, mais bien loin, d’atteindre immédiatement un tel débit. Il fera de la vitesse, faute de débit, son atout principal, mais, en 1850, le chemin de fer ne transporte environ que 10 % du marché du transport national en France, laissant à la batellerie et au roulage le reste du marché en parts presque égales, mais progressera jusqu’à 67 % en 1880. Quand la RGCF est créée en 1878, le chemin ne fait que commencer à dominer le marché du transport, et la question de la vitesse n’est pas encore dans les faits le moyen essentiel du développement ferroviaire.

« Moyens de détruire et de modérer la vitesse. Résistance des trains »

Ce n’est, ni plus ni moins, le titre du Tome 3, 2ᵉ fascicule, de l’encyclopédie « Voie, Matériel roulant, et Exploitation technique des chemins de fer », l’imposant ouvrage en trois tomes et sept volumes, écrit par Charles Couche, professeur de cours de chemins de fer à l’École des Mines et qui fait autorité sur le monde ferroviaire français à la fin du XIXe siècle.

La RGCF est donc née en pleine période Couche et ce grand ingénieur pense, comme l’ensemble de ses collègues de l’époque, que la vitesse est, en quelque sorte, un sous-produit nocif et dangereux du chemin de fer jusque dans son principe même, le roulement sans résistance, sans entrave, avec une dépense d’énergie dérisoire certes, mais des risques considérables. L’établissement et la conduite des locomotives implique la mise en place de moyens puissants pour « détruire » la vitesse, ou la « modérer » selon les besoins et faire usage de cette salvatrice qualité que les trains ont de « résister ». Couche écrit page 599 du tome en question : « Pour produire un travail utile déterminé, les machines motrices employées dans l’industrie ont à vaincre des résistances passives plus ou moins considérables, mais à peu près constantes. Il n’en est pas de même dans l’industrie des chemins de fer. Cette fabrication en plein vent (sic) de « voyageurs-kilomètres », de « tonnes kilomètres », est soumise à toutes les influences atmosphériques et leurs variations agissent non seulement sur les résistances, par les changements de température qui modifient l’état des graisses et par les changements d’intensité et de direction du vent, mais aussi par les variations de l’adhérence ». Bref, le tort des trains est de circuler, pis encore à l’air libre, et, comme le montrera Couche, de dévaler des pentes ou d’affronter des rampes, tout en étant plus ou moins retenus par des charges très variables. Alors… la vitesse, en plus ? Non merci.

La prudence demande d’abord de pouvoir freiner.

Le premier enjeu est loin d’être celui de la vitesse, mais, plus modestement, celui de la sécurité. Les trains des premiers temps roulent vite, très vite et trop vite, par la nature même du principe du chemin de fer et il faudra investir toujours plus dans la qualité des voies, d’une part, et, d’autre part, faire des recherches pour parvenir à maîtriser et à réduire la vitesse en luttant contre la formidable inertie représentée par le poids d’un train de plus de 100 tonnes lancé à des vitesses qui dépassent 50 à 80 km/h : un freinage efficace manque, et la vitesse se stabilisera, ou même se réduira, pendant les décennies suivantes, car les ingénieurs n’ont pas de solution efficace, facile à utiliser et fiable pour freiner les trains et les arrêter. À cette époque, on utilise encore la technique du freinage manuel avec de nombreux gardes-freins postés sur les wagons, et ce système, aléatoire et mal coordonné, entraîne de nombreux temps morts, chocs, heurts, réactions vives sur les attelages et les tampons. Il faudra donc se résoudre à rouler moins vite. Pendant des décennies, les installations fixes et les systèmes de freinage seront en deçà des capacités des locomotives.

Sur le réseau du Nord, en 1853 aussi, un décret impérial fixe la limite de la vitesse en service des locomotives Crampton à 120 km/h par mesure de sécurité, mais, dans les faits, cette vitesse n’était que très rarement atteinte, car les freins de l’époque ne garantissaient plus une sécurité raisonnable commençait à déplacer des trains lourds à ces vitesses dépassant les 80-90 km/h : le fameux « cent à l’heure » était risqué sous Napoléon III, notamment pour des trains lourds, et si Napoléon fait un trajet de Paris à Marseille à cette vitesse en 1855 – fait assez peu établi, en outre – ce n’est qu’au prix d’un train léger formé de deux voitures, et d’une succession de locomotives Crampton tenues prêtes dans les dépôts successifs, se relayant les unes après les autres et en roulant sur une ligne alors complètement dégagée de tous ses trains. Encore que… la ligne n’était pas achevée, à l’époque, en ce qui concernait la traversée de Lyon.

Une locomotive Crampton en tête du train impérial sur le réseau du Nord : sa vitesse était limitée en service courant à 120 km/h, soit 10 fois la vitesse des diligences ou des malles-poste sur les meilleures routes : en moyenne avec cette locomotive, on faisait en heures ce que, auparavant, on faisait en journées!

Le Nord, à l’époque des 120 km/h autorisés par le décret impérial, ne pratique cette vitesse qu’exceptionnellement et avec du matériel équipé du frein continu Bricogne, qui représente le premier système de freinage continu utilisable en service courant, fiable, et simple, permettant de freiner, depuis un seul poste de commande, l’ensemble des véhicules d’un même train d’une manière progressive et cohérente. Un nouveau progrès en matière de vitesse se fera donc tout naturellement avec la généralisation du frein continu Westinghouse à partir des années 1880 en Europe. Un nouveau bond en avant se produit, et, en France, par exemple, on organise en 1889 et 1890 des essais dont le résultat sera des vitesses portées à 124 puis 144 km/h. Aux États-Unis et au Royaume-Uni le frein continu permet de relever très sensiblement les vitesses, et les ingénieurs des compagnies ne sont limités par aucune réglementation fixant une vitesse limite, alors qu’en France le décret de 1853 bloque la vitesse à 120 km/h jusqu’en 1936, année durant laquelle quelques dérogations à 130 ou 140 km/h seront accordées pour des tronçons de grandes lignes particulièrement favorables. Le réseau du Nord effectuera, jusqu’en 1938, d’importants travaux pour relever la vitesse à 140 km/h. Mais, depuis les années 1890, les réseaux américains et britanniques font pratiquement ce qu’ils veulent en matière de vitesse et ne s’en privent pas.

La locomotive de vitesse subitement sur le devant de la scène.

Dans les années 1880-1910, époque où le progrès technique est particulièrement glorifié, la locomotive de vitesse passe, au Royaume-Uni, pour un accomplissement dans ce domaine et, dans le même esprit, l’accroissement des chiffres des vitesses atteintes constitue la face mesurable et comparable de ce progrès. On parle avec enthousiasme et conviction du « cent à l’heure » des Pacific de cette veille de la Première Guerre mondiale. Sur le réseau du Paris-Orléans en France, par exemple, les Pacific de la série 3500 assurent, pour le Sud-Express, une moyenne de 93 km/h entre Les Aubrais et Saint-Pierre des Corps, en longeant la Loire sur un parcours plat et facile, ce qui demande de rouler à une vitesse de pointe pouvant atteindre jusqu’à 110 km/h en cas de retard à rattraper. Pendant ce temps, les locomotives Décapod (type 150) hissent, dans les montagnes d’Auvergne, des trains de voyageurs express pesant 370 tonnes sur des rampes à plus de 20 pour mille, avec des différences d’altitude de plus de 500 mètres, mais à une vitesse moyenne de 50 km/h, soit une vitesse pratiquement moitié moindre, mais en fournissant un effort de traction quatre fois supérieur : personne ne parle, dans la presse et dans les ouvrages de vulgarisation, du travail des Décapod, et tout le monde n’a d’yeux que pour la Pacific du Sud-Express. « De tout temps la vélocité a attiré les foules et au fur et à mesure de l’apparition des véhicules à traction mécanique, des essais et des courses ont toujours été organisés, soit pour constater l’efficience des solutions adoptées, soit pour départager les mérites respectifs des engins » : voilà ce qu’écrit Lucien-Maurice Vilain dans son traité « La locomotive à vapeur et les grandes vitesses » paru en 1972, à une époque où l’on faisait le bilan d’un mode de traction qui disparaissait.

Il faut dire que la locomotive à vapeur, qui naît en 1804 au Pays de Galles et roule à 4 km/h, roule déjà à 56 km/h en 1829 (haut le pied) pendant très médiatisé concours de Rainhill, atteint quinze ans plus tard la vitesse de 100 km/h en remorquant une charge de 100 tonnes et peu s’élancer à 120 km/h avec une charge réduite à 40 tonnes. Donc, vers 1845, les 120 km/h atteints lors d’essais ou en tête de trains très légers, placent la locomotive à une vitesse de l’ordre de 10 fois celle des diligences contemporaines – si l’on veut comparer des véhicules lourds capables de transporter au moins une dizaine de personnes – ou cinq fois supérieure à celle de la rapide malle-poste qui ne transporte que du courrier et un ou deux voyageurs payants.

La Belle Époque, aussi époque de la vitesse.

La période des années 1890, 1900 et 1910 voit apparaître une grande quantité de records, tous n’étant d’ailleurs pas établis et validés d’une manière certaine. L’ensemble des pays ayant des réseaux en compétition commerciale les uns avec les autres, ou ayant des constructeurs privés tenant à se faire un nom sur le marché mondial, se lance dans des campagnes d’essais. On roule souvent à des vitesses se situant entre 135 et 170 km/h au Royaume-Uni, en France, tandis qu’en Allemagne et en Autriche des vitesses de pointe se situant entre 150 et 160 km/ sont atteints.

La locomotive Estrade illustre la théorie de la vitesse par les grandes roues, à la manière des bicyclettes « grand bi » : on pédale lentement pour rouler vite. Essayée en 1886 avec son tender et sa voiture sur roues de 2,50m, cette locomotive sera un échec par manque de puissance.

Aux États-Unis, cette Belle époque se vit dans une confiance absolue dans les techniques et les chemins de fer, et des vitesses de 170 km/h sont à l’étude et tentées, avec des pointes à 200 km/h probablement atteintes, mais non validées ou officialisées. L’accroissement du poids du matériel roulant à l’époque, pour des questions de confort, demande le maintien de trains courts et légers, mais la demande de transport augmente fortement durant ces années 1910 où l’on ignore encore les crises économiques et où l’on ignore aussi que la Première Guerre mondiale n’est plus très loin. Les trains vont gagner du poids, et l’augmentation des performances des locomotives se traduira, pour ces trains de plus en plus lourds, par un déjà salutaire maintien des vitesses atteintes jusque-là. Les choses, sur le plan de la vitesse, vont donc être stabilisées pour plusieurs décennies. Bien entendu l’arrivée de la Première Guerre mondiale écarte, pour longtemps, toute préoccupation de vitesse, de confort, de prestations commerciales spectaculaires : les chemins de fer, comme l’ensemble des activités économiques et industrielles, sont désormais placés sous le signe de la nécessité d’assurer un minimum vital.

Les années 1930 : le règne des tonnes/kilomètres.

Les deux décennies de l’entre-deux guerres sont celles d’une grande demande de transport de masse et bon marché. Les trains de voyageurs, en Europe continentale, atteignent désormais le poids respectable de 600 tonnes. Aux États-Unis on franchit, à cette époque, le cap du millier de tonnes, et certains trains rapides lourds, très confortables, atteignent 1500 tonnes. Il est donc, pour maintenir les puissances afin de maintenir les vitesses, passer à la traction électrique, car la vapeur est en train d’atteindre ses limites. En outre, la locomotive à vapeur, en dépit d’un rendement qui est de loin inférieur à celui de la traction électrique, ne sera pas l’objet de la rénovation totale dont rêve, par exemple, un ingénieur comme André Chapelon : il n’y aura pas de locomotives nouvelles procédant d’une refonte totale de la conception thermodynamique et mécanique. Les compagnies se méfient des nouvelles locomotives, expérimentales, et tous les essais de locomotives nouvelles à turbines, à moteurs polycylindriques commandant individuellement les essieux, à chaudières à haute pression ou rapides, tous ces essais resteront sans descendance, sans production en série.

Type de locomotive à moteurs dits « individuels » (sans mouvements alternés) essayés pendant les années 1940 par une toute jeune SNCF déjà soucieuse de grande vitesse.

La locomotive à vapeur n’est encore admise qu’à condition qu’elle reste la machine simple, robuste, fiable que l’on connaît. Ce pragmatisme des compagnies, désireuses de faire des économies face à la concurrence aérienne et automobile, va donc inexorablement réduire la locomotive à vapeur à un second rôle en face de la locomotive électrique, mais un second rôle dans lequel elle est très demandée, très utilitaire, très efficace. Mais la vitesse n’est plus au programme pour la locomotive à vapeur. Toutefois, des records sont encore battus dans ces années : le seuil emblématique des 200 km/h est dépassé en Allemagne ou au Royaume-Uni avec des locomotives classiques, mais carénées, tandis qu’aux États-Unis le 226 km/h est atteint, sur le « Pennsylvania Railroad », avec la S1, une locomotive du type 3223 qui est un prototype dont dérivera la série des fameuses T1 du type 222 qui, elles, marquent sans aucun doute le sommet de la traction vapeur en matière de performances, et le dernier sommet, assurant un service à la vitesse très médiatique de 120 mph (plus de 190 km/h) en tête de trains de 950 tonnes.

La « Mallard » britannique roule à 202 km/h en 1938,aidée par son carénage au dessin inspiré par les autorails Bugatti qui atteignent eux aussi des vitesses du même ordre à l’époque.
Les premiers autorails Bugatti ont les honneurs de la couverture de « La science et la vie » en 1933, du fait d’un record à 192 km/h et de vitesses en service courant à 140 km/h.
Locomotive type T1 du réseau du « Pennsylvania » (USA) roulant à 193 km/h (120 mph) pendant les années 1940 en service courant.
La mythique « S1 » du « Pennsylvania Rail Road » américain, au carénage dessiné par Raymond Loewy, a atteint 226 km/h en décembre 1941.

Il est curieux de constater que, peu avant la Seconde Guerre mondiale, le réseau allemand n’a pas renoncé à l’élaboration de projets à grande vitesse en traction vapeur. Les dirigeants allemands sont persuadés que le chemin de fer seul peut assurer les transports de masse nécessaires à l’Allemagne industrielle et puissante, et que ces transports doivent se faire à grande vitesse en ce qui concerne les voyageurs. Il s’agit, pour eux, de doubler purement et simplement les vitesses pratiquées sur les grandes lignes et de passer de 120 à 250 km/h. Ils pensent aussi que la locomotive à vapeur classique peut relever le défi d’une manière plus fiable que la locomotive électrique et les essais des fameuses séries 05 et 61, du type 232 à grandes roues motrices, montrent que des vitesses de 200 km/h en service courant sont parfaitement possibles.

L’Allemagne des années 1935 construit ses premières locomotives type 232 série 05 capables de rouler en service courant à 200 km/h. Le Reich mise sur le prestige de la grande vitesse ferroviaire.

Les dirigeants du « Deuxième Reich » songent à des trains sur voie large dont l’écartement aurait pu atteindre trois mètres pour des lignes spécialisées dans le trafic marchandises avec des wagons péniches, et, pour la grande vitesse, pensent à des lignes sans doute moins larges, mais supérieures à l’écartement normal, parcourues par des locomotives s’inspirant des techniques américaines de l’époque (locomotives à turbines essayées par l’Union Pacific notamment) roulant à 250 km/h : c’est le cas du projet dit « Lübeck » qui est primé par la « Deutsche Reichsbahn » mais sans suite, du fait de la Seconde Guerre mondiale. À la même époque, en France, les projets d’André Chapelon prévoyaient des vitesses du même ordre en traction vapeur, et ces projets seront ressortis des cartons en 1946 et 1947, avec une 230 dite « ultrarapide » capable de rouler à 250 km/h, mais jamais construite.

Les projets de l’ingénieur André Chapelon prévoient la circulation de trains à plus de 200 km/h dès les années 1930, mais les espoirs de telles vitesses sont reportés sur la traction électrique dès la création de la SNCF en 1938, bien que ce projet ait été remis à l’ordre du jour en 1947..
En 1938, la France essaie, elle aussi, l’hélice mais les dégâts causés au démarrage sur les quais des gares où s’envolent chapeaux et journaux, auront raison de ce projet.

Ce sera bien la traction électrique, après une parenthèse en faveur de la turbine à gaz, qui créera la grande vitesse ferroviaire en France.

L’enthousiasme n’a pas faibli.

V L’enthousiasme n’a pas faibli et, en ces premières années du troisième millénaire, les lignes se construisent toujours en Europe, et les journalistes sont impatients de savoir si les TGV rouleront à 400 km/h, ou comment se présentera le TGV du futur. Une rame TGV est construite pour durer plusieurs décennies, ce qui veut dire que les trains du futur, disons ceux de 2040 ou 2050, circulent déjà aujourd’hui, comme les rames « Thalys » ou « Eurostar », tandis que les premières rames orange du Paris-Sud-Est, datant des premières années 1980, viennent de se refaire une nouvelle jeunesse et une belle couleur bleue et grise lors de la grande révision dite de « mi-vie » : elles rouleront donc au moins jusqu’en 2020. Le 400 km/h, par exemple, est tout à fait envisageable pour cet horizon 2040-2050, mais la question essentielle est de savoir si une telle vitesse aura un sens humain, commercial, énergétique, écologique. En face d’une saturation aérienne, et surtout routière, en face de crises économiques et énergétiques qui redistribueront les cartes et modifieront les façons de penser et de se comporter, donc de voyager, quelle sera la signification d’un gain de 10 ou 30 minutes sur un trajet entre deux capitales européennes ? Entre l’avion, excellent sur l’intercontinental, et l’automobile pour la proximité, le train n’aura pas besoin de « forcer sur ses techniques » pour conserver sa position de transporteur de masse confortable et ponctuel, sur moyennes et longues distances, et c’est tout ce que l’on lui demandera. Il n’en reste pas moins vrai que la dictature des prix de revient et de la rentabilité impose la doctrine de la « vitesse optimale économique » qui est un fragile équilibre entre les coûts de la vitesse, d’une part, et, d’autre part, le prix que le public voudra bien payer pour cette vitesse. Cela veut dire, par exemple, que le 300 km/h, aujourd’hui, impose des tarifs qui restent acceptables pour l’ensemble du public qui remplit les TGV roulant à cette vitesse. À 350 km/h, par exemple, les coûts entraîneraient une telle augmentation des tarifs que le risque de voir ce public revenir vers l’avion serait certain. À 200 km/h, les coûts et les tarifs sont bien moindres, certes, mais la vitesse est trop faible par rapport à l’avion, les temps de trajet en train sont trop longs, et le public irait chercher des temps de trajets plus courts en retrouvant le chemin des aéroports. C’est ainsi que les premiers TGV Sud-Est roulent assez vite pour offrir aux voyageurs un temps de parcours inférieur à celui de l’avion de centre-ville à centre-ville. En 1977, un Airbus d’Air-Inter fait le trajet en 80 minutes, à quoi s’ajoutent deux trajets terminaux estimés avec optimisme à 20 minutes chacun (les difficultés de circulation automobile ne feront qu’allonger la durée totale de ces trajets…) ce qui donne un total de centre à centre de 20 + 80 + 20 = 120 minutes minimum pour les fidèles de l’avion. Le graphique du TGV est donc tracé pour couvrir le trajet Paris-Lyon en 120 minutes lui aussi, sans hâte, à 260 km/h, donc sensiblement en dessous de ses possibilités, mais largement assez vite pour être le meilleur, car la circulation automobile ne fera qu’allonger la durée totale du trajet par avion. Si la vitesse est portée de 260 à 270 km/h, puis récemment à 300 km/h sur la presque totalité de la ligne Paris-Lyon, c’est seulement pour assurer la fluidité du trafic des nombreuses rames, et aussi pour faire un Paris – Marseille dans un temps très emblématique et commercial de trois heures « tout rond », facile à retenir pour les hommes d’affaires pressés fuyant la saturation aérienne ou routière ! Mais, il est vrai, la vitesse a été très payante jusqu’à présent pour la SNCF, et le TGV a été un des meilleurs investissements faits ces dernières décennies par la collectivité nationale. Il semble donc normal que cette politique soit maintenue. Les records à 515,3 km/h et à 574,8 km/h frappent l’opinion et viennent, dans une politique de vitesse et de concurrence avec l’avion, jouer un rôle économique certain.

L’inoubliable record à 574,8 km/h : le conducteur de la rame, Eric Pieczak, devient le conducteur sur rails le plus rapide du monde.

Les records de vitesse sur rails.

Un aperçu, non exhaustif, des essais de grande vitesse dans l’histoire de l’humanité

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