L’Irlande n’est plus britannique depuis 1921, au terme d’une longue lutte pour devenir une nation indépendante. Ce refus de la domination britannique s’est pourtant toujours accompagné d’une acceptation de la même domination britannique, au moins sur le plan technique et le réseau irlandais, si ce n’est son écartement très particulier, plus large que celui de la voie normale, est très typé à l’anglaise, chaque détail rappelant celui de la mère patrie, même si, récemment, une modernisation avec du matériel roulant non britannique a tenté d’accentuer un fossé difficilement creusé.
Le démarrage du réseau ferré irlandais.

Le chemin de fer irlandais naît en 1834 entre Dublin et Kingston, une bourgade touristique située à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale. Puis le réseau se constitue peu à peu, à la manière du Royaume-Uni dont, à l’époque, l’Irlande est une partie, par initiative privée, sous la forme d’une multitude de petites compagnies à qui un décret royal finira par imposer au moins un écartement commun, celui, curieux, de 1600 mm, qui n’est donc pas l’écartement standard de 1435 mm, et qui, tout aussi curieusement, a été utilisé aussi en Argentine par des ingénieurs anglais aussi.

En 1921 l’Irlande est indépendante et doit dorénavant compter sur ses maigres moyens industriels. En 1924 le nouveau gouvernement regroupe toutes ses lignes en un réseau unique, le Great Southern.

Le réseau national comprend alors 3500 km de lignes en voie large de 1600 mm et en voie étroite de trois pieds de 914 mm. Le réseau national n’a que 700 locomotives, mais réparties sur plus de 143 types. Refusant la traction diesel, faute de moyens, le réseau irlandais utilise ses locomotives à vapeur durant les années 1920 et 1930, parvenant même à récupérer auprès du réseau anglais South Eastern & Chatham Railway une série de vingt-six locomotives en cours de construction, et qui devront être terminées et adaptées à la voie large irlandaise dans l’arsenal de Woolwich au début des années 1920. Elles sont obtenues à bas prix sous la forme de surplus militaires de la Première Guerre mondiale.


L’absence de locomotives de vitesse.
A sa création, le réseau national irlandais ne trouve que dix locomotives du type 230 sur le sol national, des machines provenant de l’ex-Great Southern & Western Railway. Si l’on ajoute les vingt-six locomotives récupérées à titre de surplus militaire, le parc de locomotives de vitesse irlandais est très symbolique. La ligne importante reliant Dublin à Cork a un profil difficile et demande des locomotives performantes. Il n’en faut pas un grand nombre, certes, mais il en faut.
Eh bien, l’Irlande se les construira! Les ingénieurs anglais sont incrédules quand ils lisent, dans la presse spécialisée de 1939, que l’Irlande dispose de trois locomotives de vitesse très performantes: où donc ces Irlandais sont-ils allés les chercher, eux qui n’ont ni argent pour en acheter, ni industrie pour en construire ?
Élémentaire, mon cher Watson: nulle part. Ils les ont construites à la main dans leurs ateliers de Inchicore. Ces trois locomotives pour trains rapides sont les seules locomotives à vapeur que la jeune république irlandaise parvient à construire. Réunissant l’ensemble des compagnies de son réseau sous le nom de «Great Southern Railway » en 1925, l’Irlande fera feu de tout bois avec plus de cent-quarante-trois séries de locomotives formant un parc beaucoup trop hétéroclite. Le rêve d’une grande série de locomotives de construction nationale restera vain. Ces locomotives sont manifestement d’inspiration anglaise.

Mieux, même: elles ressemblent à s’y méprendre aux fameuses « Royal Scot » du LMS britannique de 1927, comme si, douze ans après, on avait reconstruit et perfectionné ces locomotives. Toutes les caractéristiques des locomotives de vitesse performantes sont présentes, du foyer Belpaire au moteur à trois cylindres à la triple distribution Walschaërts. Nommées « Maeve », « Macha » et « Tailte », elles feront une excellente carrière jusqu’en 1957 pour la première et 1964 pour les autres.
La Seconde Guerre mondiale et un réseau en attente.
La Seconde Guerre mondiale ne fera pas de destructions en Irlande, mais ce fait positif a un grand revers, celui de laisser le réseau de chemins de fer dans son état de vétusté et d’inefficacité notoires. Ainsi ce réseau peut survivre tel qu’il est, et, bien entendu, aussi ne pas être à la hauteur pour suivre l’expansion d’un pays qui entre dans une période intense de bouleversement et de désir de modernité à l’Européenne.




L’Irlande se dote d’un réseau routier exemplaire, se couvre de camions et d’autobus, et oublie qu’il a un chemin de fer, jusqu’à ce que certaines réalités économiques et écologiques le lui rappellent. La modernisation du réseau entreprise tardivement sera-t-elle suffisante et salutaire ? Toujours est-il que le réseau ferré irlandais ne jouera aucun rôle en ce qui concerne l’Europe, et restera borné à un pur service dans l’île même si le franchissement de la frontière avec l’Ulster, futur problème de plus pour le “Brexit”, lui donne un aspect “international”! Pays très “européen”, très engagé dans le processus européen, l’Irlande ne le sera pas par son réseau ferré qui restera confiné dans l’île.
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