Les tracés de lignes de chemin de fer les plus audacieux du monde.

L’ensemble des lignes de chemin de fer du monde représente, loin devant les très admirées pyramides d’Égypte par exemple, le plus grand ensemble technique jamais construit par l’homme, le plus grand patrimoine architectural jamais réalisé.

Pourquoi de tels ouvrages ? Le chemin de fer, qui utilise très peu d’énergie donc très peu de puissance, ne peut accepter de fortes rampes (ou « montées » pour les routes), et les charges transportées qui se comptent en milliers de tonnes, ne peuvent être freinées sur de fortes pentes (ou « descentes » pour les routes). Là où la route accepte des déclivités de 4 centimètres par mètre (4 %), le rail ne peut tolérer que quelques millimètres par mètre: une rampe de 8 mm/m est déjà importante, et les lignes de montagne du XIXᵉ siècle ne dépassent guère 25 à 30 mm/m. Aujourd’hui la traction électrique permet 35 à 50 mm/m, notamment sur les lignes à grande vitesse.

Donc, pour le franchissement des montagnes, il a fallu soit les contourner, soit passer sous elles en tunnel, soit ruser avec les vallées et les suivre et les enjamber sur de gigantesques viaducs combinés avec des tunnels hélicoïdaux et des tunnels de faîte au sommet des rampes. Il fallait aussi multiplier les locomotives en tête des trains, et aussi, parfois, couper les trains trop lourds en deux ou trois trains courts.

Donné par l’auteur L-M. Vilain (« Évolution du Matériel Moteur et Roulant de la Cie PLM », Ed.D. Vincent, Paris 1971), le tableau des performances accomplies par les locomotives « Bourbonnais » montre qu’elles pouvaient remorquer les charges suivantes (en tonnes) aux vitesses suivantes et dans des rampes de 5 à 30 pour mille:

Ce tableau est intéressant et montre à quel point l’augmentation de la vitesse et celle de la rampe diminuent les charges remorquées, puisque l’on passe de 1900 tonnes, à 15 km/h en palier, à 38 tonnes en rampe de 3 pour 1000 à 55 km/h. Le principe même du chemin de fer est bien d’utiliser une puissance très modeste pour déplacer des charges considérables en jouant sur la très faible résistance au roulement de la roue acier sur le rail en acier : à la moindre rampe, la puissance nécessaire pour déplacer ces charges croit dans des proportions telles que la locomotive ne peut plus assurer son travail. La vitesse, comme la charge remorquée, sont les deux facteurs affectés par le pourcentage de la rampe. Mais, pratiquement, quelles que soient la charge et la vitesse demandées, la locomotive, sur une rampe de 30 pour 1000, ne peut plus dépasser 55 km/h, ni au-delà,  remorquer la moindre charge ni se déplacer elle-même.

Le réseau des Chemins de fer rhétiques en Suisse.

Les chemins de fer rhétiques forment, dans le Sud-Est de la Suisse et en voie métrique, un réseau très connu des amateurs de chemins de fer du monde entier, desservant le canton des Grisons depuis 1889. Avec des lignes à tracé très tourmenté, des rampes allant jusqu’à 45 pour 1000, des rayons de courbure descendant jusqu’à 100 mètres, ces lignes sont d’une grande audace technique, surtout celle de l’Albula. La première ligne, ouverte en 1889, reliant Landquart à Davos, permet à de nombreux curistes d’atteindre cette dernière ville connue comme lieu de cure, mais aussi, pour ses premières pistes de ski. Puis l’extension du réseau se poursuit avec l’inauguration de la ligne de Landquart à Thusis en 1896, mais aussi de Thusis à Saint-Moritz en 1904, et de Reichenau à Ilanz en 1903. L’ouverture de la ligne de Saint-Moritz est un événement avec le raccordement tant attendu d’une des plus célèbres stations suisses au reste du monde. Longues d’une cinquantaine de kilomètres chacune (sauf la dernière qui a 19 km), ces lignes, établies en haute montagne, accusent un tracé très sinueux et des rampes allant jusqu’à 45 pour 1000, des rayons de courbure de 100 mètres, et des tunnels et des viaducs pouvant occuper jusqu’à 33 % de la longueur totale de certaines lignes. Le gouvernement fédéral suisse, à l’époque, prend en charge une bonne partie du financement de ces lignes et compte sur un excellent rendement financier du fait du développement européen du tourisme. Mais pour transporter beaucoup de voyageurs, il faut des lignes à profil facile permettant de bonnes performances. C’est pourquoi le pourcentage des rampes est relativement limité à 45 pour 1000, ce qui demande de très grands travaux de génie civil, compte tenu des sites montagneux traversés. Les ingénieurs doivent établir de nombreux tunnels hélicoïdaux superposés, dont les quatre du col de l’Albula, pour gagner de l’altitude tout en respectant le principe de rampes modérées.

La ligne de Thusis à St-Moritz.

Ouverte partiellement en 1903 jusqu’à Celerina, et complètement en 1904, cette ligne est connue sous le nom de ligne de l’Albula. Longue de 61,7 km, elle se détache de la gare de Thusis à 700 m d’altitude pour atteindre l’entrée du tunnel de l’Albula à 1 792 m par une succession continue de rampes, de viaducs et de tunnels, puis poursuit sa route jusqu’à St Moritz sur les hauteurs de l’Engadine en restant à une altitude supérieure à 1 700 m. On compte 38 tunnels pour la ligne: ils totalisent près de 16 km, soit 25% du trajet. La partie la plus spectaculaire de la ligne est incontestablement le tronçon Bergün-Preda: les deux gares sont distantes d’un peu plus de 5300 m à vol d’oiseau, mais la ligne de chemin de fer demande 12 579 m pour les relier avec un tracé très tourmenté pour passer d’une altitude de 1375,6 m à 1792 m, soit une dénivellation de 416 m en rampe de 35 pour 1000. Au-dessus de Bergün, on trouve un double lacet avec 2 tunnels de 487 m et 262 m en courbe de 100 m de rayon. Puis, entre Muot et Preda, on trouve 3 tunnels hélicoïdaux, dont 2 superposés, longs de 662, 677 et 535 m, et en courbe de 120 m de rayon. Ce développement se fait sur les deux côtés de la vallée qui se trouve traversée 4 fois de suite. Des galeries pare-avalanche de 30, 16 et 40 m complètent le dispositif. Une station intermédiaire, Muot, permet le croisement des trains. Le site est heureusement, toujours en pleine activité et des 14 voitures du « Glacier Express », les voyageurs peuvent découvrir, émerveillés, cette succession d’ouvrages d’art unique au monde.

Quelques exemples de sites au tracé audacieux sur les chemins de fer Rhétiques.
Les chemins de fer rhétiques en 1950, d’après le Chaix. En pointillé: les lignes projetées.
Construction du viaduc de Solis sur le réseau des Rhétiques en Suisse en 1905.

La ligne du Semmering en Autriche

La ligne de chemin de fer du Semmering est le premier passage alpin et sa mise en service en Autriche dès 1854 détermine les principes et les critères techniques pour de nombreux autres lignes de montagne, non seulement dans les Alpes, mais partout dans le monde. Le Semmering ne reste cependant pas longtemps isolé dans son rôle de grande percée alpine : à partir de 1867, toujours en Autriche, la deuxième ligne traversant les Alpes passe par le col du Brenner et relie Innsbruck, en Autriche, à Vérone, en Italie. Enfin, en 1871, on met en service, entre la France et l’Italie, le tunnel du Mont-Cenis, le premier véritable grand tunnel alpin, long de presque 13 km. Les ingénieurs savent désormais, ce qu’est une ligne transalpine : i ne restera plus qu’aux mécaniciens à apprendre à s’en servir. Entre Innsbruck et Vérone, la ligne du Brenner est la seule, parmi toutes, à franchir les Alpes sans tunnel. Elle est réaménagée pour faire face à un trafic croissant, notamment sur le plan des marchandises.

La construction de la première grande ligne de montagne en Europe.

La création du grand réseau européen ne peut se faire qu’en reliant entre eux des embryons de réseau nationaux et des esprits novateurs et visionnaires ont compris, en ce début du XIXᵉ siècle, qu’il faudra une foi à soulever des montagnes pour vaincre les Alpes et réunir en un ensemble cohérent des réseaux construits dans un esprit étroitement nationaliste ou régionaliste. La ligne du Semmering est un défi surhumain relevé par Von Ghegha.

Carl Von Ghegha, homme entreprenant.

L’homme de cette aventure, c’est lui. Né à Venise en 1802, d’une intelligence brillante dès son plus jeune âge, il est docteur en mathématiques à l’université de Padoue à l’âge de 17 ans, ingénieur et architecte peu après, et il s’engage dans la construction de routes, prêt à toutes les aventures, passionné de techniques comme le sont beaucoup d’hommes de ce début du XIXᵉ siècle. En 1836 il travaille pour la construction du Kaiser Ferndinand Nordbahn, le premier chemin de fer autrichien qui reliera Vienne à Brünn, et fait un voyage d’études en Angleterre, France et Belgique pour découvrir et étudier les réseaux ferrés déjà construits. Chargé d’étudier la ligne Vienne-Trieste, il visite les premières lignes de montagne américaines et découvre que, contrairement à ce que pensait Robert Stephenson, une locomotive pouvait gravir des rampes de plus de 20 %o et même affronter plus de 30 %o. Il publie un rapport en ce sens dès son retour, et soulève une tempête de protestations incrédules: les ingénieurs de l’époque pensent tous que la locomotive est inapte sur une rampe et que seule la traction par câbles est possible. Le projet de la ligne est donc enfermé dans un tiroir…

Le projet.

En 1847, l’archiduc Jean de Hohenzollern, directeur des services du génie de l’armée austro-hongroise, envoie des missions d’études pour, d’une part se documenter sur les chemins de fer anglais et d’autre part, envisager la possibilité d’établir une ligne stratégique et commerciale entre la Baltique et l’Adriatique qui traverserait l’Autriche par le massif du Semmering. En 1842, l’ingénieur Von Ghega reprend le projet et lance, en 1848, les travaux de construction de la ligne, triomphant de six années de lenteur et d’hésitations administratives. La ligne est à construire dans des montagnes très escarpées, qui exigent 15 tunnels, 16 viaducs, 109 courbes à rayon très serré, plus d’une centaine de ponts, des kilomètres de murs de soutènement.

La ligne partira de Glognitz, située au nord du col à une altitude de 437 m, et atteindra Murzuschlag, au sud et à 680 m, sur une distance de 42 km. Le point culminant de la ligne sera à 898 m d’altitude.

Émancipation féminine ? Non : misère.

Les travaux de cette première percée alpine sont colossaux, y compris le percement du tunnel de faîte, long de 1 434 m, le premier ouvrage du genre construit en altitude. Comme pour toute entreprise première du genre, les accidents se multiplient, et 700 ouvriers vont périr durant les six années de travaux, faisant du Semmering une véritable ligne maudite très décriée par ses détracteurs. Mais Von Ghega ne se décourage pas et recrute des milliers d’ouvriers et d’ouvrières, et l’on voit, dans la montagne, des femmes perdues dans le brouillard en train de casser des pierres, de les tailler, de les transporter. Émancipation féminine? Non: misère. Le tunnel de faîte est très difficile à creuser: tout est à inventer, et Von Ghegha procède par puits verticaux ou obliques aboutissant au chantier et par lesquels passent ouvriers et matériaux. Éboulements et inondations sont de la partie, car la connaissance géologique est approximative. Le 27 juillet, l’Empereur parcourt la ligne Vienne-Trieste avec Von Ghegha, invité dans le train officiel: pour lui le tronçon du Semmering n’a été qu’un épisode et seule compte l’inauguration intégrale. La locomotive, en gare de Glognitz, lâche un tel jet de vapeur que la marquise est pulvérisée. Sa Majesté n’y voit aucune allusion déplacée et se déclare enchantée du voyage.

La Suisse au pied du mur.

Si la ligne du Semmering passe, aux yeux des pouvoirs publics suisses de l’époque, pour une affaire plutôt purement autrichienne et donc non inquiétante, il n’en est pas de même pour cette du Brenner qui est assez courte sur le territoire autrichien et qui apparait comme très nettement tracée en faveur des intérêts italiens que les Autrichiens veulent servir d’une manière exclusive et rémunératrice. Les Suisses ont raison de s’inquiéter et de voir l’Autriche se positionner en carrefour central et lieu de passage obligé pour les grands courants commerciaux européens que les chemins de fer sont en train de créer et de développer. C’est bien à la suite de l’ouverture de la ligne du Brenner que la Suisse met en place son immense et courageux programme de grandes percées alpines avec, notamment, la difficile construction de la ligne du Saint-Gothard, ouverte en 1882, et du Simplon, ouverte en 1906, qui créeront un lien plus direct entre l’Allemagne et l’Europe du nord, d’une part, et, d’autre part, Milan, la grande ville industrielle sur laquelle ces lignes débouchent d’une manière la plus directe possible.

La carte de la ligne du Semmering.
Un viaduc sur la ligne du Semmering.
Femmes au travail parmi les hommes lors de la construction de la ligne du Semmering.

La ligne du Central-Pérou

Au milieu du siècle dernier le Gouvernement péruvien s’était brusquement enrichi par la vente des guanos, engrais naturel constitué par des excréments d’oiseaux et qui couvrait alors, sur des dizaines de mètres d’épaisseur, la surface entière des îles péruviennes proches de la côté du Pacifique: C’est alors que fut mis sur pied un programme de construction d’un réseau ferré dont le principal but était de réunir les ports et les villes de la côte à la zone minière de la Cordillère et, au-delà, à la fertile zone de collines du versant atlantique ou Montana. Trois lignes transandines furent projetées : une au nord, une au centre, une au sud, les deux dernières seules furent achevées : la ligne centrale fait l’objet du présent article.

Partant de Lima, un seul chemin s’ouvre pour franchir la Cordillère : la vallée du Rimac, torrent qui prend sa source à 5000 mètres d’altitude et à 130 km seulement, en ligne droite, de la côte du Pacifique. Comme celui de tous les torrents du monde, le profil du cours du Rimac a une forme d’hyperbole, c’est-à-dire qu’il est beaucoup plus rapide vers sa source que vers son embouchure : en fait, à Chosica, à 50 km de la côte, l’altitude n’est que de 850 mètres tandis que 6o kilomètres plus haut, vers Chinchann, elle est de plus de 4350 mètres. De plus, si, sur ses 50 km inférieurs la vallée du Rimac est relativement ouverte, large et en faible pente, sur les 60 kilomètres supérieurs, elle n’est généralement qu’une étroite gorge sauvage creusée entre des pentes abruptes partant de hauts sommets, et dont le nom du paysage lé plus caractéristique : l’Infiernillon ou Gouffre de l’Enfer, exprime bien l’horreur et la difficulté.

C’est par là que les Ingénieurs péruviens, sous la conduite du grand constructeur nord-américain Meiggs, devaient faire passer, vers 1860, une voie ferrée à l’écartement normal, alors que les moyens de construction étaient encore primitifs. Aux difficultés inhérentes à la nature tourmentée de la vallée à remonter s’ajoutèrent bientôt, au fur et à mesure de la construction, des difficultés humaines : on avait cru pouvoir compter sur la main-d’œuvre chinoise, abondante au Pérou à cette époque où l’immigration jaune n’était pas encore contingentée en Amérique, mais, dès que fut atteinte l’altitude de 3000 mètres, les Chinois se montrèrent presque incapables de supporter le climat: le Soroche, le terrible mal des montagnes plus fort encore dans la Cordillère que dans les Alpes – les empêchait de travailler. Il fallut avoir recours à la main-d’œuvre indienne, plus nonchalante, mais habituée à ces travaux de force par des siècles de servitude dans les mines d’argent, et ce fut au prix de bien’ des peines et des souffrances que la ligne put continuer à monter, à l’assaut die la Cordillère.

Des problèmes techniques insurmontables.

Dans la basse vallée du Rimac, de Lima à Chosica, les difficultés ne furent pas plus grandes que dans une quelconque vallée alpestre, sinon qu’il fallut mettre la ligne à l’abri des crues soudaines du torrent, mais, au-delà, la pente moyenne du Rimac était plus forte que la déclivité possible pour une voie ferrée à cette époque où la traction électrique n’existait pas et où la puissance des machines à vapeur était fort restreinte, c’était déjà une gageure que de construire une ligne avec une rampe maximum de 4,37 pour mille, sans doute la plus forte du monde pour une voie à adhérence simple sans crémaillère, à traction à vapeur et à l’écartement normal, mais cette rampe était encore plus faible que le profil du thalweg du torrent. On aurait pu résoudre le problème, comme au Saint Gothard, au moyen de tunnels hélicoïdaux, mais, autre qu’on n’avait pas les moyens à l’époque, les perforatrices étaient à peine inventées et il était quasi impossible de les faire fonctionner dans l’air raréfié des hautes altitudes de percer rapidement de longs tunnels dans le rocher, il eût fallu sans doute plus de 20 souterrains hélicoïdaux pour arriver, au faîte des Andes, si l’on songe qu’au Saint Gothard en a déjà 4 sur le versant sud, cumulant au total une différence de niveau de 400 mètres. La solution trouvée, plus originale, quoique moins propice à une bonne exploitation, a été l’usage de zigzags : il y a rebroussement et 6 zigzags (ou doubles rebroussements) à la montée de la Cordillère, sur le versant Pacifique, 1 zigzag à la descente sur le versant Atlantique et 3 sur la branche de Morococha. À chaque zigzag, le train rebrousse une première fois pour franchir une forte différence de niveau et s’élève au-dessus du thalweg de la vallée, puis, par un deuxième rebroussement, il reprend sa direction primitive : ainsi la machine tire et pousse le train alternativement. Pour faciliter l’exploitation, certains zigzags construits à l’origine ont été remplacés par des boucles.

La ligne des rebroussements et des ouvrages d’art.

L’usage des zigzags, généralisé sur le F.C:C. (Ferrocarril Central Peru), assez répandu sur d’autres lignes andines, entre autres sur le nouveau transandin national argentino-chilien inauguré récemment, connu également dans différentes parties du monde, est très peu connu en Europe : certains zigzags qui existaient sur notre continent ont du reste été remplacés par des boucles et, sans doute, le plus actif d’entre eux est le rebroussement qui existe sur la ligne Neuchâtel-La Chaux de Fonds (jura Suisse) ce rebroussement n’est pas, du reste, un véritable zigzag, puisque le train ne reprend jamais sa direction primitive.

Malgré les zigzags qui ont évité lé percement de nouveaux tunnels, la ligne comprend encore 61 souterrains. Le plus long, qui est en, même temps le tunnel le plus élevé du monde, est le tunnel Galera percé à 4780 mètres d’altitude, presque à la hauteur du Mont Blanc, sous le faîte des Andes : il a 4177 mètres de long, d’autres souterrains ont une longueur de plus de 150 mètres.

Il a fallu également lancer de multiples ponts métalliques, non seulement sur les ravins latéraux, mais sur le Rimac lui-même à plusieurs reprises la voie passe d’une rive à l’autre pour éviter des abrupts. Le pont le plus hardi est lancé entre deux tunnels, au-dessus de la gorge de l’Infiernillo, tout près du point où l’antique chemin inca franchissait le torrent sur un pont de pierre, il est encadré maintenant par les deux ponts de la nouvelle route transandine qui, depuis quelques années, double la voie ferrée. Le pont le plus long est le viaduc Carrion qui a 220 mètres. La plupart des ponts de la ligne ont du reste été reconstruits depuis l’origine, soit qu’ils aient été emportés par dès crues ou des éboulements, soit, plus généralement, parce que les ponts primitifs ne pouvaient supporter la charge des puissantes locomotives modernes. On montre encore, près du pont Anchi au haut de la gorge de l’Inllennullo, une locomotive tombée dans le torrent qu’on n’a jamais pu sortir de là…

Un chef d’œuvre de tenacité.

La construction de cette extraordinaire ligne a été poursuivie avec ténacité commencée en 1868, au départ de Lima, le tronçon Callao-Lima était déjà en exploitation : elle fut ouverte jusqu’à San Bartolomé (km. 76, altitude 1113 m) en 1871 et jusqu’à Chicla (km. 141, alt. 3.734 m) en 1878. En 1879, la funeste guerre chilo-péruvienne arrêta les travaux qui furent repris en 1890 seulement et achevés jusqu’à Casapalca (km. 154, ait. 4.155 m) en 1892 ; le tunnel de faîte fut inauguré peu après et la ligne parvenait à La Oroya (km. 222, alt. 3.726 m) en 1893. En 1902, pour desservir une zone minière, on ouvrit un embranchement entre Ticlio, gare située à 4.758 m. d’altitude, à l’entrée du tunnel de faite, et Morococha. L’embranchement franchit le faîte de la Cordillère après la station de La Cima (km. 2,5 de Ticlio, alt. 4.818 m.) par le col d’Anticona à 4.835 m. d’altitude, plus haut que le Mont Blanc c’est le point le plus élevé atteint par une voie ferrée à l’écartement normal. Ultérieurement, l’embranchement de Morococha fut prolongé jusqu’au point dit Cut-off sur la ligne principale, peu avant Chaplanca (km. 208 de Lima), de sorte qu’il existe maintenant deux itinéraires franchissant le faîte des Andes entre (Chinchan) Ticlio et Cut-off (La Oroya). La Oroya est la plaque tournante du trafic de la Cordillère, des grands plateaux et des vallées du centre du Pérou.

Au nord, le chemin de fer La Oroya-Cerro de Pasco, long de 188 km., l’unit à une riche zone minière. Au sud, la ligne du Central Pérou se poursuit par la vallée du Rio Mantaro, vers Jaua (km. 301, alt. 3.532 m.), Huancayo (km. 346, 3.261 m) et Huancavelica (km. 490), le long de l’antique route inca qui suivait l’épine dorsale de la Cordillère vers Cuzco toute la zone desservie par ces deux voies ferrées constitue la province de Junin, une des plus attrayantes du Pérou. Riche en souvenirs historiques en sites agrestes et sauvages, en vieux bourgs et aussi riche de ses mines dans les hautes montagnes, et de ses cultures dans les vallées abritées de la Cordillère.

C’est le trafic de la province de Junun avec la côte qui alimente le Chemin de fer central du Pérou. C’est un trafic bien caractéristique de la région, avec, à la montée, des produits fabriqués de tous genres, et, à la descente, des minerais ou des barres de cuivre, d’antimoine, de zinc, ou des animaux (porcs, moutons), des fruits et des légumes. Ce trafic est propice à une bonne exploitation ferroviaire puisqu’il est plus lourd à la descente qu’à la montée. Cette exploitation, à l’aide de machines à vapeur, n’était guère facile. On utilise pendant les années 1930 de puissantes machines Garratt marchant au fuel ou pour les trains de marchandises et les trains de voyageurs dits « Trenes de la Sierra » composés de confortables voitures panoramiques et d’un wagon-restaurant. Il s’y ajoute des autorails et des machines diesel à partir des années 1960. A la descente, lorsque l’on craint que la voie soit obstruée par des éboulements, le train de voyageurs est précédé par une draisine qui circule par simple gravité.

Du point de vue touristique, le voyage de Lima à La Oroya et au-delà est sans doute le plus extraordinaire que l’on puisse faire en train partant du Pacifique, de ses plages, de sa côte élégante et semée de villas et de jardins, de Lima avec ses églises, ses places ombragées, ses avenues, ses hôtels et ses résidences, courant d’abord dans des plantations luxuriantes irriguées par les eaux du Rimac, la ligne s’élève bientôt dans d’austères paysages de gorges, de rochers, d’éboulis, pour atteindre le toit des Andes, les lagunes glacées, les névés, les pics dentelés, les plateaux dénudés et redescendre vers les vallées d’aspect tempéré et verdoyant de la province de Junun.

La voie ferrée est maintenant doublée par une route aussi belle qu’elle et prolongée, à travers les hautes vallées andines, vers le bassin de l’Amazone et les cantons reculés de la Montana. Le service des voyageurs, malheureusement, a été supprimé depuis un certain temps : un mauvais présage pour la survie de la ligne la plus haute de monde ?

Carte de la partie centrale de la ligne.
Le réseau péruvien à l’époque de l’ouverture du Central Pérou.
Henry Meiggs, ingénieur visionnaire et constructeur de la ligne du Central Pérou.
Rampes, ouvrages d’art, rebroussements sur le Central Pérou.
Locomotive type 140 sur le Central: contrairement aux locomotives diesel actuelles, les lois de la physique leur donnaient une puissance qui augmentait avec l’altitude par abaissement de la température de vaporisation de l’eau !

La ligne des Cévennes en France.

La France vue du train ? C’est la magnifique ligne du train « Le Cévenol », celui d’une époque où la SNCF joue la carte de la beauté des paysages traversés, mais celle de la vitesse sera l’atout qui fait gagner la partie…avec le TGV. Mais cette ligne, à l’origine, n’est nullement une ligne pour le tourisme : elle est un itinéraire de dédoublement de la grande ligne impériale de Paris à Marseille qui, déjà sous le Second empire, commence à montrer des signes de saturation. Mais entre passer par les Alpes ou par le Massif-central, il semble a priori que la seconde solution serait moins acrobatique et moins coûteuse. C’est ce qu’il fallait démontrer… La décision de construire la ligne de Clermont-Ferrand à Nîmes, dite ultérieurement ligne des Cévennes, est prise par le décret du 9 avril 1862, sous le règne de Napoléon III.

A l’époque, il s’agit d’ouvrir un nouvel itinéraire de Paris à Marseille par le Massif-Central et en évitant la vallée du Rhône déjà dotée de deux lignes. La ligne nouvelle, descendant de Paris en direction du sud par Clermont-Ferrand et le flanc est du Massif-Central, atteint Brassac-les-Mines en 1855, Arvant en 1856, et Brioude en 1857. Elle trouvera devant elle d’autres lignes déjà établies depuis longtemps. Le bassin houiller d’Alès dispose, dès 1840, d’une ligne affluent du Rhône aboutissant à Beaucaire et elle est la première réalisée dans le Sud de la France. Dès 1841, les mines de La Grand-Combe et de La Levade, ont leurs lignes de chemin de fer. La construction du tronçon central de la ligne des Cévennes demande huit années pour être ouvert le 16 mai 1870 entre Langeac, La Bastide et Villefort. Les sections de Brioude à Langeac en 1866, et de La Levade à Villefort sont ouvertes le 12 août 1867.

Cette ligne est un chef d’œuvre de génie civil, et de conception ferroviaire, avec sa centaine de tunnels, sa cinquantaine de viaducs en maçonnerie, ses dizaines d’ouvrages d’art comme d’immenses murs de soutènement en pierre de taille, le tout venant souligner la beauté des paysages traversés sans en rompre la monotonie. Pour tout dire… La ligne des Cévennes est, en fait, la partie sud de l’itinéraire le plus court entre Paris et le Languedoc, et c’est un itinéraire qui prendra rapidement un fort parfum de vins, avec le nombre considérable de trains entiers de wagons-foudres remontant vers Paris, et surtout vers les fronts de la Première Guerre mondiale où le vin redonnera du moral aux Poilus. Avant la création de la SNCF en 1938, de temps des anciens Réseaux concurrents, le Paris, Lyon et Méditerranée y assure un très important trafic de marchandises et surtout le transport du vin qui rapporte beaucoup d’argent et que cette compagnie ne veut pas laisser à son rival, le Paris-Orléans qui, en 1934, fusionne avec le Midi et devient le grand réseau du vin puisqu’il accumule ainsi les productions du Bordelais et du Midi proprement dit.

A l’époque, l’acheminement des wagons est déterminé par le calcul par le plus court chemin. C’est ainsi que la ligne des Cévennes est parcourue par des trains lourds de marchandises pouvant atteindre six cents tonnes, avec une double traction vapeur en tête, un troisième locomotive assurant la pousse en queue, et parvenant à rouler à une vitesse de douze ou quinze kilomètres à l’heure sous les longs tunnels à faible section… Créée en 1938, la SNCF, en supprimant cette absurde concurrence entre les anciens réseaux privés, décharge la ligne des Cévennes de ses lourds trains de marchandises. Ceux-ci empruntent, désormais, les lignes à profil facile contournant le Massif-Central par l’ouest ou par la vallée du Rhône.

Les trains de la ligne.

L’auteur et grand photographe Lucien-Maurice Vilain a laissé assez de témoignages et de magnifiques photographies sur les trains de la ligne, notamment dans les années 1930 à 1960, quand les locomotives type 240A ou 141E et F du Paris, Lyon et Méditerranée dominent la situation et font entendre, souvent en double traction, parfois réunissant des machines de séries différentes, leur puissante voix dans les vallées encaissées, ou déroulent leurs interminables trains sur les courbes et les contre-courbes des grands viaducs. Plus particulièrement la partie de ligne entre Langeac et Alès, sur 154 km, offre tous les sites sauvages et grandioses pour photographier des trains. Les Paris-Nîmes années 1930 sont remorqués par des 141 et comprennent de six à huit voitures à bogies du type OCEM, une voiture-postale et deux fourgons P.L.M. à guérite et à trois essieux. On verra souvent des fourgons du type DEV après la Seconde Guerre mondiale, le reste de la composition des trains ne changeant guère. D’autres trains, comme le très chic « Littoral-Vichy » (ou « Vichy-Littorail » en sens inverse) parcourent la ligne dans les années 1930 et se composent de voitures-salon P.L.M. à caisse en bois ou semi-métallisées.

La double traction semble être la loi commune pour tous les trains dont le nombre de voitures dépasse la dizaine, et c’est souvent le cas, car la ligne est fréquentée. Des compositions à « tranches » éparpillent, dans le train, des tranches formées d’une ou deux voitures directes et d’un fourgon, qui peut se retrouver en milieu de train, et que l’on laisse ou prend en cours de route dans une des nombreuses gares d’embranchement de la ligne. Il y a aussi de nombreux trains omnibus assurant une desserte locale, remorqués par des machines de type 140 P.L.M. ou même de machines de type 050 allemandes ou, plus rarement, autrichiennes (les 5-A), et composés de voitures à trois essieux et portières latérales multiples d’origine prussienne. Des 230C P.L.M. ont aussi parcouru la ligne, et même après la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1950, on voit de nouvelles voitures pour les trains omnibus, les fameuses « trois pattes », ou métallisées Sud-est, remorquées par les dernières 141-E ou F jusque vers 1965.

Du temps de la vapeur, et sur la redoutable ligne des Cévennes, les mécaniciens et les chauffeurs étouffent dans ces innombrables tunnels parcourus très lentement, et copieusement enfumés par les deux ou trois locomotives du train, jusqu’à ce que, à partir de janvier 1872, le P.L.M. généralise l’appareil respiratoire Galibert fournissant, par un tube et un pince-nez porté par l’équipe de conduite, de l’air frais contenu dans un réservoir. Il fallut même inaugurer la technique de la ventilation forcée du plus redouté de tous les souterrains, celui de l’Abelspeyres, long de 1518 mètres, situé entre Villefort et Prévenchéres.

Des voyageurs fidèles à leur ligne et motivés pour l’emprunter.

Mais le trafic voyageurs, relativement important pour une ligne traversant des régions faiblement peuplées, subsiste dans les années 1960-1970 et la SNCF est bien obligée de le maintenir, notamment sur la section d’Arvant à Alès. La SNCF se tourne vers des solutions à haut rendement : l’autorail. L’utilisation à partir de 1958 des puissants autorails X 2800 et un peu plus tard des fameux autorails X-2400 dits «Panoramiques» tend à diminuer les parcours des trains remorqués classiques, mais, jusque durant les années 1960 on voit deux 141-E ou F ex- P.L.M. remorquant encore un train de voyageurs lourd, le 1114 de Nîmes à Paris. Il faut, au début des années 1950, près de quatorze heures de trajet pour aller de Clermont-Ferrand à Nîmes ! Mais un certain nombre de voyageurs ne regardent pas leur montre parce qu’ils admirent le paysage et les sites superbes traversés par le train à une vitesse moyenne qui est de … 22 km/h ! L’engagement, à partir de 1970, de locomotives diesel du type BB 67400, modifie les conditions de traction de ces trains de voyageurs lourds assurant, pour un temps encore, la relation de Paris à Nîmes par Clermont-Ferrand.

Le Cévenol est le dernier acte. Ce train est mis en service en 1955 entre Clermont-Ferrand et Marseille, assuré par des autorails avec une puis deux remorques. Le trajet est fait en 6h 45 mn, avant qu’il ne se réduise à moins de 6 h. Pendant un quart de siècle, ce seront des autorails X-2800, puis, de 1959 à 1977, des X-2100 «Panoramiques », avec des remorques unifiées Decauville, puis des remorques nouvelles dites « Massif-Central ». En 1979, le Cévenol est profondément modifié, car il devient un train Paris – Marseille, passant par Nevers, Clermont-Ferrand, Alès, Nîmes, Arles.

Durant les années 1980 la SNCF fait circuler un magnifique train composé de voitures Corail. La rame peut compter jusqu’à neuf voitures, ce qui demande, au-delà de sept voitures, deux BB 67400 en double traction. On part à 8h 45 de Paris pour être à 19h08 à Marseille, soit presque onze heures de trajet… On comprend que le TGV ait rapidement mis fin à l’existence de ce train pour ce qui est de la clientèle qui regarde sa montre, mais c’est très dommage pour ceux, pas assez nombreux, qui prennent le train aussi pour les paysages.

La géographie de la ligne.

La ligne de Paris à Nîmes est dite « du Bourbonnais et des Cévennes » si on la considère dans sa totalité et elle est, avec la ligne de Toulouse, le grand axe ferroviaire de circulation classique du Centre de la France, même depuis la création du réseau à grande vitesse parcouru par les TGV, puisque le Massif-central n’a pas de ligne nouvelle.

La ligne de Toulouse ne pénètre pas franchement dans le Massif Central, mais le longe par l’ouest, tandis que la ligne de Paris à Nîmes le traverse de part en part au prix de nombreux et coûteux ouvrages d’art qui en font l’une des plus belles lignes du monde. Les très nombreuses gares de la ligne, en outre, comportent des embranchements pénètrent profondément dans les vallées et sur les plateaux environnants et seule, la ligne de Montluçon à Aurillac dite du « Centre », qui est dans les faits un embranchement de la ligne de Toulouse, pénètre aussi profondément dans la montagne, mais son trafic est bien moindre. C’est pourquoi la ligne de Paris à Nîmes est bien l’axe de circulation majeur du Massif-central pour les géographes.

Cette grande et longue ligne comprend deux sections très différentes d’aspect, et seule la deuxième, située au sud, nous intéresse ici par son caractère touristique et très spectaculaire. La première section, au nord, dite ligne du Bourbonnais, relie Paris à Saint-Germain-des-Fossés sur une longueur de plus de 360 km et c’est bien une ligne de plaine passant par Nevers ou elle coupe la ligne de Tours à Dijon, par Montluçon où elle coupe la ligne de Moulins à Dijon et Strasbourg. Elle donne naissance, à Moulins, à une ligne vers Lyon par Paray-le-Monial, itinéraire de détournement de la ligne impériale de Paris à Marseille par la Bourgogne. A Saint-Germain-des-Fossés, que l’on considère comme étant la limite de ses deux sections, elle coupe la grande transversale de Bordeaux à Lyon qui se divise en deux branches sur sa section finale : l’une de Roanne à Lyon par Saint-Etienne, centre d’un réseau régional en étoile, qui est la plus importante, l’autre de Roanne à Lyon par Tarare.

La deuxième section au sud est pratiquement de la même longueur, et c’est la ligne des Cévennes, reliant Saint-Germain-des-Fossés à Nîmes, sous la forme d’une vraie ligne de montagne. A Vichy, elle donne naissance à un embranchement suivant la vallée de la Dore, et à Clermont-Ferrand elle coupe une transversale venant de Saint-Etienne par Thiers. Mais à Saint-Georges-d’Aurac, elle reçoit une ligne venant du Puy et de Saint-Etienne. Surtout, c’est à Arvant, qu’elle est en contact avec une importante ligne en grande partie électrifiée venant de Béziers, par les Causses, cette ligne recevant elle-même des embranchements du Massif Central. Dans la gare de La Bastide, elle crée une ligne d’embranchement pour Mende et le Monastier qui sont situées la ligne de Béziers à Neussargues. Enfin, à Nîmes, au terme de son parcours, elle est en contact avec une transversale desservant les Cévennes méridionales venant du Vigan et de Tournemire.

Beaucoup de traversées d’éperons de montagne, de contreforts, voilà qui dote cette ligne d’un nombre de tunnels record pour la France. Pratiquement tous les souterrains ont été creusés en courbe et en déclivité jusqu’à 25 pour mille. Leurs dimensions sont, en général, inférieures aux cotes normales avec des largeurs de seulement 4,10 m entre les piédroits et des hauteurs de 5 mètres à la clé de voûte. Le parcours de la ligne. On peut situer à Clermont-Ferrand, au point kilométrique 419, l’origine de la partie la plus montagneuse de la ligne.

Une fois la grande gare de Clermont quittée, la ligne effectue une grande boucle pour reprendre la direction du sud et rejoindre l’Allier à son entrée en Limagne, et pour suivre la rivière d’une manière presque continuelle jusqu’à sa source, au point culminant de la ligne, à La Bastide, au point kilométrique 187 depuis Clermont. On peut voir au loin, sur la rive droite, le Massif du Livradois qui sépare l’Allier de la Dore, et, sur la rive gauche, la chaîne des Monts Dores. Plus au sud, l’Allier reçoit son affluent l’Alagnon, suivi par la ligne de Béziers, et la vallée s’élargit pour former le bassin de Brioude à l’entrée duquel on trouve les mines de Brassac dont la gare est établie au point kilométrique 473.

La ligne quitte la vallée de l’Allier pour desservir l’importante gare d’Arvant, par son rôle d’embranchement de la ligne de Béziers, puis celle de Brionde au point kilométrique 489, qui est la dernière ville importante, désormais, jusqu’à Alès. Au-delà de Brioude on traverse l’Allier, la ligne se rapproche du Massif du Livradois. A Saint-Georges-d’Aurac au point kilométrique 513, la ligne crée un embranchement à voie unique desservant le Puy à travers le Velay. On traverse de nouveau l’Allier pour arriver à Langeac au point kilométrique 520, qui comportait jadis un important dépôt de renfort et de fourniture de locomotives de pousse pour le parcours de montagne. De Langeac à Langogne, sur 66 km, la voie longe l’Allier dans une vallée étroite et sauvage, pratiquement inhabitée et donc sans gares.

De nombreux tunnels se suivent sans interruption; la ligne est tracée en surplombant la rivière qu’elle traverse de nombreuses fois. A Langogne, à 900 mètres d’altitude et au point kilométrique 587, on s’approche du point culminant de la ligne des Cévennes. La vallée s’élargit entourée de sommets arrondis, passant dans la région de la forêt de Mercoire ou se serait trouvée la Bête du Gévaudan, une des régions de France des plus sauvages et des plus abandonnées. Une ligne d’embranchement a existé, reliant Langogne au Puy à travers les monts de Velay, et s’élevant à près de 1.200 mètres d’altitude.

Le point culminant de la ligne des Cévennes est atteint à La Bastide, au point kilométrique 607. La Bastide est aussi à l’origine d’un embranchement de montagne vers Mende et Le Monastier. Mais c’est aussi à La Bastide que commence la grande descente vers la Méditerranée, passant sous le tunnel de faîte correspondant à la ligne de partage des eaux, et prenant en diagonale la chaîne des Cévennes en étant orientée nord-sud. Quand on arrive à Villefort et à Génolhac au point kilométrique 627, au pied du Mont Lozère, la ligne a descendu pour être à l’altitude de 600 mètres et à Chamborigaud, au point kilométrique 647, la première gare minière du bassin d’Alès, après un long viaduc en courbe sur le Luech, elle se retrouve à une altitude de 330 mètres. A Sainte-Cécile-d’Andorge, au point kilométrique 653, jadis, on trouvait une ligne d’embranchement à voie métrique qui conduisait à Florac, au pied des Causses, à l’entrée des Gorges du Tarn.

Reprenons notre parcours : les gares d’exploitations minières se suivent et il est à noter que la voie est construite sur la plate-forme d’un des premiers chemins de fer français qui descendait le charbon de La Grand’Combe au Rhône. A Alès, au point kilométrique. 674, centre du « Pays noir », la ligne reçevait un embranchement à voie unique, venant du Teil sur le Rhône puis elle suit un plateau encore accidenté la conduisant à Courbessac, gare de marchandises de Nîmes sur la ligne de Bordeaux à Tarascon, d’où les trains de voyageurs venant de la ligne des Cévennes doivent repartir en marche arrière sur deux kilomètres pour entrer dans la gare centrale de Nîmes au point kilométrique 723.

La partie sud de la ligne.
La partie centrale de la ligne.

Le Darjeeling-Himalayan Railway en Inde.

Le Darjeeling-Himalayan Railway, c’est 82 km de voie en 60 cm d’écartement accrochés d’une façon vertigineuse sur les flancs de l’Himalaya, avec des pentes de 40 pour 1000 pour descendre les thés les plus célèbres du monde entier vers les ports indiens.

Un chemin de fer exceptionnel. Une entreprise hardie.

La compagnie du Darjeeling-Himalayan est fondée en 1879 avec la perspective de construire un chemin de fer en voie de 60 cm d’écartement longeant une route déjà existante, ou même empruntant la chaussée en cas de besoin. Cette solution d’une voie à faible écartement sur le bas coté d’une route ou sur la chaussée est exactement celle de bien des chemins de fer locaux en Europe, elle est est très viable à une époque où la circulation automobile est encore inexistante. La ligne est ouverte en 1881. La ligne relie Siliguri à Darjeeling qui est située à une différence d’altitude de 1920 mètres. de très nombreuses courbes à un rayon de 130 mètres seulement, quelques boucles hardies où la voie passe au-dessus d’elle-même, des rebroussements, voilà l’essentiel des caractéristiques d’un tracé unique au monde. En 1913 la compagnie possède un réseau de 160 km de voies, compte tenu des nombreux embranchements et lignes de raccordement ajoutés au projet initial. Il ne s’agit pas seulement de descendre du thé des flancs de l’Himalaya, mais aussi des légumes, des fruits, et de monter, en sens inverse, des produits de consommation de tous genres, et aussi du charbon. Les lignes de la compagnie sont donc très actives.

Des locomotives curieuses.

Sans doute ce sont les petites locomotives-tender à deux essieux qui retiennent le plus l’attention des amateurs de chemins de fer. Portant leur réservoir d’eau à cheval sur la chaudière (disposition dite « saddle tank »), dotées de grandes soutes à charbon latérales, ces vaillantes machines attaquent les rampes de 40 pour 1000 en tête de trains occupés à la mode indienne, c’est-à-dire surchargés de voyageurs jusque sur tampons et les toits… La présence de deux hommes assis complètement à l’avant de la locomotive n’est, par contre, nullement le fait de voyageurs en mal de place assise: il s’agit de cheminots spécialement installés sur la traverse de tamponnement, juste au-dessus des rails qu’il doivent asperger de sable fin pris dans une boîte placée à portée de main : ce sable empêchera les patinages dans les zones difficiles bien connues et repérées d’avance. Mais ces deux hommes sont aussi là pour intervenir rapidement en cas de déraillement, avec tout un arsenal de barres, de crics, de leviers. Construites par la firme anglaise Sharp & Stewart, ces locomotives pèsent 11 tonnes et ont des roues de 0,61 m de diamètre seulement. La charge remorquée, vu le profil très sévère de la ligne, est de seulement 28 tonnes. ces locomotives restent en service jusqu’en 1954 pour la dernière d’entre elles. Le gouvernement avait prévu des locomotives articulées type « Garratt », dont un exemplaire fut commandé et construit en 1911 par la firme Beyer-Garratt anglaise, mais, apparemment, l’utilisation de cette machine ne fut pas poursuivie.

Rebroussements sur la ligne du Darjeeling.
Train sur la ligne du Darjeeling.

La ligne du Saint-Gothard en Suisse.

Le réseau suisse passe pour un modèle mondial sur bien des aspects: densité des lignes et des dessertes, performances, propreté, variété du matériel, et, pour les amateurs du monde entier la Suisse reste bien le paradis des trains, surtout ceux de montagne en voie métrique ou étroite et avec ou sans crémaillère. Parmi les nombreux tracés audacieux des grandes lignes internationales traversant la Suisse, celle du Saint-Gothard reste une référence mondiale en matière de savoir faire. Totalisant 5 200 km, le réseau suisse est un des plus denses du monde, et les Suisses sont les premiers au monde pour le taux d’utilisation de leur réseau. En effet plus de 700 000 personnes prennent le train chaque jour en Suisse – un record européen, derrière le Japon champion du monde.

Le chemin de fer a crée une Suisse moderne et active, faisant d’elle le carrefour de l’Europe comme elle plaît elle-même à le rappeler souvent. Que l’on ne s’y trompe pas : malheureusement la route triomphe en Suisse comme partout ailleurs, laissant au rail une part de trafic qui n’est que de 12% du trafic voyageurs national, et de 7% du trafic marchandises. Le massacre de la vallée du St-Gothard par la présence d’une autoroute bruyante jour et nuit, dominant le joli village de Wassen, un des sites ferroviaires les plus connus au monde, en est un triste exemple. Construire un réseau ferré dans un pays aussi accidenté demandait, dès les débuts, des moyens techniques et financiers considérables.

De grands projets sont lancés, comme les percées alpines de la fin du XIXe siècle: la ligne du St-Gothard est inaugurée en 1882. Devant les difficultés crées par des compagnies orientées vers le seul profit, le une grande partie du réseau est nationalisé dès 1898 sous le nom de Chemins de Fer Fédéraux. Le St-Gothard est nationalisé en 1909, mais il subsiste aujourd’hui plus de 50 lignes privées comme le Berne-Lötschberg-Simplon, totalisant près de 40% du réseau national. La Première Guerre mondiale montre le danger d’une dépendance de l’étranger en matière de charbon, et la Suisse électrifié son réseau d’une manière exemplaire, pratiquement terminée à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Le projet du Saint-Gothard et sa réalisation.

La première percée de la chaîne des Alpes se fait dès 1870 au tunnel du mont Cenis, reliant la France à l’italie. Plus à l’est, le col du Brenner et le tunnel du Semmering reliaient l’Italie à Munich et à Vienne. Il manquait à ce système un axe nord-sud par le centre de l’Europe qui ne peut seulement être résolu que par l’accord des trois pays intéressés l’Allemagne, la Suisse, et l’Italie. Nuos sommes dans l’Europe d’avant la Première Guerre mondiale, et la frontière sud de la Suisse touche l’Autriche installée en Lombardie, et le royaume de Sardaigne à l’Ouest. L’Autriche use de son influence en faveur d’une solution laissant le Tessin à l’écart, et franchissant les Alpes plus à l’est, en direction de Venise, à travers le Massif des Grisons. En 1851, une expertise internationale groupant la Prusse, la Suisse, et le royaume de la Sardaigne, donne la préférence au passage par le Saint-Gothard, délaissant le projet par le Grimsel un peu plus à l’ouest. En 1859, l’Autriche se retire de la frontière suisse du lac Majeur. En 1869, une conférence internationale signe le protocole du Saint-Gothard, ratifié par les trais pays en 1870-1871, pour la construction de 263 km de voies ferrées entre Lucerne d’une part, et Zug d’autre part, raccordées à Arth-Goldau sur l’axe Biasca – Bellinzona – Chiasso, avec et embranchement sur Locarno. La Confédération Helvétique concède la ligne à une société privée, la Compagnie du Chemin de fer du Gothard qui groupe un nombre égal de participants Suisses, Allemands et Italiens, et subventionnée par les trois Etats. Le choix du Saint-Gothard se fait au moment de la création de trois états nouveaux de l’Etat Fédéral de la Suisse en 1848, mais aussi l’Unité Italienne de 1861, et la création de l’Empire Allemand de 1870.

De grandes difficultés de conception.

Les devis initiaux avaient été calculés trop juste. En 1876, une deuxième étude prévoit une augmentation de 74 millions sur le coût initial fixé à 156 millions. Devant cette impasse financière, un conseil des trois Etats décida de simplifier le programme des travaux, avec l’abandon des lignes initialement prévues entre Lucerne et Immensee, et entre Bellinzona et Lugano, mais aussi la réalisation d’une ligne en voie unique, et un tracé plus sinueux avec des rayons de courbure plus faible. Les accès nord et sud au col du Saint-Gothard sont délimités par les tronçons de Flüelen à Göschenen et par celui de Bellinzona à Airolo. Les rampes débutent, au Nord à Erstfeld et au Sud à Biasca.

Un tracé, proposé par l’ingénieur Gerwig. prévoit une ligne s’élevant en rampe continue le long de la vallée de la rivière Reuss. Le seul avantage auquel ce projet peut prétendre est la présence d’une rampe plus faible et continue, mais il est refusé du fait d’un coût élevé et de l’impossibilité de desservir correctement la population rurale de la région. On tolère alors une rampe maximale de 26 pour 1000, mais en suivant le fond de la vallée, ce qui impose un tracé avec des tunnels dits « en hélice » (c’est-à-dire en rampe et en courbe) pour compenser la pente moyenne de la Reuss. Ces tunnels, en rampe de 23 à 26 pour 1000 et en courbe de 400m de rayon, sont creusés dans le flanc de la montagne et de gagner 50 m en hauteur à chaque boucle. Dans le site du village de Wassen, on rachète ainsi une hauteur de 136 m par trois tunnels hélicoïdaux à la suite, le train passant pratiquement au même endroit, près de l’église du village, mais à trois hauteurs différentes.

L’étude du tunnel de faîte percé sous le Castelhorn (2.977 m), prévoit une longueur de 14,920 m en ligne droite, plus 144m de raccordement en courbe du côté Airolo, au sud. La rampe du côté nord été fixée à 5,82 pour mille et coté sud à 2 pour mille du fait de l’exploitation en traction vapeur. Le point le plus haut se trouve au milieu du tunnel à une altitude de 1154 m. Au Sud, on accède au tunnel par la vallée du Tesson sur une distance de 45,6 km entre Biasca et Airolo. Le profil de cette vallée, comprenant des pentes de 28, 24, 21 et 10 pour 1000, impose une rampe moyenne de 25 pour mille et un tracé sur les mêmes principes que ceux de la rampe nord. Près de Giornico, devant une première dénivellation à 28 pour 1000, la voie ferrée s’élève sur 3 km avec une rampe de 27 pour 1000 et s’engage dans deux tunnels hélicoïdaux en courbe à rayon de 300 m seulement et une seconde dénivellation impose deux nouveaux souterrains hélicoïdaux.

De nombreux ouvrages d’art pour arriver au tunnel.

La rampe nord comprend 17 ouvrages d’art de 25 à 77 m d’ouverture, et la rampe sud, 6 ouvrages de 26 à 64 m d’ouverture. Au total il y a 221 ponceaux, ponts et viaducs métalliques, 49 tunnels d’accès au total. Le percement du tunnel demande 7 ans et 5 mois, et le 29 février 1880, les deux galeries se rejoignent avec une longueur fixée provisoirement à 14.912 mètres. Pour creuser le tunnel de faîte, on emploie la dynamite pour les trous de sonde, puis des machines à perforer à air comprimé, et un train de chantier avec des locomotives elles aussi à air comprimé pour évacuer les déblais. On ne peut utiliser des locomotives ou des machines à vapeur, car la chaleur est étouffante dans la galerie. A la fin de 1880, le tunnel définitif avec niches était achevé sur 9.562 m et le 31 décembre 1881 sur toute sa longueur. Son entrée, coté Sud, est à Airolo en Italie (1145m d’altitude) et, coté Nord, le tunnel débouche à Goschenen en Suisse (1109m). Le tunnel comporte deux pentes pour l’écoulement des eaux, et le point le plus élevé du tunnel, en son milieu, est à une altitude de 1154m. Alors que les lignes d’accès n’étaient pas encore ouvertes, l’exploitation commerciale du tunnel du Saint-Gothard débuta le 1er janvier 1882 : dès le début de son exploitation d’énormes bénéfices sont générés, au profit du commerce assuré entre l’Allemagne et Gênes principalement.

Le doublement puis l’électrification de la ligne.

Construite à voie unique pour des raisons de coût et de difficulté technique, la ligne est rapidement saturée, les trains s’attendant les uns les autres dans les gares de croisement. Dès 1887 les travaux de doublement sont entrepris, et ils durent jusqu’en mai 1894. Il faut repercer les tunnels moyennant l’utilisation de 80 tonnes de dynamite, élargir les tranchées et les remblais qui, eux, demandent l’apport de 76.000 m³ de terre depuis Airolo, élargir les piles des viaducs et leurs tabliers moyennant 36.000 m³ de maçonnerie, et tout ce travail doit être fait sans interrompre la circulation des trains. Il est surtout fait de nuit, ce qui accroît son danger. L’électrification est décidée en 1913, devant l’importance du trafic, le poids des trains, et le manque de puissance des locomotives à vapeur. Les travaux sont exécutés de 1913 à 1922, et demandent un remaniement complet des ouvrages d’art pour dégager le gabarit d’électrification ou pour permettre la circulation de locomotives électriques très puissantes et très lourdes. Longues de 19,46 m et pesant 126 tonnes, les fameuses locomotives articulées dites « Crocodiles », engagées en 1920, deviendront le symbole de la ligne et aussi de la traction électrique suisse de hautes performances.

Sur le Saint-Gothard dans les années 1880
La ligne à l’époque de son ouverture.

Le Lötschberg, le dernier chef-d’œuvre dans les montagnes suisses.

Ce tunnel vient terminer, en 1914, l’époque des temps héroïques des tunnels percés au pic, à la perforeuse à air comprimé, et à la dynamite, celle où l’on s’aventure sous terre sans cartes géologiques et où l’on risquait de prendre sur la tête tout le contenu d’une nappe phréatique, quitte à recommencer le percement ailleurs… C’est ainsi que trente six ouvriers payèrent leur vie cette absence de science. Mais aussi, après le Lötschberg, il n’y aura plus de grands tunnels alpins, comme si le chemin de fer suisse était définitivement installé.

Le retour du chemin de fer aujourd’hui a relancé les très longs tunnels de base et le nouveau tunnel du Lötschberg a été ouvert en 2007, comme si l’Histoire tenait à reprendre son cours exactement là où il s’était arrêté. En 1913, la presse mondiale salue ce tunnel qui est mis en service. Il est décrit comme étant le premier tunnel percé rapidement et à moindres frais, grâce l’utilisation de moyens techniques nouveaux et puissants que le Mont-Cenis, le Gothard et le Simplon n’ont pas connus. Suite naturelle du Simplon, il réalise, par l’itinéraire le plus court, le lien direct entre la région de l’est de la France avec l’Italie.

Les travaux ont été confiés à un consortium d’entrepreneurs français, et le directeur général des travaux est l’ingénieur Zurcher, de l’administration française des Ponts et Chaussées. La réalisation est donc française, tout comme une partie des capitaux investis.

Un travail ardu dans un site difficile.

Le souterrain est d’une longueur de 14 605, 44 m. Il fait communiquer la vallée de la Kander orientée vers le nord, avec celle de la Lonza, orientée vers le sud. Il s’étend de Kandersteg (canton de Berne) à Goppenstein (canton du Valais). Le percement commence le 15 octobre 1906 et se termine le 31 mars 1911.C’est un record de rapidité, avec une durée de travail de quatre ans cinq mois, et un avancement moyen journalier de 9, 02 m. Les 2,6 m d’avancement quotidiens du Mont-Cenis, terminé en 1870, permettent de mesurer les progrès accomplis. Et encore faut-il tenir compte que les travaux ont dû être complètement interrompus pendant six mois et le tracé du tunnel allongé de 800 mètres pour contourner la zone de l’éboulement et de l’inondation.

En effet, le 2 juillet 1908, alors que l’avancement de la galerie nord atteignait le point 2675, la rivière de la Kander fit brutalement irruption, entraînant une masse de sable envahissant la galerie sur 1.200 mètres de longueur, anéantissant le travail de six mois et causant la mort de 25 ouvriers (sans compter 11 ouvriers tués plus tard par un éboulement à l’extérieur du tunnel). La Kander, pourtant, se trouvait à 180 mètres plus haut, mais faute de cartes et de moyens de sondage, le chantier avait quitté le rocher. Il fallut renoncer au tracé primitif et renoncer à dégager la galerie, et, à 1.200 mètres du portail nord, les travaux sont repris suivant une ligne sinueuse, à travers des bancs de granit compact, jusqu’à son raccordement avec l’ancien tracé, à 1.000 mètres du portail sud. En dépit de cette importante déviation qui fait abandonner la ligne droite, l’ingénieur suisse Baeschlin assure la rencontre des deux galeries d’avancement le 31 mars 1911, et avec une précision parfaite, à la moitié de la longueur du souterrain.

Les moyens mis en œuvre.

De puissantes perforatrices à air comprimé disposées par batteries de cinq machines travaillant ensemble sur le front d’attaque, et des marteaux perforateurs sont utilisés en complément, ainsi que des pics. L’explosif employé est la « dynamite-gomme » ou la gélatine explosive, à 95 % de nitro-glycérine. L’air comprimé est aussi utilisé pour la traction des trains de personnel et de matériaux dans le souterrain, et l’air évacué par les perforatrices et les locomotives assure le renouvellement d’air des chantiers. Les compresseurs d’air sont installés à Kandersteg et à Goppenstein, et sont actionnés par des moteurs électriques d’une puissance totale de 2.000 kW, recevant le courant d’usines hydro-électriques éloignées, ce fait étant à porter à l’électrification déjà exemplaire de la Suisse, pays déjà riche en centrales électriques. Pour rendre vivables les galeries où le thermomètre accusait plus de 25°, on pulvérise, sur les roches échauffées, de l’eau froide émulsionnée par de l’air comprimé à 7 kilogrammes, une technique qui humidifie l’air et le rafraîchit.

Les travaux sur les rampes d’accès.

La réalisation des rampes d’accès a nécessité des travaux d’une difficulté et d’une hardiesse comparables à ceux du Gothard. Ce qui caractérise la construction de ces voies du Lötschberg , notamment du côté sud, c’est la construction d’une voie de service qui suit de près le tracé de la voie définitive, et sur laquelle des locomotives à vapeur ont remorqué des trains amenant le personnel, les matériaux et l’outillage, permettant aussi d’ouvrir et d’exploiter des carrières de pierres et d’évacuer les déblais. Ce chemin de fer provisoire est en voie de 750mm, et vaut, par son aspect audacieux et spectaculaire, la voie définitive, avec ses courbes et contrecourbes très serrés, les estacades provisoires en charpente style western enjambant des gorges et des torrents, s’accrochait au flanc de la montagne, et comportant des rampes de 60 pour mille !

Le tracé.

La ligne du Lötschberg fait suite, au départ de Frutigen, à la ligne déjà en exploitation depuis Berne, par Spiez. Elle suit la vallée de la Kander en s’élevant en rampe continue de ‘27 millimètres et gagne le plateau de Kandersteg par une double boucle avec tunnel hélicoïdal. Elle atteint le portail nord du grand souterrain, après un parcours de 20 kilomètres, à 1.200 mètres d’altitude. Dans le tunnel, elle s’élève d’abord en rampe de 7 pour mille jusqu’à la cote maximum de 1.244 mètres, puis elle redescend vers le versant sud en pente de 4 pour mille. A la sortie du grand souterrain, à Goppenstein, elle suit d’abord, en pente de 24 à 27 pour mille, la vallée de la rivière Lonza, qui vient du Fafleralp par Blatten. Dans cette vallée resserrée plusieurs tunnels sont établis pour préserver la voie de la chute des avalanches. Au sortir de cette vallée, la ligne tourne brusquement dans un tunnel formant un coude qui la fait déboucher à Hothenn, sur le versant sud, d’où elle domine de plus de 400 mètres de hauteur le cours du Rhône. Elle descend alors graduellement, à flanc de montagne, par plusieurs tunnels, et sur des viaducs remarquables enjambant les nombreux torrents qui alimentent le Rhône. Le ligne franchit le fleuve et débouche dans la gare de Brigue même, près de l’entrée du grand tunnel du Simplon. Comme dans l’ouest américain, des villes naissent le long des voies en construction.

La réalisation d’une oeuvre aussi importante, en pleine montagne et loin de toute agglomération, demande de la part de l’entreprise des installations complètes pour loger et approvisionner ses ouvriers et son personnel. Deux véritables villes sont nées à chaque entrée du tunnel, d’une part à Kandersteg et d’autre part à Goppenstein. Prenons l’exemple de Goppenstein où tout est à créer, où n’y voit, vers la fin de 1906, qu’une petite chapelle et une maison abandonnée; il y existe en 1913 une ville de 6000 habitants, avec des écoles, un hôpital, des églises, une poste, un télégraphe et téléphone, des hôtels, des restaurants, des cercles, des sociétés musicales (nous sommes en Suisse !), une gendarmerie, un économat, d’après la presse d’époque qui ne tarit pas d’éloges sur cette ville nouvelle. En outre, tout le long de la ligne, divers groupes de maisons ouvrières ont formé de véritables villages. Ce sont les trains de la voie de service qui ont assuré l’approvisionnement de toute cette population, ainsi que le transport des ouvriers et de leurs familles. Dix mille ouvriers ont été occupés, en moyenne, au travaux du Lötschberg et de ses abords, dont 3250 directement sur les voies.

Et aujourd’hui ?

Un tunnel de base de a été mis en service le 15 juin 2007. La ligne par le sommet n’est désertée pour autant, car le tunnel ne pourra accepter que 110 des 140 trains quotidiens prévus. Ce nouveau tunnel est long de 34 600 mètres, et relie Frutigen à Rarogne. Les rampes sont à seulement 3 pour mille pour la partie nord du tunnel, et 13 pour mille pour la partie sud. Ce nouveau tunnel passe à 500 mètres sous l’ancien, ne dépassant donc pas une altitude de 700 mètres, et étant orienté plutôt nord-ouest et sud-est par rapport à l’ancien tunnel, passant sous lui à peu près vers sa sortie sud, à Goppenstein. Il débouche dans la vallée du Rhône plus loin à l’est. Les deux galeries du tunnel ont un profil différent, l’un, foré à l’explosif étant de section ovoïde, l’autre, foré au tunnelier, étant circulaire comme celui de la Manche. De nombreuses galeries d’accès, d’aération, de sauvetage, viennent s’ajouter aux petites galeries perpendiculaires reliant les deux galeries principales entre elles. La longueur des voies à est de 57 km.

Ces hommes ont construit des chefs d’oeuvre à la main, avec la seule force de leurs bras et avec l’aide de foreuses à air comprimé ou d’explosifs.
Sur la rampe nord du Lötschberg, le respect des rampes à faible déclivité impose des tracés très difficiles à réaliser en jouant avec les courbes de niveau du terrain.
La voie provisoire pour les travaux sur le Lötschberg.
Construction d’un viaduc sur le versant sud du Lötschberg.
Le début du percement sur le Lötschberg 

Cerise sur le gâteau (ardéchois) : quatre fois le tour d’un volcan !

L’aventure incroyable de la ligne du Puy à Lalevade d’Ardèche peut terminer cette histoire des audaces de tracé ferroviaires.

À la fin du XIXᵉ siècle, dans le cadre des grands travaux ferroviaires du Massif-Central, les départements de l’Ardèche et de la Haute-Loire espèrent ne pas être oubliés, et, surtout, que l’on construira un embranchement de la ligne des Cévennes (Clermont-Nîmes) qui les placerait sur une voie de communication rapide, autre que celle du Rhône, avec Paris et les régions du nord de la France.

Une ligne reliant alors Aubenas (par Lalevade) et le Puy-en-Velay, serait la bienvenue, mais ce projet s’oppose à celui par la Lozère. Cette deuxième solution l’emporte et en 1870, la Lozère a sa ligne qui, de Clermont, elle rejoint Brioude, continue vers Langeac, puis vers Langogne par la vallée du Haut-Allier, passait à Villefort pour enfin arriver à Nîmes.

Les Ardéchois se fâchent.

Les Ardéchois se fâchent et la guerre avec la vallée de l’Allier est déclarée en vue de réduire de trajet d’ Aubenas au Puy à 3 heures … au lieu de 2 jours ! En 1866, la ligne de Saint-Etienne au Puy en Velay est ouverte, puis, en 1870, c’est au tour de la ligne de Clermont – Nîmes par Brioude, Langeac, Langogne. La moutarde monte au nez des Ardéchois…

En 1906, une première victoire est en vue : la ligne Le Puy-Lalevade d’Ardèche est déclarée d’utilité publique. Le travaux démarrent en 1911 avec le percement achevé des tunnels du Roux,du Cheylas, de Présailles. La Première Guerre mondiale interrompt les travaux, et s’ils sont repris, ce ne sera jamais du côté ardéchois.

La Haute-Loire l’emporte… peut-être…

En 1919, un conseiller général de la Haute-Loire, Laurent Eynac, en fait son affaire personnelle et se bat pour « sa » ligne. Il parvient à faire reprendre les travaux, et de 1921à 1925, le grand viaduc de la Recoumène, haut de 65 mètres, est terminé. En 1939 l’infrastructure entre Le Puy et Le Monastier est complètement achevée : seuls les rails attendent d’être posés.

En 1941, c’est l’abandon total des travaux suivi du déclassement de la ligne. Aujourd’hui encore, tunnels et viaducs vertigineux sommeillent au cœur d’une nature « qui a repris ses droits » selon la formule consacrée.

Ce qui aurait été unique au monde. 

La ligne devait avoir son point culminant à Présailles (1078 m). Elle aurait franchi la ligne de partage des eaux dans le tunnel du Roux, et passait alors dans l’Ardèche. A la sortie de ce tunnel, on était à une altitude de 933 m et le terminus de Lalevade était à 18 km à vol d’oiseau, mais à 670 mètres plus bas. L’incroyable « spirale de Montpezat » aurait comporté, sur quelques kilomètres, plusieurs souterrains formant une quadruple boucle hélicoïdale sur quatre niveaux, la ligne passant donc plusieurs fois sous elle-même, en faisant plusieurs fois le tour du volcan – heureusement éteint – de la Gravenne (voir la carte ci-jointe). Du jamais vu en France, et digne des plus grands cols suisses ou des Andes, mais du jamais réalisé non plus.

En pointillé: la ligne du Puy à Lalevade d’Ardèche jamais construite. Noter l’ahurissant tracé sur le volcan de la Gravenne, près du village de Thuets pour « racheter » (c’est le terme) une différence de 600 mètres environ.

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